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Date : 20161031


Dossier : IMM-5781-15

Référence : 2016 CF 1207

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

SAMUEL VAN NGUYEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur, M. Samuel Van Nguyen souhaitait parrainer son épouse, Mme Doan T. Truong Nguyen, une citoyenne du Vietnam, aux fins de la résidence permanente au Canada. Un agent d’immigration du Haut-commissariat du Canada à Singapour a rejeté la demande de M. Nguyen au motif que le mariage n’était pas authentique et que le couple s’était engagé dans une relation principalement pour acquérir le statut en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Par conséquent, Mme Truong Nguyen ne pouvait pas être considérée comme une épouse et être parrainée dans la catégorie du regroupement familial en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

[2]               M. Nguyen a interjeté appel de la décision de l’agent auprès de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. En décembre 2015, la SAI a rejeté l’appel de M. Nguyen, souscrivant à la conclusion de l’agent selon laquelle le mariage était principalement motivé par un désir d’obtenir un avantage de l’immigration.

[3]               M. Nguyen demande à cette Cour que la décision de la SAI fasse l’objet d’un contrôle judiciaire. Il soutient que la décision est déraisonnable parce qu’elle n’a pas évalué la preuve de l’authenticité de son mariage, a mal interprété les faits et les éléments de preuve présentés, et a erré en tenant compte de son précédent mariage. M. Nguyen soutient également que les motifs de la SAI sont insuffisants puisqu’ils n’expliquent pas suffisamment comment le tribunal est parvenu à sa conclusion. M. Nguyen demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à la SAI aux fins d’un nouvel examen par un autre tribunal.

[4]               La demande de M. Nguyen soulève deux questions : 1) la décision de la SAI était-elle déraisonnable; 2) les motifs de la SAI étaient-ils insuffisants?

[5]               Ayant examiné la preuve dont disposait la SAI et le droit applicable, je ne vois rien qui permette d’infirmer la décision. Dans sa décision, la SAI a tenu compte de la preuve et l’issue peut se justifier au regard des faits et du droit. Elle appartient aux issues possibles acceptables. J’estime aussi que les motifs de la décision expliquent suffisamment comment la SAI en est arrivée à conclure que le mariage de M. Nguyen à Mme Truong Nguyen n’est pas authentique et a été conclu principalement dans le but d’obtenir le statut d’immigrant au Canada. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Nguyen.

II.                Contexte

A.                Décision de la SAI

[6]               La décision de la SAI est brève, elle comprend 15 paragraphes étalés sur trois pages.

[7]        La SAI n’a pas trouvé que M. Nguyen et Mme Truong Nguyen étaient des témoins crédibles et dignes de foi. Le tribunal a conclu que M. Nguyen n’avait pas fourni la preuve de l’authenticité et de l’évolution de sa relation avec Mme Truong Nguyen. De plus, les témoignages respectifs des deux conjoints ont mis au jour de nombreuses incohérences, plus précisément en ce qui concerne la date de la demande de mariage et leur connaissance mutuelle avant leur état matrimonial.

[8]        La SAI a aussi observé que, non seulement M. Nguyen avait fait sa rencontre initiale avec Mme Truong Nguyen au Vietnam au même moment où sa première épouse entrait au Canada en tant que résidente permanente, mais il n’a plus jamais vécu avec sa première femme. Le fait que M. Nguyen n’ait pas pu se souvenir du nom de sa première épouse pendant son témoignage oral a aussi nui à sa cause. La SAI a donc conclu que sa première union était un mariage de convenance et qu’il l’avait contracté principalement pour que son épouse de l’époque obtienne le statut de résidente permanente.

[9]        Un témoin, qui prétendait connaître M. Nguyen depuis 25 ans, a témoigné de l’authenticité de la relation entre M. Nguyen et Mme Truong Nguyen. Toutefois, la SAI a accordé peu de poids à son témoignage, puisque le témoin n’avait jamais entendu parler du premier mariage de M. Nguyen.

[10]           La SAI a reconnu que le couple avait un enfant. Le tribunal a mentionné que l’existence d’un enfant crée une présomption d’authenticité, mais a conclu que cette présomption a été renversée en l’espèce et éclipsée par les préoccupations entourant la crédibilité. La SAI a ensuite expliqué que M. Nguyen ne s’était pas « rendu au Vietnam pour voir son fils depuis son premier anniversaire en 2013 « et qu’il y avait « très peu d’éléments de preuve de soutien financier » avant le premier anniversaire de son enfant.

