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Date : 20161006


Dossier : IMM-1548-16

Référence : 2016 CF 1124

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

BALJIT KAUR DHUDWAL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Baljit Kaur Dhudwal, une résidente permanente du Canada, a épousé un ressortissant indien, Jagdeep Singh Dhillon, en Inde. Elle a par la suite tenté de le parrainer à titre de conjointe. Se fondant sur l’article 4 du Règlement sur l’immigration, un agent des visas a rejeté la demande de Mme Dhudwal au motif que le mariage n’était pas authentique et qu’il avait été contracté essentiellement en vue de l’acquisition d’un statut ou d’un privilège conféré par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[2]               Elle a interjeté appel de cette décision auprès de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La commissaire a refusé l’appel au motif que le mariage avait été contracté à seule fin d’acquérir un statut ou un privilège conféré par la LIPR. S’agissant de deux questions disjonctives, la commissaire a jugé qu’il était inutile de déterminer si le mariage était authentique. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[3]               Immédiatement après l’audience d’hier, j’ai déclaré que j’accueillerais le contrôle judiciaire et que je renverrais l’affaire à un autre commissaire de la SAI pour réexamen. J’expose les motifs de ma décision ci-après.

[4]               La cause porte sur une affaire familiale de mariage arrangé. Pour me permettre de mieux comprendre la décision visée par le contrôle, j’ai dressé une liste des acteurs en cause.

[5]               En février 2007, la demanderesse, Mme Dhudwal, a épousé son premier mari, Vahadar Singh Dhudwal, en Inde. Il était un résident permanent du Canada, alors qu’elle habitait en Inde. Il l’a parrainée au titre de la catégorie du regroupement familial. Elle est devenue résidente permanente du Canada en juin 2008. Peu de temps après, elle et son mari se sont séparés.

[6]               Il est difficile de savoir depuis combien de temps ils étaient au Canada avant la séparation.

[7]               M. Dhudwal a écrit une lettre aux autorités pour dénoncer le caractère inauthentique du mariage et alléguer que Mme Dhudwal l’avait épousé pour obtenir un avantage en matière d’immigration. Il y a eu enquête. Selon Mme Dhudwal, elle et son premier mari se sont séparés parce qu’il était un ivrogne et un toxicomane. Les autorités ont tranché que la preuve était trop maigre pour engager une poursuite.

[8]               Le divorce de la demanderesse et de M. Dhudwal a été prononcé par voie d’une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en décembre 2010.

[9]               Baljinder Dhillon, également résident permanent du Canada, est marié à la sœur de M. Dhudwal. Selon des allégations de triple ouï-dire, la demanderesse et M. Baljinder Dhillon ont déjà été fiancés, ce que la demanderesse dément.

[10]           Hardeep Kaur, la tante maternelle de la demanderesse, a agi comme intermédiaire entre les parties au mariage en cause.

I.                   Décision

[11]           Dans ses motifs, la commissaire de la SAI établit ce qui suit :

(a)   Les antécédents conjugaux du mari et de la femme semblent incompatibles, car elle était divorcée et lui était célibataire. L’importance de cette incompatibilité est accentuée par les autres questions et réserves soulevées par cette affaire.

(b)   Le premier mariage en était un de convenance, même si la preuve insuffisante à la disposition des autorités ne leur a pas permis de tirer cette conclusion.

(c)   Baljinder Dhillon était un parti mieux assorti à la demanderesse.

(d)  Aucune explication satisfaisante n’a été fournie sur la question de savoir pourquoi Mme Dhudwal et son mari actuel, M. Jagdeep Singh Dhillon, n’avaient pas été considérés comme des partenaires compatibles ou potentiels à l’époque du premier mariage de Mme Dhudwal, en 2007. Ni le mari ni la femme n’ont fourni d’éléments de preuve suffisants et crédibles justifiant la précipitation du mariage et démentant les assertions selon lesquelles eux et leurs familles respectives ont approuvé le mariage essentiellement à des fins d’immigration.

II.                Norme de contrôle

[12]           Il est de jurisprudence constante que la norme applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Qu’entend-on par « décision raisonnable »? La Cour suprême enseigne qu’il existe trois normes de contrôle, savoir celle de la décision correcte, celle de la décision raisonnable et celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, la Cour suprême énonce la norme de la décision raisonnable et précise qu’est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen poussé.

