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Date : 20160726


Dossier : T-876-16

Référence : 2016 CF 877

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 juillet 2016

En présence du protonotaire Roger R. Lafrenière

ENTRE :

CORY PENNEY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Les défendeurs sollicitent une ordonnance en vertu de l’article 383 des Règles des Cours fédérales (les Règles) afin que la demande bénéficie d’une gestion d’instance spéciale et que tous les échéanciers fixés conformément à la partie 5 des Règles soient suspendus dans l’attente de la désignation d’un juge chargé de la gestion de l’instance. Le demandeur s’oppose à cette requête au motif qu’il s’agit d’une procédure simple et que, par conséquent, la désignation d’un juge chargé de la gestion de l’instance n’est pas nécessaire. Selon le demandeur, la demande de gestion des instances est [traduction] « manifestement une tactique dilatoire » de la part des défendeurs.

[2]               En guise de contexte, le demandeur a déposé un avis de demande visant à contester le refus de renouvellement de sa demande de passeport le 2 juin 2016. La lettre de refus datée du 6 mai 2016 énonce qu’un fonctionnaire délégué du ministre de la Sécurité publique a décidé, en vertu de l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens (TR/81-86), qu’un passeport ne pouvait être délivré au nom du demandeur en raison de motifs raisonnables de croire que cette décision était nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d’un état étranger afin d’empêcher la commission d’une infraction reliée au terrorisme telle que définie à l’article 2 du Code criminel. Le demandeur sollicite une réparation sous forme de quo warranto enjoignant au ministre de démontrer en vertu de quel pouvoir il avait décidé du sort de la demande de renouvellement du demandeur, en plus d’un bref de certiorari visant à annuler toutes les décisions prises à l’encontre du demandeur en vertu du Décret sur les passeports canadiens.

[3]               L’article 383 des Règles permet au juge en chef de la Cour fédérale d’assigner un ou plusieurs juges à une procédure pour agir comme juge chargé de la gestion de l’instance. Les Règles ne prévoient toutefois pas de critères pour aider à déterminer dans quelles situations il sera approprié de prononcer une ordonnance en vertu de l’article 383 des Règles.

[4]               Le demandeur se fonde sur la décision prononcée par la juge Heneghan dans Canada (Procureur général) et Janice Cochrane c. Canada (Commissaire à l’Information), 2001 CanLII 22120 (CF) [Cochrane] pour soutenir son argument selon lequel il doit y avoir un motif important pour ordonner une gestion spéciale d’instance et pour justifier de s’écarter de l’échéancier établi par les Règles. Dans la décision Cochrane, le défendeur sollicite une ordonnance désignant un juge chargé de la gestion de l’instance pour qu’il y ait une gestion spéciale des deux instances et qu’une conférence de règlement des différends soit organisée conformément aux articles 387 à 389 des Règles dans le but de restreindre les questions en litige. Les deux demandeurs se sont opposés à cette requête. La juge Heneghan souligne que la désignation d’un juge responsable de la gestion de l’instance n’est pas assujettie à des règles strictes. Elle conclut, toutefois, qu’il n’est pas justifié d’imputer des ressources judiciaires à la gestion de ces demandes à un stade si peu avancé de l’affaire, « qu’il n’y a pas de confusion et qu’il n’est pas nécessaire de restreindre les points litigieux ».

[5]               Cette décision a été rendue dans les premiers temps de la mise en place de la gestion des instances par la Cour fédérale. La gestion spéciale des instances n’est ni une procédure de routine ni automatiquement accordée sur demande. Toutefois, l’approche de la Cour est désormais beaucoup plus flexible dans son évaluation de la pertinence d’accorder une gestion d’instances. Les ordonnances de gestion d’instance seront automatiquement rendues lorsqu’elles semblent nécessaires en raison de la nature des instances, comme des recours collectifs, des recours fondés en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et des affaires impliquant la gouvernance des bandes des Premières nations. Il est possible de requérir une gestion spéciale d’instance de façon informelle par lettre, lorsqu’il est probable que les échéanciers établis par les Règles ne pourront raisonnablement pas être respectés par les parties, ou lorsque l’intervention de la Cour sera nécessaire pour prononcer des directives, résoudre des questions procédurales ou traiter des requêtes interlocutoires. L’objectif est de s’assurer que le recours sera tranché de la façon la plus juste, rapide et économique possible, conformément à l’article 3 des Règles.