B.                 La norme de contrôle applicable

[11]           Notre Cour a toujours soutenu que les décisions de la SAI, en tant que tribunal spécialisé, doivent être évaluées avec déférence (Burton c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 345 [Burton], au paragraphe 13; MacDonald c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 978, au paragraphe 16). Plus précisément, la question de savoir si un mariage a été conclu principalement pour des motifs liés à l’immigration est une question de fait et de droit qui implique une décision éminemment factuelle et est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Burton, au paragraphe 15; Bercasio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 244 [Bercasio], au paragraphe 17; Aburime c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 194 [Aburime], au paragraphe 19; Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522 [Gill], au paragraphe 17).

[12]           Sur la question du caractère suffisant des motifs, il ne constitue plus un motif indépendant de contrôle judiciaire et est également susceptible de révision en vertu de la norme de la décision raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. TerreNeuveetLabrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], aux paragraphes 14 à 16; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Gabor, 2015 CF 168, aux paragraphes 16 à 19).

[13]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et les conclusions de la SAI ne devraient pas être modifiées dès lors que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 47). Lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la raisonnabilité de conclusions de fait, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland Nurses, au paragraphe 17).

III.             Analyse

A.                La décision de la SAI était-elle déraisonnable?

[14]           M. Nguyen soutient que la décision de la SAI est déraisonnable parce qu’elle n’a pas évalué toute la preuve de l’authenticité de son mariage, a mal interprété les faits et les éléments de preuve présentés, et a commis une erreur en tenant compte de son précédent mariage à sa première épouse, une ressortissante chinoise.

(1)               Le paragraphe 4(1) énonce un critère disjonctif

[15]           Je repose mon analyse sur les commentaires suivants. M. Nguyen semble suggérer que, comme l’alinéa 4(1)b) du Règlement emploie le présent lorsqu’il demande que le mariage soit authentique, le fait de prouver l’authenticité de sa relation aujourd’hui serait suffisant pour répondre au critère établi en vertu du paragraphe 4(1). Tel n’est pas le cas. Dans l’arrêt Gill, le juge en chef Crampton résume comme suit la méthode à utiliser pour évaluer l’authenticité d’un mariage en vertu du paragraphe 4(1) :

[29]      [...] Une simple lecture de l’article 4 du Règlement permet de voir qu’il s’agit de deux critères distincts. Si la constatation de l’authenticité d’un mariage excluait la possibilité de conclure que le mariage a été contracté principalement en vue de l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR, le second critère deviendrait superflu. Une telle chose irait à l’encontre de la présomption d’absence de dispositions « superfétatoires «. (R c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, au paragraphe 28).

[16]           Il y a deux critères distincts en vertu des alinéas 4(1)a) et 4(1)b) du Règlement, chacun de ces critères peut être suffisant en lui-même pour disposer d’une demande. La constatation de l’authenticité d’un mariage ne supprime pas l’exigence que le mariage ne doit pas avoir été conclu principalement en vue d’acquérir un statut. Pour être considéré comme étant un époux, le mariage doit être authentique et la relation ne doit pas avoir été engagée principalement à des fins d’immigration (Burton, au paragraphe 28; Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 320 [Khan], au paragraphe 16; Gill, aux paragraphes 29-30). Le paragraphe 4(1) dit clairement que « [c]chaque conclusion empêche l’épouse d’obtenir le visa nécessaire pour vivre avec son mari au Canada » (Khan, au paragraphe 16; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077, au paragraphe 5).

(2)               La SAI a fait une évaluation raisonnable des éléments de preuve

[17]           M. Nguyen prétend que, dans la présente affaire, la SAI n’a pas tenu compte de toutes ses circonstances ni des divers facteurs positifs et des éléments de preuve à l’appui de sa relation avec Mme Truong Nguyen. Il fait plus précisément référence à leur pays d’origine commun et à leur langue commune, à leur culture vietnamienne, à leur communauté ethnique et religieuse et à leur compatibilité, à leur enfant, à leurs factures de téléphone montrant les communications, à une police d’assurance-vie, aux éléments de preuve de soutien financier et à ses voyages de retour du Vietnam depuis 2009. M. Nguyen plaide en outre que les incohérences dans les témoignages ne prouvent pas l’absence d’une relation conjugale véritable et que les « incohérences […] représenteraient un faible fondement du rejet de tous les éléments de preuve en faveur de l’authenticité du [d’un] mariage » (Sandhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1303 [Sandhu], au paragraphe 6). M. Nguyen soutient donc que la SAI a commis une erreur en faisant fi « d’importants éléments de preuve d’une relation positive et authentique en se concentrant indûment sur des incohérences mineures » (Amayeanvbo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 621, au paragraphe 45).

