Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20161014


Dossier : IMM-118-16

Référence : 2016 CF 1147

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

ZEHRA KHATIBI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, Zehra Khatibi, est une citoyenne iranienne de 70 ans dont le mari est décédé en 2000. Une partie de sa famille vit au Canada, l’autre partie vit en Iran. Elle était venue à deux reprises visiter des membres de sa famille au Canada avant son séjour d’août 2011. Au cours de cette troisième visite, elle a soumis une demande d’asile au motif qu’elle craignait pour sa sécurité en Iran après sa conversion au christianisme. Le 26 février 2014, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d’asile.

[2]               Après ce rejet, la demanderesse a soumis une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), ainsi qu’une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) aux termes du paragraphe 112(1) de la LIPR. Dans des décisions distinctes rendues le 13 novembre 2015, un agent d’immigration supérieur (agent) a refusé la demande fondée sur des considérations humanitaires et la demande d’ERAR. La demanderesse a ensuite sollicité et obtenu un contrôle judiciaire de la décision défavorable à sa demande fondée sur des considérations humanitaires aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR, mais le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a obtenu une ordonnance annulant ladite décision et renvoyant l’affaire à un autre agent d’immigration pour nouvel examen. La demanderesse a également sollicité et obtenu un contrôle judiciaire de la décision lui refusant un ERAR, laquelle fait l’objet du présent contrôle.

I.                   Contexte

[3]               La demanderesse est née dans une famille musulmane, mais elle s’est convertie au christianisme lors de sa première visite au Canada (d’août 2004 à février 2005). Elle a connu l’église évangéliste Esprit de Vérité, de langue fârsie, lors de son deuxième séjour (de février à décembre 2009). Avant sa première visite au Canada, la demanderesse et des membres de sa famille ont eu des problèmes avec le régime islamique iranien. L’un de ses frères a été exécuté parce qu’il avait refusé d’attaquer des Kurdes iraniens civils, et les gardiens de la révolution ont fait plusieurs descentes dans la résidence familiale. Des membres de la famille de la demanderesse ont ensuite fui l’Iran. Ses deux filles et son fils aîné vivent maintenant dans la région de Toronto; son autre fils vit toujours en Iran. Son plus jeune frère vit à Toronto, mais ses deux sœurs et son autre frère sont toujours en Iran.

[4]               La SPR a entendu la demande d’asile de la demanderesse parallèlement à celle de son fils aîné qui, à l’instar de sa mère, s’est converti au christianisme. Comme elle est retournée deux fois en Iran après s’être prétendument convertie au christianisme durant sa visite au Canada en 2004, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas de raison réelle ou subjective de craindre d’être persécutée. La SPR a conclu que les déclarations de la demanderesse n’étaient pas crédibles et qu’elle n’était pas véritablement chrétienne, mais qu’elle était venue au Canada pour y retrouver sa famille. Elle a rendu la même décision relativement à la demande d’asile de son fils.

[5]               Après la décision de la SPR, le fils a présenté une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Dans une lettre datée du 27 janvier 2015, il a été informé que sa demande avait été approuvée conditionnellement, dans l’attente du traitement de sa demande au Canada. Ce fait est mentionné dans la demande d’ERAR de la demanderesse, à laquelle sont joints également des observations écrites de son avocat, des documents soumis antérieurement à la SPR, l’exposé circonstancié personnel de la demanderesse, ainsi que d’autres documents portant une date postérieure à la décision de la SPR. La demanderesse a déclaré à l’agent que si elle était renvoyée du Canada, elle rentrerait seule en Iran puisque la demande de résidence permanente de son fils avait été approuvée en principe. [traduction] « Comme ce facteur n’existait pas au moment où la décision a été rendue concernant la demande d’asile, il n’a pas été envisagé ni pris en compte. » Elle a ajouté qu’elle s’appuyait sur son fils depuis le décès de son mari, en expliquant à l’agent le risque que court une femme seule dans un pays musulman si elle ne peut compter sur la protection d’un homme de sa famille.

[6]               Le rapport psychologique joint à la demande d’ERAR fait état des conséquences néfastes que la demanderesse risquerait de subir si elle retournait en Iran. Le rapport psychologique est accompagné de plusieurs articles publiés dans Internet après la décision de la SPR, dont un en particulier qui explique qu’au regard de la loi iranienne, un musulman qui se convertit à une autre religion risque d’être accusé d’apostasie, une infraction criminelle. La demanderesse a également sollicité une audience aux termes de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 116 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

II.                Décision de l’agent

[7]               Dans sa décision rejetant la demande d’ERAR, l’agent explique qu’il a examiné la demande et toute la preuve documentaire. Il a également pris connaissance des articles extraits d’Internet et du rapport psychologique. Il ne fait aucune allusion à l’octroi de la résidence permanente au fils de la demanderesse, qui signifie qu’il ne retournerait pas en Iran avec sa mère.

