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Date : 20160919


Dossier : T-2161-15

Référence : 2016 CF 1056

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2016

En présence de madame la protonotaire Mandy Aylen

ENTRE :

BRADWICK PROPERTY MANAGEMENT SERVICES INC.

demanderesse

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le 30 mai 2016, le défendeur, le ministre du Revenu national, a déposé une requête en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales [Règles] en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité au titre de l’article 151 des Règles afin qu’il lui soit permis de présenter à la Cour une copie des documents non caviardés en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire et qu’il soit interdit à l’avocat de la demanderesse d’avoir accès à ces documents, même s’il s’engage par écrit conformément à l’alinéa 152(2)b) des Règles.

[2]               La demanderesse ne s’oppose pas à ce qu’une ordonnance de confidentialité soit rendue à l’égard des documents non caviardés, mais elle conteste toute mesure visant à limiter l’accès de son avocat à ces derniers. La demanderesse demande que la Cour rende une ordonnance en vertu de l’alinéa 152(2)b) des Règles, qui autoriserait son avocat à avoir accès aux documents non caviardés dans le seul but de présenter ses arguments à l’égard de la demande sous-jacente après s’être engagé par écrit à ne pas divulguer les renseignements en cause à quiconque à l’exception de la Cour pour les besoins de son argumentation en question.

[3]               La demande sous-jacente regroupe onze demandes de contrôle judiciaire réunies présentées conformément à l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 [LAI], qui visent des demandes présentées par la demanderesse à l’Agence du revenu du Canada [ARC] afin d’obtenir des renseignements et des documents fournis par des tiers à l’ARC dans le cadre d’une vérification de la demanderesse effectuée par l’ARC en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) [LIR], et de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 [LTA]. La demanderesse conteste les différents passages que l’ARC a supprimés des documents conformément aux alinéas 16(1)b) et c), au paragraphe 19(1), à l’alinéa 20(1)b) et à l’article 24 de la LAI.

Faits et procédures

[4]               En 2013, la demanderesse a déposé un certain nombre d’avis d’opposition auprès de l’ARC relativement à des avis de nouvelle cotisation qu’elle avait reçus et dans lesquels l’ARC estimait que certaines dépenses qu’elle avait réclamées étaient excessives ou reposaient sur des services non rendus. Les avis de nouvelle cotisation ont été émis par l’ARC à la suite d’une vérification de la demanderesse qui semble avoir débuté en 2010.

[5]               Pendant cette vérification, Elliot Fromstein, anciennement comptable de la demanderesse, a fourni des renseignements et des documents à l’ARC pour les besoins de la vérification visant la demanderesse conformément à deux ordonnances obtenues par l’ARC auprès de la Cour fédérale en date du 22 septembre 2010 (numéros des dossiers de la Cour : T-1436-10 et T‑1440‑10 [ordonnances]). Ces ordonnances exigeaient que M. Fromstein fournisse des renseignements et des documents pour son propre compte et celui de certaines sociétés et entités qu’il détenait, gérait ou administrait, notamment Candlelight International Real Estate Ltd., Marketing Tools Inc., Celebration Enterprises Inc., Knowble Property Services Inc., 1711832 Ontario Inc., Oaken Appraisal Services Inc., C, D, E & F Enterprises Inc., Sunkist Enterprises Inc., Cortina Property Management Services Ltd., Mike Tyler Consulting Ltd., et 318226 Ontario Limited.

[6]               Les ordonnances comprenaient, en annexe, deux demandes péremptoires de fourniture de renseignements et de production de documents envoyées par l’ARC à M. Fromstein le 20 avril 2010 qui précisaient les renseignements et les documents sollicités relativement à des factures précises soumises à la demanderesse et à des services rendus par cette dernière, notamment des copies de relevés bancaires relativement à des paiements déposés en règlement des factures et des copies des décaissements (comme des chèques et des traites bancaires) se rapportant aux paiements reçus en règlement des factures.

[7]               En mars 2014, la demanderesse a présenté à l’ARC quinze demandes de documents en vertu de la LAI concernant la vérification que l’Agence effectuait à son sujet. Dans les demandes, la demanderesse sollicitait des renseignements, des réponses et des documents que l’ARC avait reçus de différentes personnes et entités dans le cadre de sa vérification, y compris ceux fournis par M. Fromstein.

[8]               La Cour comprend que par ces demandes de documents la demanderesse tentait de saisir le fondement des nouvelles cotisations émises par l’ARC et d’appuyer sa position dans le processus d’avis d’opposition et toutes futures procédures d’appel en matière d’impôt.

[9]               En réponse aux demandes de la demanderesse formulées au titre de la LAI, l’ARC lui a envoyé 1 568 pages de documents comportant divers passages caviardés conformément aux dispositions d’exceptions suivantes prévues dans la LAI :

A.                Paragraphe 19(1);

B.                 Alinéas 16(1)b) et 16(1)c), conjointement;

C.                 Paragraphe 24(1);

D.                Paragraphes 19(1) et 24(1), conjointement;

E.                 Alinéa 20(1)b) et paragraphe 24(1), conjointement;

F.                  Paragraphe 19(1), alinéa 20(1)b) et paragraphe 24(1), conjointement.

[10]           Sur les 1 568 pages de documents, 444 pages ont été entièrement divulguées à la demanderesse. Le reste des documents contenaient des quantités variables de passages caviardés, mais un très grand nombre de pages ont eu leur contenu entièrement caviardé. La plupart des caviardages des documents a été réalisé, en totalité ou partiellement, conformément au paragraphe 24(1) de la LAI.

[11]           La demanderesse, après avoir reçu les documents caviardés de la part de l’ARC, a déposé des plaintes auprès du Commissaire à l’information concernant les exceptions appliquées par l’ARC et les documents qu’elle ne lui a pas communiqués. Le Commissaire à l’information a conclu que les plaintes visant les exceptions invoquées par l’ARC étaient mal fondées.

