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Date : 20161104


Dossier : IMM-2052-16

Référence : 2016 CF 1238

Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

MARIEM KLEIB

MOULAYE AHMED NOUEISSERI

AHMED NOUEISSERI

BEBAHA NOUEISSERI

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Question préliminaire

[1]               Une situation quelque peu inusitée s’est présentée. Avant que la demande de contrôle judiciaire ne soit entendue, la Cour a autorisé le défendeur à soumettre un affidavit supplémentaire. Grâce à cet affidavit, on a appris que les demandeurs ont quitté le Canada le 14 août dernier et seraient probablement retournés à leur pays d’origine, la Mauritanie.

[2]               Ce que l’affidavit omet, c’est que les demandeurs ont bel et bien quitté le Canada, mais il ne semble pas que ce fusse de leur plein gré. En effet, l’avocate des demandeurs a déclaré à la Cour que les demandeurs respectaient une mesure de renvoi après un refus d’un sursis administratif. Les demandeurs ont quitté le 14 août 2016, deux jours avant que cette Cour ne décide qu’une autorisation de contrôle judiciaire était appropriée. Ce n’est qu’à l’examen d’une attestation de départ que l’on constate l’existence d’une mesure de renvoi. La Cour est en droit de s’attendre à une meilleure transparence. Il peut y avoir une différence significative entre le départ volontaire, qui pourrait être perçu comme une renonciation au statut de réfugié dans certaines circonstances, et la personne qui fait l’objet d’une mesure de renvoi et s’y soumet après qu’on ait refusé de suspendre le renvoi.

[3]               Le ministre prétend que d’entendre la demande de contrôle judiciaire serait maintenant « futile » parce que le remède recherché, soit que l’affaire soit retournée pour qu’ait lieu un nouvel examen, ne peut être accordée. Selon le défendeur, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], requiert que la demande faite pour être reconnu comme réfugié doit être faite si la personne se trouve à l’étranger par une demande de visa (para 99(2) de la LIPR), ou si elle est faite au Canada, elle doit être présentée à un agent (para 99(3) de la LIPR). Faisant un argument de texte, sans plus, le ministre prétend que si l’article 97 est invoqué, il faut que la personne se trouve au Canada (« A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada […] »). De la même manière, qui se réclame de l’article 96 doit se trouver hors de tout pays dont il a la nationalité. Les demandeurs qui auraient été retournés dans leur pays de citoyenneté, la Mauritanie, ne se trouveraient plus hors du pays dont ils ont la nationalité. Leur demande d’asile doit alors être faite par voie de visa (para 99(2) de la LIPR). Selon ce syllogisme, les demandeurs n’étant plus au pays, et puisqu’il n’y a pas eu de demande de visa de l’étranger, la Section de la protection des réfugiés [SPR] n’aurait plus juridiction pour entendre un remède venant de cette Cour, le cas échéant.

[4]               L’avocate des demandeurs ne s’est pas objectée à la demande faite par le défendeur. On peut la comprendre. Elle n’aurait pas reçu de mandat pour contester ou non cette demande faite par le défendeur.

[5]               Le défendeur a prétendu que la demande de contrôle judiciaire est devenue « futile ». Il ne s’est pas réclamé de la doctrine relative au caractère théorique et il n’a pas cherché à s’appuyer sur l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski]. Il a plutôt cherché à faire un argument de texte, menant dit-il à la futilité mais non à une question théorique au sens de Borowski. J’avoue ne pas saisir la distinction. Quoiqu’il en soit, la Cour n’a pas été éclairée sur la base juridique de la futilité qui ne serait pas la question théorique à la Borowski. L’avocat s’est bien défendu d’invoquer Borowski, mais il recherche essentiellement le même résultat, soit le rejet de la demande de contrôle judiciaire sans en disposer au mérite.