[18]           Je ne suis pas d’accord avec les observations de M. Nguyen.

[19]           La SAI a évalué tous les éléments de preuve et a rejeté l’appel de M. Nguyen pour plusieurs raisons. Cela comprend le fait que M. Nguyen n’avait pas fourni d’éléments de preuve concernant la façon dont sa relation avec Mme Truong Nguyen avait évolué avant qu’ils ne se rencontrent en personne; le fait qu’il avait antérieurement parrainé quelqu’un d’autre comme son épouse, mais ne pouvait pas se rappeler son nom pendant le témoignage oral; le fait que sa première épouse soit arrivée au Canada quand M. Nguyen rencontrait Mme Truong Nguyen pour la première fois au Vietnam; le fait que M. Nguyen ait prétendu qu’il ne connaissait pas le projet de sa première épouse de venir au Canada; le fait qu’il y avait des incohérences entre les témoignages de M. Nguyen et Mme Truong Nguyen concernant la connaissance du premier mariage de M. Nguyen et la date de la demande en mariage; et le fait que l’ami proche qui a agi à titre de témoin n’avait pas connaissance du premier mariage de M. Nguyen. De plus, la SAI a, à juste titre, indiqué que, même si la présence d’un enfant crée une présomption qu’une relation est authentique, cette présomption peut être renversée. C’est ce qui se passe ici, puisque la SAI a évoqué plusieurs préoccupations quant à la crédibilité.

[20]           Je fais une pause pour souligner qu’il ne s’agit pas d’un cas où les conclusions défavorables tirées par la SAI quant à la crédibilité du demandeur ne sont pas étayées par les éléments de preuve au dossier. M. Nguyen a effectivement reconnu de nombreuses incohérences et contradictions. Cette situation est donc très différente des décisions Sandhu et Saroya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 414 citées par M. Nguyen.

[21]           Notre Cour doit faire preuve de retenue envers la SAI sur les questions de crédibilité. Ceci vaut encore davantage dans un cas comme celui-ci, où les personnes qui cherchent à tromper les autorités de l’immigration voudront faire paraître leur mariage authentique. Comme l’a signalé récemment la Cour, « l’évaluation de l’authenticité d’un mariage est une tâche difficile, même dans les meilleures conditions », dans un contexte où les personnes « qui ont l’intention d’avoir recours à une forme de tromperie pour obtenir le très précieux statut de résident permanent canadien se conduiront de façon que la relation semble extérieurement authentique, même si elle ne l’est pas » (Bercasio au paragraphe 23).

[22]           Je suis conscient du fait que, comme l’a souligné l’avocat de M. Nguyen, la SAI ne devrait pas transformer son examen en un test de mémoire (Shabab c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 872, au paragraphe 39). Cependant, le fait de cibler des éléments de preuve contradictoires et incohérents et de questionner un demandeur là-dessus, comme l’a fait la SAI en l’espèce, n’équivaut pas à cela.

[23]           Contrairement aux observations de M. Nguyen, il ne s’agit pas non plus d’une situation où « les éléments de preuve n’ayant fait l’objet d’aucune discussion dans les motifs semblent carrément aller à l’encontre de la conclusion de fait de l’organisme » (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1998] ACF n1425 (QL) [Cepeda-Gutierrez] au paragraphe 17). Il est bien reconnu que le décideur est présumé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que l’on démontre le contraire (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au paragraphe 1). Le défaut de mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9-10; Cepeda-Gutierrez, aux paragraphes 16-17). Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[24]           L’évaluation de l’authenticité d’un mariage est une décision éminemment factuelle au cœur de l’expertise et des fonctions de la SAI. Même si la Cour aurait pu évaluer les éléments de preuve différemment, elle ne devrait pas intervenir si une décision est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables. Je conclus que c’est clairement le cas de la décision de la SAI.


