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Date : 20161007

Dossiers : ITA-11705-15

ETA-7495-15

Référence : 2016 CF 1126

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 7 octobre 2016

En présence de madame la juge Heneghan

Dossier : ITA-11705-15

ENTRE :

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

et

DANS L’AFFAIRE d’une cotisation ou de cotisations établies par le ministre du Revenu national aux termes de l’une ou de plusieurs des lois suivantes : la Loi de l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, la Loi sur l’assurance-emploi

À L’ENCONTRE DE :

DONNA MARIE NOBLE

148, Pownal Road – Rte 26

Mount Mellick (Î.-P.-É.)

C1B 3S3

Dossier : ETA-7495-15

 

ET ENTRE :

 

Dans l’affaire de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15

 

 

 

et

 

Dans l’affaire d’une cotisation ou de cotisations établies par le ministre du Revenu national aux termes de la Loi sur la taxe d’accise, à l’encontre de :

 

 

DONNA MARIE NOBLE

148, Pownal Road – Rte 26

Mount Mellick (Î.-P.-É.)

C1B 3S3

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

[1]               Ces motifs sont rendus conformément aux ordonnances prononcées le 10 août 2016.

[2]               En vertu d’avis de requête datés du 3 février 2016, Sa Majesté la Reine du Canada, représentant le ministre du Revenu national, a demandé qu’une ordonnance soit rendue en application de l’article 56 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la « Loi sur les cours fédérales »), de l’article 423 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »), et de l’article 43 de la Loi sur l’enregistrement foncier, LN-B 1981, c. L-1.1 (la « Loi sur l’enregistrement foncier »), exigeant que l’extrait du jugement enregistré par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») à l’encontre des droits détenus par Donna Marie Noble (la « défenderesse/débitrice sur jugement ») à l’égard de certains biens réels situés au Nouveau‑Brunswick, continue de lier les droits de la défenderesse jusqu’à l’expiration de l’enregistrement de l’extrait du jugement. Le ministre a demandé que ces ordonnances soient rendues, nonobstant les affidavits de réponse déposés par la défenderesse auprès du registrateur des titres de biens-fonds de la province du Nouveau-Brunswick.

[3]               Les avis de requête ont été déposés dans les dossiers ITA-11705-15 et ETA-7495-15 à l’égard de dettes découlant de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « LIR »), et de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la « LTA »), respectivement.

[4]               L’affidavit de Mme Heather Smith, personne-ressource et agente de cas complexes auprès de l’ARC, fournit plus de précisions sur l’évaluation de ces dettes et sur la délivrance de certificats en conformité avec les lois qui s’appliquent.

[5]               Dans cet affidavit, Mme Smith décrit l’historique du contentieux fiscal à l’égard des biens‑fonds en cause, des cotisations et des certificats délivrés à l’encontre de David Stanley Noble et de Glenn Royce Marney, ainsi que les étapes prises jusqu’à maintenant par l’ARC en application de la Loi sur l’enregistrement foncier.

[6]               Elle cite également certaines ordonnances rendues par la Cour fédérale relativement à la prolongation de l’enregistrement des jugements en vertu de la Loi sur l’enregistrement foncier à l’égard des cinq parcelles citées dans le présent avis de requête, et passe brièvement en revue l’historique du contentieux fiscal découlant des cotisations établies en vertu de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise et de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. En définitive, les appels ont été rejetés par la Cour d’appel fédérale. Une demande d’autorisation d’appel de ce jugement devant la Cour suprême du Canada a également été rejetée.

[7]               Je suis d’avis qu’il est inutile de détailler les diverses mesures prises dans l’instance en vertu de la Loi sur la taxe d’accise et de la Loi de l’impôt sur le revenu. La présente requête soulève une question quant à savoir si la requête du ministre visant à ordonner la prolongation de l’enregistrement des extraits du jugement a été présentée dans le délai prescrit par la loi.