[6]               En l’absence d’un argumentaire au contraire, la Cour a préféré ne pas se prononcer sur un argument de texte court. Je note cependant, au passage, que les articles 96 et 97 ne font que définir qui est un réfugié ou une personne à protéger. Les deux articles commencent par les mots « a qualité ». Si le contrôle judiciaire devait être accordé, ce serait pour que la SPR recommence l’exercice initial et non pour qu’une nouvelle demande d’asile soit faite ; or, il n’était aucunement question originalement que ces demandeurs n’avaient pas la qualité requise parce que leur demande ne rencontrait pas les prescriptions de l’article 99 : ils étaient au Canada et s’étaient donc adressés à un agent (para 99(3)). La question se poserait alors de savoir si l’expulsion du Canada nie la qualité initiale qui rencontrait la condition fondamentale que le demandeur soit au Canada. Ce qui aura mené à la décision de recommencer ce qui avait été entrepris originalement ne vient pas de l’absence de satisfaire l’exigence géographique, mais plutôt la décision aura été vue par la Cour comme n’étant pas raisonnable ou correcte. Dit autrement, selon le décideur administratif, le problème venait d’ailleurs : lorsque l’affaire est retournée, elle ne l’est pas sur la base que les personnes ne sont pas des réfugiés ou personnes à protéger qui n’étaient pas au Canada lorsque les demandes ont été faites. Le remède prononcé est typiquement qu’une nouvelle détermination du statut ait lieu, pas qu’une nouvelle demande d’asile soit déposée. Cette demande a déjà été faite et il n’est pas contesté qu’elle a été faite correctement aux termes de l’article 99 : lorsque la demande a été faite, la personne se trouvait au Canada. C’est plutôt le mérite de la demande qui est contesté.

[7]               En l’espèce, aucun effort n’a été fait pour présenter un argument qui tienne compte de la règle d’interprétation des lois la plus fondamentale. Comme il a été répété nombre de fois depuis Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, la phrase de E. A. Driedger établit que, selon la Cour, « l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » (para 21). Ladite phrase si bien connue de Driedger est ainsi traduite dans l’arrêt : « Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. »

[8]               Le résultat de l’interprétation proposée par le ministre me semblerait être le suivant. Malgré la demande faite pour obtenir le statut prévu aux articles 96 et 97 de la LIPR, si la demande est refusée par la SPR, il suffirait que le demandeur soit renvoyé pour que la demande de contrôle judiciaire de ce refus devienne « futile ». Alors même que la Cour aurait décidé que la décision de refuser le statut mérite un examen judiciaire, l’administration pourrait s’éviter le recours judiciaire en expulsant puisque, selon le ministre, il serait inutile d’entendre le contrôle judiciaire parce que la loi telle qu’interprétée par le ministre ne permettrait aucun remède. Il en résulte qu’un examen judiciaire de la situation d’une personne qui réclame l’asile serait futile. Même si la  Cour concluait à un vice donnant lieu à une décision positive, le droit au remède ordonné serait selon le ministre impossible à exécuter. Il ne pourrait y avoir nouvelle détermination du statut de réfugié parce que le tribunal administratif aurait perdu sa juridiction du seul fait de l’expulsion. Il me semble qu’une telle situation mériterait un examen plus approfondi que ce qui a été offert dans cette affaire.

[9]               Je ne doute pas que l’article 99 soit la disposition appropriée pour qui prétend être un réfugié (la personne à protéger, selon l’article 97, se trouve au Canada) et veut faire une demande en ce sens. Mais, au cas d’espèce, la demande originale a été faite en bonne et due forme. Lorsque la demande a été faite, la personne était au Canada. Cette affaire se trouve toujours devant les tribunaux. Il n’est pas clair que si un remède devait être ordonné, celui-ci requerrait qu’une nouvelle demande d’asile soit faite, plutôt que de considérer que la demande a été dûment faite et que le réexamen, s’il doit être ordonné, ne puisse avoir lieu sur cette seule base. En l’absence d’arguments, il est plus sage de maintenir le statu quo et de disposer de l’affaire au mérite. Qui plus est, le ministre n’a offert aucune autorité pour justifier une « doctrine de la futilité », non plus que de discuter de la nature juridique des articles 96 et 97 qui donnent l’apparence d’être des dispositions visant à définir le statut, alors que l’article 99 définit à qui une demande est faite.

[10]           À mon avis, il est incertain que la SPR puisse se déclarer sans juridiction si une affaire lui est retournée sur la base initiale. Ce pourrait être un débat pour un autre jour.

II.                La décision sur la demande de contrôle judiciaire

[11]           Les demandeurs en l’espèce se présentent comme une famille venant de Mauritanie. Leur demande d’être reconnus comme des réfugiés ou des personnes devant être protégées a été rejetée par la SPR, dans une décision rendue le 20 avril dernier. Ils se présentent devant cette Cour pour obtenir la révision judiciaire de cette décision, conformément à l’article 72 de la LIPR. Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire échoue.

[12]           La question sur laquelle la demande a été rejetée devant la SPR était que la crédibilité des demandeurs était tellement entachée que la demande devait être rejetée.

[13]           Des questions de cette nature sont examinées par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable. Déjà juste après que la décision de la Cour suprême ait été rendue dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, le juge Martineau, de notre Cour, statuait que la norme de la décision raisonnable s’applique là où la personne demandant refuge est dite non crédible (Garay Moscol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 657). Notre jurisprudence ne s’est pas dédite depuis.

