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Date : 20161004


Dossier : IMM-1259-16

Référence : 2016 CF 1103

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

DOMINGO NAJAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La décision de la SAI confirme le refus par l’agent des visas, aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), de la demande de parrainage de la fille du demandeur, Marian Gayle Najas, aux fins de l’obtention de la résidence permanente au Canada. L’agent fonde son refus sur le fait que le demandeur n’avait pas déclaré sa fille dans la demande d’établissement qu’il avait soumise à la fin des années 1990.

[2]               Le demandeur ne nie pas que l’alinéa 117(9)d) s’applique à son cas. Il reproche toutefois à l’agent des visas de ne pas avoir tenu compte des considérations humanitaires en jeu dans son évaluation de la demande de résidence permanente de Marian. Le demandeur fait valoir par ailleurs que la SAI a commis une erreur en omettant d’examiner cette question et en concluant que la décision de l’agent était fondée en droit. Il ajoute que la SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale en restreignant indûment les questions pertinentes à l’appel et en lui ordonnant de limiter ses observations à la question de l’irrecevabilité, le privant ainsi de la possibilité d’arguer que la décision de l’agent est déraisonnable étant donné l’absence d’analyse des considérations d’ordre humanitaire en application de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[3]               Pour les motifs exposés ci-après, je suis d’avis que la contestation du demandeur de la décision de la SAI doit être rejetée.

I.                   Contexte

[4]               Les faits pertinents en l’espèce se résument comme suit. Le demandeur est né aux Philippines en 1948. En août 1996, il a obtenu le statut de résident permanent au Canada. À l’époque où il a déposé sa demande de résidence permanente, le demandeur avait déclaré que ses seules personnes à charge étaient sa femme et ses quatre enfants, tous arrivés avec lui. Il avait alors omis de déclarer ses trois autres enfants nés d’une relation extraconjugale. Marian, née aux Philippines en février 1994, en fait partie.

[5]               Le demandeur prétend aujourd’hui qu’il n’avait pas déclaré ces trois enfants parce qu’il ne voulait pas que sa femme apprenne leur existence. En juillet 2014, soit 18 mois après le décès de sa femme, il a soumis sa demande de parrainage de Marian. Le 21 octobre 2014, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a informé le demandeur qu’il ne pouvait pas parrainer sa fille parce qu’il n’avait pas déclaré son existence dans sa demande de résidence permanente. Comme le demandeur avait manifesté son intention d’aller de l’avant avec la demande de résidence permanente de Marian, même si elle avait été jugée irrecevable, il a été informé par CIC qu’elle avait été transférée à un bureau des visas de Manille.

[6]               Par la voie de lettres relatives à l’équité procédurale envoyées par CIC le 18 mars 2015, le demandeur et Marian ont été informés qu’elle était susceptible d’exclusion de la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, et ils ont été enjoints à répondre aux préoccupations de CIC à cet égard. Le demandeur et Marian apprenaient également dans ces lettres que le défaut de présenter leurs observations pourrait entraîner une révision de la demande au regard des renseignements contenus au dossier. Aucun des deux n’a présenté d’observations.

[7]               Le 21 septembre 2015, le père et la fille ont été informés du rejet par l’agent de la demande de résidence permanente de Marian. Le 7 octobre 2015, le demandeur a déposé un avis d’appel à la SAI et, le 2 novembre 2015, il a été invité à présenter des observations à l’égard de cet appel. Il n’a jamais donné suite à l’invitation.

[8]               Le 26 février 2016, l’appel du demandeur a été rejeté. Ayant pris acte du défaut du demandeur de présenter des observations à l’appui de son appel, la SAI a examiné le dossier dont l’agent avait été saisi et, compte tenu de la prépondérance des probabilités, elle a décrété que la décision de l’agent était fondée en droit.

II.                Questions en litige

[9]               L’affaire soulève les questions suivantes :

a)      La SAI a-t-elle manqué à son obligation en matière d’équité procédurale?

b)      La décision de la SAI est-elle raisonnable?

[10]           Il est reconnu que les questions intéressant les principes de l’équité procédurale sont susceptibles d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43), et que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’analyse du bien-fondé d’une décision rendue par un agent (Adjani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 32, au paragraphe 13).

III.             Analyse

[11]           Essentiellement, le demandeur fait valoir que l’omission de l’agent de faire une analyse des considérations humanitaires a vicié l’ensemble du processus ayant mené au rejet de la demande de résidence permanente de Marian, que la SAI aurait dû l’autoriser à soulever cette omission et, de fait, qu’elle aurait dû soulever et examiner elle-même cette question pour déterminer si la décision de l’agent était fondée en droit.

