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Date : 20160923


Dossier : T-692-16

Référence : 2016 CF 1083

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

KOEHNE, MIRKO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le présent appel porte sur l’ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 4 août 2016. Le protonotaire a rejeté une requête écrite datée du 22 juillet 2016 par laquelle le demandeur sollicitait une prorogation du délai pour déposer le dossier du demandeur afin de compléter sa demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 22.1 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29. Une demande d’autorisation doit être déposée et signifiée dans les 30 jours suivant la date à laquelle le demandeur a eu connaissance de l’affaire (alinéa 22.1(2)a) de la Loi sur la citoyenneté). Le dossier du demandeur est attendu dans les 30 jours suivant le dépôt et la signification de la demande.

[2]               Dans le cas en l’espèce, la décision du juge de la citoyenneté a été rendue le 15 avril 2016. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 4 mai 2016. Cependant, le dossier du demandeur, qui était attendu le 3 juin n’a pas été déposé. Le demandeur a plutôt essayé de déposer les documents ou, à titre subsidiaire, a demandé qu’une prolongation du délai soit accordée. Le demandeur n’est pas représenté par un avocat, même s’il prétend qu’il reçoit des conseils.

[3]               Les documents soumis n’ont pas été acceptés parce qu’ils n’étaient pas conformes à l’article 10 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, et de leurs modifications successives. Néanmoins, une prorogation de délai a été accordée le 27 juin 2016, une autre directive a été émise le 11 juillet, fixant la date limite prorogée au 22 juillet afin de mettre le dossier en état conformément à l’article 10.

[4]               Le demandeur a déposé une requête en date du 3 août 2016, afin de proroger davantage le délai jusqu’au 31 août 2016.

[5]               Le 4 août le protonotaire Lafrenière a rejeté la requête de prorogation de délai. En appliquant les quatre facteurs qui régissent le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non la prorogation de délai, le protonotaire a conclu qu’il n’y avait aucune explication du retard et le bien-fondé d’une telle demande sous-jacente n’a pas été établi. Les quatre critères, énoncés dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 NR 399 (CAF) [Hennelly], se lisent comme suit :

1.      une intention constante de poursuivre sa demande;

2.      que la demande est bien-fondée;

3.      que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai;

4.      qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[6]               Essentiellement, le dossier du demandeur était attendu le 3 juin et vers le 3 août, il n’était toujours pas prêt à être déposé puisque le demandeur demandait un mois additionnel pour déposer son dossier. De toute évidence, le demandeur veut poursuivre sa demande, la Couronne, qui s’opposait à la requête devant le protonotaire, n’a pas fait valoir qu’elle subirait un préjudice. Au lieu de cela, elle a fait valoir qu’il n’y avait aucune explication raisonnable du retard : les vacances et l’absence de formation juridique restent insuffisantes. En fait, le protonotaire a conclu que deux des quatre critères énoncés dans l’arrêt Hennelly n’étaient pas remplis.

[7]               Le protonotaire Lafrenière a conclu que le demandeur devait prendre des mesures pour corriger immédiatement les irrégularités du dossier. Rien, ou presque, n’a été fait entre le 24 juin et le 16 juillet lorsque le demandeur est parti en vacances. Ainsi que le protonotaire l’a déclaré, [traduction] « [le] demandeur a supposé à tort que sa période de vacances avait préséance sur un délai imposé par la Cour. »

[8]               En outre, le protonotaire a souligné que le demandeur n’avait pas établi le bien-fondé de la demande sous-jacente puisqu’il n’a pas pu aller au-delà des affirmations générales selon lesquelles la décision du juge de la citoyenneté n’était pas déraisonnable et qu’il y aurait eu un manquement à l’équité procédurale. De telles généralités révèlent peu de choses sur le bien-fondé de l’affaire.