[12]           Entre décembre 2015 et janvier 2016, la demanderesse a déposé onze demandes de contrôle judiciaire concernant le refus de l’ARC de lui donner accès à des copies non caviardées des documents demandés. Chaque avis de demande correspondait à une demande distincte présentée par la demanderesse au titre de la LAI à laquelle un numéro de dossier unique de l’ARC a été attribué. Voici les numéros de dossier correspondants de la Cour fédérale et de l’ARC, accompagnés du nombre de pages des documents en cause ainsi que d’une description de la demande présentée par la demanderesse en vertu de la LAI :

A.                T-2161-15 – numéro de dossier de l’ARC : A-069445 (90 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par Celebration Enterprises Inc. à l’ARC concernant sa vérification au sujet de la demanderesse ».

B.                 T-2162-15 – numéro de dossier de l’ARC : A-069444 (129 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par Elliot Fromstein à l’ARC concernant sa vérification au sujet de la demanderesse ».

C.                 T-2163-15 – numéro de dossier de l’ARC : A-069443 (21 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par Elliot Fromstein à l’ARC lors d’une rencontre tenue le 6 mars 2009 au bureau de l’ARC de North Bay, en Ontario, concernant la vérification effectuée par l’ARC au sujet de la demanderesse ».

D.                T-2164-15 – numéro de dossier de l’ARC : A-069439 (238 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par Candlelight International Real Estate Inc. à l’ARC concernant sa vérification au sujet de la demanderesse ».

E.                 T-2165-15 – numéro de dossier de l’ARC : A-069440 (125 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par Marketing Tools Inc. à l’ARC concernant sa vérification au sujet de la demanderesse ».

F.                  T-148-16 – numéro de dossier de l’ARC : A-069446 (276 pages) – [traduction] « l’ensemble des rapports de vérification et des dossiers de cotisation ou de nouvelle cotisation pour la période comprise entre janvier 2008 et février 2014 ».

G.                T-149-16 – numéro de dossier de l’ARC : A-69441 (227 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par Knowble Property Services Inc. à l’ARC concernant sa vérification au sujet de la demanderesse ».

H.                T-150-16 – numéro de dossier de l’ARC : A-069447 (15 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par 318226 Ontario Limited et Edward Fromm à l’ARC concernant sa vérification au sujet de la demanderesse ».

I.                   T-187-16 – numéro de dossier de l’ARC : A-069452 (194 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par Elliot Fromstein à l’ARC concernant deux demandes péremptoires de fournir des renseignements datées du 20 avril 2010 ».

J.                   T-222-16 – numéro de dossier de l’ARC : A-069449 (98 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par C, D, E & F Enterprises Inc. à l’ARC concernant sa vérification de Bradwick ».

K.                T-223-16 – numéro de dossier de l’ARC : A-069451 (65 pages) – [traduction] « l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents fournis par 1711832 Ontario Ltd. et Malcolm Fraser à l’ARC concernant sa vérification de Bradwick ».

[13]           Le 19 février 2016, les onze demandes de la demanderesse ont été réunies sous le numéro de dossier T-2161-15 à la suite d’une ordonnance rendue par la protonotaire Martha Milczynski.

[14]           Le 30 mai 2016, le défendeur a déposé la présente requête. Le 20 juillet 2016, le protonotaire Kevin Aalto a demandé au défendeur de présenter à la Cour une copie non caviardée des documents en cause, avec tous les passages caviardés en surbrillance, afin que la Cour puisse les examiner avant de se prononcer sur la requête.

[15]           Le 11 août 2016, après avoir examiné les documents non caviardés et étant donné la complexité des questions soulevées par les parties dans leurs observations écrites respectives, j’ai ordonné la tenue d’une audition.

[16]           Le 1er septembre 2016, j’ai donné une directive aux parties par laquelle je demandais à l’avocat de se préparer à s’exprimer à l’audience quant au degré minimum de communication qui pourrait être faite à l’avocat de la demanderesse relativement aux documents caviardés dans l’éventualité où la Cour devait conclure que ce dernier ne devrait pas avoir accès aux documents non caviardés.

[17]           Au début de l’audience, l’avocat du défendeur a présenté à la Cour onze tableaux – un tableau pour chaque numéro de dossier de l’ARC – précisant la nature générale de la liasse de documents, la principale justification pour laquelle les passages ont été caviardés et, pour chaque page des documents, une brève description du document en question et tout motif additionnel justifiant le caviardage effectué à cette page [tableaux].

[18]           À la demande du défendeur, j’ai ordonné que les tableaux soient considérés comme étant confidentiels et déposés sous scellé.

[19]           Le défendeur a fourni une copie des tableaux à l’avocat de la demanderesse après que celui-ci se soit engagé verbalement à ne pas divulguer les tableaux ni leur contenu à la demanderesse et à ne pas permettre qu’ils soient reproduits.

Les questions en litige

[20]           Les questions à trancher relativement à la présente requête sont les suivantes :

a)    Faut-il accueillir la demande du défendeur pour une ordonnance de confidentialité autorisant que des documents non caviardés soient déposés auprès de la Cour?

b)    Le cas échéant, la Cour devrait-elle restreindre l’accès aux documents confidentiels de manière à ce que l’avocat de la demanderesse ne soit pas autorisé à avoir accès aux documents non caviardés même après avoir donné l’engagement écrit prévu au paragraphe 152(2) des Règles?

A.       Ordonnance de confidentialité

[21]           L’article 151 des Règles dispose :

Requête en confidentialité

Motion for order of confidentiality

151 (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

151 (1) On motion, the Court may order that material to be filed shall be treated as confidential.

