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Date : 20160829


Dossier : T-1932-15

Référence : 2016 CF 977

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 29 août 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

DAYTON GEORGE CLARKE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Clarke demande à la Cour d’infirmer une décision datée du 15 novembre 2015 rendue par le ministre des Transports par laquelle il annulait son habilitation de sécurité en matière de transport (HST) à l’Aéroport international Pearson. Il détient une HST depuis 2007 et il en a besoin pour travailler à titre de préposé d’escale pour Air Canada.

[2]               Il n’est pas contesté que M. Clarke ne possède aucun casier judiciaire et qu’il n’a jamais été accusé de quelque acte criminel que ce soit au Canada ou en Jamaïque, où il résidait auparavant.

[3]               Le 17 décembre 2014, les Programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada ont reçu un rapport de vérification des antécédents criminels de la GRC [rapport de VAC] [rapport de VAC initial] concernant la participation soupçonnée de M. Clarke dans le trafic de drogue à l’aéroport Pearson. Quelques jours plus tard, la GRC a envoyé un rapport de VAC révisé à Transport Canada [le second rapport de VAC] et une demande visant son utilisation plutôt que l’utilisation du rapport de VAC initial et le déchiquetage du rapport de VAC initial.

[4]               Transport Canada était étonné de la demande et un agent a envoyé un courriel à la GRC pour demander si le changement voulu était de « supprimer l’énoncé “au cours des 7 dernières années” au paragraphe 1 » et pour demander ce que signifiait cette modification. La GRC a répondu en disant « ça semble bizarre, mais c’est ce que veut l’unité de la GRC qui a fourni les renseignements ». À titre d’explication, la réponse disait : [traduction]

Les enquêtes ne couvraient pas les 7 années en entier. Elle s’est étalée sur plusieurs années, au cours des 7 dernières années. Ils ne voulaient pas que le demandeur sache exactement quand l’enquête avait eu lieu, alors les années de la période avaient été généralisées de façon intentionnelle.

La première phrase du premier paragraphe numéroté du second rapport de VAC est libellé comme suit : [traduction] « Sur plusieurs années, au cours des 7 dernières années, la Toronto Airport Drug Enforcement Unit (TADEU) a mené diverses enquêtes dans lesquelles le demandeur était l’un des principaux sujets de l’enquête et de l’information ».

[5]               Le dossier démontre que le second rapport de VAC est le seul rapport qu’ont examiné l’Organisme consultatif établi selon le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [PHST] et le décideur de la décision contestée.

[6]               Le 12 février 2015, les agents de Transport Canada ont écrit une lettre à M. Clarke pour l’informer des préoccupations exprimées dans le second rapport de VAC et pour l’avertir de la possibilité que son habilitation de sécurité soit examinée par l’Organisme consultatif et qu’elle risque d’être révoquée. On lui a demandé de fournir de plus amples renseignements à l’Organisme consultatif [traduction] « décrivant les circonstances entourant les associations et les incidents mentionnés ci-dessus, ainsi que de fournir toute autre information ou explication pertinente, y compris toutes circonstances atténuantes, dans les 20 jours suivant la réception de la présente lettre. »

[7]               Cette lettre décrit les incidents préoccupants et elle indique que la TADEU croyait que M. Clarke est [traduction] « une “porte” à l’aéroport, facilitant le déplacement de drogues avec l’aide de collègues de travail. »   Elle décrit en détail trois enquêtes distinctes et l’association de M. Clarke avec deux personnes identifiées comme étant « Sujet A » et « Sujet B ».

[8]               M. Clarke a répondu par une lettre datée du 25 mars 2015 disant que les [traduction] « accusations étaient sans fondement et inexactes ».

[9]               Après l’examen du second rapport de VAC et la réponse de M. Clarke, l’Organisme consultatif a recommandé que le ministre annule son habilitation de sécurité. La déléguée du ministre a rendu la décision finale et elle a rendu sa décision le 29 octobre 2015, annulant son habilitation de sécurité.

[10]           M. Clarke soutient que la décision faisant l’objet du contrôle était inéquitable sur le plan de la procédure pour les raisons suivantes : 1) le ministre avait détruit de la preuve documentaire pertinente; 2) il ne lui avait pas donné suffisamment accès au dossier; 3) il ne lui avait pas donné suffisamment de motifs pour la décision. Il a également affirmé que la décision est déraisonnable compte tenu de la preuve dont le décideur était saisi.

[11]           Il n’est pas contesté que M. Clarke avait droit à l’équité procédurale.

[12]           Il n’est pas contesté que le ministre a déchiqueté le rapport de VAC initial. M. Clarke soutient qu’il s’agissait d’un document « hautement pertinent » et d’ailleurs « crucial » parce que ce document avait amorcé le processus de l’examen de son habilitation de sécurité. Il soutient que sa [traduction] « destruction a considérablement et irrémédiablement porté atteinte à [sa] capacité de répondre aux sérieuses allégations portées contre lui ». Je n’en suis pas convaincu.