[9]               Dans l’appel contre l’ordonnance du protonotaire, le demandeur n’a pas indiqué quelle est l’erreur qui a été commise par le protonotaire en dehors de son désaccord avec lui. Le demandeur allègue qu’il n’est pas assisté par un avocat et qu’il avait besoin de prendre ses vacances planifiées en réponse aux exigences particulières de son travail. Selon le demandeur, la Cour ne devrait pas le traiter comme s’il était un avocat, comme il a continuellement des difficultés avec les diverses règles des cours.

[10]           La Couronne n’a pas participé à l’appel de l’ordonnance du protonotaire, en choisissant de se fonder sur les maigres observations présentées au protonotaire. Il est regrettable que la Couronne ait limité sa participation étant donné qu’un appel de l’ordonnance du protonotaire est régi par diverses règles : la Couronne considère l’affaire comme si l’appel était un appel de novo, en se fondant sur ses observations présentées au protonotaire. Ce n’est pas le cas.

[11]           L’appel d’une ordonnance du protonotaire est régi par la même norme de contrôle applicable dans les affaires civiles. Une formation de cinq juges d’appel a renversé la norme de contrôle applicable pour des ordonnances discrétionnaires rendues par les protonotaires énoncée dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 RCF 425 [Aqua-Gem] et dans l’affaire Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Corporation de soins de la santé Hospira]. La Cour d’appel fédérale a plutôt abandonné la norme énoncée dans l’affaire Aqua-Gem pour la norme adoptée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 3, [2002] 2 RCS 235 [Housen]. Ce développement du droit suit les traces de la décision Imperial Manufacturing Group Inc c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, [2016] 1 RCF 246, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a confirmé le même critère établi pour les décisions discrétionnaires rendues par les juges de première instance. Comme la Cour l’a mentionné dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira « il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de maintenir plusieurs normes pour le contrôle des décisions de première instance alors qu’une seule, à savoir celle de Housen, suffit à cette fin. » (au paragraphe 28).

[12]           En raison du dernier développement du droit, il n’est plus approprié de déterminer si un examen de novo doit être effectué en appel. Une norme de la décision correcte s’applique plutôt aux questions de droit, il en est ainsi si une erreur de droit a été commise, la cour de révision serait alors en mesure de substituer sa propre décision. S’agissant des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, l’arrêt Housen établit que l’erreur soit manifeste et dominante.

[13]           En l’espèce, le demandeur prétend que le protonotaire a tort. Le demandeur semble prétendre que le même temps pris pour « s’éduquer soi-même » est la véritable explication du non-respect du délai du 3 juin, et qu’il a attendu deux autres mois avant d’avoir un dossier du demandeur approprié.

[14]           Le demandeur n’a pas identifié une erreur dans la décision du protonotaire, sans parler de celle qui serait manifeste et dominante. Même s’il peut y avoir une certaine clémence envers les parties qui se représentent elles-mêmes, le fait d’avoir à s’éduquer soi-même et de ne pas connaître les règles de la cour n’explique pas le retard de trois mois dans le cas en l’espèce. En plus, rien n’indique que la demande sous-jacente en vue d’obtenir l’autorisation de solliciter un contrôle judiciaire a un quelconque fondement pour manque de spécificité. Tous ces éléments constituent des généralités.

[15]           La question n’est pas de savoir si notre Cour doit exercer sa discrétion ou non pour proroger le délai, car elle doit examiner si une erreur a été commise par le protonotaire et, si tel est le cas, déterminer s’il s’agit d’une erreur manifeste et dominante. Une telle erreur n’a pas été démontrée.

[16]           En conséquence, l’appel de la décision discrétionnaire du protonotaire doit être rejeté. Les dépens ne seront pas adjugés.


JUGEMENT

LA COUR rejette l’appel de la décision discrétionnaire du protonotaire.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-692-16

 

INTITULÉ :

KOEHNE, MIRKO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Mirko, Koehne

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Don Klaassen

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour le défendeur

 

 

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