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Date : 20161020


Dossier : T-642-16

Référence : 2016 CF 1170

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

AMANDEEP CHEEMA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Amandeep Cheema, demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un juge de la citoyenneté (le juge) rendue le 23 février 2016, laquelle concluait que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne en vertu de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi).

[2]               Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, cette demande est rejetée parce que le juge a rendu une décision raisonnable pour les motifs suivants : Mme Cheema n’a pas suffisamment de jours de présence effective au Canada et elle n’a pas centralisé son mode d’existence au Canada. Je conclus également que pour rendre sa décision, le juge ne s’est pas appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques en violation des principes d’équité procédurale, tel que l’alléguait Mme Cheema.

II.                Contexte

[3]               Mme Cheema est une ressortissante de l’Inde âgée de 27 ans. Elle est entrée au Canada le 22 novembre 2008, à l’âge de 19 ans, à titre de résidente permanente et d’enfant à charge de sa mère. Mme Cheema a demandé la citoyenneté canadienne le 18 novembre 2012. Ainsi, la période pertinente pour le calcul des jours de résidence pour être admissible à la citoyenneté canadienne est du 18 novembre 2008 au 18 novembre 2012 (la période pertinente). Dans sa demande, Mme Cheema a déclaré 360 jours d’absence au cours de la période pertinente. De plus, elle a indiqué qu’elle croit avoir satisfait à l’exigence de résidence avec 1 096 jours de présence au cours de la période pertinente, puisque le nombre de jours requis est 1 095.

[4]               L’agent qui a examiné la demande de Mme Cheema a déterminé qu’elle n’a pas déclaré deux absences du Canada. Il a fondé cette conclusion sur le contenu du rapport du Système intégré d’exécution des douanes produit par l’Agence des services frontaliers du Canada (le rapport du SIED) et les renseignements décrits dans le dossier des entrées et sorties produit par le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (le dossier des États-Unis). En raison des absences non déclarées et du calcul résultant indiquant un déficit de 4 jours par rapport aux 1 095 jours requis en vertu de la Loi, Mme Cheema a été renvoyée devant le juge pour une audience.

[5]               Parce que le juge n’a pas seulement examiné le nombre de jours de présence effective de Mme Cheema au Canada, mais également le critère énoncé dans la décision Re Koo [1993] 1 R.C.F. 286, [Koo] – lequel critère est de déterminer si le Canada est le lieu où un demandeur vit régulièrement, normalement ou habituellement ou si le Canada est le pays où un demandeur a centralisé son mode d’existence –, il convient de donner de l’information additionnelle sur les activités de Mme Cheema au cours de la période pertinente.

[6]               À partir de 2009 et jusqu’en avril 2011, Mme Cheema a étudié à l’Université York de Toronto. En juillet 2010, elle s’est rendue en Inde pour une période d’environ six semaines. Au cours de cette période, elle a aidé sa mère à vendre une propriété là-bas et a rencontré son futur mari, Tripanjeet Singh Ghuman, ainsi que les membres de sa famille. M. Ghuman réside aux États-Unis en vertu d’un visa d’étudiant, puis d’un permis de travail temporaire, lequel est valide jusqu’en octobre 2018. Il n’a pas de statut permanent aux États-Unis. Au cours de l’année 2011, Mme Cheema a fait plusieurs courts séjours aux États-Unis afin de visiter son fiancé du moment. Elle a épousé M. Ghuman en Inde, en décembre 2011. Après leur mariage, Mme Cheema a accompagné M. Ghuman aux États-Unis.

[7]               Mme Cheema est revenue au Canada pour un certain temps à partir de mars 2012, puis a obtenu un visa d’étudiant aux États-Unis. Elle est retournée aux États-Unis en mai 2012, puis s’est inscrite au Brookhaven College, au Texas, au cours de l’été 2012. Par la suite, Mme Cheema est revenue une autre fois au Canada pour une durée d’environ trois semaines en août 2012, avant la fin de la période pertinente. Au cours des périodes qu’elle a passées aux États-Unis, Mme Cheema habitait avec son mari. Aujourd’hui, elle vit toujours à cet endroit avec sa fille, laquelle est née en 2015. Elle a changé son statut aux États-Unis en obtenant un visa de personne à charge.

