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Date : 20161118


Dossier : IMM-4916-15

Référence : 2016 CF 1283

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 18 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

FENGYING MA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Ma est citoyenne de la Chine. Elle est arrivée au Canada en 2004 et a déposé une demande d’asile. La demande a finalement été rejetée en avril 2006. Elle est thérapeute holistique agréée et a possédé plusieurs entreprises depuis son arrivée au Canada.

[2]               Après le rejet de sa demande d’asile, Mme Ma a présenté une demande pour motifs d’ordre humanitaire et a aussi demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR). Selon le dossier, la demande pour raisons d’ordre humanitaire et l’ERAR ont été refusés et ces processus se sont terminés à la fin de 2011.

[3]               En 2007, Mme Ma a rencontré M. Wilson, un citoyen canadien. Ils ont commencé à cohabiter en 2008 et se sont mariés en 2010. En 2010, M. Wilson a présenté une demande de parrainage de conjoint au Canada au nom de Mme Ma. La demande a d’abord été rejetée, mais avec le consentement des parties, elle a été renvoyée aux fins d’un nouvel examen.

[4]               La demande de parrainage de conjoint a été rejetée une deuxième fois en octobre 2015. L’agent de Citoyenneté et Immigration (agent) n’était pas convaincu que le mariage était authentique et qu’il n’avait pas été contracté principalement à des fins d’immigration. La Cour est maintenant saisie de cette décision.

[5]               Mme Ma soutient que l’agent : 1) a entrepris un interrogatoire qui donne lieu à une crainte raisonnable de partialité; 2) a rendu une décision déraisonnable en s’attardant à des questions secondaires pour déterminer que le mariage n’était pas authentique; 3) a entrepris une spéculation injustifiée et s’est fié sur des considérations arbitraires, extérieures et non pertinentes; et 4) a commis une erreur en déterminant que le mariage n’était pas authentique. Elle demande que la décision défavorable soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

[6]                Je ne suis pas convaincu que le dossier fasse état d’une partialité personnelle ou institutionnelle tel qu’il est allégué. Par contre, j’estime que la transparence, la justification et l’intelligibilité de la décision sont minées par le fait que l’agent a omis d’aborder et de dire pourquoi la preuve documentaire corroborant la cohabitation ne l’a pas emporté sur les éléments de preuve sur lesquels s’appuie la décision défavorable.

II.                Norme de contrôle

[7]               En examinant la nature authentique du mariage de Mme Ma, l’agent a entrepris une détermination de nature essentiellement factuelle qui est donc assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Doraisamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1053, au paragraphe 44 citant Valencia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 787, au paragraphe 15 et Kaur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 417, au paragraphe 14). La Cour doit faire preuve d’une grande retenue lorsqu’elle examine la décision d’un agent qui fait intervenir des conclusions mixtes de droit et de fait. Cependant, lorsqu’une décision ne satisfait pas aux critères de transparence, d’intelligibilité et de justification nécessaires pour permettre à la Cour de déterminer si la décision appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour interviendra (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

III.             Analyse

A.                Est-ce que l’omission par l’agent d’aborder directement les éléments de preuve contradictoires a rendu la décision déraisonnable?

[8]               En rejetant la demande de Mme Ma, l’agent a relevé plusieurs préoccupations concernant les éléments de preuve fournis par Mme Ma et son mari, M. Wilson. Les préoccupations sont les suivantes :

A.     M. Wilson ne connaissant pas son numéro de téléphone, expliqué par le fait qu’il ne s’appelle pas lui-même et que les appels sont transférés à son téléphone cellulaire;

B.     l’absence du nom de M. Wilson sur les titres de propriété du foyer conjugal allégué et des explications incohérentes quant aux raisons de cette situation;

C.     le manque de connaissance par Mme Ma des autres biens immobiliers de M. Wilson;

D.     des renseignements incohérents relativement à la façon dont le couple s’est rencontré;

E.      des rapports limités avec les enfants adultes de relations antérieures et une connaissance limitée de ces enfants;

F.      des réponses incohérentes relativement à leur implication avec le Falun Gong.

[9]               En raison de ces préoccupations, l’agent a conclu que [traduction] « …la demanderesse et son parrain ont peut-être des relations d’affaires… [c]ependant, compte tenu de la situation en cause, de préoccupations au niveau de la crédibilité et des divergences recensées dans les renseignements que la demanderesse et son parrain ont fournis, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’un mariage authentique et qu’il n’a pas été contracté principalement à des fins d’immigration. »

[10]           En parvenant à cette conclusion, l’agent a fait remarquer que d’autres documents ont été fournis lors de l’entrevue en appui à l’allégation selon laquelle le mariage était authentique, y compris des relevés d’impôt, des documents de nature financière, des certificats de divorce, des affidavits et des photos. Sauf l’accusé de réception concernant cette preuve documentaire, l’agent n’a pas abordé cette dernière de quelle que façon que ce soit.

[11]           Les documents fournis à l’agent démontrent que Mme Ma et M. Wilson ont un compte bancaire conjoint et que le compte semble être utilisé régulièrement. Les documents indiquent que Mme Ma et M. Wilson ont la même adresse sur 1) les documents d’impôt; 2) les documents bancaires; 3) les comptes de téléphone cellulaire; 4) les documents en matière de soins de santé; et 5) les documents liés à l’assurance-automobile. En outre, l’agent s’est vu remettre plusieurs lettres qui attestent de l’authenticité de la relation. Tous ces éléments de preuve semblent corroborer l’allégation voulant que Mme Ma et M. Wilson entretiennent une relation authentique. Cependant, aucun de ces documents n’est mentionné dans la décision de l’agent. Et il n’est pas évident non plus à l’examen du dossier de savoir si l’agent a activement pris en considération ces éléments de preuve.

[12]           Il est vrai qu’un décideur n’est pas tenu d’examiner chaque élément de preuve et que l’on suppose qu’il a pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Cependant, lorsqu’une preuve directement contradictoire n’est pas abordée par un décideur, un tribunal peut conclure plus facilement que le décideur est parvenu à une détermination sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17).

[13]           En l’espèce, je ne laisse pas entendre que les éléments de preuve sont en soi déterminants quant à la nature authentique du mariage. Cependant, à mon avis, ils sont directement pertinents à l’analyse qu’entreprenait l’agent. Le fait que l’agent ait omis d’examiner ces éléments de preuve mine la transparence, l’intelligibilité et la justification de la décision. Les motifs ne divulguent pas comment ou même si l’agent a soupesé ces éléments de preuve au regard des conclusions défavorables concernant la crédibilité sur lesquelles repose la détermination. Il s’agit à mon avis d’une erreur susceptible de révision qui justifie l’intervention de la Cour.

IV.             Conclusion

[14]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que l’omission d’aborder directement les éléments de preuve contradictoires mine la transparence, l’intelligibilité et la justification de la décision. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de conclure que la détermination appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[15]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande et l’affaire est renvoyée pour réexamen à un autre agent. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4916-15

 

INTITULÉ :

FENGYING MA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 novembre 2016

COMPARUTIONS :

Theodora Joan Karen Oprea

Pour la demanderesse

 

Gordon Lee

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’Adela Crossley

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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