[8]               Le ministre a présenté cette requête en application de l’article 43 de la Loi sur l’enregistrement foncier. Le paragraphe 43(4) de la Loi est pertinent et se lit comme suit :

L’enregistrement d’un extrait de jugement prend fin à l’expiration de trente jours de l’avis donné en vertu du paragraphe (3) à moins que, dans l’intervalle, le créancier sur jugement ne dépose auprès du registrateur qui a donné l’avis une ordonnance de la cour qui prolonge la période d’enregistrement de l’extrait de jugement, auquel cas ce dernier demeure enregistré pour la période fixée dans l’ordonnance.

 

A memorial of judgment ceases to be registered upon the expiration of thirty days from the giving of the notice pursuant to subsection (3) unless, within that time, the judgment creditor files with the registrar who gave the notice an order of the court extending the period of registration of the memorial of judgment and in such case the memorial of judgment remains registered for the period determined by the order.

[9]               Le registrateur des titres de biens-fonds du Nouveau-Brunswick a délivré un « avis d’enregistrement d’extrait de jugement » en date du 20 novembre 2015 à la défenderesse/débitrice sur jugement, relativement à chacune des cinq parcelles identifiées par les numéros suivants : 60170560, 60157716, 60170578, 60031408 et 60142254.

[10]           Le dispositif des avis est ainsi libellé :

SACHEZ qu’un extrait de jugement, dont copie est jointe à la présente, a été enregistré à l’encontre de la parcelle spécifiée.

SACHEZ ÉGALEMENT que le propriétaire enregistré ou toute personne revendiquant un droit dans la parcelle a le droit de demander par écrit que j’avise le créancier sur jugement que l’enregistrement du jugement prend fin à l’expiration d’un délai de 30 jours de la remise de l’avis à moins que dans l’intervalle le créancier sur jugement ne dépose auprès de moi une ordonnance de la cour qui prolonge la période d’enregistrement.

SACHEZ EN OUTRE qu’une telle demande doit être accompagnée de l’affidavit d’une personne ayant connaissance des faits, attestant que

a) le propriétaire enregistré du droit à l’encontre duquel le jugement a été enregistré

(i) n’est pas le débiteur sur jugement, ou

(ii) détient le bien-fonds à titre de fiduciaire, ou

b) la dette qui fait l’objet du jugement

(i) est acquittée, ou

(ii) n’est pas exécutoire pour les motifs spécifiés dans l’affidavit.

[11]           La défenderesse/débitrice sur jugement a répondu par la présentation de la formule 35.1, conformément à la Loi sur l’enregistrement foncier. Sur cette formule, la débitrice a indiqué que le jugement « n’est pas exécutoire » en fournissant les motifs à l’appui.

[12]           Ultérieurement, par voie d’un « avis au créancier sur jugement » (formule 36) produit en application de la Loi sur l’enregistrement foncier, le registrateur des biens-fonds a présenté l’avis suivant :

SACHEZ que le propriétaire enregistré a demandé, pour les motifs indiqués dans l’affidavit ci-joint, que j’avise le créancier sur jugement que l’enregistrement d’un extrait de jugement enregistré à l’encontre de la parcelle spécifiée prend fin à l’expiration d’un délai de 30 jours de la remise du présent avis à moins que, dans l’intervalle, le créancier sur jugement ne dépose auprès de moi une ordonnance de la cour prolongeant la période d’enregistrement.

[13]           Selon l’affidavit de Mme Smith (au paragraphe 19), l’ARC a reçu la formule 36 le 6 janvier 2016.

[14]           Le paragraphe 43(4) de la Loi sur l’enregistrement foncier énonce ce qui suit :

L’enregistrement d’un extrait de jugement prend fin à l’expiration de trente jours de l’avis donné en vertu du paragraphe (3) à moins que, dans l’intervalle, le créancier sur jugement ne dépose auprès du registrateur qui a donné l’avis une ordonnance de la cour qui prolonge la période d’enregistrement de l’extrait de jugement, auquel cas ce dernier demeure enregistré pour la période fixée dans l’ordonnance.