[14]           C’est donc le fardeau des demandeurs que de satisfaire la Cour que la décision rendue en l’espèce n’a pas les apanages de la raisonnabilité. La décision appartient-elle aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et le processus décisionnel suivi est-il transparent et intelligible, permettant ainsi de trouver la justification à la décision?

[15]           Les demandeurs n’auront jamais réussi à faire cette démonstration. La décision, soigneusement rédigée par la SPR, identifie de nombreuses incohérences et contradictions qui rendent la version des demandeurs non crédible. Ainsi, au point d’entrée au Canada (les demandeurs ont transité aux États-Unis, là où ils bénéficiaient d’un visa d’entrée, mais ils n’y sont demeurés que bien peu de temps) le demandeur principal a omis d’indiquer au formulaire à être rempli qu’il avait déjà été détenu. Quant à son épouse, elle a aussi omis qu’elle aurait été séquestrée par sa famille. Tout l’épisode de la rencontre entre les époux était confus. L’une des raisons invoquées pour quitter la Mauritanie était que la famille de l’épouse de M. Kleib ne savait pas que le demandeur principal était issu d’une famille d’esclaves. Or, il est tout à fait improbable que ce fusse la situation puisqu’on verrait mal comment une telle situation pourrait être cachée bien longtemps, d’autant que les familles étaient voisines. Qui plus est, au point d’entrée l’épouse de M. Kleib a confirmé que c’est sa mère qui l’avait présenté à son futur mari.

[16]           Ce qui me semble encore plus significatif est le fait que le demandeur principal a indiqué avoir été détenu par les autorités de son pays pour des périodes bien différentes que ce qui est rapporté par son épouse. Ainsi, il a prétendu avoir été détenu deux jours, 12 jours et 14 jours alors que son épouse parlait en termes de trois jours, deux jours et cinq jours. Pourtant, elle dit l’avoir visité. S’il a été effectivement détenu, on comprend mal que les périodes de temps soient tellement différentes. Cette difficulté est augmentée lorsque les époux se contredisent sur les endroits où le mari aurait été détenu. Il est particulièrement troublant qu’une fois confronté aux différences, la femme du demandeur ait choisi de tenter d’aligner sa version sur celle entendue comme venant de son mari. Des ajustements de témoignage au gré des questions ne peuvent qu’avoir un effet significatif sur la crédibilité à accorder à l’histoire qui était racontée.

[17]           De la même manière, on ne peut concevoir que dans le formulaire d’entrée, quelqu’un qui dit avoir été détenu réponde non à la question de savoir s’il a été détenu, incarcéré ou emprisonné. L’explication donnée ne fait qu’envenimer les choses. Le demandeur aurait répondu qu’il était fatigué, tendu, et qu’il était craintif au moment où il a rempli ce formulaire. Craintif de quoi? Après avoir transité aux États-Unis, la seule raison de venir au Canada est pour invoquer le statut de réfugié sur la base du traitement qu’il aurait reçu en Mauritanie. Or, il ne fait aucun doute dans mon esprit que ces demandeurs avaient choisi la Canada pour y faire une demande de réfugiés. Le moins que l’on puisse espérer est que, à l’arrivée au Canada, les personnes déclarent les raisons pour lesquelles ils cherchent refuge. Il n’y a rien d’inconvenant à déclarer comme requis par la formule à être remplie, que l’on a été détenu, incarcéré ou emprisonné. C’est la base même de la demande de refuge au Canada.

[18]           Après avoir entendu les parties (l’avocate des demandeurs s’en est remise à son mémoire des faits et du droit) et lu les transcriptions des audiences tenues par la SPR, il n’a pas été démontré en quoi la décision prise pourrait être déraisonnable. De fait, elle est éminemment raisonnable. Au mieux, les demandeurs répètent les explications qui n’ont pas été retenues par la SPR. Je ne vois rien d’abusif ou d’arbitraire à la conclusion de la SPR que les témoignages rendus devant elles ne sont pas crédibles étant donné les incohérences et contradictions évidentes qui ont été notées. Il s’agit là manifestement d’une des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit et la décision rendue par la SPR est transparente, justifiée et intelligible. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question importante à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2052-16

 

INTITULÉ :

MARIEM KLEIB, MOULAYE AHMED NOUEISSERI, AHMED NOUEISSERI, BEBAHA NOUEISSERI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 octobre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Odette Desjardins

 

Pour la partie demanderesse

 

Me Alain Langlois

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Odette Desjardins

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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