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Date : 20161103


Dossier : IMM-2014-16

Référence : 2016 CF 1229

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

DJAMEL EDDINE KASDI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire au terme de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi], de la décision prise par un agent d’immigration de refuser le visa de résident permanent requis par les demandeurs qui cherchent à immigrer au Canada au titre de travailleur qualifié.

[2]               En début d’audience, j’ai demandé qu’on précise en quoi consiste le grief fait à la décision prise. Avec candeur et transparence, l’avocat du demandeur a soumis que la lettre de décision dans cette affaire pêchait par son absence de raisonnabilité en ce qu’on ne pouvait savoir à sa lecture pourquoi le demandeur se voyait refusé.

[3]               Cette lettre de décision, datée du 4 mai 2016, n’est pas particulièrement informative quant aux raisons données pour ne pas émettre le visa de résidence permanente. On y indique qu’en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi l’une des personnes voulant immigrer au Canada constitue un risque d’entraîner un « fardeau excessif » pour les services sociaux et de santé. La lettre fournit la définition réglementaire d’un fardeau excessif. Ayant indiqué que des documents supplémentaires avaient été envoyés par les demandeurs et reçus par l’agent d’immigration, le lecteur est informé qu’a été examiné « votre plan d’atténuation attentivement pour évaluer votre capacité et intention de réduire l’incidence financière sur les services sociaux et de santé canadiens, et j’ai conclu qu’il ne permettait pas de modifier l’évaluation de votre état de santé ou de celle du membre de votre famille. » La lettre conclut laconiquement qu’un membre de la famille du demandeur principal est interdit de territoire à cause du risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé et, de ce fait, par opération de l’alinéa 40(2)(a) de la Loi, au titre de membre de la famille, tous sont interdits de territoire. De l’avis du demandeur, il s’agit là d’une décision qui n’est pas raisonnable puisqu’on n’en connait ni les tenants, ni les aboutissants.

[4]               Dans le cas d’espèce, il s’agit d’un des enfants du demandeur qui est atteint du syndrome de Down qui cause un retard du développement. Il semble que dans le cas d’espèce, la trisomie 21 soit la source d’un retard du développement cognitif mais n’aurait pas généré des malformations.

[5]               La Cour sympathise avec le demandeur en ce que la lettre du 4 mai 2016 donne au mieux des indications générales pour lesquelles le décideur administratif en est arrivé à la conclusion que le paragraphe 38(1) de la Loi trouve application. Ce paragraphe se lit de la façon suivante :

Motifs sanitaires

Health grounds

38 (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

38 (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

[EN BLANC/BLANK]

(a) is likely to be a danger to public health;

[EN BLANC/BLANK]

(b) is likely to be a danger to public safety; or

[EN BLANC/BLANK]

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

En l’espèce, on l’aura compris, ce n’est pas la vraisemblance d’un danger pour la santé ou la sécurité publiques qui sont en cause, mais plutôt c’est le risque d’entraîner un fardeau excessif. La version anglaise du paragraphe 38(1) marque bien la différence entre les trois situations.

[6]               C’est l’existence d’un risque d’un fardeau excessif qui est au cœur du régime. La notion de « fardeau excessif », rendue en anglais par l’expression « excessive demand », est définie dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. On y lit à l’article 1 :

fardeau excessif Se dit :

excessive demand means

a) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de cinq années consécutives suivant la plus récente visite médicale exigée en application du paragraphe 16(2) de la Loi ou, s’il y a lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période, sur une période d’au plus dix années consécutives;

(a) a demand on health services or social services for which the anticipated costs would likely exceed average Canadian per capita health services and social services costs over a period of five consecutive years immediately following the most recent medical examination required under paragraph 16(2)(b) of the Act, unless there is evidence that significant costs are likely to be incurred beyond that period, in which case the period is no more than 10 consecutive years; or

b) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé qui viendrait allonger les listes d’attente actuelles et qui augmenterait le taux de mortalité et de morbidité au Canada vu l’impossibilité d’offrir en temps voulu ces services aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents. (excessive demand)

(b) a demand on health services or social services that would add to existing waiting lists and would increase the rate of mortality and morbidity in Canada as a result of an inability to provide timely services to Canadian citizens or permanent residents. (fardeau excessif)

[7]               Au moins, la lettre de décision du 4 mai fournissait en annexe copie de la définition de ce terme, de même que copies des définitions de « services de santé » et « services sociaux ». Ceci dit, il n’en reste pas moins que le demandeur ne sait toujours pas pourquoi sa demande de visa au titre de résident permanent lui est refusée.

