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Date : 20161024


Dossier : T-2051-15

Référence : 2016 CF 1187

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ERICA BONNICK

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Mme Erica Bonnick, travaillait pour les services aéroportuaires à l’Aéroport international Lester B. Pearson. Afin de pouvoir conserver son emploi, la demanderesse devait obtenir une habilitation de sécurité en matière de transport [HST] auprès de Transports Canada; elle a donc présenté une demande en ce sens en janvier 2014.

[2]               Dans une décision datée du 29 octobre 2015, le directeur général, Sûreté aérienne, Transports Canada, agissant au nom du ministre des Transports [le ministre], a rejeté la demande d’habilitation de sécurité de Mme Bonnick. Dans sa décision, le ministre a mentionné les liens que Mme Bonnick avait entretenus avec deux individus au lourd casier judiciaire qui étaient membres de gangs de rue impliqués dans de graves activités criminelles, et ces liens, toujours selon le ministre, soulevaient des préoccupations quant au jugement, à l’honnêteté et à la fiabilité de la demanderesse.

[3]               Mme Bonnick présente une demande de contrôle judiciaire à l’encontre du rejet de sa demande, sollicitant ainsi la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire pour un nouvel examen. Plus précisément, Mme Bonnick allègue : (1) que les principales conclusions qui sous‑tendent la décision ne s’appuient sur aucun fondement rationnel, que ses observations n’ont pas été pleinement prises en compte et que le décideur n’a pas tenu compte de la nature passée et passagère de ses liens avec les personnes d’intérêt, ce qui rend la décision déraisonnable; et (2) qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, car elle n’a pas eu la possibilité de réfuter les allégations de liens toujours présents, allégations qui ont contribué au rejet de sa demande.

[4]               Dans l’examen de cette demande, j’examinerai les deux questions suivantes :

A.                 La décision de refuser d’accorder une habilitation de sécurité en matière de transport était-elle raisonnable?

B.                 Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[5]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la décision était raisonnable et qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. La présente demande est rejetée.

II.                Rappel des faits

A.                Le processus d’habilitation de sécurité en matière de transport (HST)

[6]               En vertu de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 [Loi sur l’aéronautique], le ministre des Transports peut « accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité ».

[7]               Selon l’article 165 du Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011‑318 [le Règlement], toute personne qui, dans le cadre de son emploi, doit avoir accès à une zone réglementée à l’intérieur d’un aérodrome doit être titulaire d’une carte d’identité de zones réglementées [CIZR] ou être en possession d’un autre document autorisant cet accès. L’article 146 du Règlement énonce les différents critères à respecter pour obtenir une CIZR. L’un de ces critères concerne la délivrance d’une habilitation de sécurité en matière de transport.

[8]               Les habilitations de sécurité en matière de transport sont régies par le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [PHST], un programme mis en place par Transports Canada pour guider la délivrance, la suspension, le refus et l’annulation des habilitations de sécurité en matière de transport. L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré de toute personne dans les circonstances prescrites. Ces circonstances incluent une situation où le ministre a des motifs raisonnables de croire, selon la prépondérance des probabilités, qu’un individu pourrait être sujet ou incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile ou encore à aider ou à encourager une autre personne à commettre un tel acte.

[9]               Le traitement d’une demande d’habilitation de sécurité en matière de transport comporte une vérification en profondeur des antécédents de la personne. Lorsque cette vérification met en lumière des inquiétudes quant à l’aptitude du candidat, un organisme consultatif passe en revue l’information pertinente et formule une recommandation au ministre. Avant que l’organisme consultatif entreprenne son examen, les renseignements concernant les préoccupations soulevées sont communiqués au candidat et celui-ci est invité à y répondre.

B.                 Demande de Mme Bonnick

[10]           Mme Bonnick a présenté sa demande d’habilitation de sécurité en matière de transport en janvier 2014. Durant la vérification des antécédents de Mme Bonnick conformément au PHST, Transports Canada a obtenu le rapport du service de police concernant la vérification des antécédents judiciaires de Mme Bonnick. Ce rapport faisait état d’un incident en 2004 et d’un autre en 2011, liant Mme Bonnick à deux individus connus des services policiers. Le rapport précisait qu’un de ces individus avait un lourd casier judiciaire et qu’il était membre d’un gang de rue. Le rapport mentionnait également que le deuxième individu était aussi membre d’un gang de rue et qu’il avait été accusé de divers crimes, mais n’avait jamais été reconnu coupable.

