Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20161026


Dossier : T-242-16

Référence : 2016 CF 1191

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2016

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

CYNTHIA SPENCE en sa qualité de CHEF DE LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS et GLENNIS SUTHERLAND en sa qualité de CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

demanderesses

et

MARY TYLER BEAR, DARLENE BIRD et WADE SUTHERLAND, en leur qualité de CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la résolution 91 de l’exercice 2015-2016, présentée par le conseil de bande de la Première nation de Peguis (la résolution électorale). La demande a été présentée par la chef Cynthia Spence et la conseillère Glennis Sutherland (les demanderesses) contre les conseillers Mary Tyler Bear, Darlene Bird et Wade Sutherland (les défendeurs). Les défendeurs ont signé la résolution électorale le 5 février 2016 pour tenter de reporter l’élection de fiduciaires prévue le 11 février 2016 (l’élection). Par suite d’une demande d’injonction, l’élection a eu lieu comme prévu, mais il n’y a pas eu de décompte des voix.

[2]  Les demanderesses avaient initialement demandé le contrôle d’une deuxième décision concernant l’élimination du conseil scolaire de Peguis et datée du 10 juin 2016. Conformément à l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les RCF), seule la décision relative à l’élection de fiduciaires a fait l’objet d’un contrôle.

[3]  L’article 317 des RCF n’ayant pas été suivi, aucun dossier certifié du tribunal (DCT) n’a été présenté la Cour. Cependant, les documents présentés aux défendeurs en tant que décideurs m’ont été fournis avec les documents déposés par les parties. Les arguments présentés dans les affidavits produits par les parties et dans tout document dont les défendeurs ne disposaient pas au moment de leur décision n’ont pas été pris en considération.

II.  Questions préliminaires

[4]  L’intitulé a été modifié sur consentement des parties afin d’indiquer correctement en quelle qualité ils agissent.

III.  Résumé des faits

[5]  La Première nation de Peguis est la plus grande Première nation au Manitoba; elle compte environ 10 000 membres répartis sur neuf réserves. Les membres de la Première nation Peguis sont d’ascendance saulteaux (anishinaabe) et crie. Il s’agit d’une Première nation visée par le Traité no 1, qui a été signé en 1871. En 1907, le Canada a signé, sans toutefois la respecter, une entente de cession de terres par la Première nation Peguis. Cette violation a mené à l’Entente de fiducie relative à la revendication de droits fonciers (l’Entente), que le gouvernement du Canada et la Première nation de Peguis ont signée en octobre 2010. Le règlement s’élevait à plus de 126 000 000 $.

[6]  L’Entente a été établie pour recevoir, investir, gérer et administrer le produit du règlement versé par le gouvernement du Canada. Elle exige cinq fiduciaires du fonds communautaire, tous élus, ainsi que sept fiduciaires financiers, dont cinq doivent être élus et deux nommés par le conseil. L’Entente énonce toutes les exigences d’admissibilité, y compris une exigence selon laquelle au moins trois des fiduciaires du fonds communautaire et quatre des fiduciaires financiers doivent ordinairement résider dans la réserve.

[7]  En mars 2015, Cynthia Spence a été nommée chef de la Première nation de Peguis et les conseillers désignés comme défendeurs et demanderesse ont été élus. Au moment de l’élection, il n’y avait que trois fiduciaires du fonds communautaire (deux de moins que le nombre requis) et quatre fiduciaires financiers (trois de moins que le nombre requis).

[8]  En octobre 2015, un comité des candidatures de fiduciaires a été formé afin de solliciter des candidatures pour pourvoir aux postes vacants prévus par l’Entente. En novembre 2015, le conseil a unanimement adopté une résolution pour demander des élections de fiduciaires et a nommé une personne chargée d’agir comme agent électoral.