[6]               En l’espèce, plusieurs raisons justifient la désignation d’un juge chargé de la gestion de l’instance. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte des arguments contraires soulevés par le demandeur,

[7]               D’abord, la présente demande concerne le refus de délivrer un passeport au nom du demandeur. Le refus de délivrer le passeport est basé sur le motif qu’il est essentiel pour prévenir la commission d’une infraction relative au terrorisme ou pour veiller à la sécurité nationale du Canada ou d’un État étranger. Le paragraphe 6(2) de la Loi sur la prévention des voyages de terroristes, L.C. 2015, ch. 36, prévoit des règles particulières s’appliquant aux procédures relatives à un refus ou à une révocation en vertu du Décret sur les passeports canadiens.

[8]               L’alinéa 6(2)a) de cette Loi prévoit que le juge saisi de l’affaire (le « juge désigné ») doit, à la demande du ministre de la Sécurité publique, tenir une audience pour entendre les observations portant sur tout élément de preuve dans le cas où la divulgation de ces éléments de preuve pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le processus particulier pour la présentation de ces représentations n’est pas encore déterminé. Les alinéas 6(2)b), 6(2)c) et 6(2)d) disposent également que le juge désigné doit garantir la confidentialité des éléments de preuve et de tout renseignement que lui fournit le ministre, veiller à ce que soit donné au demandeur un résumé de la preuve ou de tout autre renseignement dont il dispose et offrir au demandeur et au ministre la possibilité d’être entendus.

[9]               Les défendeurs ont déclaré qu’ils ont l’intention de soumettre des observations à la Cour conformément à l’alinéa 6(2)a) et qu’ils demanderont des directives en ce sens. En raison des exigences relatives aux affaires de la Cour, un certain temps peut s’écouler avant que ce processus ne soit terminé. Il s’ensuit que les renseignements qui pourraient être utilisés par les défendeurs pour justifier ou expliquer la décision faisant l’objet du contrôle ne seront pas disponibles aux fins d’inclusion au dossier certifié du tribunal à l’échéance du délai prévu à l’article 318 des Règles pour le dépôt du dossier du tribunal; il est également probable qu’il ne soit pas possible pour les défendeurs de joindre ces renseignements à leur affidavit au soutien de la défense dans les délais prescrits par l’article 307 des Règles.

[10]           Considérant que la Loi sur la prévention des voyages de terroristes a récemment été adoptée et qu’elle n’a pas à ce jour fait l’objet d’un examen judiciaire, en raison de l’intention déclarée des défendeurs de requérir des directives d’un juge désigné et de la nécessité pratiquement certaine d’obtenir des directives de la Cour sur la procédure à appliquer à cette affaire, je conclus que la désignation d’un juge chargé de la gestion de l’instance est à la fois équitable et nécessaire pour assurer que l’affaire soit traitée de façon ordonnée et sans délai.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande se poursuive sous une gestion spéciale de l’instance.

2.                  Les parties à l’instance n’entreprennent aucune autre mesure jusqu’à nouvelle ordonnance ou nouvelles directives de la Cour.

3.                  Le dossier soit renvoyé au juge en chef pour la désignation d’un juge chargé de la gestion de l’instance.

4.                  Aucuns dépens ne soient adjugés pour la présente requête.

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-876-16

INTITULÉ :

CORY PENNEY c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITTANIQUE) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juillet 2016

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Arman Chak

Pour le demandeur

Robert Drummond

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arman Chak

Avocat

Edmonton (Alberta)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour les défendeurs

 

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