Circonstances justifiant la confidentialité

Demonstrated need for confidentiality

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

(2) Before making an order under subsection (1), the Court must be satisfied that the material should be treated as confidential, notwithstanding the public interest in open and accessible court proceedings.

[22]           Les parties conviennent qu’une ordonnance de confidentialité devrait être rendue afin d’autoriser qu’une copie non caviardée des documents soit déposée auprès de la Cour afin de l’aider à se prononcer sur la demande sous-jacente de contrôle judiciaire. Toutefois, le consentement des parties n’est pas un fondement suffisant pour que la Cour accorde un tel recours. Conformément au paragraphe 151(2) des Règles, la Cour doit plutôt être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires (voir Bah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 693 (CanLII)).

[23]           Il est fréquent dans des demandes présentées en vertu de la LAI pour lesquelles la confidentialité d’un document ou des parties de celui-ci est au cœur du litige soumis à la Cour, que des ordonnances de confidentialité soient rendues afin de préserver l’intégrité des renseignements en attendant une décision définitive sur la demande sous-jacente (voir A c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1115, au paragraphe 16 (CanLII)). L’article 47 de la LAI énonce précisément que la Cour doit prendre toutes les précautions possibles pour éviter que ne soient divulgués de par son propre fait les renseignements précisément visés par la demande présentée au titre de l’article 41 de la LAI jusqu’à ce que la Cour puisse rendre une décision de fond sur la question de la confidentialité. En effet, le défendeur a le droit de déposer les documents et les renseignements qui sont visés par la demande auprès de la Cour afin d’aider celle-ci à décider si le refus du défendeur de communiquer les documents était justifié ou non. Une ordonnance de confidentialité permet au défendeur de les déposer sans avoir à communiquer les renseignements en question à la demanderesse ou au public, ce qui rendrait théorique toute instruction au fond de la demande.

[24]           Par conséquent, une ordonnance de confidentialité sera rendue afin de permettre au défendeur de déposer une copie des documents non caviardés comme faisant partie du dossier du défendeur relativement à la demande sous-jacente.

B.       Restriction imposée à l’accès de l’avocat de la demanderesse aux documents non caviardés

[25]           Lorsqu’une ordonnance de confidentialité est rendue dans des recours exercés en vertu de la LAI, la Cour peut s’aider de l’article 152 des Règles pour veiller à trouver un juste équilibre entre ouverture et confidentialité. Un des mécanismes visant à assurer que le juste équilibre est établi consiste à permettre à l’avocat de la demanderesse d’avoir accès aux renseignements protégés par l’ordonnance de confidentialité.

[26]           Dans ce genre de procédure, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’article 47 de la LAI l’autorise à accorder un accès conditionnel aux avocats aux fins de présenter leurs arguments à l’égard d’une demande de communication moyennant un engagement de confidentialité de ces derniers.

[27]           Dans l’arrêt Hunter c. Canada (Ministre des Consommateurs et des Sociétés), [1991] 3 C.F. 186 [Hunter], le juge Décary a conclu que le libellé de l’article 47 de la LAI était ambigu et devait par conséquent être interprété dans le contexte du texte de loi dans son ensemble, lequel encourage généralement [traduction] « d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale », et que toute ambiguïté devait être tranchée :

[traduction

[...] d’une façon qui encourage un débat contradictoire, favorise la partie demandant la communication, donne tout son sens au fardeau de la preuve imposé à l’administration fédérale, et garantit que le contrôle judiciaire s’effectue bel et bien « indépendamment du gouvernement ». Il m’est très difficile d’accorder une quelconque valeur à ce fardeau de la preuve et à ce contrôle indépendant si, dans toutes les procédures judiciaires engagées en vertu de l’article 41, la Cour ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire pour ce qui est d’accorder à l’avocat, lorsque les circonstances s’y prêtent, une forme d’accès au document en cause afin de lui permettre de présenter ses arguments sur le bien-fondé de la demande. La Loi pourrait très bien s’avérer inapplicable si la Cour est systématiquement à la merci de ceux de qui elle se déclare pourtant indépendante et sur qui repose le fardeau de la preuve.

[28]           Le juge Décary poursuit en affirmant que la LAI ne va pas jusqu’à accorder un accès systématique à l’avocat et qu’il existe des situations où l’avocat devrait se voir refuser l’accès aux renseignements, par exemple lorsqu’une demande de communication est [traduction« prima facie si futile ou si excessive ou d’un caractère trop vaste que la Cour sera en position de la rejeter par voie sommaire », ou encore lorsque la demande met en cause les affaires internationales, la défense ou les activités subversives pour lesquels le responsable de l’institution gouvernementale peut invoquer l’article 52 de la LAI. Cela dit, le juge Décary a clairement affirmé que dans la plupart des cas, la Cour devrait [traduction] « viser à ce que l’avocat ait accès sinon au document lui-même, du moins à suffisamment de renseignements pertinents pour lui permettre de présenter ses arguments » (voir les paragraphes 44 et 45).

[29]           Quant à ce que constituent des renseignements pertinents adéquats, ce que la Cour d’appel fédéral a appelé le « degré minimum de communication », le juge Décary s’est exprimé ainsi au paragraphe 46 :

Ce qui constitue le « degré minimum de communication » est, dans chaque cas, une question de fait. La Cour a le pouvoir de contrôler l’accès que peuvent avoir les avocats, d’en fixer la portée et les conditions. Il lui est loisible de refuser l’accès aux documents eux‑mêmes en se bornant, comme elle aurait dû le faire en l’espèce, à autoriser la communication d’un résumé ou d’une description générale des renseignements. La Cour peut permettre la communication partielle ou totale des renseignements eux-mêmes. Elle peut imposer des conditions variant selon la nature ou le caractère névralgique des renseignements, allant de l’examen des documents, gardés dans un coffre-fort, au bureau du procureur, jusqu’à leur examen sous surveillance au Palais de justice. Dans les cas où l’avocat reçoit accès aux renseignements en litige eux‑mêmes, il devrait prendre l’engagement de ne pas les divulguer à son client. [...]. Dans chaque cas, l’objectif est de protéger la confidentialité des renseignements tout en permettant la tenue d’un débat éclairé sur la question de leur communication.