[8]               L’agent n’a accordé aucun poids aux articles extraits d’Internet parce qu’ils ne contredisaient aucune des conclusions de la SPR. Plus précisément, l’agent argue que ces documents ne commentent pas le fait que [traduction] « la demanderesse s’est réclamée à nouveau de la protection de l’Iran à plusieurs reprises, en dépit de ses prétentions d’y être exposée à un grand danger ». L’agent a par conséquent conclu que ces documents ne suffisaient pas pour réfuter les décisions de la SPR. À l’égard du rapport psychologique, l’agent mentionne que l’opinion de la psychologue repose sur le récit de la demanderesse elle-même. Il ajoute :

[traduction] Dans la décision Danailov, la Cour a jugé qu’un rapport psychologique ne saurait servir de panacée à toutes les faiblesses dans le témoignage d’un demandeur, et que lorsqu’un tel rapport est produit en preuve et que ce témoignage suscite des doutes, un témoignage d’opinion n’est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. J’ai donc accordé peu de poids à ce rapport.

[9]               Bien que l’agent n’évoque pas explicitement la demande d’audience, il est permis de croire qu’elle a été refusée à la demanderesse, implicitement du moins, puisqu’il n’y a pas eu d’audience. L’agent déclare en conclusion que [traduction] « [...] depuis le rejet de la demande par la Commission, la situation ne s’est pas détériorée en Iran au point où la demanderesse serait exposée à un risque de persécution, de torture, à une menace à sa vie, ou à des traitements ou peines cruels et inusités ».

III.             Questions en litige

[10]           Les questions soulevées par les parties peuvent être reformulées comme suit :

1.                  Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.                  La décision de l’agent est-elle raisonnable?

3.                  L’agent aurait-il dû convoquer une audience?

IV.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[11]           Il est de jurisprudence constante qu’en l’absence de questions intéressant l’équité procédurale, la norme de contrôle appropriée pour une décision d’ERAR est celle de la raisonnabilité (voir Shilongo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 86, au paragraphe 21, 474 FTR 121; Jainul Shaikh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1318, au paragraphe 16, [2012] ACF no 1429). La retenue est donc de mise à l’égard de l’évaluation que fait l’agent de la preuve à sa disposition (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[12]           Par surcroît, et bien que la Cour puisse intervenir « si le décideur a ignoré des éléments de preuve importants ou pris en compte des éléments qui sont inexacts ou dénués d’importance » (James c. Canada (Procureur général]), 2015 CF 965, au paragraphe 86, 257 ACWS [3d] 113), elle devrait s’en garder si la décision de l’agent est justifiable, intelligible et transparente, et si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Ces critères sont remplis dès lors que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]).

[13]           La jurisprudence est toutefois moins constante pour ce qui est de la norme de contrôle des décisions concernant la tenue d’une audience dans le cadre d’un ERAR. Dans la décision Zmari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, 263 ACWS (3d) 177, la Cour se prononce comme suit :

[10]      La norme de contrôle applicable quant à savoir si une audience est requise dans le cadre d’une détermination ERAR reste exposée à une remise en question. Les décisions récentes de la Cour à cet égard divergent et suivent l’une de deux voies.

[11]      Une voie repose sur le fait que le champ de contrôle applicable suit la norme de la décision correcte sans déférence accordée au décideur, parce que la question de savoir si une audience est requise est une question d’équité procédurale. Voir, par exemple, Suntharalingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1025, paragraphe 48, 257 ACWS (3d) 924; Antoine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 795, paragraphe 12, 258 ACWS (3d) 153; Matinguo-Testie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 651, paragraphe 6, 254 ACWS (3d) 149; Vargas Hernandez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 578, paragraphe 17, 254 ACWS (3d) 912; Negm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 272, paragraphe 33, 250 ACWS (3d) 317; Micolta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 183, paragraphe 13, 249 ACWS (3d) 826; Fawaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1394, paragraphe 56, 422 FTR 95; Ahmad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 89, paragraphe 18, 211 ACWS (3d) 409.