[8]               Parce que les absences non déclarées ont entraîné un déficit dans le nombre de jours de présence effective au Canada, le juge a appliqué le critère prescrit par le juge Reed dans l’affaire Koo afin de déterminer si Mme Cheema satisfait aux exigences en vertu de la Loi. Toutefois, le juge a conclu, après avoir examiné les questions proposées dans l’affaire Koo, que le Canada n’était pas le lieu où Mme Cheema vit régulièrement, normalement ou habituellement et que son mode d’existence n’est pas centralisé au Canada. Par conséquent, sa demande de citoyenneté n’a pas été approuvée.

III.             Questions en litige

[9]               Pour sa demande de contrôle judiciaire, Mme Cheema a soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

A.                Quelle est la norme de contrôle?

B.                 Le juge a-t-il a manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’offrant pas à Mme Cheema la possibilité de dissiper ses préoccupations concernant la preuve extrinsèque sur laquelle la décision de rejet de la demande est fondée?

C.                 Compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, le juge a-t-il tiré une conclusion de fait erronée en déterminant que Mme Cheema n’avait pas atteint le nombre de jours de présence effective requis par la Loi, c’est-à-dire 1 095 jours?

D.                Compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, le juge a-t-il conclu, à tort, que le mode d’existence de Mme Cheema n’était pas centralisé au Canada?

IV.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle?

[10]           Mme Cheema soutient que la norme de la décision correcte s’applique à la question soulevant les principes d’équité procédurale, mais que la norme de la décision raisonnable s’applique aux autres questions. Le défendeur n’a pas contesté la position de Mme Cheema concernant la norme de contrôle, et je souscris à cette position.

B.              Le juge a-t-il a manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’offrant pas à Mme Cheema la possibilité de dissiper ses préoccupations concernant la preuve extrinsèque sur laquelle la décision de rejet de la demande est fondée?

[11]           Mme Cheema allègue que le rapport du SIED et le dossier des États-Unis constituent des éléments de preuve extrinsèques et que le juge a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur ces éléments de preuve sans lui avoir donné la possibilité de répondre à ces éléments. Elle renvoie la Cour à la décision Mehta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1073, pour étayer la proposition générale voulant qu’un agent commette une erreur s’il fonde sa décision sur des éléments de preuve extrinsèques sans donner au demandeur la possibilité de répondre à ces éléments.

[12]           Bien que la proposition juridique soit valable, je conclus qu’elle ne s’applique pas en l’espèce. Comme il est indiqué dans la décision Asmelash c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1732, au paragraphe 15, la détermination de la nécessité de communiquer un document avant de l’utiliser, conformément à l’obligation d’équité procédurale, consiste à savoir si la personne a connaissance ou est présumée avoir connaissance du document. Concernant le dossier des États-Unis, le défendeur renvoie à la correspondance du dossier certifié du tribunal (DCT) indiquant que le dossier des États-Unis a été fourni par Mme Cheema avec d’autres documents requis, comme son passeport. Par conséquent, le défendeur fait valoir, et je suis d’accord avec lui, que le dossier des États-Unis ne peut être caractérisé comme étant une preuve extrinsèque, ce qui soulève la question d’équité procédurale.

[13]           Concernant le rapport du SIED, le défendeur se fonde sur la décision de l’affaire  Abdelhamid c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1223, au paragraphe 17, dans lequel le juge Mactavish indique ceci : « La Cour a déjà affirmé que les rapports du SIED ne constituent pas des éléments de preuve extrinsèques et qu’en conséquence, ils n’imposent pas au juge de la citoyenneté l’obligation de donner au demandeur l’occasion d’y répondre ». Je conclus que cette jurisprudence s’applique en l’espèce. Par conséquent, je dois rejeter l’argument de Mme Cheema selon lequel le juge était obligé de lui donner l’occasion de répondre aux éléments du rapport du SIED.