(3)               La SAI n’avait pas mal interprété les faits

[25]           M. Nguyen soutient de plus que la SAI a commis une erreur en indiquant qu’il ne s’était pas [traduction] « rendu au Vietnam pour voir son fils depuis son premier anniversaire en 2013 même s’il a fait des visites plus régulières avant sa naissance », et lorsqu’elle a déterminé que  [traduction] « très peu d’éléments de preuve de soutien financier » avaient été fournis pour la période antérieure à la naissance de leur enfant. M. Nguyen prétend que ces conclusions de fait ne sont pas exactes, car il a fourni la preuve qu’il avait rendu visite à son enfant en janvier 2014 et qu’il avait soutenu son épouse et son enfant issu d’un précédent mariage avant la naissance de son fils biologique, au moyen de 17 transferts d’argent totalisant 6 600 $.

[26]           Je ne suis pas convaincu que ces extraits constituent une fausse interprétation des faits justifiant l’intervention de notre Cour. En fait, les arguments de M. Nguyen, au lieu de refléter une lecture étroite de deux passages de la décision de la SAI, sont dissociés du contexte global de l’analyse du tribunal.

[27]           Je reconnais que la dernière fois que M. Nguyen s’est rendu au Vietnam était au début de 2014. Cependant, ce que la SAI dit était que M. Nguyen n’avait pas voyagé depuis le premier anniversaire de son fils, qui a eu lieu en décembre 2013. Le point central ici est que M. Nguyen n’avait pas, au moment de l’audience de la SAI, vu son fils depuis son premier anniversaire. Même si les mots choisis par la SAI pourraient ne pas être aussi clairs qu’ils auraient pu être, il est évident que le tribunal était au courant de la visite de M. Nguyen en janvier 2014. Je ne trouve aucune erreur importante dans la déclaration relevée par M. Nguyen, suffisante pour rendre la décision de la SAI déraisonnable. Concernant le soutien financier, je constate que de la naissance de son fils jusqu’en octobre 2015 (une période d’un peu moins de trois ans), M. Nguyen a envoyé environ 18 700 $ à son épouse. Il était donc loisible à la SAI, et certainement dans les limites de la raisonnabilité, de considérer comme [traduction« très peu d’éléments de preuve de soutien financier » ce qui a été fourni par M. Nguyen avant la naissance de son fils (soit 6 600 $), étant donné que le montant envoyé à Mme Truong Nguyen a triplé après la naissance de son fils.

(4)               La SAI a, à juste titre, tenu compte du premier mariage de M. Nguyen

[28]           M. Nguyen soutient ensuite que la SAI s’est concentrée sur les faits non pertinents lorsqu’elle a fait référence à son précédent mariage à sa première épouse, et a déraisonnablement tiré de ces faits une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur relativement à l’authenticité de son mariage actuel.

[29]           Je suis d’avis que la demande de M. Nguyen à cet égard est mal fondée. Comme l’a reconnu l’avocat de M. Nguyen à l’audience devant notre Cour, les antécédents en matière d’immigration et de parrainage d’un demandeur sont pertinents pour la prise de décisions par la SAI en vertu du paragraphe 4(1). Il est communément admis que les antécédents en matière d’immigration peuvent être évalués pour déterminer si un mariage répond aux exigences du Règlement (Aburime, au paragraphe 23; Enright c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 209, au paragraphe 45). La SAI peut en effet considérer un grand nombre de facteurs en déterminant l’authenticité d’un mariage (Ouk c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 891, au paragraphe 13; Khera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 632, au paragraphe 10). Il était donc raisonnable de prendre ce facteur en considération avant le mariage de convenance dans son analyse.

[30]           M. Nguyen affirme que cette conclusion a assombri l’approche de la SAI jusqu’au reste de la preuve et a indûment teinté son analyse. Je ne suis pas d’accord. La SAI ne pouvait certainement pas faire fi de cet élément compte tenu de son lien direct avec la demande de parrainage conjugal de M. Nguyen et je ne vois nulle part dans les motifs de la SAI une indication que le tribunal s’est laissé aveugler par les éléments de preuve dont il disposait à cause du premier mariage de M. Nguyen.

(5)               Conclusion concernant le caractère raisonnable

[31]           Essentiellement, M. Nguyen invite la Cour à réévaluer les éléments de preuve qu’il a présentés à la SAI. Lorsqu’il s’agit de procéder à l’analyse du caractère raisonnable de conclusions factuelles, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve ni de réévaluer l’importance relative que le décideur a accordée aux facteurs ou éléments de preuve pertinents. Si les conclusions fournissent une justification et une rationalité suffisantes à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve dont dispose le décideur, le tribunal chargé du contrôle judiciaire ne doit pas substituer sa conception d’une issue préférable.