[30]           Par conséquent, pour décider si l’accès aux renseignements confidentiels en cause devrait être accordé à l’avocat de la demanderesse dans une demande relevant de l’article 41, il faut se demander, de façon générale, quels sont les renseignements dont a besoin cet avocat pour permettre la tenue d’un débat éclairé sur la question de leur communication. Plus précisément, l’avocat de la demanderesse a-t-il besoin de recevoir accès aux dossiers non caviardés eux‑mêmes ou est-ce qu’une description sommaire ou générale de la nature des renseignements confidentiels serait suffisante?

[31]           Cependant, en l’espèce, le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait pas se prononcer sur cette question puisque la LIR, lue en corrélation avec l’article 24 de la LAI, interdit la communication des documents non caviardés à l’avocat de la demanderesse en toutes circonstances.

[32]           L’article 24 de la LAI se lit comme suit :

Interdictions fondées sur d’autres lois

Statutory prohibitions against disclosure

24 (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II.

24 (1) The head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains information the disclosure of which is restricted by or pursuant to any provision set out in Schedule II.

[33]           L’annexe II de la LAI comprend l’article 241 de la LIR. Cet article de la LIR impose des restrictions à la communication de renseignements confidentiels par des fonctionnaires ou d’autres représentants d’une institution gouvernementale :

Communication de renseignements

Provision of information

241 (1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale :

241 (1) Except as authorized by this section, no official or other representative of a government entity shall

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation;

(a) knowingly provide, or knowingly allow to be provided, to any person any taxpayer information;

b) de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel;

(b) knowingly allow any person to have access to any taxpayer information; or

c) d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

(c) knowingly use any taxpayer information otherwise than in the course of the administration or enforcement of this Act, the Canada Pension Plan, the Unemployment Insurance Act or the Employment Insurance Act or for the purpose for which it was provided under this section.

[34]           Cependant, le paragraphe 241(4) de la LIR énonce un certain nombre d’exceptions à l’interdiction de communication des renseignements confidentiels, notamment l’exception suivante  prévue au sous-alinéa 241(4)e)(i) :

Divulgation d’un renseignement confidentiel

Where taxpayer information may be disclosed

(4) Un fonctionnaire peut :

(4) An official may

[…]

e) fournir un renseignement confidentiel, ou en permettre l’examen ou l’accès, en conformité avec les dispositions ou documents suivants, mais uniquement pour leur application :

(e) provide taxpayer information, or allow the inspection of or access to taxpayer information, as the case may be, under, and solely for the purposes of,

(i) le paragraphe 36(2) ou l’article 46 de la Loi sur l’accès à l’information,

(i) subsection 36(2) or section 46 of the Access to Information Act,

[35]           L’article 46 de la LAI, qui est mentionné au sous-alinéa 241(4)e)(i) de la LIR, est libellé ainsi :

Accès aux documents

Access to records

46 Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, la Cour a, pour les recours prévus aux articles 41, 42 et 44, accès à tous les documents qui relèvent d’une institution fédérale et auxquels la présente loi s’applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.

46 Notwithstanding any other Act of Parliament or any privilege under the law of evidence, the Court may, in the course of any proceedings before the Court arising from an application under section 41, 42 or 44, examine any record to which this Act applies that is under the control of a government institution, and no such record may be withheld from the Court on any grounds.

[36]           L’article 47 de la LAI énonce les précautions que la Cour doit prendre lorsqu’elle traite des renseignements confidentiels dans le cadre d’une demande et prévoit ce qui suit :

Précautions à prendre contre la divulgation

Court to take precautions against disclosing

47 (1) À l’occasion des procédures relatives aux recours prévus aux articles 41, 42 et 44, la Cour prend toutes les précautions possibles, notamment, si c’est indiqué, par la tenue d’audiences à huis clos et l’audition d’arguments en l’absence d’une partie, pour éviter que ne soient divulgués de par son propre fait ou celui de quiconque :

47 (1) In any proceedings before the Court arising from an application under section 41, 42 or 44, the Court shall take every reasonable precaution, including, when appropriate, receiving representations ex parte and conducting hearings in camera, to avoid the disclosure by the Court or any person of

a) des renseignements qui, par leur nature, justifient, en vertu de la présente loi, un refus de communication totale ou partielle d’un document;

(a) any information or other material on the basis of which the head of a government institution would be authorized to refuse to disclose a part of a record requested under this Act; or

b) des renseignements faisant état de l’existence d’un document que le responsable d’une institution fédérale a refusé de communiquer sans indiquer s’il existait ou non.

(b) any information as to whether a record exists where the head of a government institution, in refusing to disclose the record under this Act, does not indicate whether it exists.

[37]           Le défendeur soutient que la LIR constitue des dispositions exhaustives concernant toute communication potentielle de renseignements confidentiels et que ses seules dispositions déterminent si la communication peut être effectuée à l’avocat de la demanderesse, indépendamment du libellé de l’article 47 de la LAI ou de l’article 152 des Règles. Par conséquent, la méthode dont parle la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hunter ne s’applique pas en l’espèce ni dans aucune autre affaire concernant des renseignements confidentiels protégés par l’article 241 de la LIR.