[12]           La position du demandeur souffre d’un défaut rédhibitoire : il n’a pas donné suite à l’invitation qui lui a été faite de répondre aux préoccupations soulevées par l’agent, et il n’a pas sollicité l’analyse en question ni présenté d’observations à ce sujet. Autrement dit, il n’a pas donné sa version des faits. Comme le souligne le défendeur, la Cour a établi à maintes reprises que les agents des visas n’ont aucune obligation ou « obligation distincte » de tenir compte de considérations d’ordre humanitaire en l’absence d’une demande expresse à cet égard de la part du demandeur (Phan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 184, au paragraphe 17. Voir aussi Tse c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 393, aux paragraphes 10 et 11; Araujo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 515, au paragraphe 19). Cette conclusion est conforme à l’article 25 de la LIPR, qui dispose qu’une analyse des considérations d’ordre humanitaire doit être faite « sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent […] » (« on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status […] »)   Il appartenait par conséquent au demandeur de soumettre à l’agent les éléments de preuve ou les observations se rapportant à des considérations d’ordre humanitaire dont il souhaitait la prise en compte (Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1997], 36 Imm LR [2d] 175 [CF 1re instance], au paragraphe 10). Le demandeur s’en est abstenu.

[13]           N’est pas non plus recevable l’allégation du demandeur selon laquelle sa requête portant poursuite du traitement de la demande de résidence permanente de Marian même s’il n’était pas admissible à la parrainer constituait en fait une demande au bureau des visas de tenir compte des considérations humanitaires dans la décision. À défaut d’observations concernant les considérations d’ordre humanitaire en jeu, l’agent ne pouvait raisonnablement être censé comprendre qu’il devait en faire l’analyse. Là encore, le demandeur et Marian ont eu la possibilité, à plus d’une reprise, de répondre aux préoccupations de l’agent et de solliciter, par la même occasion, un examen de la demande de résidence permanente de Marian sous l’angle des considérations humanitaires. Toutefois, ni le père ni la fille n’ont profité de ces occasions. La demande tient de la contemplation lointaine. Elle n’a aucun fondement juridique.

[14]           De même, dans l’appel de la décision devant la SAI, le demandeur ne soulève pas non plus l’omission de l’agent d’analyser les considérations humanitaires. Il n’a même pas répondu à l’invitation de la SAI de présenter ses observations. Dans de telles circonstances, la SAI n’était nullement tenue de faire un examen indépendant de questions que le demandeur n’avait pas soulevées (Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 855, aux paragraphes 29 et 30). Au paragraphe 23 de la décision Gramshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 878, la Cour cite un passage du paragraphe 5 de l’arrêt Guajardo-Espinoza c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 797 (C.A.) (QL), dans lequel la Cour d’appel fédérale explique que dans le cadre d’une demande d’asile, la Section de la protection des réfugiés ne peut être blâmée « de ne pas s’être prononcée sur un motif qui n’avait pas été allégué et qui ne ressortait pas de façon perceptible de l’ensemble de la preuve faite ». La Cour fait la mise en garde suivante : « Accepter le contraire conduirait à un véritable jeu de cache-cache et de devinette et forcerait la Section du statut à se livrer à des enquêtes interminables pour éliminer des motifs qui ne s’appliquent pas de toute façon, que personne ne soulève et que la preuve ne fait que ressortir en aucune manière, le tout sans compter les appels vains et inutiles qui ne manqueraient pas de s’ensuivre » (Gramshi, au paragraphe 23). À mon avis, ces constats valent aussi en l’espèce.

[15]           Le demandeur n’est aucunement fondé à prétendre qu’en l’enjoignant à limiter ses observations à son incapacité de parrainer sa fille, la SAI l’a empêché de soulever le fait que l’agent n’a pas tenu compte des considérations d’ordre humanitaire dans son analyse de la demande de résidence permanente de Marian. Premièrement, il s’agissait de la seule question dont la SAI pouvait légitimement être saisie au vu de l’information à la disposition de l’agent et des motifs fournis à l’appui du refus de la demande de résidence permanente de Marian. Deuxièmement, aucune disposition législative ou réglementaire n’empêchait le demandeur de soulever des considérations humanitaires, ou de tout autre ordre, sans égard aux directives de la SAI. Encore une fois, non seulement il n’a jamais évoqué la question des considérations humanitaires au cours du processus d’appel, mais il n’a pas non plus présenté d’observations, de quelque nature que ce soit.

[16]           Il est donc clair que l’équité procédurale n’a pas été compromise dans le cadre de l’appel interjeté devant la SAI, et qu’elle a rendu une décision raisonnable, qui appartient manifestement aux issues possibles et acceptables (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Comme je l’ai évoqué précédemment, le demandeur ne nie pas que Marian ne fait pas partie de la catégorie du regroupement familial au sens de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, et qu’il s’agit donc d’un motif légitime pour rejeter sa demande de résidence permanente.

[17]           Dans ses observations écrites, le demandeur semble blâmer son ancien avocat pour son omission de répondre aux préoccupations de l’agent ou de saisir la SAI de l’omission de l’agent de tenir compte des considérations humanitaires dans son examen de la demande de résidence permanente de Marian. Cependant, dans ses observations, il ne demande pas à la Cour de se prononcer sur un quelconque déni de justice attribuable à l’incompétence de son ex-avocat ou de tirer une autre conclusion de droit à cet égard. Il n’a pas non plus abordé cette question dans le cadre de ses observations de vive voix devant la Cour. Par conséquent, je ne me prononcerai pas sur cette allégation.

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier. Aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE

1.      Que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1259-16

INTITULÉ :

DOMINGO NAJAS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SEPTEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

Le 4 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

Pour le demandeur

Ladan Shahrooz

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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