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Date : 20161028


Dossier : IMM-1399-16

Référence : 2016 CF 1202

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2016

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ANA JULIA BOHORQUEZ GONZALEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La demanderesse, Ana Julia Bohorquez Gonzalez (la demanderesse), conteste une décision défavorable rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) quant au parrainage de sa fille de 32 ans, Luisa Fernanda Perez Bohorquez (Luisa) et de sa fille de 7 ans qui l’accompagne, Anasofia Perez Bohorquez.

[2]               Le 7 novembre 2013, à la suite d’un entretien avec un agent des visas à Bogotá, en Colombie, il a été déterminé que Luisa n’était pas une enfant à charge en raison d’une incapacité mentale en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et que, par conséquent, elle ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial. La demanderesse a interjeté appel de la décision auprès de la SAI. La SAI a démêlé un tissu de mensonges inventés par plusieurs intervenants et, le 8 mars 2016, a rendu une longue décision. Elle a conclu que Luisa ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial puisqu’elle ne répondait pas à la définition d’une enfant à charge (c.-à-d. qui dépend financièrement de la demanderesse) en raison d’un problème de santé mentale.

II.                Contexte factuel

[3]               La demanderesse est arrivée au Canada en provenance de la Colombie le 5 mars 2007, car elle craignait les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Elle s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en juin 2008 et est devenue citoyenne canadienne en 2014. Ce n’est que lorsque la demanderesse a tenté de parrainer Luisa que la SAI a déclaré avoir découvert que la majeure partie du formulaire de renseignements personnels de la demanderesse dans sa demande d’asile était manifestement fausse.

[4]               La demanderesse est mariée et elle a 3 enfants : Luisa, Valentina et Luis. Luis vit avec ses parents et Valentina avec son petit ami. Luis et Valentina sont venus au Canada avant leurs parents et ont obtenu le statut de réfugié. Lorsque la demanderesse a obtenu le statut de réfugié, elle a présenté une demande à Bogotá aux fins de traitement simultané des demandes de son mari, de sa mère, de Luisa et de sa petite-fille. Après que Luisa a été interrogée à Bogotá, la demanderesse a été informée du fait que Luisa était âgée de plus de 22 ans à la date pertinente, qu’elle et son enfant ne faisaient pas partie de la catégorie du regroupement familial et que leur demande de statut de résident permanent était refusée. Le 20 juin 2012, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas. En 2013, la mère et le mari de la demanderesse ont obtenu la résidence permanente et ont laissé Luisa et sa fille seules en Colombie.

[5]               Le 3 juin 2013, Luisa a déposé une demande de résidence permanente pour elle-même et sa fille et a été coparrainée par sa mère et son père pour les mêmes motifs que ceux que l’agent des visas avait rejetés. Une fois encore, sa demande a été rejetée par un agent des visas. La demanderesse a interjeté appel de cette décision auprès de la SAI.

[6]               La SAI a conclu que la demanderesse (ainsi que son mari et son fils) n’étaient pas crédibles sur plusieurs points déterminants. En particulier, la SAI a relevé d’importantes divergences entre le fondement de la demande de statut de réfugié de la demanderesse, les déclarations faites aux agents des visas et les preuves contradictoires présentées à la SAI elle-même. La demanderesse n’était pas crédible à l’égard de ce qui suit : la durée de sa résidence et de celle de Luisa aux États-Unis; le degré d’éducation de Luisa et la qualité de son éducation; les emplois antérieurs de Luisa; le mariage de Luisa alors qu’elle vivait aux États-Unis; l’emploi continu de Luisa comme éducatrice de la petite enfance; et les revenus non déclarés de la demanderesse et de son mari au Canada, malgré le fait qu’ils sont tous des bénéficiaires de prestations du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées.

[7]               La SAI a conclu que Luisa continuait d’être employée en Colombie comme éducatrice de la petite enfance. En outre, elle a passé 15 ans aux États-Unis, où elle a décroché un diplôme d’une école secondaire américaine, ce qui pourrait expliquer en partie ses difficultés de lecture et de rédaction en espagnol. De plus, malgré le fait que les demandes d’asile ont été acceptées, la demanderesse et les membres de sa famille sont retournés en Colombie pour rendre visite à Luisa. La SAI a conclu que, compte tenu des antécédents de Luisa en matière d’éducation et d’emploi, elle ne dépendait pas du soutien financier de la demanderesse pour cause d’incapacité mentale.

III.             Question en litige

[8]               La question que je dois trancher est de savoir si la SAI a raisonnablement conclu que Luisa ne fait pas partie de la catégorie du regroupement familial.