[38]           À cet égard, le défendeur fait valoir que, pour les besoins de l’application de l’article 41, une institution gouvernementale n’est autorisée à communiquer des renseignements confidentiels qu’à la Cour. Étant donné que le sous-alinéa 241(4)e)(i) ne renferme rien qui permettrait à la Cour de communiquer des renseignements à l’avocat de la demanderesse, le défendeur affirme que la Cour n’a pas le droit d’accorder à l’avocat de la demanderesse un accès aux documents non caviardés par l’entremise de son greffe.

[39]           A l’appui de sa thèse, le défendeur souligne la nécessité de protéger les renseignements confidentiels, qui sont, selon lui, au cœur de l’article 241 de la LIR. Le défendeur se fonde sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Slattery (Syndic de) c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430, dans laquelle la Cour a confirmé l’objet ou la politique qui sous-tend l’article 241 de la LIR comme suit :

À mon avis, l’art. 241 comporte l’établissement d’un équilibre entre des intérêts opposés : l’intérêt du contribuable en matière de respect de sa vie privée en ce qui a trait aux renseignements relatifs à sa situation financière, et l’intérêt qu’a le Ministre à être autorisé à communiquer des renseignements relatifs au contribuable dans la mesure où cela est nécessaire pour appliquer et exécuter efficacement la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres lois fédérales mentionnées au par. 241(4).

L’article 241 traduit l’importance d’assurer le respect des intérêts du contribuable en matière de vie privée, particulièrement en ce qui concerne sa situation financière. L’accès à des renseignements financiers ou connexes sur les contribuables doit donc être pris au sérieux et ces renseignements ne peuvent être communiqués que dans les situations prévues. Ce n’est que dans ces situations exceptionnelles que l’intérêt relatif à la vie privée doit céder le pas à l’intérêt de l’État.

[40]           Le défendeur se fonde également sur la décision de notre Cour dans British Columbia Lottery Corporation c. Canada (Procureur général), 2013 CF 307 (CanLII) [Lottery Corp.], pour appuyer sa thèse selon laquelle la Cour ne devrait pas entreprendre une analyse similaire à celle réalisée dans l’arrêt Hunter pour déterminer si les circonstances justifient que l’avocat de la demanderesse ait accès aux documents non caviardés. Il soutient que, puisque la présente demande ne soulève aucune contestation constitutionnelle de l’article 241 de la LIR ou de l’annexe II de la LAI, le raisonnement exposé dans la décision Lottery Corp. s’applique, considérant que nous sommes, de l’avis du défendeur, en présence d’un cas appelant clairement et sans ambiguïté une interdiction de communication des renseignements confidentiels énoncée à l’article 241 de la LIR.

[41]           Dans la décision Lottery Corp., la Cour a examiné la décision de la protonotaire Milczynski, qui avait rendu une ordonnance de confidentialité à l’égard de renseignements protégés par l’article 55 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité. Pour rendre une ordonnance de confidentialité, la protonotaire Milczynski n’avait pas appliqué le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 [Sierra Club], concluant plutôt qu’une ordonnance de confidentialité devait être rendue en raison de l’application des dispositions claires et non ambiguës de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, laquelle exige de la Cour qu’elle prenne toutes les précautions possibles pour éviter que soient communiqués des renseignements visés à l’article 55 de cette loi. L’ordonnance de la protonotaire Milczynski a été confirmée par la Cour.

[42]           À mon avis, la décision rendue dans l’affaire Lottery Corp. ne s’applique qu’à la première question en litige soulevée à l’égard de la présente requête, c’est-à-dire la question de savoir si une ordonnance de confidentialité devrait être rendue. À l’instar de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, la LAI exige également de la Cour qu’elle préserve la confidentialité des renseignements protégés par ses diverses dispositions. Pour ce motif, il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse fondée sur l’arrêt Sierra Club pour décider s’il y a lieu de rendre une ordonnance de confidentialité. Cela dit, j’estime que la décision rendue dans Lottery Corp. n’a aucune incidence sur la question de savoir si, à la suite d’une ordonnance de confidentialité, l’avocat de la demanderesse devrait avoir accès aux documents non caviardés conformément à l’article 152 des Règles. La Cour n’a pas examiné cette question, ou toute question analogue, dans la décision Lottery Corp.

[43]           Laissant de côté l’applicabilité de la décision Lottery Corp., j’estime que, contrairement à l’affirmation du défendeur, le libellé de l’article 241 de la LIR n’indique pas clairement et sans ambiguïté que la Cour ne peut communiquer de renseignements confidentiels à l’avocat de la demanderesse.

[44]           Je conviens avec le défendeur que le paragraphe 241(3) ou (4) de la LIR ne prévoit aucune exception qui autoriserait une institution gouvernementale à communiquer des renseignements confidentiels à l’avocat de la demanderesse dans le cadre d’une procédure relevant de la LAI sans le consentement du contribuable concerné. Toutefois, le paragraphe 152(2) des Règles concerne l’accès par l’avocat de la demanderesse à des documents ou éléments matériels protégés par une ordonnance de confidentialité rendue par le greffe, et non par l’institution gouvernementale. En règle générale, l’avocat de la demanderesse qui prend et dépose auprès de la Cour l’engagement prévu au paragraphe 152(2) se verra octroyer un accès à des renseignements confidentiels déposés sous scellé par le greffe. L’article 241 de la LIR ne prévoit pas expressément une limitation à la capacité de la Cour de communiquer des renseignements confidentiels à l’avocat de la demanderesse par l’entremise du greffe une fois qu’il s’est engagé à en préserver la confidentialité.

