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Date : 20161019


Dossier : T-74-16

Référence : 2016 CF 1165

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 19 octobre 2016

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

WARREN SCOTT McCALLUM

demandeur

et

LA NATION CRIE PETER BALLANTYNE, LE CONSEIL DES AÎNÉS DE LA NATION CRIE PETER BALLANTYNE, DARLENE WATSON, FLORENCE CLARKE, FLORENCE McKAY, ELIAS SEWAP, GEORGE P. CLARKE, PHILIP RAY PÈRE, ELIZABETH MERASTY, SAMSON BALLANTYNE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Nation crie Peter Ballantyne (NCPB) est une bande des Premières nations du Nord de la Saskatchewan constituée de huit collectivités. En avril 2015, elle a tenu une élection à la suite de laquelle M. Warren Scott McCallum, le demandeur, a été réélu au poste de conseiller de la région urbaine de la NCPB, aux termes du code électoral de 2014 de la Nation crie Peter Ballantyne (le code électoral).

[2]  Toutefois, le 16 novembre 2015, des membres de la NCPB vivant dans la région urbaine ont fait parvenir au chef Peter A. Beatty ainsi qu’au conseil une lettre demandant que M. McCallum soit immédiatement suspendu sans solde. À cette lettre, ils ont joint une pétition portant 207 signatures et visant la destitution de Warren McCallum à titre de conseiller au sein du conseil (la pétition). Des signatures supplémentaires ont été ajoutées par la suite, portant le nombre total à 260.

[3]  Le 10 décembre 2015, après l’exécution des procédures de destitution aux termes du code électoral, le conseil des aînés a pris la décision de destituer, le jour même, M. McCallum à titre de conseiller élu, décision attaquée par le présent recours.

[4]  M. McCallum demande donc sa réintégration à titre de conseiller pour la région urbaine de la NCPB avec indemnisation pour perte de revenu depuis le 13 décembre 2015 jusqu’au jour de sa demande, ce qui représente un montant de 7 400,00 $, intérêts en sus.

[5]  Comme il est exposé ci-après, la Cour accueille la demande, étant convaincue qu’il n’existe aucun élément de preuve selon lequel la pétition qui a incité le Conseil des anciens à destituer M. McCallum a été signée par 25 % des électeurs de la collectivité concernée, conformément à l’alinéa 12h) du code électoral. La Cour estime que cette faille est fatale au processus de destitution.

II.  Contexte pertinent

[6]  Premièrement, il n’est pas controversé entre les parties que l’affaire relève de la compétence de notre Cour (Sparvier c Bande indienne Cowessess, [1993] 3 CF 142).

[7]  Selon l’article 1, le code électoral est autorisé par les électeurs de la NCPB et représente un engagement et accord avec les membres de la NCPB. Ce code électoral contient la proclamation des droits inhérents et les dispositions concernant, notamment, le droit de vote, l’admissibilité à se présenter au poste de chef ou de conseiller, la durée des fonctions, les procédures d’élection et de mise en candidature, le tribunal d’appel, la norme de conduite pour le chef et les conseillers et, l’enjeu dans l’espèce, les dispositions concernant le rôle et l’autorité du Conseil des anciens et le processus qui mène à la destitution du chef ou d’un conseiller.

[8]  Il n’est pas controversé non plus entre les parties que les membres du Conseil des anciens, en application de l’article 6 du code électoral, reproduit en annexe, jouent un rôle de mentorat et d’orientation, étant donné qu’ils doivent [traduction] « s’assurer que le chef et le conseil de la Nation crie Peter Ballantyne respectent les normes de conduite et le serment d’office qui se trouvent dans le présent code électoral et dans les dispositions de la réglementation de la NCPB concernant le pouvoir exécutif. »

[9]  L’article 12 du code électoral concerne la procédure de destitution et son alinéa h) indique qu’un membre peut déposer une plainte contre un conseiller s’il a une pétition signée en bonne et due forme. Il convient de reproduire les alinéas 12h) et k) :

DESTITUTION

12. [traduction] Après avoir été dûment élus par les membres de la Nation crie Peter Ballantyne, le chef et les conseillers rendent compte à tous les membres et, par conséquent, peuvent être destitués s’ils : [...]

h. Pour déposer une plainte contre un conseiller de la NCPB, un membre doit avoir une pétition signée en bonne et due forme par vingt-cinq pour cent (25 %) des électeurs de la réserve ou collectivité concernée. Cette pétition doit être présentée au président du Conseil des anciens de la NCPB. [...]

k. La décision du Conseil des anciens de la NCPB est définitive et obligatoire.

