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Date : 20161024


Dossier : IMM-5728-15

Référence : 2016 CF 1171

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ARTI WALIA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) qui vise à ce que le refus d’octroyer un permis de travail à une aide familiale soit examiné. L’agente des visas (l’agente) a en outre conclu que la demanderesse avait fait une fausse déclaration au sujet de son expérience de travail en violation de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Pour les motifs expliqués ci-dessous, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]               La demanderesse, une citoyenne de 37 ans de l’Inde, dans sa demande initiale (2013) de permis de travail, a fourni des documents décrivant ses études et sa formation, y compris un cours de formation de six mois pour bonnes d’enfants et un certificat de formation destinée aux monitrices de garderie éducative, une lettre de son soi-disant employeur, une école, qui indiquait qu’elle y avait travaillé comme enseignante.

[3]               Le 11 mars 2015, la demande a été rejetée parce que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques. La demanderesse a contesté cette décision lors du contrôle judiciaire et, avec le consentement du ministre, l’affaire a été renvoyée à l’agente des visas pour réexamen. Ce réexamen a eu lieu devant cette agente, qui a finalement interrogé la demanderesse le 26 mai 2015. Avant l’entrevue, l’agente avait demandé à ce que la demanderesse apporte certains documents à l’entrevue.

[4]               Bien que la demanderesse ait fourni une partie des renseignements demandés, elle n’a pas apporté deux documents requis par l’agente, à savoir les transcriptions de sa formation de bonne d’enfants et les fiches de salaire de son employeur. L’agente a interrogé la demanderesse au sujet de ses études, de son expérience de travail et de sa formation. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas fourni les bordereaux de paie, la demanderesse a répondu que son employeur la rémunérait en espèces et qu’elle ne déposait pas d’argent à la banque.

[5]               Après l’entrevue, l’agente a tenté de communiquer avec l’employeur en composant le numéro de téléphone fourni par la demanderesse, mais ces tentatives se sont avérées vaines. Le 19 juin 2015, la demanderesse a reçu une lettre relative à l’équité procédurale alléguant qu’elle n’avait pas fourni de renseignements véridiques, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 16(1) de la Loi. L’agente a noté que la demanderesse n’avait pas fourni les documents demandés à son entrevue et a remis en question la validité de ses études et de son emploi. L’agente a déclaré que les documents relatifs à l’emploi semblaient frauduleux et a indiqué qu’elle ne parvenait pas à communiquer avec l’employeur. L’agente a accordé trente jours supplémentaires à la demanderesse pour fournir une réponse.

[6]               La demanderesse a produit en réponse un affidavit dans lequel elle donnait des renseignements généraux sur son emploi : alors qu’elle ne pouvait pas expliquer pourquoi l’agente n’était pas en mesure de communiquer avec l’école par téléphone, elle a fourni des factures de téléphone indiquant que le numéro de téléphone associé à l’école était toujours en service. En outre, la demanderesse a réitéré qu’il n’y avait pas de bordereaux de paie puisqu’elle avait été rémunérée en espèces. À la place, elle a fourni d’autres documents relatifs à son emploi, notamment le registre des employés de l’école, des photographies d’elle en train d’enseigner et un document censé prouver le statut du directeur. Enfin, la demanderesse a invité l’agente à se rendre à l’école et a fourni les coordonnées des parents de deux de ses élèves.

[7]               En réponse à l’affidavit de la demanderesse, deux représentants du bureau des visas (y compris l’agente) se sont rendus à l’adresse du soi-disant employeur le 16 octobre 2016, en début de matinée. L’adresse de l’employeur (école) était celle d’une maison située dans un quartier résidentiel. La maison ne présentait aucune enseigne indiquant qu’il s’agissait d’une école – seulement celle d’une clinique dentaire.

[8]               Les représentants du bureau des visas ont sonné à la porte et M. Singh, qui s’est présenté comme étant le principal, a répondu et leur a dit que les cours commençaient à 10 h. M. Singh a montré aux représentants du bureau des visas une pièce et a indiqué que c’était dans celle-ci que les élèves suivaient les cours. L’agente a cependant fait observer que la salle était totalement dépourvue de livres, de crayons de couleur, de jouets et de mobilier scolaire. M. Singh a déclaré que les élèves apportaient leur propre matériel à l’école.