[8]               Il est vrai que deux lettres requises par l’équité (« fairness letter ») ont été envoyées au demandeur et elles auront fourni de l’information supplémentaire à chaque fois. Le demandeur savait donc que les préoccupations de l’agent d’immigration étaient relatives au fardeau qui pourrait être imposé aux services de santé et services sociaux au Canada si le demandeur immigrait au Canada avec une personne de sa famille atteinte du syndrome de Down. Mais en quoi y aurait-il fardeau excessif? En effet, le demandeur a fourni un plan permettant, à ses dires, d’éviter le fardeau excessif. La lettre de décision du 4 mai ne fournissait aucune information pouvant expliquer en quoi le plan n’était pas satisfaisant.

[9]               À mon sens, il aurait été de bonne politique publique que de fournir les détails ou à tout le moins d’indiquer que des raisons mieux articulées existaient pour expliquer en quoi la demande de visa devait être refusée. Le justiciable bénéficierait de savoir que son cas a été étudié avec attention. Cependant, cela n’est pas fatal.

[10]           En effet, les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas maintenu par le ministère de la Citoyenneté et de l’immigration fournissent moult détails sur l’examen du cas mené par les décideurs administratif dans cette affaire. Ces notes font partie des éléments que notre Cour considère comme fournissant les détails (nécessaires) de la décision administrative. Elles sont partie intégrante de la décision (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1298, 302 FTR 127 et la jurisprudence qui y est citée; et tout récemment Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793).

[11]           Ainsi, on y apprend que le cas du demandeur a été rouvert en janvier 2016 après que la couronne eut concédé qu’un examen précédent était déficient. Ce nouvel examen a été mené par des personnes différentes. On apprend des notes qu’un diagnostic a été prononcé relativement à l’enfant trisomique où était évalué le quotient de développement. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails sauf pour indiquer que des services particuliers seront nécessaires tant au plan du développement psychomoteur qu’une intégration dans un système scolaire spécialisé. On peut lire aux notes qu’ « [o]n peut raisonnablement s’attendre à ce que cela l’oblige à recevoir une prise en charge par une équipe multidisciplinaire de spécialistes en pédiatrie du développement de l’enfant, psychologues, psychiatres, en orthophonie et psychomotricité et il bénéficiera également d’une éducation spécialisée. »

[12]           On trouve aussi aux notes une évaluation des coûts afférents, les situant à plus de 46,000.00 $ sur une période de cinq ans. Selon le décideur administratif, la moyenne par habitant au Canada serait de plus de 6,000.00 $, ce qui constituerait un fardeau excessif au terme de la définition de « fardeau excessif ». J’ajoute que les notes présentent une ventilation des coûts aux dollars près.

[13]           Dans sa tentative de démontrer qu’aucun coût excessif ne sera engendré, le demandeur a fait valoir son intention et son engagement de prendre en charge les frais associés à son enfant. Il a été fourni copies de lettres d’offres d’emploi pour les époux (à hauteur de 115,000.00 $ par année). De plus, une personne serait prête à se porter garante des frais et le demandeur a fait valoir qu’il avait des actifs substantiels dans son pays d’origine.

[14]           Les notes faites le 4 mai 2016, qui à l’évidence appuient la lettre de refus datée de cette même journée, révèlent que l’agent d’immigration n’était pas satisfait du plan offert. Il est noté que l’examen des ressources financières à la disposition du demandeur ne permettait pas de conclure qu’il serait capable d’encourir les coûts de santé ou les coûts sociaux au cours des cinq prochaines années. En effet, le plan était d’inscrire l’enfant dans un programme dit Caribou, dont le coût annuel est de 17,000.00 $ pour une prise en charge de cinq demi-journées par semaine. Or, ce programme ne vaut que jusqu’à l’âge de six ans, ce qui laisse plusieurs années sans explication puisque l’enfant avait déjà quatre ans. Le plan ne comprenait pas ce qui devrait être fait passé cet âge. De plus, il ne s’agissait que d’offres d’emploi faites aux époux et ces offres étaient déjà vieilles d’une année au moment où la décision a été rendue. Il ne semble pas que des mises à jour aient été faites depuis. Quant au garant qui aurait été identifié par le demandeur, on a jugé pas tout à fait crédible que quelqu’un qui se dit un ami accepte d’encourir de tels frais au cours des cinq prochaines années. On conclut que les services spécialisés en éducation et en thérapie devraient dépasser largement la moyenne des frais par habitant au Canada située alors à 32,000.00 $ pour une période de cinq ans.