[10]  La portée du pouvoir du Conseil des anciens est contestée en l’espèce; toutefois, il n’est pas contesté qu’il doit décider si la pétition mentionnée à l’alinéa 12h) répond à l’exigence d’être signée par au moins 25 % des électeurs de la collectivité concernée.

[11]  Par conséquent, comme il a été mentionné précédemment, le 16 novembre 2015, des membres urbains de la NCPB ont envoyé au chef Peter A. Beatty et au conseil une lettre de plainte dans laquelle ils demandaient la suspension immédiate sans traitement de M. McCallum et ont ajouté en pièce jointe à leur lettre la pétition comptant 207 signatures. Des signatures supplémentaires ont été ajoutées par la suite, portant le nombre total à 260.

[12]  Bref, la pétition soutient que [traduction] « le conseiller Warren McCallum n’a pas respecté les normes de conduite précisées dans le code électoral de la NCPB de 2014 en contrevenant au serment d’office et en omettant de fournir une vérification du casier judiciaire lors de l’élection d’avril 2015, agissant ainsi de manière déshonorable », et constitue une source de préoccupations factuelles.

[13]  Le jour même, le chef Peter A. Beatty a transmis la pétition des membres urbains de la NCPB au Conseil des anciens, à qui il a donné la directive de s’en occuper.

[14]  La fonction première du Conseil des anciens consiste à décider si une pétition respecte l’exigence établie à l’alinéa 12h), à savoir qu’elle doit être signée par 25 % des électeurs de la collectivité concernée. En l’espèce, le Conseil des anciens a calculé le pourcentage des signatures en se servant, à titre de dénominateur, du nombre des électeurs de la région urbaine qui ont effectivement voté lors de l’élection de 2015, au lieu du nombre total d’électeurs dans la région urbaine. Le Conseil des anciens a justifié son utilisation du nombre d’électeurs qui ont effectivement voté à l’élection de 2015 comme dénominateur parce que le nombre total des électeurs de la région urbaine était alors non disponible ou inconnu.

[15]  Le 23 novembre 2015, M. McCallum a participé à une première réunion avec le Conseil des anciens lors de laquelle la pétition lui a été lue pour la première fois et des réponses aux préoccupations lui ont été demandées. Des réunions ont également eu lieu les 24 et 25 novembre 2015.

[16]  Le 25 novembre 2015, le Conseil des anciens a tenu une réunion interne et a décidé de suspendre sans traitement M. McCallum. Conformément aux dispositions de l’alinéa 12g) du code électoral, le 2 décembre 2015, le Conseil des anciens a rencontré le chef Beatty et le vice-chef Harold Linklater; le 3 décembre 2015, le Conseil des anciens a convoqué une rencontre communautaire et, enfin, le 10 décembre 2015, il a rendu la décision définitive de destituer M. McCallum.

[17]  Le poste de M. McCallum étant alors vacant, une élection partielle pour la région urbaine de la NCPB a été prévue pour le 4 février 2016. Toutefois, le 3 février 2015, notre Cour a accordé à M. McCallum une injonction provisoire qui interdisait jusqu’à nouvel ordre de la Cour à la NCPB de tenir une élection partielle pour remplacer M. McCallum à titre de conseiller pour la région urbaine de Prince Albert.

III.  Questions en litige

[18]  Les parties demandent à la Cour de décider si la destitution de M. McCallum enfreint l’équité procédurale et la justice naturelle, si le Conseil des anciens avait le pouvoir et l’autorité de destituer M. McCallum, et en dernier lieu si la décision de destituer M. McCallum est raisonnable ou non.

