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Date : 20161020


Dossier : IMM-742-16

Référence : 2016 CF 1163

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2016

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NEDIM ELIK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision défavorable découlant d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) rendue le 11 janvier 2016 par un agent d’ERAR, qui a conclu que M. Elik ne risquait pas d’être exposé à des préjudices s’il retournait en Turquie. M. Elik craint d’être persécuté en Turquie en raison de son origine ethnique et de son activisme politique en tant que partisan du BPD, un parti prokurde.

[2]               M. Elik est arrivé au Canada le 10 février 2012 et a demandé l’asile le 5 mars 2012. En octobre 2013, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande d’asile, concluant que la preuve était insuffisante pour établir que les autorités turques continuaient de s’intéresser à M. Elik. Bien que la SPR ait reconnu que les événements décrits par M. Elik concernant son arrestation et ses agressions par coups se sont produits, elle a conclu que rien ne prouvait qu’il serait arrêté et qu’il subirait des préjudices s’il retournait en Turquie. L’agent d’ERAR est arrivé à la même conclusion.

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

I.                   Question en litige

[4]               La question déterminante porte sur la façon dont l’agent d’ERAR a traité la preuve relative au profil de risque de M. Elik. Comme cette question soulève des questions mixtes de fait et de droit, elle sera examinée selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

II.                Analyse

A.                Profil de risque de M. Elik

[5]               L’agent d’ERAR a examiné la preuve sur la situation dans le pays et a constaté que les autorités turques n’interviennent pas systématiquement à l’encontre des manifestants prokurdes. L’agent a déterminé que les conditions en Turquie n’ont pas changé de manière importante depuis l’audience de M. Elik devant la SPR en août 2013.

[6]               L’agent d’ERAR disposait des éléments de preuve suivants, qui établissaient que M. Elik avait été placé en détention et qu’il avait subi des agressions physiques à de nombreuses reprises aux mains des autorités turques :

  • En août 2008, on l’a accusé de soutenir des terroristes et on l’a conduit à un poste de police, où il a été détenu et battu avant d’être relâché sans accusations.
  • En juin 2011, il a été arrêté alors qu’il prenait part à une manifestation. On l’a interrogé au sujet de ses connexions avec le PKK, un parti kurde séparatiste, et on l’a battu. On l’a averti qu’il serait accusé d’être membre d’une organisation séparatiste s’il continuait de soutenir le BPD.
  • En novembre 2011, le demandeur a été attaqué par des ultranationalistes pendant qu’il se trouvait dans les bureaux du BPD. Les nationalistes étaient accompagnés de la police, et le demandeur a été arrêté après avoir tenté de se défendre. On l’a conduit au poste de police, où il a été battu et menacé.
  • En janvier 2012, le demandeur a participé à une autre manifestation au cours de laquelle il a été attaqué par la police et arrêté. On l’a conduit au poste de police où il a été interrogé et torturé, et on l’a menacé de le tuer. Il a été relâché et il s’est enfui de la Turquie deux jours plus tard.

[7]               L’agent d’ERAR disposait également d’éléments de preuve supplémentaires qui démontraient que les autorités s’étaient rendues au domicile de M. Elik en Turquie et qu’elles avaient harcelé les membres de sa famille et leur avaient fait du mal. Cependant, l’agent d’ERAR n’était pas convaincu que l’ensemble de la preuve de M. Elik démontrait que le gouvernement turc soupçonnait qu’il avait des liens avec le parti prokurde PKK ou que les autorités le persécuteraient en raison de son activité au sein du parti. L’agent d’ERAR a souligné qu’aucun mandat d’arrêt et aucune assignation n’avaient été émis et que les membres de la famille du demandeur n’avaient pas été arrêtés par les autorités, sauf pendant des manifestations.

[8]               Les faits en l’espèce sont semblables à ceux de la décision Basbaydar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 158, au paragraphe 14 [Basbaydar], dans laquelle la Cour a conclu que les activités politiques prokurdes peuvent être perçues comme un lien potentiel avec le PKK et comme du terrorisme. La Cour a déclaré ce qui suit :

[14]      La SPR s’est concentrée sur le fait que M. Basbaydar n’avait pas montré qu’il présentait un intérêt particulier pour la police. Ce n’était pas ce qu’il était tenu de montrer. Il devait seulement montrer qu’il craignait avec raison d’être persécuté compte tenu de ses opinions politiques ou de sa nationalité et, selon moi, cette crainte fondée est confirmée par la preuve documentaire. La preuve montre que même les manifestants pacifiques et les militants ordinaires risquent de subir des peines démesurées et plus précisément que les manifestants kurdes sont de plus en plus persécutés. En tentant de mettre en doute la crédibilité du demandeur, la SPR a fait observer que de « nombreux militants jeunes et ordinaires » sont arrêtés en Turquie.

[9]               Cette question a aussi été examinée par la Cour dans l’affaire Mamis c. Canada (Citoyenneté et Immigration) [Mamis], 2015 CF 203. Dans cette affaire, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur continuait de présenter un intérêt pour les autorités. La Cour a déterminé que cette conclusion était incompatible avec le fait incontesté, et d’ailleurs crédible, que le demandeur dans cette affaire avait été détenu illégalement et qu’il avait été menacé et battu à de nombreuses occasions. L’agent ne s’est pas demandé si ces circonstances étaient suffisantes pour que le demandeur retienne l’attention des autorités et si ses activités politiques continues à l’appui du Kurdistan pouvaient susciter l’ire de la police et le mettre en danger s’il était renvoyé.

[10]           À l’instar des affaires Basbaydar et Mamis, l’agent d’ERAR en l’espèce n’a pas pris en considération la preuve non contestée des arrestations et des agressions par coups en regard du nouvel élément de preuve concernant l’intérêt que continue de présenter M. Elik pour les autorités turques. L’agent d’ERAR a plutôt déclaré que rien ne prouve que M. Elik continuera de présenter un intérêt pour les autorités. Cette conclusion n’est pas conforme aux éléments de preuve dont dispose l’agent d’ERAR.

[11]           Compte tenu des éléments de preuve concernant l’implication politique de M. Elik au sein de mouvements prokurdes, laquelle implication a poussé les autorités turques à prendre des mesures à son égard, la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle M. Elik ne présentait pas d’intérêt pour les autorités turques n’est pas raisonnable.

[12]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, la décision de l’agent d’ERAR est annulée, l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen, et aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-742-16

INTITULÉ :

NEDIM ELIK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 août 2016

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 20 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov

Pour le demandeur

Teresa Ramnarine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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