[45]           En outre, l’article 47 de la LAI n’impose aucune restriction semblable à la Cour relativement aux renseignements protégés conformément à l’article 24 de la LAI. Si le législateur avait voulu que les renseignements faisant l’objet de l’exception prévue à l’article 24 de la LAI soient traités d’une manière différente pour les besoins de l’article 47 de la LAI, il aurait sans doute ajouté une disposition à cet effet. Par ailleurs, dans l’arrêt Hunter, la Cour d’appel fédérale n’a pas reconnu cette restriction ou limitation qui interdirait automatiquement à la Cour de communiquer à l’avocat de la demanderesse des renseignements dont la communication est restreinte en vertu de l’article 24 de la LAI.

[46]           Je constate que le défendeur n’a pas été en mesure de fournir à notre Cour la moindre jurisprudence qui appuie directement son affirmation selon laquelle l’article 241 de la LIR interdit à la Cour d’accorder à l’avocat de la demanderesse un accès aux documents non caviardés, ni la moindre jurisprudence qui soutient son affirmation selon laquelle l’article 241 de la LIR interdit à la Cour d’évaluer si l’avocat de la demanderesse devrait se voir accorder un degré minimum de communication concernant la nature des documents caviardés.

[47]           Par conséquent, je conclus que l’article 241 de la LIR n’interdit pas complètement la communication des documents non caviardés à l’avocat de la demanderesse. La Cour est donc tenue de se livrer à l’exercice décrit dans l’arrêt Hunter afin de décider quels sont les renseignements dont a besoin l’avocat de la demanderesse pour permettre la tenue d’un débat éclairé sur la question de leur communication.

[48]           Pour tirer cette conclusion, je suis consciente que même si je me trompe et que la LIR constitue des dispositions exhaustives interdisant à notre Cour de donner à l’avocat de la demanderesse accès aux documents non caviardés, la LIR ne contient aucune disposition qui interdirait à notre Cour de convaincre le défendeur de communiquer une description de la nature des documents à l’avocat de la demanderesse afin de lui permettre de présenter ses arguments à l’égard de la demande sous-jacente, puisqu’une description de la nature des documents ne constituerait pas une communication des renseignements confidentiels. Je rejette par conséquent la méthode préconisée par le défendeur, car elle aurait pour effet d’interdire toute forme de communication minimale à l’avocat de la demanderesse.

[49]           Notre examen s’attache maintenant à la question de savoir si l’avocat de la demanderesse demande l’accès aux documents non caviardés pour présenter ses arguments à l’égard de la demande sous-jacente. Aux fins de cette évaluation, il est essentiel de garder à l’esprit la nature de la demande sous-jacente telle qu’elle a été invoquée par la demanderesse dans les onze avis de demande.

[50]           La demanderesse demande la révision des décisions prises par le défendeur qui [traduction] « refusait à Bradwick Property Management Services Inc. […] l’accès à la plupart des renseignements, des réponses et des documents demandés par la demanderesse dans sa demande de renseignements adressée à l’Agence du revenu du Canada […], à la Direction [...] de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels ». La demanderesse sollicite diverses ordonnances conformément à l’article 49 de la LAI, obligeant le défendeur à lui communiquer l’ensemble des renseignements, des réponses et des documents cités dans sa demande de renseignements. Dans les motifs à l’appui d’une révision, la demanderesse conteste l’application, par le défendeur, de diverses exceptions en vertu desquelles il a caviardé des documents qu’elle a demandés.

[51]           Même si les documents qui ont été produits par le défendeur étaient fortement caviardés, il ressort des documents non caviardés ou partiellement caviardés transmis à la demanderesse et des renseignements accessibles au public concernant la nature des renseignements et des documents demandés par l’ARC à M. Fromstein et aux diverses entreprises, que les renseignements caviardés en cause dans la demande sous-jacente contiennent des informations de la nature de relevés bancaires et de chèques. Ce fait a d’ailleurs été confirmé par les parties pendant l’audience.

[52]           Le défendeur a également confirmé lors de l’audience que, dans la mesure où les documents demandés par la demanderesse contenaient des renseignements confidentiels la concernant (comme une facture ou un chèque établi ou reçu par la demanderesse), ceux-ci lui avaient été communiqués.

[53]           Par conséquent, la majorité des passages caviardés par le défendeur dans les documents visait à supprimer des renseignements qui constituaient, selon le défendeur, des renseignements confidentiels de tiers. Il existait également un nombre restreint de caviardages spécifiques effectués par le défendeur conformément aux articles 16 et 19 de la LAI.

[54]           Il n’appartient pas à notre Cour, dans le cadre de la présente requête, de se prononcer sur la question de savoir si les renseignements caviardés constituent des renseignements confidentiels de tiers; cette décision reviendra au juge qui entendra la demande sous-jacente. Notre Cour doit plutôt décider si l’avocat de la demanderesse a besoin d’avoir accès aux documents non caviardés ou à un sommaire ou à une description de ceux-ci pour présenter des arguments convaincants quant à la question de savoir si les caviardages appliqués par le défendeur étaient appropriés.

[55]           L’avocat de la demanderesse est tenu jusqu’à un certain point d’expliquer à la Cour en quoi la communication des documents non caviardés est nécessaire à la présentation d’une argumentation convaincante [voir Steinhoff c. Canada (Ministre des Communications), [1996] A.C.F. no 756, au paragraphe 7]. La demanderesse affirme qu’il sera impossible à son avocat de présenter ses arguments à l’égard de la demande sous-jacente sans un accès complet aux documents non caviardés. Un examen des documents non caviardés démontrera la pertinence de chaque document dans le contexte de la vérification de la demanderesse, notamment leur lien avec les diverses transactions entre sociétés orchestrées par M. Fromstein qui semblent avoir influé sur les nouvelles cotisations de la demanderesse. Seule la communication des documents non caviardés permettra à la demanderesse de faire valoir adéquatement ses droits dans les procédures concernant l’avis d’opposition engagées devant l’ARC. La demanderesse affirme que la communication d’un minimum de renseignements, comme la nature du document caviardé, ne lui est d’aucune utilité.

