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Date : 20161102


Dossier : IMM-1244-16

Référence : 2016 CF 1220

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ATTILA CSOKA

ZOLTAN CSOKA

ATTILANE CSOKA

KRISZTIAN CSOKA

ATTILA CSOKA

RICHARD CSOKA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Les demandeurs, M. Attila Csoka, sa conjointe de fait, Mme Attilane Csoka, leurs trois enfants mineurs et le frère de M. Csoka, sont les membres d’une famille hongroise et ils font partie de la communauté rome. En juin 2015, ils sont arrivés au Canada et ont déposé une demande d’asile alléguant qu’ils craignaient de retourner en Hongrie en raison de la discrimination généralisée contre les Roms et du risque de violence auquel des groupes racistes organisés tels que les têtes rasées et les membres de la Garde hongroise les exposeraient.

[2]               En octobre 2015, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté leur demande en concluant que les membres de la famille Csoka n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. En mars 2016, la Section d’appel des réfugiés (SAR) a rejeté l’appel de la famille Csoka, confirmant la décision de la SPR. La SAR n’était pas convaincue que la discrimination subie par la famille Csoka en Hongrie équivalait à de la persécution ou que la présomption de la disponibilité de la protection de l’État en Hongrie pour les membres de la communauté rome avait été réfutée à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants.

[3]               Les membres de la famille Csoka ont présenté à notre Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Ils soutiennent que la décision est déraisonnable, car la SAR a commis une erreur dans la conduite de son analyse de la protection de l’État. Ils prétendent également que la SAR n’a pas appliqué la bonne norme d’intervention en appel de la décision de la SPR. Ils demandent à notre Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire aux fins d’un nouvel examen par un nouveau tribunal.

[4]               Je conviens que la décision de la SAR était déraisonnable, car elle a conclu à tort que la famille Csoka pouvait s’adresser aux institutions gouvernementales et aux organisations non gouvernementales plutôt qu’à la police pour obtenir une protection adéquate de l’État. En outre, la SAR a eu recours de façon déraisonnable à des éléments de preuve documentaire qui ont été maintes fois écartés par notre Cour en tant qu’éléments de preuve peu fiables de la protection de l’État en Hongrie. Cela suffit pour que la décision de la SAR tombe en dehors des issues possibles acceptables. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et renvoyer l’affaire aux fins d’un nouvel examen.

[5]               La conclusion de la SAR relativement à la protection de l’État est déterminante et c’est la seule question que je dois trancher dans le cadre de l’examen de la présente demande.

II.                Contexte

A.                La décision de la SAR

[6]               En ce qui concerne la question de la protection de l’État, la SAR a conclu que les éléments de preuve dont elle disposait étaient mitigés. Cependant, elle a conclu que la famille Csoka n’avait pas démontré que la protection de l’État en Hongrie était si inadéquate qu’elle ne s’adresserait pas du tout aux autorités ou qu’elle n’avait pas besoin de prendre toutes les mesures raisonnables pour se prévaloir de la protection dans son pays d’origine. D’après l’évaluation faite par la SAR, les éléments de preuve présentés montrent que la Hongrie est un pays démocratique dont l’appareil étatique et l’autorité gouvernementale ne sont pas complètement effondrés. La SAR a également observé que les autorités hongroises avaient pris des mesures contre les organisations extrémistes. D’autre part, la SAR a reconnu que certains Hongrois, ainsi que des personnes occupant des postes d’autorité et de sécurité, ont une attitude discriminatoire et préjudiciable à l’égard des Roms. Toutefois, la SAR a déterminé que la protection de l’État restait disponible en cas de discrimination.

[7]               La SAR a réaffirmé qu’il incombait à la famille Csoka de faire un effort raisonnable pour obtenir la protection de l’État dans son pays d’origine avant de demander l’asile au Canada. La SAR a conclu que la famille Csoka [traduction] « obtiendrait une protection adéquate de l’État en Hongrie à son retour si elle devait faire des efforts raisonnables et sincères pour la demander ». La SAR a en outre indiqué [traduction] « qu’aucun gouvernement n’est tenu de garantir une protection parfaite à ses citoyens en tout temps et le fait qu’un État ne réussisse pas toujours à protéger ses citoyens ne suffit pas à justifier une demande d’asile ». Même si les éléments de preuve étaient mitigés, la SAR a estimé que la famille Csoka [traduction] « n’avait pas démontré que la protection de l’État en Hongrie était insuffisante en cas d’efforts sincères à faire pour la demander » et que [traduction] « lorsque des plaintes sont déposées, les autorités prennent des mesures ». La SAR a donc conclu que la famille Csoka n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[8]               Dans le cadre de son analyse, la SAR a convenu que [traduction] « le gouvernement minoritaire rom et d’autres organisations similaires, ainsi que les organisations non gouvernementales, ne fournissent pas de protection, et que c’est la police qui est chargée d’assurer cette protection ». En examinant les éléments de preuve documentaire, la SAR a conclu que de nombreux organes gouvernementaux et organisations non gouvernementales étaient là pour informer les victimes de discrimination et de violence de leurs droits et qu’ils avaient ainsi permis aux citoyens, y compris les Roms, d’obtenir des réparations en cas de discrimination. La SAR s’attendait à ce que ces organisations se montrent disponibles pour aider la famille Csoka à son retour en Hongrie.