 

A memorial of judgment ceases to be registered upon the expiration of thirty days from the giving of the notice pursuant to subsection (3) unless, within that time, the judgment creditor files with the registrar who gave the notice an order of the court extending the period of registration of the memorial of judgment and in such case the memorial of judgment remains registered for the period determined by the order.

[15]           Au début de l’audience, une question a été soulevée au sujet de la pertinence du moment choisi par le ministre pour la présentation de sa requête, celle-ci ayant été débattue après le délai de 30 jours prescrit par le paragraphe 43(4) précité.

[16]           L’avocat du ministre a avisé la Cour que le registrateur des biens-fonds du Nouveau‑Brunswick l’avait informé que le statu quo serait maintenu jusqu’à la délivrance d’une ordonnance de la Cour.

[17]           Aucun élément de preuve n’a été présenté dans l’affidavit à l’appui des déclarations faites par le registrateur des biens-fonds.

[18]           Aucune requête n’a été présentée en vue d’obtenir l’autorisation de déposer un affidavit après l’audience.

[19]           En l’espèce, la Cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve concernant quelque « pratique » au Nouveau-Brunswick autorisant la prolongation de l’enregistrement d’un extrait de jugement, si le créancier sur jugement n’obtient pas une ordonnance de la cour dans le délai prévu par la loi qui s’applique, en l’occurrence le paragraphe 43(4) de la Loi sur l’enregistrement foncier.

[20]           La question juridique qui se pose est de savoir si le ministre a déposé sa requête en conformité avec la loi pertinente, soit la Loi sur l’enregistrement foncier. Cette loi s’applique en vertu de l’article 56 de la Loi sur les Cours fédérales. Le paragraphe 56(1) est pertinent et se lit comme suit :

56 (1) Outre les brefs de saisie-exécution ou autres moyens de contrainte prescrits par les règles pour l’exécution de ses jugements ou ordonnances, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut délivrer des moyens de contrainte visant la personne ou les biens d’une partie et ayant la même teneur et le même effet que ceux émanant d’une cour supérieure de la province dans laquelle le jugement ou l’ordonnance doivent être exécutés. Si, selon le droit de la province, le moyen de contrainte que doit délivrer la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale nécessite l’ordonnance d’un juge, un de ses juges peut rendre une telle ordonnance.

 

56 (1) In addition to any writs of execution or other process that are prescribed by the Rules for enforcement of its judgments or orders, the Federal Court of Appeal or the Federal Court may issue process against the person or the property of any party, of the same tenor and effect as those that may be issued out of any of the superior courts of the province in which a judgment or an order is to be executed, and if, by the law of that province, an order of a judge is required for the issue of a process, a judge of that court may make a similar order with respect to like process to issue out of that court.

[21]           Le créancier sur jugement a reçu la formule 36 le 6 janvier 2016. Il est incontestable que la date de réception de l’avis est la date à partir de laquelle doit être calculé le délai de 30 jours; voir la décision rendue dans l’arrêt St. John’s (City) v. F.W. Woolworth Co. (1981), 130 D.L.R. (3d) 171 (Nfld. C.A.).

[22]           Selon l’alinéa 22k) de la Loi d’interprétation, LRN-B 1973, c I-13, le délai se calcule comme suit :

lorsqu’un délai est fixé ou accordé pour un objet quelconque et qu’il est calculé à compter d’un jour, acte ou événement particulier, le délai ne comprend pas ce jour ou celui de cet acte ou de cet événement.

 

where a period of time dating from a specified day, act, or event is prescribed or allowed for any purpose, the time shall be reckoned exclusively of such day or of the day of such act or event.

[23]           Le ministre a déposé son avis de requête le 4 février 2016. La requête a été débattue le 10 février 2016. Aucune ordonnance n’a été délivrée dans les 30 jours suivant la réception de la formule 36 par le créancier sur jugement.

[24]           Dans son argumentation, le ministre a soutenu que la Cour pouvait régler la question de la pertinence du moment choisi pour la présentation de la requête en exerçant son pouvoir discrétionnaire d’appliquer le principe nunc pro tunc.