[9]               Les représentants du bureau des visas ont également parlé avec des voisins. La première personne interrogée a indiqué qu’elle savait que les occupants de la maison dirigeaient une école, mais qu’elle ne savait pas où se trouvait cette école et ignorait que des cours étaient donnés dans la maison en face de la sienne. Le second voisin, qui habite à côté de la maison en question, a indiqué qu’il s’agissait d’une clinique dentaire et non d’une école, car il n’avait jamais vu d’enfants suivre des cours dans cette maison.

[10]           Le passage pertinent de la lettre de refus du 28 octobre 2015 stipule ce qui suit : [traduction]

À la suite d’une visite sur place, nous avons déterminé que vous ne travailliez pas à la Baby Model School située à la maison 1144, Sec44B Chandigarh... Vous appartenez à la catégorie des personnes interdites de territoire tel que prévu par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Par conséquent, vous êtes interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa suivant... alinéa 40(1)a) : directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi.

Les notes inscrites par l’agente dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] donnent plus de détails concernant les motifs :

[11]           Le dossier de la demanderesse pour le présent contrôle judiciaire comprend deux affidavits de parents d’enfants qui ont fréquenté l’école et un affidavit d’un autre enseignant. Ces trois affidavits sont annexés à un affidavit à l’appui de l’avis de requête, qui a été signé par un parajuriste du cabinet d’avocats représentant la demanderesse. Il ne semble pas que ces affidavits aient été présentés à l’agente. En tout état de cause, ils ne modifient pas l’analyse ci-dessous.

II.                Questions en litige et analyse

[12]           La demanderesse a soulevé trois questions. Tout d’abord, elle prétend qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale en raison du fait que l’agente n’a pas procédé à une visite détaillée des lieux et qu’elle n’a pas fourni d’explication adéquate pour les préoccupations découlant de la visite. Ensuite, elle fait valoir que les conclusions en matière de fausse déclaration sont déraisonnables. Enfin, elle prétend que les motifs sont inadéquats.

[13]           La norme de contrôle est celle de la décision correcte pour la première question et celle du caractère raisonnable pour les deux autres : l’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43), tandis que la norme de la raisonnabilité s’applique aux contestations des conclusions de fausses déclarations importantes (Seraj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 38, au paragraphe 11) et du caractère suffisant des motifs (Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1083).

A.                Manquement à l’équité procédurale

[14]           La demanderesse conteste le caractère équitable de la visite sur place en raison de son manque de rigueur, notamment le fait qu’il n’y a pas eu de visite de la salle de classe proprement dite, seulement du bureau du soi-disant principal; le fait que les affiches commerciales étaient interdites par la législation résidentielle locale; le fait que le registre scolaire aurait dû être passé en revue; et le fait qu’il aurait fallu attendre l’heure de début des cours. La demanderesse fait également valoir qu’il existait une obligation de lui donner l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées par la visite à l’adresse du soi-disant employeur en s’appuyant principalement sur la décision Sidhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 419.

[15]           Je ne crois pas que la décision Sidhu oblige l’agente à fournir une autre occasion pour que les exigences de la Loi soient satisfaites. En l’espèce, la demanderesse n’a pas réussi à convaincre l’agente, en dépit de deux occasions qui lui avaient été offertes, à savoir dans le cadre de sa demande initiale, puis dans la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Ces occasions ont fourni à la demanderesse les garanties procédurales nécessaires. L’agente a ensuite décidé de visiter l’école, ce qu’elle n’était pas obligée de faire alors qu’elle était insatisfaite de la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. L’agente a évidemment décidé d’agir de la sorte par souci d’équité envers la position de la demanderesse. Cette visite sur place s’est révélée insatisfaisante.

[16]            L’équité procédurale n’offre pas aux demandeurs des possibilités infinies de plaider leur cause ou de supprimer les doutes. En l’espèce, la visite de l’agente a confirmé les préoccupations communiquées précédemment. Le fait d’exiger, aux fins d’équité, des demandeurs qu’ils fournissent d’autres observations au sujet de chaque question de crédibilité soulevée, après leur avoir déjà offert diverses occasions de dissiper les préoccupations en matière de fraude, donnerait lieu à un cycle sans fin de requêtes et de réponses.