[14]           Mme Cheema fait valoir que la question d’équité procédurale est soulevée à la lumière d’un conflit entre la preuve qu’elle a soumise et l’information dont le juge disposait concernant son dossier d’entrées aux États-Unis et au Canada. Je trouve cet argument particulièrement dénué de fondement, puisque l’affidavit déposé par Mme Cheema dans sa demande de contrôle judiciaire confirme les renseignements associés à ses absences effectives du Canada au cours de la période pertinente et inclut les deux absences (en juin 2011 et en août 2011) que, selon l’agent réviseur et le juge, la demanderesse n’a pas déclarées dans sa demande de citoyenneté. Puisqu’elle ne conteste pas l’occurrence de ces absences, on ne peut affirmer que le juge a causé un préjudice à Mme Cheema en ne lui donnant pas l’occasion de répondre aux éléments de preuve désignant ces absences.

C.                 Compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, le juge a-t-il tiré une conclusion de fait erronée en déterminant que Mme Cheema n’avait pas atteint le nombre de jours de présence effective requis par la Loi, c’est-à-dire 1 095 jours?

[15]           Le principal argument de Mme Cheema concernant cette question, que son avocate a clairement présenté de vive voix au cours de l’audience liée à sa demande, est que le juge a commis une erreur en calculant ses absences du Canada au cours de la période pertinente conformément aux Instructions relatives à l’exécution des programmes (les instructions) établies par le ministre et servant au calcul des jours de résidence/présence effective dans le cadre des demandes de citoyenneté. Ces instructions stipulent que, pour les demandes reçues avant le 11 juin 2015, une absence est considérée comme étant soit le jour où le demandeur quitte le Canada, soit le jour où il revient au Canada, mais pas les deux. Mme Cheema met en contraste cette approche avec celle fournie dans les instructions pour les demandes reçues le 11 juin 2015, ou après. Pour de telles demandes, les dates où un demandeur quitte le Canada ou revient au Canada ne comptent pas comme une absence.

[16]           Mme Cheema mentionne la disposition législative pertinente dans l’alinéa 5(1)c) de la Loi :

Loi sur la citoyenneté, LRC (1985), ch C-29

Citizenship Act, RSC 1985, c C-29

Attribution de la citoyenneté

Grant of Citizenship

5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i)   un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i)   for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii)  un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii)  for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[17]           Mme Cheema fait valoir que le ministre n’a pas le pouvoir d’établir des instructions et que l’approche de calcul de jours de résidence pour les demandes reçues avant le 11 juin 2015, tel qu’elle est décrite dans les instructions, entre en conflit avec le langage clair et l’esprit de l’alinéa 5(1)c), lequel indique de compter chaque jour  « où » la personne est effectivement présente au Canada. Elle soutient également que l’approche décrite dans les instructions est arbitraire et discriminatoire en ce sens qu’elle prescrit des critères différents selon que les personnes soumettent leur demande avant ou après le 11 juin 2015.

[18]           Le défendeur souligne que des modifications apportées à la Loi sont entrées en vigueur le 11 juin 2015. Maintenant, la Loi stipule qu’il faut compter le nombre de jours de présence effective au Canada plutôt que le nombre de jours de résidence. En se fondant sur cet élément, le défendeur fait valoir qu’il n’y a rien d’arbitraire au sujet des modifications aux instructions en vigueur à cette date. Pour ce qui est de l’argument de Mme Cheema alléguant que le ministre n’a pas le pouvoir d’établir les instructions, le défendeur mentionne que la Cour a souligné que la Loi ne définit pas le terme « résidence » (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Samaroo, 2016 CF 689, au paragraphe 19). Le défendeur allègue que le ministre peut aider à l’interprétation de la loi et que l’interprétation offerte par les Instructions n’est pas incompatible avec le libellé de la loi.

[19]           Je conclus au bien-fondé des arguments du défendeur. La Cour a conclu qu’il n’y a rien de mal à ce que les organismes formulent des directives ou invoquent celles‑ci pour les aider à prendre des décisions administratives et que les organismes n’ont pas besoin de l’autorisation conférée par leur loi habilitante pour formuler des directives ou pour les invoquer (voir Toussaint c. Canada (Procureur général), 2010 CF 810, au paragraphe 55).