[25]           Ce principe est lié à la compétence inhérente des tribunaux de rendre des ordonnances nunc pro tunc. Dans l’arrêt Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Green, [2015] 3 R.C.S. 801, au paragraphe 85, la Cour suprême du Canada déclare ce qui suit :

Les tribunaux disposent d’une compétence inhérente pour rendre des ordonnances nunc pro tunc. En langage courant, on pourrait simplement dire que les tribunaux ont le pouvoir d’antidater leurs ordonnances. Ce pouvoir est confirmé par l’art. 59.01 des Règles de procédure civile : « L’ordonnance, à moins qu’elle ne contienne une disposition contraire, prend effet à compter de la date à laquelle elle est rendue ». [Souligné dans l’original.]

[26]           Le paragraphe 392(2) des Règles se lit comme suit :

(2) Sauf disposition contraire de l’ordonnance, celle-ci prend effet au moment où elle est consignée et signée par le juge ou le protonotaire qui préside ou, dans le cas d’une ordonnance rendue oralement en audience publique dans des circonstances telles qu’il est en pratique impossible de la consigner, au moment où elle est rendue.

 

(2) Unless it provides otherwise, an order is effective from the time that it is endorsed in writing and signed by the presiding judge or prothonotary or, in the case of an order given orally from the bench in circumstances that render it impracticable to endorse a written copy of the order, at the time it is made.

[27]           Les tribunaux disposent d’une compétence inhérente pour rendre des ordonnances nunc pro tunc; voir Banque Canadienne Impériale de Commerce, précité, au paragraphe 85. Cette compétence est liée à la doctrine de l’actus curiae neminem gravabit, qui signifie qu’un acte du tribunal ne doit pas porter préjudice à une partie au litige; voir Banque Canadienne Impériale de Commerce, précité, au paragraphe 86.

[28]           Pour décider d’exercer ou non leur compétence inhérente pour rendre une ordonnance nunc pro tunc, les tribunaux doivent tenir compte des facteurs non exhaustifs suivants, ainsi que le prévoit l’arrêt Banque Canadienne Impériale de Commerce, au paragraphe 90 :

l’ordonnance causera-t-elle préjudice à la partie adverse;

l’ordonnance aurait-elle été rendue si elle avait été sollicitée au moment propice;

l’irrégularité était-elle intentionnelle;

l’ordonnance permettra-t-elle effectivement d’obtenir le redressement demandé ou de remédier à l’irrégularité;

le retard est-il attribuable à un acte de la cour et l’ordonnance faciliterait-elle l’accès à la justice.

[29]           Les tribunaux ne devraient pas rendre d’ordonnances nunc pro tunc si cela aurait pour effet de miner l’objectif de la loi en cause; voir Banque Canadienne Impériale de Commerce, précité, aux paragraphes 93 et 94. Après l’expiration de ce délai, la cour ne peut s’attribuer une compétence en antidatant son jugement et en ordonnant qu’il soit déclaré nunc pro tunc; voir Re Trecothic Marsh, [1905] 37 S.C.R. 79.

[30]           Je suis d’avis que la délivrance d’une ordonnance nunc pro tunc en l’espèce aurait véritablement pour effet de miner l’objectif de la loi en cause, à savoir la Loi sur l’enregistrement foncier du Nouveau-Brunswick.

[31]           Les requêtes ont été déposées trop tard pour satisfaire aux exigences du paragraphe 43(4) de la Loi sur l’enregistrement foncier; pour ces motifs, elles ont été rejetées avec dépens adjugés à la défenderesse/débitrice sur jugement, en vertu d’ordonnances prononcées le 10 août 2016.

[32]           Ces motifs sont déposés dans le dossier numéro ITA-11705-15 et le dossier numéro ETA-7495-15.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

ITA-11705-15

ETA-7495-15

 

INTITULÉS :

LIR c. DONNA MARIE NOBLE

LTA c. DONNA MARIE NOBLE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 février 2016

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Gregory A. MacIntosh

Pour le demandeur

 

Donna Noble

Pour la défenderesse (pour son propre compte)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le demandeur

 

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