[15]           À l’audience, l’avocat du demandeur n’a pas contesté que la norme de contrôle en l’espèce en soit celle de la décision raisonnable. Quant au demandeur, il a appuyé sa prétention que la norme de la raisonnabilité est bien celle qui s’applique en l’espèce en référant à la décision El Dor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1406, une décision de mon collègue le juge Denis Gascon. Il y cite d’ailleurs d’autres décisions de notre Cour. Je reproduis le paragraphe 16 de sa décision :

[16]      La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d’un agent de visas est celle de la décision raisonnable (Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 131 [Ma] au para 23; Firouz-Abadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 835 au para 10). Quant à la motivation du rejet d’une demande de visa et de l’interdiction de territoire pour des raisons médicales, la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique également car il s’agit de questions mixtes de fait et de droit (Burra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1238 [Burra] au para 10; Banik c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 777 [Banik] au para 18).

[16]           L’argument du demandeur est que la lettre de décision du 4 mai 2016 constitue une décision déraisonnable vu l’absence de raison. Comme on vient de voir, cette absence est palliée par les raisons élaborées que l’on peut retrouver dans les notes qui sont gardées dans le Système mondial de gestion des cas. Ceci constitue une réponse complète à l’argument juridique fait par le demandeur. Celui-ci n’a pas cherché à prétendre que les motifs qui se retrouvent dans ces notes sont eux-mêmes inadéquats. À la lumière de ces motifs, il eut fallu que le demandeur argumente avec succès qu’il ne s’agissait pas là d’une des issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit. S’il est vrai que la lettre du 4 mai est déficiente parce qu’on n’y trouve pas vraiment la justification, ce n’est plus le cas lorsque les notes sont ajoutées. Il en résulte que l’on n’a pas prétendu devant la Cour que la transparence et l’intelligibilité, de même que la justification, étaient maintenant déficientes. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[17]           J’ajoute que la Cour s’est enquise de savoir si le demandeur prétendait que l’évaluation qui a été menée du cas de l’enfant du demandeur était générique plutôt que d’être individualisée. Cette question provenait du mémoire des faits et du droit du demandeur qui invoquait la décision de la Cour suprême du Canada dans Hilewitz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration); De Jong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 RCS 706. En effet, cette décision porte dans une bonne mesure sur la nécessité à ce que les appréciations soient individualisées. La Cour voyait dans le terme « fardeau excessif » une telle obligation. Je cite les paragraphes 55 et 56 de cette décision :

55        Pour ce faire, les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux — comme la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés.

56        Cela exige, me semble-t-il, des appréciations individualisées. Il est impossible, par exemple, de déterminer la « nature », la « gravité » ou la « durée probable » d’une maladie sans le faire à l’égard d’une personne donnée. Si le médecin agréé s’interroge sur les services susceptibles d’être requis en se fondant uniquement sur la classification de la maladie ou de l’invalidité, et non sur la façon précise dont elle se manifeste, l’appréciation devient générique plutôt qu’individuelle. L’évaluation des coûts est alors faite en fonction de la déficience plutôt qu’en fonction de l’individu. Toutes les personnes atteintes d’une déficience donnée sont alors automatiquement exclues, même celles dont l’admission n’entraînerait pas, ou ne risquerait pas d’entraîner, un fardeau excessif pour les fonds publics.

Or, à l’audience, l’avocat du demandeur a déclaré qu’il ne prétendait pas que l’évaluation faite dans le cas sous espèce n’avait pas été individualisée. L’appréciation n’est pas faite seulement de l’état trisomique, mais bien de la déficience qui en découle dans ce cas, ce qui entraîne un degré de prise en charge.

[18]           Sur la seule question soulevée devant la Cour, il n’y a pas lieu d’accorder la demande de contrôle judiciaire. Les parties ont convenu qu’il n’y a pas de question sérieuse d’importance générale. Je suis d’accord.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2014-16

 

INTITULÉ :

DJAMEL EDDINE KASDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 octobre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Paul Emmanuel Eyouck Tang

 

Pour le demandeur

 

Me Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Paul Emmanuel Eyouck Tang

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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