[12]      L’autre voie applique une norme déférente du caractère raisonnable parce que l’application de l’alinéa 113b) de la Loi et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] est une question de droit et de fait. Voir, par exemple, Thiruchelvam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 913, paragraphe 3, 256 ACWS (3d) 394; Kulanayagam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101, paragraphe 20, 248 ACWS (3d) 921; Abusaninah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 234, paragraphe 21, 249 ACWS (3d) 843; Ibrahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837, paragraphe 6, 244 ACWS (3d) 177; Kanto c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 628, paragraphes 11, 12 et 242, ACWS (3d) 912; Bicuku c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339, paragraphes 16, 17 et 239 ACWS (3d) 723; Chekroun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 737, paragraphe 40, 436 FTR 1; Ponniah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 386, paragraphe 24, 229 ACWS (3d) 1140; Adetunji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, paragraphe 27, 218 ACWS (3d) 616.

[14]           À mon avis, le fait de savoir si une audience est requise dans le cadre d’une détermination relative à l’ERAR soulève une question d’équité procédurale. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Mission Institution c. Khela, 2014 CSC 24, paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502, « la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale sera toujours celle de la “décision correcte” ». Par conséquent, en l’espèce, la décision de l’agent de ne pas convoquer d’audience devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. La Cour doit par conséquent déterminer si le processus suivi par l’agent a atteint le degré d’équité nécessaire dans les circonstances (voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Il ne s’agit pas tant de savoir si la décision de l’agent de ne pas convoquer une audience était correcte, mais bien s’il a suivi un processus décisionnel équitable (voir Hashi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 154, au paragraphe 14, 238 ACWS (3d) 199, et Makoundi c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35, 249 ACWS (3d) 112).

B.                 La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[15]           Aux yeux de la demanderesse, la décision de l’agent n’est pas raisonnable puisqu’elle ne tient nullement compte du fait qu’elle rentrerait seule en Iran, sans son fils. Selon elle, l’agent aurait dû reconsidérer son récit personnel à la lumière de ce nouveau fait survenu après l’audience de la SPR, qui change considérablement sa situation si l’on tient compte de son âge et de tous les autres facteurs de risque.

[16]           Le défendeur estime que la décision de l’agent est raisonnable. Selon le défendeur, l’agent n’a pas méconnu les éléments de preuve concernant le fils de la demanderesse, et il était au courant de ce fait [traduction] « très clairement mentionné au dossier ». L’éventualité que la demanderesse rentre seule en Iran représente tout au plus, aux yeux du défendeur, un facteur contextuel aux fins de l’évaluation du risque auquel l’exposent ses croyances religieuses, qui l’emporte toutefois sur l’inférence négative tirée par la SPR concernant sa prétendue conversion au christianisme.

[17]           En l’espèce, j’estime que la décision de l’agent n’est pas justifiée et, partant, qu’elle n’est pas raisonnable puisqu’elle passe totalement sous silence les risques courus par la demanderesse si elle retourne en Iran sans son fils aîné. Les demandes d’ERAR ne visent pas une révision d’une décision de la SPR; elles servent surtout à porter à l’attention du décideur toute nouvelle circonstance et tout changement survenu dans la vie d’un requérant après qu’il s’est vu refuser l’asile (voir Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 12, 289 DLR (4th) 675 [Raza]). Comme le mentionne la juge Sharlow au paragraphe 13 de l’arrêt Raza, « l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance » [non souligné dans l’original].

[18]           En l’espèce, le plus important n’est pas que la conversion de la demanderesse au christianisme l’exposera à un risque accru ou nouveau en Iran, mais plutôt que son statut de veuve en fera une femme seule privée de la protection de son fils aîné dans un pays musulman. À cet égard, la demanderesse renvoie expressément l’agent au paragraphe 26 de la décision Nahimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 161, 146 ACWS (3d) 330, par laquelle la Cour conclut que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que la demanderesse était une musulmane seule, originaire d’une région du monde où « les mineures et les femmes adultes ne sont pas du tout traitées comme dans les pays occidentaux ». Pour une raison qui nous échappe, la décision de l’agent en l’espèce ne mentionne ni n’examine les risques de ce type auxquels la demanderesse est exposée.

[19]           De toute évidence, les décideurs administratifs, dont font partie les agents d’ERAR, ne sont pas tenus de faire référence à chacun des éléments de preuve à leur disposition dans leur décision. Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la juge Abella déclare que « le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale ». De même, au paragraphe 16 de la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35 [Cepeda-Gutierrez], le juge Evans explique que les organismes administratifs ne sont pas obligés de « faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et [d’]expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve » car, souvent, il leur suffit d’expliquer dans leurs « motifs que, pour venir à [leurs] conclusions, [ils ont] examiné l’ensemble de la preuve [...] ».