[13]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9, la Cour suprême abolit la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Voici comment la Cour explique ce choix aux paragraphes 46 et 47 :

[46] En quoi consiste cette nouvelle norme de la raisonnabilité? Bien que la raisonnabilité figure parmi les notions juridiques les plus usitées, elle est l’une des plus complexes. La question de ce qui est raisonnable, de la raisonnabilité ou de la rationalité nous interpelle dans tous les domaines du droit. Mais qu’est-ce qu’une décision raisonnable? Comment la cour de révision reconnaît-elle une décision déraisonnable dans le contexte du droit administratif et, plus particulièrement, dans celui du contrôle judiciaire?

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Dans le cas d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[14]           Il est crucial de ne pas perdre de vue l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Un contrôle judiciaire peut être effectué notamment si la décision rendue repose sur une conclusion de fait erronée, si elle est tirée de façon abusive ou arbitraire, ou si elle ne tient pas compte des éléments à la disposition du décideur. Une telle décision serait déraisonnable.

III.             Analyse

[15]           Rien au dossier ne permet de croire que le couple était d’emblée mal assorti parce qu’elle était divorcée et que lui était célibataire.

[16]           La conclusion comme quoi le premier mariage de Mme Dhudwal en était un de convenance repose sur de pures conjectures puisque, après enquête, les autorités ont renoncé à la poursuite.

[17]           La commissaire a joué les entremetteuses à deux reprises. Elle a tout d’abord plaidé que Baljinder Singh Dhillon aurait dû être vu comme un bon parti. Pourtant, il a épousé la sœur de Mme Dhudwal.

[18]           Ensuite, la commissaire affirme que, dès l’époque de son premier mariage en 2007, Mme Dhudwal et son mari actuel auraient dû être considérés comme un couple bien assorti ou potentiel. Or, la preuve indique que les démarches prénuptiales ont débuté seulement en janvier 2013. C’est la tante maternelle de la demanderesse, Hardeep Kaur, qui cherchait un bon parti pour sa nièce, de concert avec ses parents.

[19]           Faut-il conclure que s’ils avaient été présentés en 2007, alors que tous les deux se trouvaient en Inde, cet homme et cette femme ne seraient pas au Canada aujourd’hui? Faut-il conclure qu’elle aurait dû épouser Baljinder Singh Dhillon, qui était déjà au Canada, pour être admissible à parrainer un autre ressortissant indien?

[20]           La décision repose essentiellement sur des insinuations et des spéculations. Rien dans le dossier ne permet de croire que de telles conclusions sont justifiées. À vrai dire, le dossier porte plutôt à croire que le mariage est authentique. Bien que le mariage doive être à la fois authentique et non contracté principalement pour obtenir un privilège en matière d’immigration, une conclusion d’authenticité aurait grandement éclairé l’analyse de l’objet premier du mariage. Après tout, les couples mariés devraient vivre ensemble. Une conclusion d’authenticité aurait considérablement renforcé l’hypothèse d’un mariage qui n’avait pas été contracté principalement pour obtenir un statut au Canada. (Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1131).

[21]           Durant l’audience, j’ai annoncé que je me reposerais sur l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum, 99 NR 171, 1989 ACF 505 (QL). Dans cet arrêt, le juge MacGuigan se prononce ainsi :

[34] La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l’arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 TLR 39, à la p. 45, 144 LT 194, à la p. 202 (HL) :

[traduction] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n’a aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J’estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.

[35] Dans R. v. Fuller (1971), 1 NR 112, à la p. 114, le juge Hall a conclu, au nom de la cour d’appel du Manitoba, que [traduction] « [l]e tribunal des faits ne peut faire appel à des conclusions toutes théoriques et conjecturales ». La Cour suprême a souscrit unanimement à ces motifs ([1975] 2 RCS 121 à la p. 123; 1 NR 110, à la p. 112).

[22]           Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

a.       que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

b.      que la décision de la Section d’appel de l’immigration soit annulée;

c.       que l’affaire soit renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel de l’immigration pour un nouvel examen;

d.      qu’aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1548-16

INTITULÉ :

BALJIT KAUR DHUDWAL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 OCTOBRE 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

LE 6 OCTOBRE 2016

COMPARUTIONS :

Baldev Sandhu

Bikramjit Singh Sandhu

Pour le demandeur

Brett Nash

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Offices

Surrey (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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