[56]           Tout en reconnaissant que les documents non caviardés justifieront sans aucun doute le fondement des nouvelles cotisations de la demanderesse établies par l’ARC et pourraient permettre à cette dernière à mieux faire valoir sa position dans les procédures concernant l’avis d’opposition, celles-ci ne sont cependant pas la préoccupation première de la Cour dans son examen de la présente requête. La question dont notre Cour est saisie consiste plutôt à savoir si l’avocat de la demanderesse demande la communication des documents non caviardés pour faire valoir que les renseignements caviardés de ces derniers ne relèvent pas des différentes exceptions invoquées par le défendeur. Dans le cas des exceptions au titre de l’article 24 de la LAI, notre Cour se demandera uniquement si les renseignements caviardés constituent des renseignements confidentiels de tiers au sens de la LIR.

[57]           J’estime que la demanderesse mélange à tort les arguments qu’elle doit présenter pour s’opposer aux nouvelles cotisations de l’ARC dans les procédures concernant l’avis d’opposition avec les arguments qu’elle doit présenter relativement à la présente demande de contrôle judiciaire. À cet égard, lorsqu’on lui a demandé pourquoi, par exemple, son avocat doit voir une copie d’un chèque entre deux entités tierces pour présenter ses arguments à l’égard de la présente demande et pourquoi il lui est impossible de présenter des arguments convaincants à l’égard de la demande en étant simplement informé que la page caviardée est un chèque entre deux tiers, la demanderesse n’a pas été en mesure de donner une réponse claire. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que la demanderesse s’est acquittée de son obligation d’expliquer à la Cour en quoi la communication des documents non caviardés est nécessaire pour présenter des arguments convaincants sur la question du bien-fondé des exceptions invoquées par le défendeur.

[58]           Je note également que pendant l’audience, l’avocat de la demanderesse a fait valoir que les documents non caviardés pouvaient lui être communiqués par le défendeur en application de l’alinéa 241(3)b) de la LIR, qui est libellé ainsi :

(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent :

Subsection 241(1) and 241(2) do not apply in respect of…

b) ni aux procédures judiciaires ayant trait à l’application ou à l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi ou de toute autre loi fédérale ou provinciale qui prévoit l’imposition ou la perception d’un impôt, d’une taxe ou d’un droit.

(b) any legal proceeding relating to the administration or enforcement of this Act, the Canadian Pension Plan, the Unemployment Insurance Act or the Employment Insurance Act or any other Act of Parliament or law of a province that provides for the imposition or collection of a tax or duty.

[59]            La demanderesse a affirmé que la demande de documents a été formulée dans le contexte du processus relatif à l’avis d’opposition, lequel porte sur l’administration ou l’application de la LIR. La demanderesse ayant contesté les documents présentés par l’ARC dans la présente instance, elle soutient que l’interdiction de communiquer des renseignements confidentiels ne s’applique pas à l’égard de la demande sous-jacente.

[60]           De plus, la demanderesse fait valoir que les alinéas 241(4)a) et b) de la LIR permettent également à un fonctionnaire de l’ARC de communiquer à la demanderesse un renseignement confidentiel relatif à un tiers « qu’il est raisonnable de considérer comme nécessaire à l’application ou à l’exécution de la présente loi » ou « qu’il est raisonnable de considérer comme nécessaire à la détermination de quelque impôt, intérêt, pénalité ou autre montant payable par la personne […] ou de tout autre montant à prendre en compte dans une telle détermination ».

[61]           À l’appui de sa thèse, la demanderesse s’appuie sur la section 4.2.8 du manuel des appels de l’ARC, qui prévoit que, dans le contexte du processus d’opposition, les contribuables peuvent demander des renseignements supplémentaires par un moyen formel ou informel, conformément à la LAI. Elle affirme avoir présenté les demandes en question selon la LAI dans le cadre du processus d’opposition, conformément au manuel des appels de l’ARC, et que cette demande devrait donc être considérée comme une procédure judiciaire visée par l’alinéa 241(3)b) de la LIR.

[62]           La demanderesse soutient que la présente demande est analogue à la demande présentée à la Cour dans la décision Scott Slipp Nissan Ltd. c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1477 (CanLII) [Scott Slipp], en ce sens que les deux demandes de renseignements ont été présentées à l’étape de l’avis d’opposition. Dans la décision Scott Slipp, la demanderesse voulait obtenir une copie complète du dossier de la vérification de l’ARC pour déposer son avis d’opposition. L’ARC avait refusé de divulguer le contenu complet de ce dossier au motif qu’il contenait des renseignements confidentiels relatifs à des tiers qui étaient assujettis à l’article 295 de la Loi sur la taxe d’accise, dont la nature s’apparente à celle de l’article 241 de la LIR. La Cour fédérale a conclu que l’ARC n’avait pas exercé convenablement son pouvoir discrétionnaire, puisque la divulgation prévue aux dispositions pertinentes de l’article 295 de la Loi sur la taxe d’accise visait à permettre l’application requise de cette loi, y compris le processus de l’avis d’opposition.

[63]           L’alinéa 241(3)b) ou 241(4)a) ou b) de la LIR, s’il s’applique à la présente demande, autoriserait la communication de l’intégralité des documents à la demanderesse, et non seulement à son avocat. Dans les circonstances, l’applicabilité de ces dispositions pourrait constituer une question à trancher dans le cadre de la demande sous-jacente. Je suis toutefois d’avis qu’elles ne sont pas pertinentes à la question de savoir si l’avocat de la demanderesse devrait recevoir accès aux documents non caviardés aux fins de présenter ses arguments à l’égard de la demande sous-jacente. Je tire une conclusion similaire concernant la pertinence de la décision de notre Cour dans Scott Slipp pour les besoins de la présente requête.

