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Date : 20161013


Dossier : IMM-849-15

Référence : 2016 CF 1141

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2016

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

MICHELLE KIM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               La demanderesse, Michelle Kim (Mme Kim), conteste la décision du 10 février 2015 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a conclu qu’elle et son mari avaient contracté un mariage non authentique à seule fin d’obtenir leur statut d’immigrant, aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

II.                Questions en litige

[2]               Mme Kim affirme que la décision devrait être renvoyée pour les raisons suivantes :

A.    La SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale en interrompant sans cesse les explications de l’avocat au cours de l’interrogatoire principal, privant ainsi Mme Kim de la possibilité de présenter l’intégralité de sa cause.

B.     La décision visée par le contrôle judiciaire n’est pas raisonnable.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAI est raisonnable et équitable sur le plan de la procédure. La demande est en conséquence rejetée.

III.             Contexte factuel

[4]               Mme Kim est une citoyenne canadienne. Le 20 janvier 2009, elle a épousé au Cambodge Sopheak Sok (M. Sok), un citoyen de ce pays. Il s’agissait du second mariage de Mme Kim, et du premier de M. Sok. Mme Kim a un fils d’une troisième relation.

[5]               En juin 2009, M. Sok, parrainé par Mme Kim, a demandé la résidence permanente au Canada dans la catégorie du regroupement familial. M. Sok a été interrogé par un agent d’immigration du Haut-Commissariat du Canada à Phnom Penh, au Cambodge, le 4 juin 2010.

[6]               La demande de M. Sok a été rejetée le 15 juin 2010. L’agent n’a pas été convaincu de l’authenticité du mariage de Mme Kim et de M. Sok. À ses yeux, ce mariage avait été contracté à seule fin de permettre à M. Sok d’être admis au Canada. L’agent a conclu que M. Sok ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 12(1) de la LIPR. Mme Kim a interjeté appel de la décision auprès de la SAI le 2 juillet 2010.

[7]               Des audiences ont eu lieu le 17 mai et le 8 octobre 2013, ainsi que le 25 juin 2014 et le 22 décembre 2014. La SAI a rejeté l’appel dans une décision rendue le 10 février 2015.

[8]               Elle a examiné l’affaire de novo, et elle a entendu les témoignages de M. Sok et de Mme Kim à différents moments. L’avocat de Mme Kim était présent en personne à la première audience, et il a participé aux audiences subséquentes par voie de vidéoconférence. M. Sok a témoigné par téléphone. Un interprète était présent aux quatre audiences.

IV.             Norme de contrôle

[9]               La norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux questions intéressant l’équité procédurale, alors que les questions mixtes de fait et de droit emportent l’application de la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]). Dans l’arrêt Canada c. Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], la Cour suprême du Canada explique qu’il faut accorder un degré élevé de retenue aux décisions de la SAI parce qu’elle tient les audiences et examine directement la preuve.

V.                Analyse

A.                Équité procédurale

[10]           Mme Kim demande à notre Cour d’autoriser un contrôle judiciaire au prétexte d’un manquement de la SAI à son obligation d’équité procédurale. Ce manquement découle des interruptions constantes de son avocat au cours de son interrogatoire qui, estime Mme Kim, l’ont privée de son droit à une audience équitable. Je ne vois pas en quoi le droit de Mme Kim à l’équité procédurale aurait été bafoué, car les questions posées m’apparaissent tout à fait justes et l’avocat a eu amplement l’occasion de présenter la cause.

[11]           Les principes régissant l’utilisation appropriée des interruptions au cours d’un interrogatoire ont été énoncés dans la décision Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992) 1 CF 629 (CAF). Selon notre Cour, le tribunal est autorisé et il a tout intérêt à poser des questions pour s’assurer qu’il comprend, surtout lorsqu’un témoignage porte à confusion (Kofitse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 894, au paragraphe 7; Quiroa et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 271, au paragraphe 13).

[12]           Mme Kim invoque la décision Guermache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 870 [Guermache], dans laquelle le juge Luc Martineau examine une décision d’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés à qui il est reproché d’avoir interrompu à de multiples reprises l’interrogatoire des témoins par l’avocate. Le juge Martineau confirme que le tribunal peut poser des questions de compréhension, mais que le contre-interrogatoire du témoin par un commissaire devrait intervenir après le témoignage du revendicateur. En cas de défaillance de l’avocat, le commissaire doit poser les questions nécessaires.