[11]           Transports Canada a écrit à Mme Bonnick en février 2015 pour l’aviser des préoccupations à son sujet et lui communiquer les renseignements contenus dans le rapport de vérification de ses antécédents judiciaires. Mme Bonnick a été invitée à fournir de plus amples renseignements sur les circonstances entourant les incidents en question, ainsi que toute autre information pertinente, notamment toutes circonstances atténuantes.

[12]           Mme Bonnick a envoyé deux courriels en réponse à la lettre de février 2015. Ces deux courriels étaient essentiellement identiques. Mme Bonnick a mentionné que l’incident de 2004 s’était produit alors qu’elle conduisait la voiture de son petit ami de l’époque, dont elle ignorait l’étendue du passé criminel. Quant à l’incident de 2011, elle a déclaré qu’elle n’était alors qu’une des quatre personnes présentes dans la voiture et qu’elle ne connaissait pas le conducteur, qui était le petit ami de son amie et la personne d’intérêt des services policiers. Elle a aussi indiqué la mention suivante : [traduction] « Je suis aujourd’hui beaucoup plus avisée [...] Je ne fréquente plus aucune des personnes mentionnées dans cette lettre. »

[13]           En juin 2015, l’organisme consultatif a conclu qu’il y avait lieu de croire, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Bonnick pourrait être sujette ou incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile ou encore à aider ou à encourager une autre personne à commettre un tel acte, en raison de ses liens connus avec deux membres de gangs de rue impliqués dans des activités criminelles. L’organisme a indiqué ce qui suit : [traduction« En raison des relations que la demanderesse a entretenues à deux (2) occasions, à sept ans d’intervalle, avec des membres de gangs de rue impliqués dans des activités criminelles, l’organisme consultatif estime qu’elle a maintenu des liens avec ces personnes durant toute cette période. » L’organisme a ajouté que les observations de Mme Bonnick n’avaient pas fourni suffisamment de renseignements pour dissiper ses inquiétudes et il recommandait le rejet de la demande d’HST.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[14]           Le 29 octobre 2015, le ministre a accepté la recommandation de l’organisme consultatif et rejeté la demande de Mme Bonnick, invoquant les motifs suivants à l’appui de sa décision :

[traduction

Les renseignements indiquant des liens entre la demanderesse et deux (2) personnes au lourd casier judiciaire, qui sont membres de gangs de rue impliqués dans de graves activités criminelles, soulèvent des préoccupations quant à son jugement, son honnêteté et à sa fiabilité. Je souligne qu’à deux (2) occasions, soit en 2004 et en 2011, la demanderesse a été vue par les services policiers en compagnie de membres de gangs de rue qui cumulaient au total 35 accusations et condamnations au criminel liées à des actes de violence, à des armes, à des vols et à un manque de respect envers l’autorité. Je note que la demanderesse a indiqué que la personne d’intérêt en 2004 était à l’époque son petit ami. Je note également que les relations qu’entretient la demanderesse ne sont pas occasionnelles et qu’elles concernent des personnes qui sont membres de gangs de rue. Après avoir examiné tous les renseignements versés au dossier, j’ai des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse pourrait être sujette ou incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile ou encore à aider ou à encourager une autre personne à commettre un tel acte. Je remarque enfin que les observations de la demanderesse ne contenaient pas suffisamment de renseignements pour dissiper mes préoccupations.

IV.             Question préliminaire

[15]           Le défendeur prétend que Mme Bonnick a soumis à la Cour des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur initial. Selon le défendeur, ces nouveaux éléments de preuve n’appartiennent à aucune des exceptions autorisant l’admission de nouveaux éléments de preuve à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire; ils ne sont donc pas pertinents.

[16]           Ces éléments de preuve consistent en trois phrases énoncées aux paragraphes 8 et 9 de l’affidavit de Mme Bonnick. Plus précisément, ces éléments de preuve indiquent que Mme Bonnick est la principale pourvoyeuse de soins à deux jeunes enfants dont elle a la charge et que le rejet de sa demande a eu des répercussions considérables sur elle et sa famille; ils décrivent également les changements dans ses conditions de vie et de logement et notent que les services aéroportuaires seraient prêts à réexaminer son emploi si la décision concernant la demande d’HST était annulée.

