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Date : 20161021


Dossier : IMM-1763-16

Référence : 2016 CF 1177

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

KHALED ASHRAF NIZAMI

IMRANA KHALED NIZAMI

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en date du 12 avril 2016, qui a accueilli l’appel des défendeurs contre les mesures d’interdiction de séjour émises à la suite de leur non-respect des exigences en matière de résidence de l’article 28 de la LIPR, pour des motifs d’ordre humanitaire.

II.                Faits

[2]               Les défendeurs, âgés de 73 et 66 ans, sont des citoyens du Pakistan qui vivaient et travaillaient à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis depuis 1979. Le défendeur avait travaillé comme ingénieur et la défenderesse comme enseignante.

[3]               Les défendeurs ont trois enfants. Leur fille aînée et leur fils sont maintenant des citoyens canadiens et leur plus jeune fille est une résidente permanente du Canada. Ils ont trois petits-enfants au Canada, tous citoyens canadiens.

[4]               En 2004, la fille aînée des défendeurs les a parrainés en tant que résidents permanents. Ils sont devenus résidents permanents du Canada le 12 juillet 2005.

[5]               Entre 2005 et 2012, le défendeur n’a pas réussi à trouver de travail au Canada en tant que consultant en ingénierie. De plus, il lui aurait fallu suivre des cours et passer des examens pour devenir membre de l’association des ingénieurs de l’Ontario. Il a décidé de reprendre son emploi à Abu Dhabi jusqu’au 30 juin 2012, ce qui lui a permis de payer les études universitaires de son fils et d’acheter une maison pour sa famille à Ottawa. La défenderesse a continué à enseigner à Abu Dhabi jusqu’à sa retraite en 2009. Ils ont investi dans le logement et dans des fonds communs de placement. Ils se rendaient au Canada tous les six mois.

[6]               En 2012, les résidences permanentes des défendeurs ont été examinées par des agents d’immigration. Le 23 mars et le 30 novembre 2012, les défendeurs ont respectivement déclaré avoir passé plus de deux ans au Canada au cours de la période de référence quinquennale. Les timbres dans leurs passeports indiquaient que le défendeur n’avait passé que 336 jours au Canada contre 267 jours pour la défenderesse.

[7]               Les agents d’immigration ont déterminé que les deux défendeurs avaient fait de fausses déclarations et avaient utilisé plusieurs passeports. Des accusations criminelles ont été déposées contre eux, auxquelles ils ont plaidé non coupable, et des mesures d’interdiction de séjour ont été délivrées à l’encontre des défendeurs.

III.             Décision

[8]               La SAI a conclu que le principe de l’attitude irréprochable ne s’appliquait pas et que les motifs d’ordre humanitaire étaient suffisants pour justifier l’octroi d’une mesure spéciale dans le cas des défendeurs. Pour parvenir à cette conclusion, la SAI a examiné divers facteurs relativement à la situation des défendeurs : leur intention de retourner au Canada, leurs forts liens familiaux, l’intérêt supérieur de leur petit-fils Y.S., leur engagement au sein de la communauté d’Ottawa, leurs 37 années d’absence du Pakistan, leurs regrets et excuses pour leurs fausses déclarations. La SAI a décidé que la gravité de l’inconduite des défendeurs ne justifiait pas la perte de leur résidence permanente. En l’espèce, l’objectif de réunification des familles au Canada a surmonté la nécessité de préserver l’intégrité du système d’immigration.

[9]               Le 12 avril 2016, l’appel a été accueilli et les mesures de renvoi à l’encontre des défendeurs ont été annulées.

IV.             Questions en litige

[10]           La présente affaire soulève la question suivante :

La SAI a-t-elle commis une erreur en tenant compte de l’inconduite des défendeurs dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire?

[11]           Cette question devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12).

V.                Dispositions pertinentes

[12]           L’alinéa 67(1)c) de la LIPR trouve application dans les motifs d’ordre humanitaire, en ce qui concerne le principe de l’attitude irréprochable.