[9]  Le 13 novembre 2015, le comité des candidatures a informé la chef et le conseil qu’il n’y avait pas eu suffisamment de candidats admissibles pour pourvoir aux postes de fiduciaires vacants. Après deux appels à candidatures ayant permis d’attirer vingt candidats, un seul d’entre eux a été jugé admissible pour se présenter aux élections prévues par l’Entente. Rien dans l’Entente n’indique si un fiduciaire peut être élu par acclamation et, si tel est le cas, de quelle façon il peut l’être. Conformément à la procédure prévue par l’Entente, la date d’élection des fiduciaires a été fixée au 11 février 2016.

[10]  Le 29 janvier 2016, les défendeurs ont demandé que l’élection soit reportée. La chef et le conseil ont demandé un avis juridique pour savoir s’ils pouvaient reporter des élections après avoir reçu la liste du comité des candidatures. Le 22 janvier 2016, un avocat a informé la chef et le conseil par écrit que l’Entente ne prévoyait pas de report des élections. Il y a eu renonciation au secret professionnel de l’avocat s’appliquant à l’opinion puisque les documents ont été fournis à la Cour et reproduits dans des documents publics.

[11]  Les préoccupations de certains membres du conseil ont amené les défendeurs à demander une réunion pour parler du report de l’élection. La Chef a ajouté ce point à l’ordre du jour de l’assemblée générale suivante qui a eu lieu le 4 février 2016. Une discussion quant à l’élection a eu lieu lors de l’assemblée générale, comme l’indique le procès-verbal. À l’issue de la discussion, la chef a soumis la résolution électorale pour obtenir un avis juridique et a renvoyé la question à la réunion suivante, soit le 8 février 2016.

[12]  Le 5 février 2016, les défendeurs se sont réunis et ont adopté la résolution électorale de report des élections des fiduciaires à une date indéterminée; c’est tout ce dont il a été question lors de cette réunion (voir l’annexe A). Dans le procès-verbal, il est résolu que l’élection prévue le 11 février 2016 soit [traduction] « modifiée pour faire en sorte d’avoir plusieurs noms pour chaque poste vacant sur la liste dans laquelle les membres devront faire leur choix ». L’élection a été reportée en attendant qu’une [traduction] « liste » de candidats puisse être présentée conformément à la clause 9.7 de l’Entente (voir l’annexe B).

[13]  À l’assemblée ordinaire prévue qui s’est déroulée le 8 février 2016, la chef et la conseillère Glennis Sutherland ont tenté de convaincre les deux conseillers présents de ne plus tenter de reporter l’élection. Les conseillers ont refusé et ont soutenu la résolution électorale.

[14]  Une requête en injonction a donné lieu, le 10 février 2016, à une ordonnance dans laquelle la juge Roussel a ordonné la tenue de l’élection le 11 février 2016. L’agent électoral a reçu l’ordre de ne pas compter les bulletins, mais de les conserver jusqu’à l’audience du présent contrôle judiciaire. Selon cette ordonnance, si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, il faudra compter les bulletins et déclarer les résultats.

IV.  Question en litige

[15]  La question que je dois trancher est celle de savoir si la réunion du conseil (assemblée extraordinaire ou autre) du 5 février 2016 a été dûment convoquée.

V.  Norme de contrôle

[16]  Les demanderesses affirment que les questions de gouvernance autochtone devraient être examinées selon la norme de la décision correcte (Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536, au paragraphe 27).

[17]  Nous avons, en l’espèce, un mélange de questions d’équité procédurale et de questions d’interprétation de la gouvernance. Je dois interpréter les règles procédurales de gouvernance auxquelles sont tenus le conseil et la chef, en fonction de la norme de la décision correcte pour laquelle aucune retenue n’est justifiée (Laboucan c Nation crie de Little Red River no 447, 2010 CF 722, aux paragraphes 20 et 21 [appel à la CAF rejeté], citant Première nation no 195 de Salt River c Martselos, 2008 CAF 221, aux paragraphes 28 à 32).

VI.  Dispositions législatives applicables

[18]  Afin de mieux comprendre l’affaire dont je suis saisie, il faut se pencher sur les sections pertinentes de l’Entente, de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5 (la Loi sur les Indiens), ainsi que du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, CRC c-950 (le Règlement sur le mode de procédure). Les sections applicables sont exposées ci-après et dans les annexes.