B.                 La norme de contrôle

[9]                    La question du caractère adéquat de la protection de l’État est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable puisqu’elle soulève des questions mixtes de fait et de droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Flores Carrillo, 2008 CAF 94, au paragraphe 36; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 [Hinzman], au paragraphe 38; Gomez Florez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 659, au paragraphe 24; Moran Gudiel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 902, au paragraphe 15). En particulier, la question de savoir si la SAR a compté sur la police pour assurer la protection est également une question mixte de fait et de droit qui fait partie de l’analyse de la protection de l’État par la SAR. Par conséquent, elle aussi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Hinzman, au paragraphe 38, Meza Varela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364 [Meza Varela], au paragraphe 12).

[10]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et les conclusions de la SAR ne devraient pas être modifiées dès lors que la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la raisonnabilité de conclusions de fait, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 17).


III.             Analyse : l’analyse de la protection de l’État effectuée par la SAR était-elle déraisonnable?

[11]           La famille Csoka conteste de nombreux éléments de l’analyse de la protection de l’État effectuée par la SAR. Selon la famille Csoka, la SAR a utilisé un critère inapproprié, en se concentrant sur le fait que le gouvernement hongrois s’efforçait d’améliorer la situation de ses minorités, au lieu d’analyser si ces efforts étaient efficaces et adéquats pour assurer la protection de l’État (Meza Varela, au paragraphe 16, Orgona c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1438 [Orgona], au paragraphe 11).

[12]           Je ne souscris pas à cette analyse. La SAR a explicitement reconnu que c’était le caractère adéquat réel de la protection de l’État qui importait. Même une lecture superficielle des motifs de la SAR démontre qu’elle s’est concentrée non seulement sur les efforts déployés, mais aussi sur les résultats de l’intervention de l’État. De même, l’affirmation selon laquelle il est impossible de savoir si la SAR pensait que la situation s’était aggravée ou améliorée pour les Roms en Hongrie est sans fondement. Il n’est pas déraisonnable de reconnaître que les Roms sont maltraités en Hongrie et que l’État échoue souvent à assurer une protection, et de conclure quand même, selon la prépondérance des probabilités, que cela ne suffit pas pour réfuter la présomption de protection de l’État. La pondération de la preuve est au cœur de la compétence de la SAR. Contrairement à ce que prétend la famille Csoka, cela n’indique pas que la SAR s’est contredite; cela reflète simplement le fait que les éléments de preuve analysés par la SAR allaient dans les deux sens. La SAR a clairement déclaré, à plusieurs reprises, que les éléments de preuve documentaire dont elle disposait étaient « mitigés ».

[13]           Cependant, je trouve que l’analyse de la protection de l’État effectuée par la SAR, lorsque cette dernière a examiné les moyens de protection offerts par l’État aux Roms, est tombée en dehors des issues possibles acceptables.

A.                Le rôle des institutions autres que la police

[14]           Au début de son analyse, la SAR a déclaré à juste titre que la police avait pour mission d’assurer une protection. Toutefois, son analyse s’est ensuite concentrée strictement sur la protection offerte par d’autres institutions gouvernementales et des organisations non gouvernementales. Il s’agissait là d’une erreur suffisante pour que l’analyse de la protection de l’État effectuée par la SAR soit déraisonnable.

[15]           Le ministre soutient que la SAR a tout simplement analysé toutes les options dont disposait la famille Csoka pour demander une protection, y compris les organisations non gouvernementales, et a ainsi effectué une évaluation complète de tous les aspects des voies de recours en Hongrie. Il mentionne que la SAR a reconnu que c’était à la police qu’incombait la mission d’assurer une protection. Le ministre plaide en outre que les autorités hongroises se révèlent être ouvertes aux plaintes pour discrimination déposées par les Roms.

[16]           Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. Au contraire, mon examen de la décision de la SAR m’amène à conclure que, dans ses motifs, la SAR a constamment laissé entendre que la famille Csoka aurait dû s’adresser à des organismes gouvernementaux autres que la police et à des organisations non gouvernementales pour obtenir la protection de l’État et que ces institutions offraient des recours acceptables et satisfaisants en pour obtenir la protection de l’État. Une lecture des motifs de la SAR révèle que ces recours autres que la police ne sont pas simplement signalés comme étant une autre option à la disposition de la famille Csoka. La preuve suggère plutôt que le SAR les a considérés comme étant des options suffisantes.