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

[…]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

VI.             Observations des parties

A.                Observations du demandeur

[13]           Le demandeur allègue que la SAI a commis une erreur susceptible de révision en omettant de prendre en considération l’inconduite des défendeurs dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire. Soulignant que les défendeurs ont été inculpés en vertu d’un acte d’accusation plutôt que de condamnations sommaires, le demandeur affirme également que la SAI a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents, à savoir la gravité des fausses déclarations des défendeurs et les accusations qui pèsent contre eux. Ce faisant, la SAI a commis une erreur dans son application des facteurs énoncés dans la décision Ribic (Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 636).

B.                 Observations des défendeurs

[14]           Les défendeurs soutiennent que les conclusions de la SAI étaient raisonnables. Ils suggèrent que la SAI a pleinement tenu compte de leur inconduite ainsi que des accusations portées contre eux. Ils soulignent le fait qu’ils doivent être présumés innocents et qu’aucune conclusion défavorable ne peut être tirée de l’existence d’accusations criminelles en instance.

VII.          Analyse

[15]           La Cour doit déterminer si la décision de la SAI d’annuler les mesures de renvoi prises contre les défendeurs, pour des motifs d’ordre humanitaire, était raisonnable. En d’autres termes, la SAI a-t-elle examiné l’inconduite des défendeurs conformément au principe de l’attitude irréprochable?

[16]           Comme l’ont souligné le juge Denis Gascon et le juge Henry S. Brown de notre Cour (Semana v Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 1082, au paragraphe 15, Joseph c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 904, au paragraphe 24), il est fondamental de réaffirmer que les exemptions pour motifs d’ordre humanitaire sont exceptionnelles et représentent un recours discrétionnaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 15), et que, par conséquent, elles ne devraient être réservées qu’à des cas exceptionnels pour ne pas constituer un « volet d’immigration distinct ou un mécanisme d’appel » (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 909, 2015 CSC 61, au paragraphe 90). Il est donc essentiel de veiller au maintien de l’intégrité du système d’immigration et d’assurer le respect de la législation canadienne conformément à la jurisprudence susmentionnée.

[17]           Il faut tenir compte de la conduite du demandeur de résidence permanente :

[8]        Après avoir appliqué Legault, nous sommes d’avis que l’agente d’immigration pouvait – de fait, elle devait, conformément au libellé du paragraphe 25(1) de la LIPR – prendre en compte toutes les circonstances pertinentes, y compris celles concernant le comportement de l’appelante.

(Thiara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 151)

[18]           La SAI peut rejeter un appel en raison des mensonges ou de l’inconduite de l’appelant :

[9]        À mon avis, la jurisprudence invoquée par le ministre n’appuie pas l’affirmation qui se trouve dans le paragraphe 23 de l’exposé des faits et du droit présenté par son avocat, et selon laquelle [traduction] « lorsqu’il semble qu’un demandeur ne s’est pas présenté devant la Cour les mains nettes, la Cour doit d’abord s’interroger quant à savoir si le demandeur a effectivement les mains nettes et, en cas de conclusion négative, la Cour doit refuser de juger la demande au fond ou de l’accorder ». La jurisprudence donne plutôt à entendre que, si la juridiction de contrôle est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée.

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2006 CAF 14)

[19]           Par conséquent, la Cour, après avoir examiné les facteurs de Ribic, a déterminé qu’il s’agissait d’une affaire qui devait être renvoyée à la SAI pour qu’elle soit à nouveau examinée par un tribunal différemment constitué (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, décision confirmé par l’arrêt Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 345).

[20]           Les accusations telles qu’elles sont précisées dans la présente affaire sont réputées graves; ce qui oblige la Cour à reconnaître que les défendeurs n’ont pas les mains propres (Sittampalam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 326). Cette affaire démontre qu’il y a donc de sérieuses raisons d’examiner la mesure d’interdiction de séjour des défendeurs selon une décision antérieure rendue par des agents d’immigration; toutefois, c’est au tribunal différemment constitué qu’il appartient de décider.

[21]           La Cour conclut que la SAI a commis une erreur susceptible de révision en évaluant l’inconduite des défendeurs dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire. La décision de la SAI ne satisfaisait pas au critère de la décision raisonnable.

VIII.       Conclusion

[22]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SAI est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit prise.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et la décision de la SAI est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1763-16

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. KHALED ASHRAF NIZAMI, IMRANA KHALED NIZAMI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Michel Pépin

 

Pour le demandeur

 

Ciro Paul Scotti

 

Pour les défendeurs

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Aviatrans Canada Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour les défendeurs

 

 

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