[17]           L’avocat de Mme Bonnick fait valoir qu’il ne s’agit pas de nouveaux éléments de preuve, mais plutôt de renseignements auxquels il est implicitement et explicitement fait référence dans le dossier qui a été présenté à la Cour. C’est peut-être le cas, car ces renseignements concernent le fait que Mme Bonnick est mère de deux enfants et la perte de son emploi à la suite du rejet de sa demande; cependant, les éléments de preuve vont plus loin que cela. Ils décrivent les répercussions de la perte de son emploi sur ses conditions de logement ainsi que la possibilité pour la demanderesse d’être réembauchée. Ce sont tous des renseignements nouveaux.

[18]           Je ne peux conclure que ces nouveaux renseignements appartiennent à l’une des trois exceptions définies dans l’arrêt Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paragraphes 19 à 27; de plus, l’avocat de Mme Bonnick n’a pas fait valoir que ces éléments de preuve devraient être considérés comme une autre exception pour le motif que la liste des exceptions n’était pas close (Bernard, au paragraphe 19). Je suis également d’avis que les éléments de preuve ne sont pas pertinents pour l’examen des questions en litige dans la présente demande. Les répercussions de la décision sur l’emploi ou sur la vie personnelle de Mme Bonnick sont manifestement importantes à ses yeux, mais ne concernent en rien la question de la sûreté aérienne (Doan c. Canada (Procureur général), 2016 CF 138, au paragraphe 28). Ces éléments de preuve ne seront donc pas pris en compte pour examiner le bien-fondé de la demande. J’en ai toutefois tenu compte pour étudier la question des dépens.

V.                Norme de contrôle

[19]           Le pouvoir discrétionnaire du ministre de refuser d’accorder une habilitation de sécurité à Mme Bonnick doit être examiné en fonction de la norme de la décision raisonnable (Christie c. Canada (Transport), 2015 CF 210 [Christie], au paragraphe 16).

[20]           La jurisprudence reconnaît que : (1) la décision du ministre de délivrer ou de refuser une habilitation de sécurité en vertu de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique est une décision de nature hautement discrétionnaire; (2) que le ministre jouit d’une grande marge d’appréciation dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire (Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, au paragraphe 30, citant Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56) et (3) que la Cour, au moment d’évaluer le caractère raisonnable d’une décision, doit décider si celle-ci est transparente, justifiable et intelligible (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2009 CSC 8 [Dunsmuir], au paragraphe 47).

[21]           Les observations de Mme Bonnick concernant le manquement à l’équité procédurale seront évaluées en fonction de la norme de la décision correcte (Christie, au paragraphe 17). Le niveau d’équité en pareils cas se limite « au droit de connaître les faits reprochés contre [le demandeur] et au droit de faire des représentations à l’égard de ces faits » (Sylvester c. Canada (Procureur général), 2013 CF 904, au paragraphe 11, citant Pouliot c. Canada (Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2012 CF 347, et Rivet c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au paragraphe 25).

VI.             Analyse

A.                La décision de refuser d’accorder une habilitation de sécurité en matière de transport était-elle raisonnable?

[22]           Mme Bonnick prétend que la décision du ministre est déraisonnable, citant trois erreurs à l’appui :

                                i.            L’absence de fondement rationnel dans les éléments de preuve invoqués à l’appui de deux conclusions importantes. Premièrement, la déclaration de l’organisme consultatif selon laquelle les liens passés que Mme Bonnick a entretenus à deux occasions, à sept ans d’intervalle, avec des personnes impliquées dans des activités criminelles et membres de gangs de rue ont amené l’organisme consultatif à croire que Mme Bonnick [traduction] « a maintenu des liens avec ces personnes durant toute cette période » et, deuxièmement, la conclusion du ministre voulant que les liens de Mme Bonnick avec ces personnes ne soient pas « occasionnels ».

                              ii.            Le défaut du ministre de tenir compte des observations formulées par Mme Bonnick dans les deux courriels de réponse envoyés à Transports Canada, s’appuyant sur le jugement rendu par la Cour dans la décision Ho c. Canada (Procureur général), 2013 CF 865 [Ho];

                            iii.            Le défaut du ministre d’expliquer en quoi les relations passées de Mme Bonnick permettent raisonnablement de croire que la demanderesse pourrait présenter un risque futur pour la sûreté aérienne.