[13]           À la différence de la plaignante dans l’affaire Guermache, précitée, Mme Kim a eu la possibilité de présenter sa cause. L’audience s’est échelonnée sur plusieurs jours, de sorte qu’elle a eu amplement le temps de soumettre ses observations. Sur les quatre journées d’audience, deux ont été consacrées au témoignage de Mme Kim. À la fin de la première journée, son avocat a même déclaré qu’il [traduction] « s’amusait bien ». Il a soulevé la question des interruptions seulement au début de la deuxième journée, après avoir lu la transcription de l’audience de la veille. Au vu du dossier, je suis d’avis que les interruptions participaient plutôt d’une volonté de comprendre que de contre-interroger les témoins, et qu’il n’y a pas eu atteinte à l’équité procédurale.

[14]           Qui plus est, notre Cour a déjà établi qu’un interrogatoire « soutenu » d’un témoin ne justifie pas forcément un constat de crainte raisonnable de partialité (Mahendran c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1991], 14 Imm LR (2d) 30 (CAF); Tchiegang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 249, aux paragraphes 17 à 19). Le commissaire de la SAI n’a à aucun moment été sommé de se récuser en raison d’une apparence de partialité. Je ne puis donc conclure à la partialité ou à l’apparence de partialité de l’audience.

[15]           Certes, des passages de la transcription sont maladroits, mais cela n’a rien d’étonnant si l’on considère que la SAI recourt à des interprètes, des téléconférences et des vidéoconférences durant ses audiences. Ces lacunes ne suffisent pas pour conclure que l’équité procédurale n’a pas été respectée lors de l’audience.

B.                 Raisonnabilité

[16]           Mme Kim affirme que la décision de la SAI ne repose sur aucune preuve, ou que les propres conclusions de fait du tribunal la rendent déraisonnable. Plus particulièrement, elle soutient que la SAI fonde sa décision sur quatre conclusions spécieuses :

[traduction] [13]     [...] Le tribunal s’étonne également que l’appelante, après avoir épousé un homme qui s’est avéré violent et eu un enfant d’un autre homme qui s’est avéré mauvais payeur, accepte d’épouser un homme qui jouera de facto le rôle de père de son enfant unique sans l’avoir rencontré ou vu interagir avec l’enfant. Le tribunal comprend qu’ils s’étaient entendus pour arrêter leur décision concernant le mariage seulement après s’être rencontrés et que chacun ait rencontré ses futurs beaux-parents, mais il est clair que la décision avait été arrêtée avant la première rencontre. Tout semble avoir été précipité. Le mariage a été célébré un mois seulement après l’arrivée de l’appelante au Cambodge.

[14]      Le tribunal trouve peu crédible qu’un homme de 26 ans, qui apparemment n’avait jamais eu de relation sérieuse avec une femme, tombe amoureux de quelqu’un qu’il n’a jamais rencontré et qu’il s’engage à l’épouser. Il convient de préciser qu’il n’a pas vu sa femme depuis le 8 mars 2009 [...] La raison principale que l’appelante et le revendicateur avancent pour expliquer l’absence de contact physique n’a pas convaincu le tribunal.

[15]      [...] la relation ne semble pas avoir de fondement crédible.

[17]           Mme Kim soutient ensuite que la SAI n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité de son témoignage ou de celui de M. Sok. Elle fait valoir que les éléments de preuve qu’ils ont présentés doivent être présumés véridiques et que la SAI doit justifier de manière détaillée toute inférence contraire. La SAI n’ayant pas critiqué les éléments de preuve présentés ni constaté de contradictions, ses conclusions sont pure spéculation et ne résisteraient pas à l’analyse.

[18]           Contrairement à ce que Mme Kim avance, la SAI a bel et bien tiré des conclusions défavorables précises quant à la crédibilité et elle en expose les motifs. Le désaccord de Mme Kim avec ces conclusions n’influe aucunement sur la qualité des motifs. Voici une partie des motifs de la SAI :

[19]           [traduction] L’agent des visas a constaté qu’il n’était pas habituel pour un homme cambodgien célibataire, qui n’a jamais été marié, d’épouser une femme divorcée plus âgée que lui et qui a eu un enfant d’une union antérieure. La SAI a pris en compte qu’un agent des visas basé à l’étranger possède une connaissance particulière de la culture et des coutumes d’un pays. Elle a cependant mis en contrepoids la courte durée du premier mariage de Mme Kim et le fait qu’elle est l’aînée de M. Sok de quelques mois seulement.