IV.  Norme de contrôle

[19]  La Cour est d’accord avec le défendeur que les questions d’équité procédurale et de justice naturelle commandent l’application de la norme de la décision correcte (Metansininine c Première nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek, 2011 CF 17 [Metansinine], au paragraphe 16; Henry c Première nation Roseau River Anishinabe, 2014 CF 1215, au paragraphe 29). La question de savoir si le Conseil des anciens a l’autorité de destituer le chef et les membres du conseil, sauf en cas de problèmes de dépendance, appelle l’application de la norme de la décision raisonnable, étant donné que la Cour doit interpréter le règlement d’élection d’une Première Nation (Première nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269,aux paragraphes 10 et 11; D’Or c St. Germain, 2014 CAF 28).

[20]  La question concernant le manque d’éléments de preuve pour confirmer le nombre d’électeurs qui doivent signer la pétition pour arriver au minimum de 25 % des électeurs de la collectivité concernée est une question mixte de fait et de droit et appelle donc l’application de la norme de la décision raisonnable (Démocratie en surveillance c Campbell, 2009 CAF 79).

V.  Observations des parties

A.  Observations du demandeur

[21]  M. McCallum soutient essentiellement que le défendeur n’a pas respecté l’équité procédurale et la justice naturelle, que le Conseil des anciens n’avait pas le pouvoir ni l’autorité de le destituer et que les questions soulevées dans la pétition elle-même sont sans fondement. M. McCallum a fait valoir à l’audience que toutes ces questions commandaient l’application de la norme de la décision raisonnable.

[22]   Concernant la première question, M. McCallum soutient essentiellement 1) que, en toute équité, un avis aurait dû être envoyé (Metansinine); 2) qu’il n’y a aucun élément de preuve selon lequel la pétition a été signée par 25 % des électeurs de sa collectivité; 3) que le Conseil des anciens ne pouvait pas le destituer avant de consulter les rapports et les états financiers, et aurait dû attendre d’avoir toute l’information nécessaire avant de prendre une décision; 4) que l’affidavit du défendeur a été déposé par des déposants qui ne parlent pas anglais et qui ne comprenaient pas ce qu’ils signaient.

[23]  M. McCallum soutient en particulier que la pétition, qui a influé sur la décision du Conseil des anciens de la NCPB de le destituer, ne respectait pas l’alinéa 12h) du code électoral, étant donné qu’elle ne comportait pas le nombre suffisant de signataires, soit au moins 25 % de l’électorat de sa région urbaine, que plusieurs des signataires n’étaient pas des membres ou des résidents de sa région urbaine; à cet égard, il rappelle que l’alinéa 12g) du code électoral dispose : [traduction] « un membre doit être résident de la réserve, de la collectivité ou des environs pour être habilité à voter pour un poste de conseiller dans la collectivité. » Il soutient de plus que le défendeur n’a présenté aucun élément de preuve qui confirme le nombre total d’électeurs admissibles nécessaire pour atteindre 25 % des signataires requis pour une pétition, et n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel une annonce ou un avis a été diffusé pour indiquer aux électeurs qu’une pétition circulait.

[24]  Concernant la deuxième question, M. McCallum soutient 1) que le rôle du Conseil des anciens est essentiellement de servir de mentor et de guide au chef et au conseil et non de destituer le chef ou les membres du conseil, à moins que des problèmes de dépendance ne soient soulevés; 2) que le Conseil des anciens doit reconnaître ou vouloir reconnaître l’autorité en litige, que tous les membres ne reconnaissent pas ou ne veulent pas reconnaître cette autorité (selon le contre-interrogatoire de Philippe Morin, pages 49 à 60, ainsi que le contre-interrogatoire de John Dorion et d’Elias Sewap qui auraient reconnu que la destitution d’un membre du conseil devrait relever du chef et du conseil).