[20]           Cependant, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’analyser plus en profondeur cette question dans le contexte particulier de cette affaire, puisque le juge utilisait l’approche que Mme Cheema avait elle-même adoptée en soumettant sa demande de citoyenneté. Comme le juge l’a souligné dans sa décision, Mme Cheema a déclaré 360 jours d’absence dans sa demande de citoyenneté. Contrairement à l’affidavit qu’elle a soumis dans sa demande de contrôle judiciaire, dans lequel elle semble avoir calculé ses jours d’absence en utilisant l’approche s’appliquant aux demandes reçues après le 11 juin 2015, le dossier certifié du tribunal révèle qu’elle a utilisé l’approche pour les demandes précédant le 11 juin 2015 pour calculer les 360 jours d’absence indiqués dans sa demande de citoyenneté. L’agent réviseur a ensuite repéré deux absences non déclarées totalisant cinq jours, en utilisant apparemment encore une fois l’approche précédant le 11 juin 2015, comme l’avait fait Mme Cheema.

[21]           Mme Cheema est arrivée pour la première fois au Canada le 22 novembre 2008, quatre jours après le début de la période pertinente. Par conséquent, si on additionne les 360 jours d’absence qu’elle avait calculés, les quatre jours au début de la période pertinente et les cinq jours repérés par l’agent, on obtient 1 091 jours de présence effective, ce qui correspond aux quatre jours de déficit indiqués par l’agent et le juge.

[22]           Tel que Mme Cheema l’a soumis, la conclusion du juge concernant le déficit de jours est contrôlable selon la norme de la décision raisonnable. Le principe de la norme de la décision raisonnable s’étend à l’interprétation de loi habilitante (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 RCS 190 SCR 190 [Dunsmuir], et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 RCS 339).). En utilisant l’approche de calcul des absences décrite dans les instructions, l’agent et le juge suivaient non seulement les lignes directrices ministérielles, mais utilisaient également l’approche que Mme Cheema a elle-même employée pour calculer le nombre de jours d’absence qu’elle a indiqué dans sa demande de citoyenneté. Puisque Mme Cheemam n’a pas contesté l’utilisation de cette approche au cours de l’instance devant le juge, la décision de celui-ci ne peut donc pas être caractérisée comme étant déraisonnable.

D.                Compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, le juge a-t-il conclu, à tort, que le mode d’existence de Mme Cheema n’était pas centralisé au Canada?

[23]           En appliquant le critère Koo, le juge a examiné les six questions prescrites par cette affaire. Son analyse peut être résumée comme suit :

A.                La personne était-elle effectivement présente au Canada pendant une longue période avant ses absences récentes qui se sont produites immédiatement avant la présentation de la demande de citoyenneté?

[24]           Le juge a répondu par la négative à cette question. Il a souligné que la période pertinente commence le 18 novembre 2008, que Mme Cheema n’avait pas le statut de résidente permanente au début de la période pertinente et que sa première absence s’est produite 20 mois après le début de cette période. Le juge a indiqué que Mme Cheema a habité avec sa mère et sa sœur au Canada jusqu’au 3 octobre 2011 et qu’après son mariage (en décembre 2011), elle est allée vivre aux États-Unis avec son mari.

B.                 Où résident les personnes à charge et les membres de la famille immédiate du demandeur (et de la famille élargie)?

[25]           Le juge a noté que le mari et la fille de Mme Cheema vivent aux États-Unis, que sa mère et sa sœur vivent au Canada et sont des citoyennes canadiennes, qu’un de ses grands-parents, une tante et un oncle vivent au Canada, et que sa mère et son beau-père sont arrivés au Canada le 22 février 2016.

C.                 Les présences effectives du demandeur au Canada semblent-elles indiquer qu’il rentre chez lui ou qu’il revient au pays simplement en visite?