[13]           Le second rapport de VAC, et non le rapport de VAC initial, est le document qu’ont examiné et qu’ont pris en considération l’Organisme consultatif et le décideur. Par ailleurs, la différence entre les deux n’est guère plus que quelques mots concernant la période pendant laquelle a été effectuée l’enquête à laquelle ces rapports font référence.

[14]           M. Clarke soutient également qu’on ne lui avait pas donné suffisamment accès au dossier, et il remarque expressément que le ministre n’avait divulgué [traduction] « aucun des documents qu’il avait en sa possession mises à part deux photos ». Il remarque que les 11 documents non divulgués ont été présentés à l’Organisme consultatif et il soutient que [traduction] « cette non-divulgation et cet obscurcissement ont entravé de façon importante sa capacité de donner suite de manière significative aux allégations portées à son encontre ».

[15]           Je suis d’accord avec le ministre que selon la jurisprudence de la Cour, l’obligation d’équité procédurale à laquelle M. Clarke a droit ne va pas jusqu’à exiger que tous les documents recueillis soient divulgués. Plutôt, cette obligation exige que le ministre informe M. Clarke des faits allégués contre lui et de son droit de présenter des observations. En résumé, il est en droit de connaître la preuve qui pesait contre lui, mais pas nécessairement les moyens par lesquels elle pouvait être établie.

[16]           La lettre relative à l’équité procédurale envoyée à M. Clarke, reprenant presque littéralement le contenu du second rapport de VAC, aurait difficilement pu être plus détaillée.

[17]           En l’espèce, rien n’indique que M. Clarke ne connaissait pas la preuve qui pesait contre lui; en effet, il a répondu en détail à la lettre relative à l’équité procédurale. En outre, une fois qu’il a été en possession du second rapport de VAC et des 10 autres documents non divulgués, il n’a fourni aucun élément de preuve voulant que d’autres renseignements existaient ou qu’il aurait fourni une réponse différente à l’Organisme consultatif. Plutôt, tout ce dont la Cour dispose est son affidavit attestant qu’il aurait disposé d’une occasion de [traduction] « répondre de manière pertinente » ou [traduction] « de m’aider à déterminer ce que je faisais à ces occasions précises » et des observations générales semblables. Pour que cette observation soit accueillie, une réponse plus détaillée et précise étaient requise de la part de M. Clarke. Cela est particulièrement le cas puisqu’il n’a jamais dit dans sa réponse que les renseignements fournis étaient trop généraux ou qu’ils ne contenaient pas assez détails pour qu’il puisse y répondre.

[18]           Je ne suis pas persuadé que les motifs cités dans la décision sont insuffisants de sorte que M. Clarke ne sait pas pourquoi son habilitation de sécurité a été révoquée ou s’il doit demander la révision de la décision. Les motifs fournis par le ministre sont exhaustifs et ils sont plus que satisfaisants juridiquement dans des affaires comme en l’espèce.

[19]           La dernière contestation de la décision porte sur son caractère raisonnable. Les activités de M. Clarke pendant plusieurs années et à plusieurs occasions ainsi qu’avec plusieurs personnes pouvaient faire raisonnablement soupçonner qu’il était une « porte » à l’aéroport Pearson. Par ailleurs, dans ces observations il est associé à une multitude de personnes qui se livraient à des activités criminelles. Le fait qu’il n’a lui-même aucun casier judiciaire et qu’il n’a jamais été accusé d’un crime ne compense guère cette preuve parce que le critère criminel est tellement plus élevé que celui appliqué lors de l’annulation de l’habilitation de sécurité. Ce dernier critère détermine si « le ministre a des motifs raisonnables de croire, selon la prépondérance des probabilités, [qu’un individu] est sujet ou peut être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte ». [Non souligné dans l’original.]  La Cour a confirmé que des allégations de criminalité et des associations avec le crime organisé sont des menaces pour la sûreté de l’aviation : Voir Thep-Outhainthany c. Canada (Procureur général), 2013 CF 59, [2013] ACF no 44 et Salmon c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1098, 92 Admin LR (5th) 123.

[20]           Pour ces motifs, la présente demande doit être rejetée.

[21]           Les procureurs ont proposé que des dépens de 2 500 $ soient adjugés à la partie qui aura gain de cause.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande avec dépens payables au défendeur et fixés à 2 500 $.

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1932-15

 

INTITULÉ :

DAYTON GEORGE CLARKE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Carlin McGoogan

Pour le demandeur

Lars Brusven

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Du Vernet, Stewart

Avocats

Mississauga (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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