[17]           Par exemple, la SAR a déclaré que la famille Csoka n’avait pas démontré que [traduction] « la protection de l’État en Hongrie serait telle qu’elle ne pourrait pas s’adresser aux autorités ou qu’elle ne s’adresserait pas du tout aux autorités ou qu’elle n’avait pas besoin de prendre ou ne prendrait pas toutes les mesures raisonnables pour obtenir la protection de l’État dans son pays d’origine, par exemple en demandant l’aide de personnes d’une instance supérieure ou en ayant recours à d’autres mécanismes, comme le Bureau de l’ombudsman des minorités ou la Commission indépendante des plaintes sur la police (la CIPP), avant de demander une protection internationale au Canada ». (Non souligné dans l’original.) Ce passage ne fait nullement mention de la protection policière. La SAR a par la suite fait référence au problème de la corruption en Hongrie, mais elle s’est dite satisfaite que [traduction] « le gouvernement dispose de mécanismes pour enquêter sur la corruption et les abus policiers et les sanctionner ». Elle a ensuite examiné les rapports faisant état d’enquêtes sur les abus policiers et les travaux de la Commission indépendante des plaintes sur la police. Là encore, l’accent est mis sur les mesures permettant de corriger les faiblesses et les abus de la police, et non sur la protection effectivement offerte par la police.

[18]           La SAR a alors tiré la conclusion suivante : [traduction] « il n’y a pas de raison significative pour que [la famille Csoka] ne puisse pas se plaindre auprès des agences de l’État qui s’occupent de l’inaction, de l’inconduite et des abus de la police ». Elle a également conclu que les autorités hongroises [traduction] « prenaient des mesures contre les policiers qui abusaient de leur pouvoir ou se livraient à des pratiques illégales ». Après s’être référée à un rapport du Centre européen pour les droits des Roms (CEDR) pour illustrer des actions concrètes de la part de la police, la SAR a estimé que « si la famille Csoka se voyait refuser une protection adéquate de l’État ou si ses plaintes ne devaient pas être prises au sérieux par la police, elle pourrait signaler l’inaction de la police ou le refus de cette dernière d’offrir des services de sécurité à des personnes d’une instance supérieure ou demander réparation en adressant ses plaintes à des organismes dotés d’un pouvoir de surveillance avant de demander une protection internationale ». (Non souligné dans l’original.)

[19]           Il est bien reconnu que c’est à la police qu’incombe la responsabilité de protéger les citoyens (Katinszki c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1326 [Katinszki], aux paragraphes 14 et 15; Flores Zepeda c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, aux paragraphes 24 et 25). Dans la décision Malik, la juge Tremblay-Lamer a indiqué « qu’un individu n’est pas obligé de demander des conseils, un avis juridique ou de l’aide d’une organisation de défense des droits de l’homme si la police est incapable de l’aider » (Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 453, au paragraphe 21).

[20]           Les autres institutions qui se soucient de la corruption ou des abus de la part de la police ne constituent pas des substituts ou des solutions de remplacement à la protection policière : « La jurisprudence de la Cour établit très clairement que la police est présumée être la principale institution chargée d’assurer la protection des citoyens et que les autres institutions publiques ou privées sont présumées n’avoir ni les moyens ni le rôle d’assumer une telle responsabilité. » (Katinszki, au paragraphe 15; Hindawi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 589, au paragraphe 27)

[21]           Les enquêtes sur les plaintes de corruption et d’abus de la part de la police ou la présence d’une infrastructure qui offre réparation lorsque les plaintes ne sont pas traitées n’équivalent pas à la protection assurée par la police. En d’autres termes, la SAR n’a mentionné aucune preuve solide de la protection offerte par la police hongroise, même si elle avait reconnu, plus tôt dans son analyse, que c’était la police qui était responsable d’offrir la protection de l’État. En fait, comme l’a reconnu l’avocat du ministre dans ses observations écrites et lors de l’audience devant notre Cour, la seule référence à l’action policière et aux enquêtes effectives sur des incidents de violence contre les Roms était le rapport du Centre européen pour les droits des Roms, lequel a été jugé peu fiable à maintes reprises par notre Cour.

B.                 Les rapports invoqués par la SAR

[22]           L’erreur commise par la SAR est en effet aggravée par le fait que les exemples cités par le tribunal se rapportent à des institutions et à des rapports jugés peu fiables par notre Cour dans plusieurs autres affaires.