IV.             Norme de contrôle

[9]               Les parties font valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et je suis d’accord.

V.                Analyse

[10]           La définition pertinente de « membre de la catégorie du regroupement familial » se trouve à l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. Au moment où l’agent des visas a pris la décision, l’article 2 du Règlement définissait un « enfant à charge » comme suit :

« enfant à charge » L’enfant qui :

a) d’une part, par rapport à l’un de ses parents :

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

(i) il est âgé de moins de vingt-deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

(ii) il est un étudiant âgé qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci,

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

(iii)       il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

[caractères gras ajoutés]

[11]           La présente demande de contrôle judiciaire se résume à l’alinéa en caractères gras. Luisa est-elle incapable de subvenir financièrement à ses besoins depuis le moment où elle a atteint l’âge de vingt-deux ans, à cause d’un état physique ou mental? Seule l’incapacité mentale a été présentée dans la demande de parrainage.

[12]           Une évaluation en deux étapes s’impose : premièrement, il faut évaluer si la personne est âgée de plus de 22 ans (l’âge est maintenant de 19 ans); et deuxièmement, si elle est financièrement dépendante en raison d’une déficience mentale. La SAI a fait une évaluation distincte en vertu du sous-alinéa 133(1)j)(i) du Règlement (tel qu’il existait au moment de la demande) relativement aux obligations financières de la demanderesse, lesquelles n’ont pas été contestées.

[13]           L’avocat du demandeur a présenté en détail le dossier à la Cour pour montrer pourquoi la SAI ne s’était pas montrée raisonnable dans ses conclusions en matière de crédibilité. La demanderesse conteste le traitement qu’a fait la SAI de plusieurs rapports médicaux soumis à l’appui de la revendication d’incapacité mentale de Luisa. La demanderesse conteste en outre l’évaluation négative faite par la SAI des rapports médicaux dans le cadre de son évaluation médicale étant donné qu’elle s’est ensuite appuyée sur ces mêmes rapports pour conclure que Luisa avait passé 15 ans aux États-Unis.

[14]           En réponse, le défendeur a présenté à la Cour la chronologie de chaque rapport médical comparativement à la présence effective alléguée de la demanderesse et de Luisa. Les observations cliniques, les traitements, le suivi, les omissions, les recommandations et les diagnostics ont tous été longuement discutés.

[15]           Après avoir examiné tous les arguments des parties au regard du dossier et des motifs, je considère que le traitement des rapports médicaux fait par la SAI est raisonnable.

[16]           La demanderesse a fait valoir que Luisa était incapable de subvenir à ses besoins en raison d’une incapacité mentale. Le fondement de cette affirmation est qu’elle ne peut communiquer qu’en anglais et qu’elle ne peut donc pas conserver un emploi en Colombie. De plus, elle ne pouvait pas se trouver un emploi étant donné qu’elle était sous protection policière. Selon la demanderesse, cela explique pourquoi elle ne pouvait pas envoyer d’aide financière directement à Luisa, car cela révélerait son adresse. La demanderesse fait valoir que la SAI a commis une erreur dans son évaluation négative de la dépendance de Luisa en raison de son incapacité mentale et dans sa décision selon laquelle Luisa pourrait subvenir à ses besoins en tant qu’éducatrice de la petite enfance. Le fait que la SAI s’est fiée à l’éducation de Luisa et à ses messages Facebook était déraisonnable compte tenu des déclarations légales sous serment et de la preuve que des paiements étaient envoyés mensuellement par la demanderesse à son amie Silvia (amie et voisine de Luisa).

[17]           La SAI a tiré des conclusions justifiables relativement à la preuve en concluant que Luisa n’avait pas d’incapacité mentale qui l’empêchait de subvenir à ses besoins. Le traitement des rapports médicaux était juste et raisonnable. Il incombait à la demanderesse de démontrer une dépendance financière en raison d’une incapacité mentale et elle n’y est pas parvenue en raison d’un manque de crédibilité. Voici quelques-unes des nombreuses contradictions contenues dans la preuve que la SAI a relevées à l’appui de ses conclusions :