[25]  Concernant la troisième question, M. McCallum conteste les questions soulevées dans la pétition elle-même, étant donné qu’il a rempli ses fonctions de conseiller consciencieusement, et il conteste l’accusation selon laquelle il aurait détourné des fonds.

B.  Observations du défendeur, le Conseil des anciens

[26]  Le mémoire des faits et du droit du défendeur est celui qui a été préparé au nom du Conseil des anciens, les autres défendeurs n’y ayant pas participé.

[27]  Le Conseil des anciens soutient 1) qu’il y a eu équité procédurale dans la décision pour destituer M. McCallum à titre de conseiller urbain; 2) qu’il a le pouvoir et l’autorité de destituer le chef et les membres du conseil conformément au code électoral; 3) que sa décision était raisonnable.

[28]  Concernant la première question, le défendeur ne conteste pas que M. McCallum a le droit à la justice naturelle et à l’équité procédurale, mais soutient que les exigences ont été respectées à ces égards en l’espèce. Il s’appuie sur le critère exposé par la Cour suprême dans les arrêts Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] et Lakeside Colony of Hutterian Brethren c Hofer, [1992] 3 RCS 165, et signale qu’il n’a pas fait partie du processus de pétition ni ne savait qu’elle existait, qu’il a reçu la pétition, qu’il a déterminé que le nombre de signatures était suffisant pour procéder à l’examen de la plainte, qu’il en a avisé M. McCallum, qu’il a consulté les membres du conseil, qu’il a rencontré M. McCallum à trois reprises afin de lui donner l’occasion équitable de répondre aux préoccupations et aux problèmes, qu’il a convoqué une réunion interne, une réunion supplémentaire avec le chef Beatty et une rencontre communautaire, et que la décision a été prise conformément aux dispositions du code électoral.

[29]  Concernant la décision selon laquelle il y avait un nombre suffisant de signatures pour aller de l’avant avec la plainte, ce qui est au cœur de la présente action, le Conseil des anciens reconnaît que la pétition doit représenter au moins 25 % des électeurs de la collectivité concernée et que le pourcentage a été calculé sur le nombre de 1008, qui est le nombre des voix exprimées pour la région urbaine à l’élection de 2015, selon les résultats du rapport final sur l’élection de 2015. Le conseil a utilisé ce dénominateur parce qu’à l’époque de la décision, il n’y avait pas d’information probante sur le nombre d’électeurs admissibles résidant dans la région urbaine, parce que la liste des électeurs admissibles avait été détruite après l’élection. M. McCallum suppose qu’il pourrait y avoir entre 3 500 et 4 000 membres qui résident en dehors de la réserve, mais le défendeur affirme qu’aucun élément de preuve n’appuie ce nombre ou n’appuie l’allégation selon laquelle des signataires de la pétition n’étaient pas des membres urbains de la NCPB.

[30]  Compte tenu de cet enchaînement d’événements, le défendeur soutient que le Conseil des anciens a scrupuleusement respecté l’article 12 du code électoral puisqu’il est évident que le demandeur a reçu un avis et était au courant des préoccupations et des problèmes soulevés dans la pétition. D’ailleurs, c’est le demandeur qui a refusé de coopérer avec le Conseil des anciens pendant ce processus et qui a plutôt décidé de concentrer ses efforts sur la contestation de l’autorité du Conseil des anciens.

[31]  Concernant l’argument de M. McCallum selon lequel aucun élément de preuve n’indiquait qu’une annonce ou qu’un avis avait été envoyé aux électeurs concernant une pétition en circulation, le défendeur affirme que rien dans le code électoral n’exige que le Conseil des anciens annonce la pétition ou s’engage dans la pratique d’aviser les électeurs qu’une pétition est en circulation; il fait référence à l’alinéa 12h) du code électoral à cet égard. De plus, le défendeur soutient que la crainte raisonnable de partialité pourrait être soulevée si le Conseil des anciens était obligé de participer à un tel processus.