(1)               Absence de fondement rationnel

[23]           Il était raisonnablement loisible au ministre de tirer les conclusions de fait formulées à l’appui de sa décision. Les éléments de preuve montrent qu’en 2004 Mme Bonnick était engagée dans une relation avec un individu qui avait un lourd casier judiciaire s’échelonnant sur une période de 15 ans. Ce casier faisait notamment état d’infractions avec violence et d’infractions liées à la possession et à l’utilisation d’armes. De plus, son petit ami de l’époque y est décrit comme un membre connu d’un gang de rue dont la principale activité criminelle consistait en la distribution de crack.

[24]           Sept ans plus tard, Mme Bonnick a de nouveau été vue dans une voiture qui se trouvait dans l’entrée d’une résidence connue pour être fréquentée par des personnes impliquées dans le trafic de drogue. Lorsque cette voiture a été interceptée, Mme Bonnick était l’un des passagers, en compagnie de trois autres personnes. Dans son rapport, la police a mentionné que le conducteur de la voiture avait été accusé d’infractions graves comportant l’utilisation d’armes et qu’il était également membre d’un gang de rue impliqué dans des activités criminelles liées aux armes et à la drogue.

[25]           Mme Bonnick invoque son âge pour excuser ces relations. Elle était toutefois d’âge adulte en 2004 et en 2011. La personne d’intérêt dans l’incident de 2004 était sans conteste son petit ami. La personne d’intérêt dans l’incident de 2011, que la demanderesse a affirmé ne pas connaître, était le petit ami d’une amie et elle était dans la voiture qu’il conduisait, en compagnie de son amie et d’une autre personne. La demanderesse n’a pas contesté ces liens.

[26]           C’est sur la base de ces éléments de preuve que l’organisme consultatif en est venu à conclure que Mme Bonnick avait maintenu des liens avec ces individus et que ces liens n’étaient pas occasionnels.

[27]           Même si Mme Bonnick conteste ces conclusions, et que d’autres conclusions raisonnables auraient peut-être pu être tirées de ces éléments de preuve, ni cette divergence d’opinion ni l’existence d’autres interprétations raisonnables des éléments de preuve ne rendent les conclusions déraisonnables.

(2)               Défaut de tenir compte des observations

[28]           Mme Bonnick souligne que le ministre s’est contenté de dire que les observations par courriel qu’elle a envoyées à Transports Canada ont été prises en compte et ont été jugées insuffisantes pour dissiper ses préoccupations. Mme Bonnick soutient que cela ne suffit pas. Elle prétend qu’il était de l’obligation de l’organisme consultatif et du ministre de tenir compte du fait qu’elle avait dit ignorer l’étendue du passé criminel de son ancien petit ami, qu’elle ne connaissait pas la personne d’intérêt en cause dans l’incident de 2011 et qu’elle ne fréquente plus aucune de ces deux personnes. S’appuyant sur la décision rendue par le juge Sean Harrington dans l’affaire Ho, Mme Bonnick allègue que la décision peut être jugée déraisonnable si rien n’indique que les renseignements ont été pris en compte.

[29]           Dans l’affaire Ho, le demandeur a fourni ce que le juge Harrington a qualifié de « deux lettres détaillées comportant des pièces jointes » pour dissiper les préoccupations. Dans cette affaire, le demandeur avait invité l’organisme consultatif à examiner d’autres renseignements, une invitation que l’organisme a déclinée selon le juge Harrington. C’est dans ces circonstances que le juge Harrington a conclu qu’il était déraisonnable pour le ministre de conclure, sans autre information, que les explications ne renfermaient pas suffisamment d’information pour dissiper les préoccupations. Je conviens avec le défendeur que la situation est totalement différente en l’espèce.

[30]           Mme Bonnick n’a pas fourni d’explication détaillée pour dissiper les préoccupations. Elle n’a envoyé que deux courriels, chacun d’une longueur de quatre paragraphes et contenant essentiellement les mêmes renseignements. Or, les renseignements qu’elle a présentés n’ont pas permis de contredire les faits préoccupants, à savoir ses relations passées avec des membres de gangs de rue, des relations qui, par définition, soulèvent un risque en matière de sécurité (Kaczor c. Canada (Transport), 2015 CF 698 [Kaczor], au paragraphe 33, renvoyant à Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160).

[31]           Dans la lettre de décision, le ministre a pris acte des observations de Mme Bonnick, a fait référence à ces observations lorsqu’il a mentionné que la personne d’intérêt dans l’incident de 2004 était le petit ami de la défenderesse et a conclu que les renseignements n’étaient pas suffisants pour dissiper ses préoccupations. Le ministre n’a pas commis d’erreur en n’examinant pas séparément les déclarations imprécises de Mme Bonnick.