[20]           Une autre préoccupation de la SAI concerne le fait que Mme Kim, qui avait été victime de violence dans sa précédente relation, ne semblait pas inquiète de s’engager dans une union avec un homme qui deviendrait le père de son enfant sans tout d’abord l’avoir vu interagir avec celui-ci. Le mariage a été précipité, et cela même si Mme Kim avait demandé à rencontrer son futur époux avant d’arrêter leur décision. Le mariage a été célébré moins d’un mois après la première rencontre des deux intéressés. Selon ce qui est indiqué sur son titre de transport, Mme Kim devait rentrer au Canada le 6 février 2009, mais elle et son frère ont dû rester au Cambodge jusqu’au 8 mars 2009 pour enregistrer leurs mariages respectifs.

[21]           La SAI hésitait également à croire qu’un homme de 26 ans, qui n’avait jamais eu d’autre relation, puisse tomber amoureux d’une femme et s’engager à l’épouser avant de l’avoir rencontrée. Une signification particulière a été accordée au fait que M. Sok n’avait pas revu sa femme depuis le 8 mars 2009. Aux yeux de la SAI, il aurait été normal qu’un mari souhaite voir sa femme en personne au moins une fois en cinq ans. Mme Kim a donné comme explication qu’elle devait s’occuper de son entreprise, que son fils devait faire de l’orthophonie et qu’elle ne voulait pas le ramener au Cambodge parce qu’il avait été malade lors du séjour précédent. La SAI a jugé que ces explications ne tenaient pas la route : Mme Kim aurait pu trouver un moyen de fermer son salon de beauté, elle aurait pu guider elle-même son fils pour sa séance quotidienne d’orthophonie de 20 minutes au Cambodge, ou elle aurait pu tout simplement le faire garder pendant une courte période afin d’avoir une relation intime.

[22]           Même si des éléments de preuve attestent que des appels téléphoniques ont été passés depuis les domiciles respectifs de M. Sok et de Mme Kim, elles n’indiquent pas si les conversations ont eu lieu entre les intéressés eux-mêmes ou entre des membres de leur famille avec qui ils habitaient. Là encore, la SAI a tenu à nuancer son analyse en se gardant de tirer des inférences défavorables du fait que les deux intéressés vivaient chez leurs parents.

[23]           Je ne souscris pas à l’affirmation de Mme Kim selon laquelle la SAI se fonde sur des conjectures. Il lui incombait de faire la preuve de l’authenticité de son mariage, mais elle a échoué. On ne peut rien demander d’autre à la SAI que de tirer des conclusions de fait à partir du matériel dont elle dispose (Dang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1090, au paragraphe 12). C’est exactement ce qu’elle a fait. La SAI ne peut pas suppléer à l’insuffisance des éléments de preuve produits par Mme Kim pour établir le bien-fondé de sa cause.

[24]           La SAI fonde toutes ces conclusions sur les témoignages de vive voix qu’elle a eu le privilège de recevoir lors des audiences et sur la connaissance experte d’un agent des visas à l’étranger. Il ne m’est pas demandé de modifier ses conclusions quant à la vraisemblance si je n’ai aucune raison de croire que le tribunal a pris en compte des éléments non pertinents ou fait abstraction de certains éléments de preuve (Singh c. Citoyenneté et Immigration, 2011 CF 1370; Grewal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 960). L’authenticité d’un mariage est une pure question de fait, et toute conclusion à cet égard commande un fort degré de retenue.

[25]           Je ne procéderai pas au nouvel examen de la preuve réclamé par Mme Kim. La SAI a entendu des témoignages pendant quatre jours. Étant donné que la SAI était beaucoup mieux placée que moi pour faire les constats requis en l’espèce quant à la crédibilité, la retenue s’impose à l’égard de ses décisions.

[26]           La SAI a pris en considération l’ensemble de la preuve et sa conclusion n’est pas déraisonnable. Il est acquis qu’une décision est réputée raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient à un éventail d’issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité; Khosa, précité). Envisagée dans son ensemble, la décision m’apparaît raisonnable et je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[27]           Aucune question à certifier n’a été présentée ou soulevée à partir des éléments de preuve.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-849-15

INTITULÉ :

MICHELLE KIM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DES MOTIFS :

Le 13 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Mohsen Seddigh

Pour la demanderesse

Judy Michaely

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil Rotenberg

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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