[32]  Le défendeur rejette également l’argument de M. McCallum selon lequel, en toute équité, un avis aux électeurs éventuels serait requis pour que le processus soit juste et équitable, et il fait une distinction entre la décision Metansinine et l’espèce. En effet, selon le défendeur, le Conseil des anciens, contrairement à un conseil de Première Nation, n’a pas le mandat de jouer quelque rôle que ce soit dans le processus d’élection d’un chef et d’un conseil. Le rôle du Conseil des anciens se limite plutôt à fournir une orientation et un soutien au chef et au conseil pour s’assurer que le chef et le conseil respectent les normes de conduite et leur serment d’office, écoutent les plaintes et demandent qu’un élu sollicite une aide professionnelle en cas de consommation abusive d’alcool ou de drogues, pourvu que certaines exigences soient respectées. En outre, le défendeur rappelle que le Conseil des anciens a invité les membres urbains de la NCPB à participer à une rencontre communautaire où tous les membres pouvaient intervenir et exprimer leurs préoccupations, et il insiste sur le fait que le code électoral n’exige pas expressément de tenir un référendum ou un vote pour destituer un conseiller.

[33]  Concernant la deuxième question, le Conseil des anciens soutient que l’article 12 du code électoral lui donne le pouvoir d’entendre une plainte et de prendre la décision nécessaire, et qu’un tel pouvoir a été confirmé par le chef Beatty quand il a demandé au Conseil des anciens de s’occuper de la pétition.

[34]  Le défendeur n’est pas d’accord avec l’affirmation de M. McCallum selon laquelle il n’a pas le pouvoir ni l’autorité de destituer un chef ou un membre du conseil, sauf si des problèmes de dépendance sont soulevés et font d’abord l’objet de mesures de soutien. Selon le défendeur, même si l’abus d’alcool est précisé à l’alinéa 12j) du code électoral, ce n’est pas le seul motif pour destituer un chef et un membre du conseil, de tels motifs de destitution étant énoncés aux alinéas 12a) à f).

[35]  De plus, alors que M. McCallum s’appuie sur le contre-interrogatoire de M. Philip Morin, de M. John Dorion et de M. Elias Sewap pour affirmer qu’il y a [traduction] « une majorité des membres du Conseil des anciens qui disent ne pas être censés avoir l’autorité de destituer un chef et un membre du conseil, mais qui disent plutôt qu’ils sont tenus de jouer un rôle très important de mentorat et d’orientation », le défendeur fait plutôt valoir que M. Morin parlait de son expérience personnelle concernant ses propres méfaits et son abus d’alcool dans le passé, et a clairement dit qu’il exprimait son opinion personnelle et pas nécessairement celle du Conseil des anciens.

[36]  Concernant la troisième question en litige, le défendeur soutient que si la Cour décide que la décision du Conseil des anciens a été prise conformément aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle, et que les membres du Conseil des anciens ont le pouvoir et l’autorité de destituer un chef et des conseillers en application du code électoral, elle doit décider si la décision de destituer M. McCallum était raisonnable.

[37]  Le défendeur soutient que la décision du Conseil des anciens de destituer M. McCallum était raisonnable. À l’appui de sa thèse, le défendeur tire des similitudes entre l’espèce et la décision dans la décision Pellissey c Première Nation Pehdzeh Ki, 2014 CF 1214, au paragraphe 3 où il est précisé que la demanderesse « était au courant des allégations portées contre elle, elle avait été avisée des procédures et elle avait eu la possibilité de se défendre. De plus, la décision de la Première Nation était fondée sur une preuve relative à la conduite adoptée par [la demanderesse] avant la réunion et, par conséquent, n’était pas déraisonnable. »

[38]  Le défendeur soutient en outre que des éléments de preuve ont été présentés à la Cour pour indiquer l’inconduite de M. McCallum, y compris la pétition qui souligne les préoccupations et les questions précises en litige, le discours des membres urbains pendant la rencontre communautaire tenue le 3 décembre 2015, ainsi que les lettres écrites et présentées par les membres urbains de la NCPB qui sont en pièce jointe à l’affidavit de Darlene Watson.