[20]           Néanmoins, l’obligation de déférence à l’égard des décideurs administratifs tombe dès lors qu’un élément de preuve crucial ou un fait substantiel et pertinent n’a pas été dûment pris en compte. Si l’élément de preuve en question est hautement pertinent ou semble contredire d’autres conclusions de fait, une cour de révision pourrait inférer que le décideur administratif n’en a pas tenu compte et a par conséquent tiré « une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” » (Cepeda-Gutierrez, au paragraphe 15). Il n’appartient pas à la cour de révision de compléter les motifs exposés par l’agent d’ERAR s’il a omis un élément de preuve crucial ou un nouveau fait qui « aurait » pu infléchir l’issue de l’audience de la SPR. Par voie de conséquence, une telle lacune dans les motifs exposés par l’agent d’ERAR compromet leur conformité aux critères de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité.

[21]           Or, il ressort nettement du dossier en l’espèce que la demanderesse avait mentionné dans ses observations transmises aux fins de l’ERAR qu’elle était inquiète de savoir que son fils avait reçu sa résidence permanente. Elle donne le numéro du dossier de son fils, mentionne à l’agent le nouveau risque auquel l’exposera son statut de femme seule privée de la protection d’un homme dans un pays musulman, et déclare très clairement que l’issue favorable pour son fils constitue [traduction] « un nouveau facteur qui n’a pas été examiné et tranché dans la décision concernant sa demande d’asile puisqu’il n’existait pas à ce moment ». Par ailleurs, s’il est vrai que la demanderesse n’a pas soumis de copie de la lettre annonçant à son fils l’accueil conditionnel de sa demande fondée sur des considérations humanitaires, cette omission n’est pas fatale car « les déclarations faites par un avocat sur des faits pourraient constituer des preuves dans des instances informelles comme une demande d’ERAR et elles pourraient se voir accorder un poids » (Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 29, 170 ACWS (3d) 397). En revanche, il est vrai aussi, comme le fait valoir le défendeur, qu’un frère de la demanderesse vit toujours en Iran et pourrait lui offrir la protection dont les veuves ont besoin dans ce pays. Il s’agit toutefois, c’est le moins que l’on puisse dire, de simples conjectures puisque rien dans le dossier ne permet de caractériser le lien qu’entretient la demanderesse avec son frère et, quoi qu’il en soit, il y est établi que le fils aîné a pris la place du défunt mari comme protecteur de la veuve.

[22]           Même si l’agent affirme qu’il a examiné [traduction] « tous les documents fournis », il ne fait jamais allusion au fils de la demanderesse et il ne propose aucune évaluation du nouveau risque qui pèserait sur elle si jamais elle retournait en Iran sans son fils. Pour ce qui est des conclusions de la SPR, l’agent a examiné la demande d’asile de la demanderesse au regard des risques de persécution auxquels l’expose sa conversion au christianisme et de l’éventuelle détérioration de la situation en Iran depuis la décision de la SPR. L’agent a fait preuve d’une étroitesse de vue qui n’est ni justifiée ni raisonnable compte tenu des déclarations de la demanderesse relativement à l’octroi de la résidence permanente à son fils, qui représente beaucoup plus qu’un facteur contextuel aux fins de l’appréciation du risque de persécution pour des motifs religieux. Au contraire, ce fait est au cœur de l’allégation de la demanderesse concernant le risque supplémentaire auquel elle sera exposée si elle retourne seule et sans protection masculine dans un pays musulman, et les motifs, si tant est qu’il en ait, sur lesquels s’appuie l’agent pour conclure à l’absence de risque ne sont pas suffisamment justifiables, transparents et intelligibles.

[23]           Pour les motifs exposés précédemment, je suis d’avis que la décision de l’agent est déraisonnable. Elle doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée à un autre agent d’immigration pour un réexamen.

C.                 L’agent aurait-il dû convoquer une audience?

[24]           Il n’est pas requis d’analyser cette question compte tenu de ma conclusion précédente quant au caractère déraisonnable de la décision de l’agent.

V.                Conclusion

[25]           La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie. Compte tenu de son caractère déraisonnable, la décision de l’agent est annulée. L’affaire est renvoyée un autre agent d’immigration pour qu’il en fasse un nouvel examen conformément aux présents motifs du jugement. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire; l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il en fasse un nouvel examen conformément aux motifs du présent jugement, et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-118-16

 

INTITULÉ :

ZEHRA KHATIBI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Daniel M. Fine

 

Pour la demanderesse

 

Ildikó Erdei

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel M. Fine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.