[23]           Dans la décision Mezei v. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 1025, aux paragraphes 12 à 14, la juge Tremblay-Lamer a récemment souligné que les références aux mesures prises par la Commission indépendante des plaintes sur la police étayaient la conclusion selon laquelle les demandeurs d’asile pouvaient s’adresser à une autorité supérieure, mais qu’elles n’indiquaient pas qu’une protection était offerte par l’État dans les faits. En effet, notre Cour a souvent rejeté l’idée que la Commission indépendante des plaintes sur la police offre une protection de l’État en Hongrie (Katinszki, au paragraphe 14; Orgona, au paragraphe 14; Balogh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 76, au paragraphe 31). Les rapports sur les programmes de formation de la police n’ont aucune incidence sur l’adéquation de la protection de l’État et ne constituent pas des mesures énergiques pour réduire la violence.

[24]           En ce qui concerne le rapport du Centre européen pour les droits des Roms, notre Cour a conclu, en des termes assez forts, qu’il comportait des lacunes dans la décision Hanko c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 474 [Hanko], aux paragraphes 12 à 14, et dans la décision Marosi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (26 novembre 2013) IMM-1675-13, aux paragraphes 7 et 8. Contrairement à ce que soutient le ministre, ce rapport du Centre européen pour les droits des Roms ne faisait pas partie des nombreux rapports que la SAR avait examinés dans sa décision. Il se distingue plutôt comme étant le seul élément de preuve invoqué par la SAR à l’appui d’une protection policière efficace.

[25]           Ce qui est encore plus troublant, c’est que, dans ses motifs, la SAR a répété, mot à mot, le passage même qui a été critiqué et rejeté par la Cour dans la décision Hanko. Le fait que la SAR n’en a pas tenu compte et est restée sourde à cette question en dépit du fait que l’avocat de la famille Csoka avait précisément attiré l’attention de la SAR sur ce point dans ses observations est incompréhensible et ne s’inscrit pas du tout dans les limites de la raisonnabilité. Lorsqu’un décideur, sans retenue, ne tient pas compte des enseignements antérieurs de la Cour et qu’il invoque comme preuve principale d’une protection adéquate offerte par la police un rapport qui a été spécifiquement rejeté dans des décisions antérieures, cela justifie vivement l’intervention de la Cour.

[26]           Je conviens avec le ministre que le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve. Toutefois, en l’espèce, les éléments de preuve invoqués par la SAR n’ont tout simplement pas étayé la conclusion selon laquelle l’État offrait une protection adéquate. Malgré les tentatives infructueuses de l’avocat du ministre pour sauver la décision de la SAR, les motifs du tribunal sont tellement ancrés dans le rôle central joué par les organismes autres que la police et dans les rapports peu fiables concernant les actions policières qu’ils vont bien au-delà des limites du caractère raisonnable. Dans les circonstances en l’espèce, je ne suis pas convaincu que les motifs de la SAR possèdent les attributs de la raisonnabilité, laquelle tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité.

[27]           Je suis conscient qu’en renvoyant cette affaire à la SAR, la nouvelle décision de la SAR pourrait être la même après la réalisation du nouvel examen compte tenu de ma décision et de l’accent mis sur la disponibilité de la protection offerte par la police. Cependant, il s’agit d’un examen que la SAR, et non notre Cour, doit effectuer, et auquel la famille Csoka a droit. Il est possible qu’en étant éclairé par les motifs de l’erreur commise par la SAR et l’obligation d’examiner dûment le rôle de la police hongroise dans l’analyse de la protection de l’État et de ne pas utiliser des sources lacunaires, un autre tribunal puisse en venir à une conclusion différente. Je ne saurais affirmer que le dossier va tellement à l’encontre l’accueil des appels de la famille Csoka qu’il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire devant la SAR (Lemus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CFA 114, au paragraphe 38).

IV.             Conclusion

[28]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire remplie par la famille Csoka doit être accueillie puisque l’analyse de la protection de l’État effectuée par la SAI est déraisonnable et que la décision ne représente subséquemment pas une issue possible acceptable en regard du droit et des éléments de preuve présentés à la SAR.

[29]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je conviens qu’il n’y a pas de question de cette nature.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie, sans dépens.

2.      La décision de la SAR est annulée.

3.      L’affaire est renvoyée devant la SAR pour une nouvelle décision sur le fond par un tribunal constitué différemment.

4.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1244-16

INTITULÉ :

ATTILA CSOKA, ZOLTAN CSOKA, ATTILANE CSOKA, KRISZTIAN CSOKA, ATTILA CSOKA, RICHARD CSOKA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

Le 2 novembre 2016

COMPARUTIONS :

Jack Davis

Pour les demandeurs

Kevin Doyle

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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