[39]  Le défendeur n’est pas d’accord avec l’observation de M. McCallum selon laquelle son affidavit a été déposé par des déposants qui ne parlent pas anglais, qui ne comprenaient pas ce qu’ils signaient et qui ne comprenaient pas le processus ou ne comprenaient pas qu’ils adoptaient la preuve présentée au moyen d’affidavits de Darlene Watson. Le défendeur fait valoir que parce que John Dorion ne sait pas lire, le notaire public qui a été témoin de l’affidavit de John Dorion le lui a lu. Le défendeur soutient également que plusieurs déclarations faites par M. Dorion pendant le contre-interrogatoire démontrent qu’il comprenait et acceptait l’affidavit de Darlene Watson, et qu’il a répondu plusieurs fois en anglais (mémoire des faits et du droit du défendeur, aux paragraphes 74 à 76). De même, le défendeur soutient qu’Elias Sewap a confirmé que l’affidavit de Darlene Watson lui avait été lu et il a démontré une certaine capacité de parler anglais. De plus, le demandeur n’a soulevé aucune question concernant les affidavits de Darlene Watson, de Philip Ray, de Florence McKay, d’Elizabeth Merasty et de Florence Clarke.

1)  Dépens

[40]  Bien que le demandeur demande des dépens procureur-client, le défendeur fait valoir que [traduction] « [l]a Cour suprême a conclu que les dépens procureur-client ne sont généralement accordés que s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties » et fait précisément référence à l’arrêt Baker (mémoire des faits et du droit du défendeur, au paragraphe 79). Le défendeur prétend que de telles circonstances ne sont pas présentes en l’espèce.

VI.  Décision

[41]  La Cour limite sa décision à une question en litige qui permet d’accueillir la présente demande.

[42]  Il n’est pas controversé entre les parties que le code électoral représente l’engagement et l’accord avec les membres de la NCPB.

[43]  À son tour, l’article 12 du code électoral expose le processus de destitution, et son alinéa h) indique les exigences pour lancer le processus de destitution d’un conseiller élu. Par conséquent, la plainte d’un membre doit être accompagnée d’une pétition signée par 25 % de l’électorat de la collectivité concernée, et le défendeur reconnaît que ce nombre fait référence à tous les électeurs de la collectivité concernée.

[44]  Toutefois, pour examiner si le seuil de 25 % a été atteint, le Conseil des anciens n’avait pas le nombre des électeurs admissibles de la région urbaine, mais le nombre de voix exprimées à l’élection de 2015 (1 008), le nombre de tous les électeurs n’étant pas disponible, les listes ayant été détruites après l’élection de 2015. Le Conseil des anciens n’avait aucune indication réelle et précise du nombre total des électeurs de la région urbaine sur lequel fonder son calcul.

[45]  La destitution d’un conseiller élu en bonne et due forme et la dérogation à l’engagement et accord avec les membres de la NCPB ne sont pas des questions anodines.

[46]  Le Conseil des anciens détient l’importante tâche de sauvegarder le processus qui l’emporte sur la destitution d’un conseiller. Le code électoral requiert sans équivoque que la pétition soit signée par 25 % des électeurs de la collectivité concernée; sans un calcul précis, le processus, à mon avis, échoue. Le motif soulevé pour justifier l’éloignement du libellé clair de l’article pertinent est inacceptable étant donné la gravité des conséquences pour le conseiller (Prince c Première Nation de Sucker Creek, 2008 CF 1268, aux paragraphes 48 et 49, confirmé par 2009 CAF 40).

[47]  Indépendamment de la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce, la Cour estime que cette lacune dans le processus est déraisonnable, injustifiée et inéquitable. Elle est fatale et permet d’accueillir la demande du demandeur et d’annuler la décision que le Conseil des anciens a rendue le 10 décembre 2015.

[48]  M. McCallum a demandé des dépens procureur-client et, lors de l’audience, des dommages-intérêts pour sa destitution.