[64]           Après un examen des documents non caviardés, je conclus que l’avocat de la demanderesse ne demande pas l’accès aux documents non caviardés dans le but de présenter des arguments convaincants à l’égard de la demande sous-jacente. Une description de la nature des documents et des renseignements caviardés est plutôt suffisante dans les circonstances. Après avoir examiné les tableaux fournis par le défendeur, je conclus qu’ils fournissent les descriptions nécessaires.

[65]           Outre les passages caviardés individuellement ou conjointement conformément à l’article 24 de la LAI, l’ARC a effectué un nombre restreint de caviardages en application seulement des alinéas 16(1)b) et c) ou du paragraphe 19(1) de la LAI. Au cours de l’audience, l’avocat de la demanderesse a abandonné sa demande visant à obtenir l’accès aux copies non caviardées des documents visés par les exceptions prévues exclusivement aux alinéas 16(1)b) et c) de la LAI. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que j’examine cette question indépendamment de mon analyse précédente.

[66]           En ce qui concerne les exceptions spécifiques prévues au paragraphe 19(1), j’ai appliqué la méthode décrite dans l’arrêt Hunter à leur égard et je conclus que l’avocat de la demanderesse ne demande pas l’accès aux documents non caviardés aux fins de présenter des arguments convaincants relativement à la demande sous‑jacente. Les descriptions insérées dans les tableaux par le défendeur relativement aux exceptions spécifiques énoncées au paragraphe 19(1) sont suffisantes dans les circonstances.

Dépens

[67]           Aucune des parties n’ayant demandé l’adjudication de dépens, aucuns dépens ne seront adjugés à l’égard de la présente requête.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  Les copies des documents non caviardés en cause dans la présente demande réunie et les onze tableaux élaborés par le défendeur et présentés à la Cour et à l’avocat de la demanderesse pendant l’audition de la présente requête [les renseignements confidentiels] puissent être déposées et considérées comme confidentielles, conformément à la présente ordonnance.

2.                  Dans les dix jours suivant la date de la présente ordonnance, l’avocat de la demanderesse déposera auprès de la Cour un engagement écrit conforme au paragraphe 152(2) des Règles des Cours fédérales relativement aux onze tableaux élaborés par le défendeur et qui lui ont été communiqués pendant l’audition de la présente requête.

3.                  Chaque fois qu’une partie cherche à déposer devant la Cour des documents ou des parties de documents, notamment des affidavits, des pièces, des transcriptions ou des éléments matériels relatifs à la requête qui contiennent ou traitent de renseignements confidentiels, au sens du premier paragraphe de la présente ordonnance, d’une manière qui révèlerait son contenu, les renseignements confidentiels seront isolés des autres renseignements et documents déposés et seront présentés à la Cour dans une enveloppe scellée précisant la présente instance et portant l’inscription permanente de la mention suivante :

RENSEIGNEMENT CONFIDENTIEL :

CONFORMÉMENT À L’ORDONNANCE RENDUE PAR LA COUR FÉDÉRALE DANS LE DOSSIER NO T-2161-15 EN DATE DU 19 SEPTEMBRE 2016. CETTE ENVELOPPE DOIT DEMEURER SCELLÉE AUX DOSSIERS DE LA COUR.

4.                  Lorsqu’il n’est pas raisonnablement possible de séparer les renseignements confidentiels désignés des renseignements non confidentiels, les parties peuvent déposer un document entier ou un volume de celui-ci dans une enveloppe scellée, pour autant qu’une version publique du document ou du volume, dont les renseignements confidentiels ont été retirés ou caviardés, soit aussi versée au dossier public.

5.                  Les conditions d’utilisation des renseignements confidentiels et le maintien de leur confidentialité lors de toute audience tenue dans le cadre de la présente instance sont des questions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour saisie de l’affaire. Dans tous les cas, les modalités de la présente ordonnance ne s’appliquent pas à l’audition de cette demande sur le fond ni à la manière dont le jugement et les motifs définitifs doivent être rédigés et traités, à moins d’une ordonnance précise de la Cour à cet égard.

6.                  Lorsqu’il semble à la Cour ou à une partie que des documents ont été déposés sous scellé conformément à la présente ordonnance sans être visés par cette dernière ou que les renseignements qualifiés par la présente ordonnance comme étant des renseignements confidentiels sont accessibles ou ont été obtenus par la partie qui les reçoit autrement que par une communication dans le cadre de la présente instance, ou qu’ils sont ou ont été rendus publics et qu’ils ne devraient plus être considérés comme des renseignements confidentiels, la partie peut demander des directives ou la Cour peut unilatéralement donner des directives afin que la partie qui présente les documents fassent valoir les raisons pour lesquelles les scellés devraient être levés à leur égard et pour lesquelles ces documents devraient être versés au dossier public.

7.                  Tout renseignement confidentiel déposé auprès de la Cour conformément à la présente ordonnance doit être considéré comme confidentiel par le greffe de la Cour et ne doit pas pouvoir être consulté par quiconque autre que le défendeur et le personnel approprié de la Cour.

8.                  Malgré le libellé du paragraphe 152(2) des Règles, l’avocat de la demanderesse ne recevra pas accès à cette partie des renseignements confidentiels qui contient les documents non caviardés en cause dans la présente demande réunie.

« Mandy Aylen »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2161-15

INTITULÉ :

BRADWICK PROPERTY MANAGEMENT SERVICES INC. c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES, LE 8 SEPTEMBRE 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

La protonotaire AYLEN

DATE DES MOTIFS :

Le 19 septembre 2016

OBSERVATIONS ÉCRITES :

HOWARD J. ALPERT

Pour la DEMANDERESSE

SADIAN CAMPBELL

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alpert Law Firm

Toronto (Ontario)

Pour la DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le DÉFENDEUR

 

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