[26]           Le juge a conclu que du début de la période pertinente jusqu’au 3 octobre 2011, il est évident que Mme Cheema retournait à la maison, c’est-à-dire à la résidence de sa mère au Canada. Cependant, à partir du 3 octobre 2011, elle demeurait avec son mari, aux États-Unis. Le juge a noté qu’à partir de ce moment, elle a fait deux visites au Canada, de 46 et 21 jours respectivement, et a été absente du Canada pour un total de 311 jours.

D.                Quelle est la durée des absences réelles – s’il ne manque que quelques jours au demandeur pour atteindre le total de 1 095, il est plus facile de conclure à une résidence présumée que si ces absences étaient prolongées?

[27]           Le juge a souligné que Mme Cheema est en déficit de quatre jours pour satisfaire aux exigences. Toutefois, du 3 octobre 2011 au 22 novembre 2012, sauf pour deux courtes périodes, elle a été presque constamment absente du Canada, soit pour 311 jours.

E.                 L’absence réelle est-elle attribuable à une situation de toute évidence temporaire, comme avoir un emploi de missionnaire à l’étranger, y suivre un cours dans un établissement d’enseignement, accepter un emploi temporaire à l’étranger, accompagner un conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger?

[28]           Le juge décrit les absences du début de la période pertinente jusqu’au 3 octobre 2011 comme étant des absences temporaires, puisque Mme Cheema est alors retournée en Inde pour aider sa mère à vendre une propriété et a fait deux courtes visites aux États-Unis, de deux ou trois jours, pour rencontrer son fiancé du moment.

[29]           Le juge a conclu qu’à partir du 3 octobre 2011, les absences de Mme Cheema n’étaient plus temporaires. Il a noté que Mme Cheema est allée en Inde pour une durée de 82 jours pour se marier; que son mari vivait aux États-Unis depuis 2008, d’abord à titre d’étudiant, puis maintenant comme employé avec un permis de travail, qui peut être renouvelé ou non;  que suivant leur mariage, elle a commencé à vivre avec lui au Texas; finalement, qu’à l’été 2012, elle a obtenu un permis d’études aux États-Unis et s’est inscrite à des cours au Brookhaven College, au Texas.

[30]           Le juge a décrit les absences de Mme Cheema dans la dernière partie de la période pertinente comme étant de nature « temporaire de façon permanente », puisqu’elle étudiait aux États-Unis, mais qu’elle amorçait également une nouvelle vie avec son mari dans ce pays.

F.                  De quelle qualité sont les rapports du demandeur avec le Canada : sont-ils plus solides que ceux qu’il entretient avec un autre pays?

[31]           Le juge a estimé que les liens importants de Mme Cheema avec les États-Unis dépassaient ceux qu’elle avait avec le Canada pour les raisons suivantes : a) elle a cessé de maintenir une résidence au Canada; b) elle et son mari ont acheté une maison aux États-Unis; c) elle a changé son visa d’étudiant pour un visa de personne à charge; d) même si le mari de Mme Cheema a obtenu le statut de résident permanent, il n’existe aucun élément prouvant que des efforts ont été déployés pour s’établir au Canada dans un avenir rapproché; e) Mme Cheema est venue au Canada seulement pour son examen, la vérification de documents et son audience devant le juge, et a géré sa demande de citoyenneté à partir des États-Unis. Le juge a conclu que Mme Cheema avait pratiquement abandonné toute idée d’avoir une résidence au Canada lorsqu’elle s’est mariée.

[32]           En concluant son analyse, le juge a noté que Mme Cheema n’avait pas une longue histoire au Canada avant de devenir résidente permanente, que sa famille immédiate, son mari et son enfant vivaient aux États-Unis et que depuis le 3 octobre 2011, elle vivait avec sa famille aux États-Unis et visitait le Canada. Bien que son déficit ne soit pas important, il résultait du fait qu’elle s’est installée aux États-Unis après son mariage et qu’elle s’est bâti une nouvelle vie dans ce pays. Le juge a conclu qu’elle a brisé ses liens avec le Canada et que son niveau d’attachement aux États-Unis a été renforcé en raison de l’historique d’emploi de huit ans de son mari aux États-Unis, du changement de son statut dans ce pays et du fait qu’ils ont acheté une maison dans ce pays. Le juge a déterminé que Mme Cheema ne vit pas régulièrement, normalement et habituellement au Canada, et que son mode d’existence n’est pas centralisé au Canada.