[49]  La Cour ne lui accorde ni l’un ni l’autre, d’abord parce que les éléments de preuve n’indiquent pas que la conduite du défendeur pendant le litige était répréhensible, scandaleuse ou outrageante pour justifier des dépens procureur-client (Baker, au paragraphe 77), et ensuite, parce que la Cour ne saurait octroyer des dommages-intérêts dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire lorsque cette demande de contrôle judiciaire n’est pas instruite comme s’il s’agissait d’une action (Hinton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 215, au paragraphe 45; Sivak c Canada (Citoyenneté et de Immigration), 2011 CF 402, au paragraphe 43), et en application de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7, qui n’est pas soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision du 10 décembre 2015 du Conseil des anciens est annulée.

  3. Les fonctions de conseiller de M. McCallum sont rétablies.

  4. Les dépens sont attribués au demandeur.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de décembre 2019

Lionbridge


[traduction]

ANNEXE

CONSEIL DES ANCIENS

6. Les dispositions suivantes s’appliquent au Conseil des anciens :

a)  L’objectif principal est de fournir une orientation et un soutien au chef et au conseil. L’objectif du Conseil des anciens de la NCPB est de s’assurer que le chef et le conseil de la Nation crie Peter Ballantyne respectent les normes de conduite et le serment d’office qui se trouvent dans le code électoral et dans les dispositions de la réglementation de la NCPB concernant le pouvoir exécutif. Plus précisément, les membres du Conseil des anciens ne doivent pas voter dans les affaires concernant le chef et le conseil

b)  Les anciens sont mis en candidature dans chaque collectivité respective et élus par les membres. L’ancien ou les anciens qui obtiennent le plus grand nombre de voix dans chaque collectivité sont alors nommés représentants du Conseil des anciens de la NCPB. Dans l’éventualité où un seul ancien est mis en candidature dans une réserve ou une collectivité, cet ancien est déclaré le représentant de cette réserve ou collectivité au sein du Conseil des anciens de la NCPB.

c)  Le Conseil des anciens de la NCPB choisira un président pour diriger les activités au sein du Conseil des anciens de la NCPB et sera la principale personne chargée de convoquer les réunions ou à qui les membres de la NCPB peuvent présenter leurs appels ou leurs plaintes.

d)  Le Conseil des anciens ne doit pas participer au processus d’appel de l’élection du chef et du conseil de la NCPB.

e)  Le Conseil des anciens sera composé comme suit : deux (2) représentants pour la réserve Pelican Narrows; deux (2) représentants pour la réserve Sandy Bay; deux (2) représentants pour la réserve Southend et la réserve Kinoosao; un (1) représentant pour la réserve Amisk Lake; un (1) représentant pour la réserve Sturgeon Landing; deux (2) représentants pour les membres urbains, deux (2) représentants pour Deschambault Lake.

f)  Le Conseil des anciens de la NCPB est mis en place pour la durée du mandat du chef et du conseil réputé être de la date de l’élection jusqu’à la dissolution des activités et pouvoirs du chef et du conseil de la Nation crie Peter Ballantyne avant de décréter les prochaines élections générales en bonne et due forme.

g)  Toutes les dépenses engagées par le Conseil des anciens de la NCPB sont remboursées par la Nation crie Peter Ballantyne.

h)  Le Conseil des anciens de la NCPB est tenu de suivre les normes de conduite énoncées à l’article 11 du présent code électoral.

i)  Le Conseil des anciens de la NCPB a ses propres lignes directrices et son propre guide de procédures à suivre pour la durée du mandat du chef et du conseil.

j)  Le Conseil des anciens de la NCPB doit suivre les normes de conduite énoncées à l’article 11 du code électoral.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-74-16

 

INTITULÉ :

WARREN SCOTT McCALLUM et NATION CRIE PETER BALLANTYNE ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

PRINCE ALBERT (SASKATCHEWAN)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 OCTOBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

Le 19 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Kimberly Stonechild

Pour le demandeur

Crystal R. Eninew

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sawchuk Lavoie Stonechild

Prince Albert (Saskatchewan)

Pour le demandeur

Novus Law Group

Prince Albert (Saskatchewan)

Pour le défendeur

 

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