(3)               Risque futur

[32]           Mme Bonnick soutient que le défaut du ministre d’expliquer pourquoi ses relations passées présentent un risque futur pour la sécurité mine la transparence, le caractère justifiable et l’intelligibilité de la décision. Là encore, je ne partage pas son avis.

[33]           Comme l’a fait remarquer la juge Gleason dans la décision Kaczor, le simple passage du temps ou l’absence de comportement criminel de la part d’un demandeur n’élimine pas la nécessité d’examiner les risques futurs en fonction des relations passées (paragraphes 32 et 33).

[34]           Dans la décision Christie, le demandeur avait été impliqué dans des incidents qui remontaient à 2007 et il n’avait jamais été reconnu coupable d’un crime. En examinant la question des relations passées, le juge Peter Annis a déclaré ce qui suit au paragraphe 25 :

Même si cela peut sembler excessivement sévère aux yeux du demandeur, qui s’est bien conduit depuis qu’il a cessé de fréquenter les milieux interlopes, en 2007, le ministre est autorisé à se fonder sur de tels événements, car il dispose du pouvoir discrétionnaire de refuser une habilitation de sécurité en fonction d’un critère peu exigeant, c’est-à-dire la possibilité que le demandeur commette un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. La Cour ne peut substituer sa propre opinion à celle de personnes d’expérience dans ce domaine. La Cour fédérale a confirmé semblables décisions à maintes reprises par le passé. [Souligné dans l’original.]

[35]           Je suis d’accord avec l’évaluation du juge Annis. Le ministre jouit d’un large pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique. Dans l’exercice de ce pouvoir, le ministre doit nécessairement se baser sur la conduite antérieure pour évaluer le risque futur. Qui plus est, cette évaluation du risque futur doit tenir compte non seulement du risque que le demandeur nuise personnellement à la sûreté aérienne, mais également du risque que le demandeur aide d’autres personnes à le faire.

[36]           La décision satisfait aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

(4)               Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[37]           Mme Bonnick soutient qu’elle avait droit à un niveau élevé d’équité procédurale, compte tenu des répercussions qu’a eu la décision sur son emploi. Elle prétend que l’habilitation de sécurité en matière de transport lui a été refusée, parce qu’on croyait qu’elle avait continué d’entretenir des liens avec les personnes d’intérêt durant toute la période comprise entre 2004 et 2011, une allégation à laquelle elle n’aurait pas eu la possibilité de répondre. Je ne suis pas d’accord.

[38]           L’obligation d’équité procédurale est faible dans le contexte de l’habilitation de sécurité (Pouliot c. Canada (Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2012 CF 347 [Pouliot], au paragraphe 9). Et même si la norme pouvant s’appliquer à la révocation ou au non‑renouvellement d’une habilitation de sécurité existante est légèrement plus rigoureuse, elle demeure néanmoins minimale (Pouliot, au paragraphe 10). L’équité procédurale n’inclut pas la possibilité de réfuter les conclusions qui découlent de la conduite d’une personne d’après les renseignements à l’étude, ou de répondre à ces conclusions; en l’espèce, ces renseignements incluent les propres observations de Mme Bonnick (Pouliot, au paragraphe 14).

[39]           Mme Bonnick a été parfaitement informée des préoccupations de Transports Canada à son égard et une occasion équitable lui a été donnée d’y répondre. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

VII.          Conclusion

[40]           En l’espèce, il incombait à Mme Bonnick de dissiper les préoccupations soulevées à son égard, ce qu’elle aurait eu l’occasion de faire en répondant à la lettre de février 2015, mais qu’elle a omis de faire dans ses réponses envoyées en mars 2015 (Charlebois c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1098, au paragraphe 10). Il m’est donc impossible de conclure que la décision était déraisonnable ou qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. La demande est rejetée.

[41]           Mme Bonnick allègue qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés en l’espèce. Elle soutient que la demande a été présentée de bonne foi, mentionne sa situation actuelle et note qu’elle a dû faire appel à un avocat bénévole pour plaider sa cause devant la Cour. Pour sa part, le défendeur demande que des dépens lui soient accordés.

[42]           Compte tenu de la situation de Mme Bonnick et du fait que l’adjudication de dépens relève d’un pouvoir discrétionnaire, je n’accorderai pas de dépens.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-2051-15

 

INTITULÉ :

ERICA BONNICK c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Pam Hrick

 

Pour la demanderesse

 

Matthew Parker

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stockwoods LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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