[33]           Mme Cheema allègue que le juge a erré en tirant ces conclusions. Elle souligne que tous les membres de sa famille immédiate demeurent au Canada, sauf son mari, que son mari ne possède pas un statut de résident permanent aux États-Unis et qu’il n’existe pas d’éléments de preuve démontrant qu’elle ou son mari ait fait des démarches pour obtenir ce statut. Elle a indiqué que son mari était aux États-Unis seulement parce qu’il n’a pas été en mesure de se trouver un emploi adéquat au Canada et que son permis de travail temporaire était valide seulement jusqu’en octobre 2018. Mme Cheema soutient qu’il est illogique pour le juge de croire qu’elle devait être séparée et éloignée de son mari pour pouvoir maintenir son mode d’existence centralisé au Canada.

[34]           Mme Cheema soulève des arguments concernant l’examen du juge de chacune des questions proposées dans la décision Koo. Dans l’ensemble, ces arguments sont les suivants : il ne lui manquait que quelques jours pour atteindre le nombre de jours de présence effective requis (1 095 jours), elle avait complètement établi son mode d’existence centralisé au Canada avant d’aller rejoindre son mari aux États-Unis, elle est allée aux États-Unis par nécessité afin d’être avec son mari et d’étudier, et il s’agissait clairement d’une situation temporaire. Mme Cheema prétend qu’elle a l’intention de retourner au Canada, qu’aucune preuve contraire n’existe à cet effet et que la décision du juge ne satisfait pas aux exigences de justification et d’intelligibilité nécessaires pour être raisonnable conformément à l’arrêt Dunsmuir.

[35]           Les arguments de Mme Cheema sur cette question sont crédibles, en ce sens qu’un autre juge de citoyenneté aurait pu, en se basant sur les faits aux présentes, conclure que les circonstances entourant sa présence aux États-Unis correspondaient à une situation temporaire et que son mode d’existence continuait d’être centralisé au Canada. Cependant, je ne peux pas conclure que la décision du juge ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, ce qui serait nécessaire pour déterminer que la décision est déraisonnable conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir. En se fondant sur les principales conclusions indiquant que Mme Cheema réside aux États-Unis avec les membres de sa famille immédiate, qu’ils y ont acheté une propriété et qu’elle a essentiellement déménagé dans ce pays après son mariage, on constante que la conclusion du juge selon laquelle le mode d’existence de Mme Cheema n’était pas centralisé au Canada fait partie des issues raisonnables.

[36]           Pour arriver à cette conclusion, j’ai examiné les allégations de Mme Cheema concernant des erreurs particulières commises par le juge dans sa décision. Plus particulièrement, elle conteste le fait que le juge a répondu par la négative à la première question de la décision Koo, en concluant qu’elle n’était pas physiquement présente pour une longue période avant ses récentes absences. Mme Cheema soutient que le juge aurait dû conclure qu’elle était physiquement présente au Canada pour une longue période, puisqu’elle a vécu avec sa mère au Canada pendant trois ans suivant son immigration en 2008. Le défendeur reconnaît que le juge n’a probablement pas répondu correctement à cette question, mais il fait valoir que la décision montre clairement que le juge a bien compris les faits en l’espèce et que cette erreur n’affecte pas le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

[37]           Je suis d’accord avec la position du défendeur au sujet de cette erreur. À la lumière de sa dernière analyse, il est clair que le juge a compris que Mme Cheema vivait au Canada à la résidence de sa mère avant son mariage vers la fin de 2011. Si on se base sur l’analyse fournie à la fin de la décision, on peut penser que lorsque le juge a répondu « non » à la première question, il voulait indiquer que Mme Cheema n’avait pas une longue histoire au Canada avant de devenir une résidente permanente. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que la façon dont le juge a traité la première question de la décision Koo n’a pas affecté la décision globale au point de miner le caractère justifiable, intelligible et raisonnable de celle-ci.