[17]           Il doit y avoir un certain caractère définitif pour le processus de demande d’immigration : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 626, au paragraphe 4, 1998 CanLII 7835 (CF 1re inst.); il incombe au demandeur de satisfaire aux exigences du régime législatif. Le fardeau ne peut pas être renversé de sorte qu’un agent ait l’obligation constante d’informer le demandeur d’une nouvelle chance de répondre à toute question persistante ou à toute préoccupation sans réponse. Comme l’a déclaré le juge Russell dans la décision Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526, au paragraphe 52, « il revient aux demandeurs de présenter des demandes qui sont convaincantes et qui prévoient les inférences défavorables qui peuvent être tirées des éléments de preuve et des conditions locales et de répondre à celles‑ci ».

[18]           En l’espèce, l’agente a fourni à la demanderesse des occasions de dissiper les inquiétudes, mais elle n’était toujours pas satisfaite des résultats. Les possibilités d’équité étaient suffisantes, comme c’était le cas pour les décisions Talpur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25, au paragraphe 26, et Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 463.

B.                 Caractère substantiel des fausses déclarations

[19]           La demanderesse conteste les conclusions de l’agente en ce qui concerne les fausses déclarations importantes. L’alinéa 40(1)a) de la Loi précise les cas dans lesquels un demandeur est interdit de territoire pour fausse déclaration :

40(1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi

40(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation:

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act.

[20]           En l’espèce, les préoccupations ont découlé d’un élément central de la demande, à savoir les antécédents de travail de la demanderesse. Le critère de l’expérience de travail est assurément pris en considération aux termes du sous-alinéa 112c)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 :

12. Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l’étranger se conforme aux exigences suivantes :

[…]

c) il a la formation ou l’expérience ci-après dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé:

[…]

(ii) une année d’emploi rémunéré à temps plein — dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur — dans ce domaine ou cette catégorie d’emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

12. A work permit shall not be issued to a foreign national who seeks to enter Canada as a live-in caregiver unless they

[…]

c) have the following training or experience, in a field or occupation related to the employment for which the work permit is sought, namely,

[…]

(ii) completion of one year of full-time paid employment, including at least six months of continuous employment with one employer, in such a field or occupation within the three years immediately before the day on which they submit an application for a work permit;

[21]            Comme il a été dit récemment dans la décision Goburdhun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 28, « une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante. Elle est importante si elle a une incidence sur le processus » (Goburdhun, au paragraphe 28). Les conclusions de l’agente quant au caractère substantiel et aux fausses déclarations étaient raisonnables.

C.                 Le caractère approprié des motifs de l’agente

[22]           Enfin, les motifs invoqués par l’agente étaient adéquats. Dans la décision Solopova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690, le juge Gascon a abordé la norme de la décision raisonnable telle qu’elle s’appliquait aux décisions des agents des visas :

[32]      Selon la norme, la décision doit être raisonnable, et non parfaite. Même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur et des conclusions tirées par ce dernier relativement à la crédibilité, dans la mesure où la Cour est capable de comprendre le fondement de la décision. J’ajoute que le devoir d’un agent des visas de motiver sa décision de rejeter une demande de permis de séjour temporaire est minime et se situe à l’extrémité inférieure du registre.

[23]           Outre ces observations, un agent des visas n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve contraire à sa conclusion définitive (Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1083, au paragraphe 34).

[24]           En résumé, j’estime que les motifs de l’agente sont suffisamment justifiables, transparents et intelligibles pour expliquer pourquoi l’agente a conclu que la demanderesse avait fait une fausse déclaration au sujet de son expérience professionnelle. Bien que la demanderesse fasse observer à juste titre que l’agente n’a pas mentionné expressément son affidavit dans la lettre de refus, les notes du SMGC indiquent clairement que l’agente l’a fait. Les notes du SMGC expliquent en outre de façon très détaillée pourquoi l’agente n’était pas satisfaite de la visite sur place, y compris l’absence totale de preuve dans la maison et la confirmation des soupçons de la part des voisins. Après tout, les notes du SMGC font partie des motifs (Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1083, au paragraphe 22).

[25]           Les motifs de l’agente, dans le contexte du dossier (c.-à-d. les préoccupations initiales de l’agente, l’affidavit de la demanderesse et la visite de suivi), sont raisonnables et la conclusion relative à une fausse déclaration appartenait aux issues possibles acceptables pour l’agente.

III.             Conclusion

[26]           À la lumière de tout ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.      la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5728-15

INTITULÉ :

ARTI WALIA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 24 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Deepak Gautam

Pour la demanderesse

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gautam & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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