  1. École : Il est affirmé à plusieurs reprises que Luisa ne sait pas lire ou écrire l’espagnol. La SAI souligne que cela pourrait raisonnablement s’expliquer par ses 15 années d’études dans des écoles anglaises aux États-Unis. Au cours de son entrevue du 3 novembre 2011, Luisa a affirmé qu’elle n’avait jamais été inscrite à temps plein dans un établissement d’enseignement postsecondaire. Il s’est avéré ultérieurement qu’elle avait été en mesure d’obtenir un diplôme en éducation de la petite enfance. Son frère Luis a affirmé n’avoir eu aucun contact avec Luisa aux États-Unis durant la scolarité de cette dernière. Lorsque l’avocat du défendeur a souligné qu’il avait fréquenté la même école que Luisa pendant six mois, il a modifié son témoignage. La demanderesse avait tout d’abord affirmé que Luisa et Luis s’étaient vu refuser leur demande d’asile pendant qu’ils poursuivaient leurs études aux États-Unis avant d’admettre qu’ils n’avaient même pas demandé l’asile.
  2. Travail : Sur les médias sociaux, Luisa a indiqué qu’elle était employée en Colombie comme enseignante auprès de jeunes enfants dans l’école Holmes. À différents moments, la SAI a conclu [traduction] « qu’il n’existait aucune preuve crédible qu’une dyslexie l’empêchait de trouver un emploi » et que [traduction] « la demanderesse possédait l’intelligence nécessaire pour travailler comme sa mère l’avait initialement affirmé, mais qu’elle apprenait à sa façon ».
  3. Argent : La demanderesse envoie l’équivalent de 600 $ à 700 $ par mois à son amie Silvia Montoya. Toutefois, les documents financiers fournis étaient en espagnol et rien ne permet de déterminer que Luisa est la bénéficiaire d’un tel soutien financier en raison de son handicap. La raison invoquée était que Luisa se cachait des FARC et qu’ils ne voulaient pas que le numéro d’identification apparaisse. Pourtant, la famille se rend en Colombie sans aucune crainte apparente des FARC.
  4. Mariage : La SAI a analysé le témoignage donné par Luisa dans son entrevue du 3 novembre 2011, entrevue durant laquelle elle a dit qu’elle n’avait jamais été mariée. En fait Luisa a été mariée aux États-Unis à un citoyen américain, soit du 31 mai 2003 jusqu’à ce que le mariage soit annulé le 27 décembre 2013. Cette information a été dévoilée après que l’Agence des services frontaliers du Canada a intercepté un ensemble de documents qui avaient été envoyés par la demanderesse à Luis et qui contenaient des photocopies du certificat de mariage de Luisa aux États-Unis ainsi qu’une note invitant à faire le nécessaire pour que le reste de la famille puisse quitter la Colombie.
  5. Incapacité : Les revendications de Luisa en matière d’incapacité sont contredites par elle-même et par la demanderesse. Dans son entrevue du 3 novembre 2011, Luisa a admis qu’elle ne pouvait pas subvenir à ses besoins en raison d’une incapacité mentale. La demanderesse a également admis dans un courriel du 7 novembre 2011 que Luisa ne dépendait pas d’elle à cause d’un problème de santé mentale et que si Luisa était incapable de subvenir à ses besoins en Colombie, c’était uniquement à cause des FARC. Malgré cela, un psychologue clinique, sur lequel la demanderesse s’appuie, a accepté la [traduction] « vérité brodée offerte par ... » la demanderesse et Luisa en diagnostiquant cette dernière comme [traduction] « ayant un déficit cognitif limite qui lui permet seulement d’effectuer des tâches simples et d’assumer des responsabilités de faible niveau ». La SAI n’a pu trouver aucune indication que des tests ont été exécutés ou qu’un traitement ou un suivi a été effectué pour corroborer ce diagnostic.

[18]           Ce n’est pas mon rôle de réévaluer les éléments de preuve ou de tirer des conclusions de fait. Les arguments détaillés de la demanderesse concernant les conclusions factuelles erronées n’abordaient visiblement pas d’autres conclusions inattaquables. Même si j’avais conclu que les conclusions présentées dans l’argumentation étaient erronées (ce que je n’ai pas fait), cumulativement, il était encore raisonnable pour la SAI de déterminer que Luisa ne satisfaisait pas aux exigences pour être un membre de la catégorie du regroupement familial.

[19]           Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12).

[20]           Compte tenu de l’ensemble du dossier présenté à la SAI, y compris les demandes antérieures de la demanderesse et de Luisa qui ont été rejetées (dont la SAI était en droit de tenir compte), je conclus que la décision de la SAI était raisonnable. La SAI a examiné méticuleusement les rapports médicaux avant de conclure que Luisa n’était pas une enfant à charge. La SAI a soupesé les éléments de preuve tout en constatant des omissions et des contradictions et a abouti à une conclusion raisonnable compte tenu de ces constatations.

[21]           Aucune question de certification n’a été proposée et aucune ne se pose. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1399-16

INTITULÉ :

ANA JULIA BOHORQUEZ GONZALEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DES MOTIFS :

Le 28 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Ronald Shacter

Pour la demanderesse

Bridget O’Leary

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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