[38]           Mme Cheema conteste également la façon dont le juge a caractérisé son absence du Canada après son mariage, en utilisant le terme « temporaire de façon permanente ». Il s’agit d’un terme inhabituel. Toutefois, il est clair que dans le contexte où le juge utilise le terme, c’est-à-dire dans son évaluation de la cinquième question du critère Koo et la décision dans son ensemble, il souhaite communiquer sa conclusion selon laquelle les faits démontrent que Mme Cheema a commencé une nouvelle vie avec son mari aux États-Unis vers la fin de 2011, de sorte que son absence physique ne pouvait être caractérisée comme une situation clairement temporaire, sur laquelle portait la cinquième question.

[39]           Mme Cheema a également signalé, à juste titre, certaines erreurs factuelles dans la décision. La première correspond à la mention par le juge d’une visite de 46 jours de Mme Cheema au Canada alors qu’il s’agissait d’une visite de 79 ou 80 jours, c’est-à-dire du 4 mars 2012 au 22 mai 2012. Je suis d’accord qu’il s’agit d’une erreur factuelle. Cependant, dans le même paragraphe, le juge conclut que Mme Cheema a été absente du Canada pendant 311 jours, du 3 octobre 2011 (lorsqu’elle est allée en Inde pour se marier) jusqu’à la fin de la période pertinente, le 22 novembre 2012. Ce calcul semble exact (avec de légères variations, selon que l’on compte le premier ou le dernier jour de chaque absence). Ainsi, la décision démontre que le juge a bien cerné la période cumulative d’absence de Mme Cheema au cours de cette période de temps, et je conclus que l’erreur factuelle liée à l’une des visites au Canada ne constitue pas une erreur importante justifiant une intervention de la Cour dans la décision.

[40]           De même, Mme Cheema souligne que le juge a fait une erreur en concluant que son mari avait un historique d’emploi de huit ans aux États-Unis, alors que dans les faits, il a d’abord étudié, puis ensuite travaillé au cours de cette période. Encore une fois, même s’il s’agit d’une erreur factuelle, d’autres parties de la décision démontrent que le juge comprenait que le mari de Mme Cheema a d’abord étudié aux États-Unis, avant d’y travailler. Je ne peux pas repérer, à un seul endroit de la décision, une mauvaise caractérisation pour la totalité de la période d’emploi qui représente une erreur importante minant le caractère raisonnable de la décision.

V.                Question à certifier

[41]           Mme Cheema propose la certification de la question suivante aux fins d’appel :

Le défendeur a-t-il excédé son pouvoir en établissant la directive de politique, et cette directive pour calculer les jours de résidence entre-t-elle en conflit avec l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

[42]           La référence à la directive de politique est liée aux instructions, dont l’effet a été analysé précédemment dans les motifs. Le défendeur s’oppose à la certification.

[43]           Je refuse de certifier la question, puisque la réponse ne serait pas déterminante aux fins d’appel. J’ai rejeté ce motif de contrôle judiciaire fondé sur l’argument de Mme Cheema, selon lequel la décision du juge était déraisonnable en ce qu’elle s’appuyait sur des instructions que le ministre n’avait pas le pouvoir d’établir. Ce rejet s’appuyait non seulement sur le fait que je suis d’accord avec la position du défendeur concernant le pouvoir d’établir des directives de politique, mais également parce que l’agent réviseur et le juge ont tous les deux adopté la même méthode que Mme Cheema pour calculer ses jours d’absence, et ont ajouté les jours supplémentaires aux absences non déclarées. Puisque ce motif  de contrôle judiciaire soulève un argument qui est en contradiction avec la propre approche que Mme Cheema a utilisée pour calculer ses absences dans le cadre de l’instance devant le juge, je conclus que la considération en appel de la question proposée ne modifierait pas la décision dans le présent contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-642-15

INTITULÉ :

AMANDEEP CHEEMA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 OCTOBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 20 OCTOBRE 2016

COMPARUTIONS :

Jaswant Sing Mangat

Pour la demanderesse

Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Professional Corporation

Avocats et notaires publics

Brampton (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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