[32]           Certes, les motifs de la SAI auraient peut-être être plus explicites et plus articulés, et formulés de manière plus précise. Toutefois, je ne suis pas convaincu que la décision atteint le niveau du caractère manifestement déraisonnable ou qu’elle manque d’intelligibilité. Le critère que notre Cour doit appliquer n’est pas de savoir si la décision satisfait aux attentes de M. Nguyen; la Cour doit plutôt statuer sur le caractère raisonnable de la décision.

[33]           La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). La Cour doit plutôt examiner les motifs en « essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15). Lorsqu’elle est lue dans son ensemble, la décision de la SAI est raisonnable et elle appartient aux issues possibles acceptables. La SAI a correctement évalué tous les facteurs nécessaires et fourni une analyse des éléments de preuve présentés. L’intervention de notre Cour n’est pas justifiée.

B.                 Les motifs de la SAI étaient-ils adéquats?

[34]           M. Nguyen prétend également que la décision de la SAI, qui ne comporte que trois pages avec une analyse réelle de sept paragraphes seulement, est simpliste et démontre une prise en compte insuffisante des éléments de preuve clés. Il se fonde sur la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Javed, où il a été déclaré que « [l’]omission de fournir des motifs de la décision pertinents ou suffisants est un manquement à l’équité procédurale » (Javed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1458, au paragraphe 22).

[35]           À mon avis, il s’agit là d’un énoncé exact du droit sur le caractère suffisant des motifs.

[36]           La suffisance des motifs n’est pas mesurée par la livre. Peu importe le nombre de mots utilisés par un décideur ou le degré de concision de la décision, le critère est de savoir si les motifs sont clairs et intelligibles et s’ils expliquent à la Cour et aux parties pourquoi la décision a été rendue. Les motifs sont suffisants s’ils « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Pour fournir des motifs adéquats, « le décideur doit exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions », ainsi que « traiter des principaux points en litige » et « examiner les facteurs pertinents » (Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office national des transports), [2001] 2 RCF 25, au paragraphe 22). C’est précisément ce qu’a fait la SAI.

[37]           Comme je l’ai expliqué dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdulghafoor, 2015 CF 1020, aux paragraphes 30-36 et Al-Katanani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1053 [Al-Katanani] au paragraphe 32, le droit relatif à la suffisance des motifs dans la prise de décisions administratives a évolué de manière substantielle depuis Dunsmuir. Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême a donné des indications quant à la manière d’aborder les situations dans lesquelles le décideur fournit des motifs brefs ou limités. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils traitent de l’ensemble des éléments de preuve ou des arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 16 et 18). Selon la norme, la décision doit être raisonnable, et non parfaite. Même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur, dans la mesure où elle est capable de comprendre le fondement de la décision (Al-Katanani, au paragraphe 32).

[38]           Il n’est pas nécessaire de rendre de longs motifs. Des motifs suffisants peuvent être donnés en une phrase ou deux (Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, au paragraphe 25). Aussi brefs qu’ils puissent être, les motifs sont suffisants s’ils « permettent à la cour de révision d’apprécier le bien‑fondé de la décision » (Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 46).

[39]           Les motifs de la SAI me permettent de comprendre comment le tribunal est parvenu à sa conclusion étant donné qu’ils expliquent pourquoi M. Nguyen et Mme Truong Nguyen ne répondent pas aux exigences du paragraphe 4(1) du Règlement et qu’il existe un fondement factuel sur lequel cette conclusion est fondée. Les motifs ne sont pas insuffisants en l’espèce.

IV.             Conclusion

[40]           Le refus par la SAI de l’appel de M. Nguyen au motif que son mariage n’était pas authentique et que le couple s’est engagé dans leur relation principalement pour acquérir le statut d’immigration représente un résultat raisonnable compte tenu du droit et des éléments de preuve dont disposait le tribunal. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Or, c’est le cas en l’espèce. De plus, la SAI a fourni des motifs suffisants. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Nguyen.

[41]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je conviens qu’il n’y a pas de question de cette nature.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5781-15

INTITULÉ :

SAMUEL VAN NGUYEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

Le 31 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Marc J. Herman

 

Pour le demandeur

Michael Butterfield

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Herman & Herman

Avocats

York (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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