[19]  Selon l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens, sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la loi :

[...]

b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

[20]  Pour qu’une assemblée (extraordinaire ou autre) soit dûment convoquée, chaque membre du conseil doit recevoir un avis indiquant le jour, l’heure et le lieu de la réunion (Règlement sur le mode de procédure, paragraphe 3(1), articles 4 et 5) [voir l’annexe C].

[21]  Conformément à l’article 31 du Règlement sur le mode de procédure, le conseil peut établir ses propres procédures pourvu qu’elles ne soient pas en contradiction avec le Règlement sur le mode de procédure. Plus précisément, l’article 15 des procédures du conseil oblige le chef des opérations de Peguis à donner avis du jour, de l’heure et du lieu d’une réunion dûment convoquée. L’article 16 exige qu’un avis public soit affiché sur le babillard du centre commercial de Peguis au moins 24 heures avant toute assemblée extraordinaire (voir les annexes C et D).

[22]  Pour qu’une réunion soit dûment convoquée, la chef et les conseillers doivent en être avisés. Ces dispositions font en sorte qu’un groupe de conseillers ne peut pas exclure les autres pour protéger ses propres intérêts (Balfour c Nation crie de Norway House, 2006 CF 213, aux paragraphes 49 et 52).

[23]  Selon la clause 9.7b) de l’Entente, le comité des candidatures doit fournir au conseil une liste de noms ne comportant pas plus de trois candidats par poste vacant pour les postes de fiduciaires du fonds communautaire et de fiduciaires financiers (voir l’annexe B).

[24]  Conformément à la clause 9.7d) de l’Entente, le conseil doit, dans les 30 jours suivant la réception de la liste envoyée par le comité des candidatures, afficher la liste des candidats potentiels et faire voter les membres (voir l’annexe B).

VII.  Analyse

[25]  Un dossier volumineux a été présenté, avec des éléments de preuve contradictoires sur de nombreux points. Il est souvent difficile de faire la lumière sur tous les événements et de déterminer ce qui est requis lors du contrôle judiciaire. Pour des raisons déjà présentées dans l’introduction, la résolution électorale est la seule question actuellement visée par le contrôle.

[26]  En l’espèce, contrairement à de nombreux dossiers soumis à la Cour fédérale, les membres de chaque partie ont fait ce qu’ils croyaient être le mieux pour la Première nation de Peguis qu’ils ont été élus pour représenter. Cependant, il reste des postes de fiduciaires vacants et, par conséquent, aucune des parties n’a réellement réussi dans sa démarche. Le coût d’une élection a déjà été engagé et les votes sont prêts à être comptés ou détruits en fonction de ma décision.

[27]  J’ai décidé de faire droit à la demande et de permettre que les votes soient comptabilisés pour connaître les résultats de l’élection. J’expose ci-après les motifs pour lesquels je fais droit à la présente demande.

[28]  Les demanderesses affirment que la réunion du 5 février 2016 n’a pas été dûment convoquée conformément à l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens (voir le paragraphe 19 qui précède). Les demanderesses qualifient la réunion de tentative de court-circuiter le conseil et d’attaque contre la chef Spence. Elles prétendent que si les défendeurs n’étaient pas satisfaits de la liste des candidats aux postes de fiduciaires, ils auraient pu, au lieu de procéder comme ils l’ont fait, présenter une demande de mandamus pour reporter les élections ou présenter une demande de contrôle judiciaire de n’importe laquelle des décisions du comité des candidatures.

[29]  Les demanderesses indiquent qu’une réunion est dûment convoquée lorsque tous les membres du conseil ont reçu un préavis. Puisque ni la chef ni la conseillère Glennis Sutherland n’ont reçu d’avis au sujet de la réunion, celle-ci n’a pas été dûment convoquée. Par conséquent, toutes les résolutions adoptées lors de cette réunion sont nulles et non avenues (Prince c Première Nation de Sucker Creek, 2008 CF 1268, au paragraphe 38 (appel devant la CAF rejeté); Orr c Première Nation de Fort McKay, 2011 CF 37, aux paragraphes 2 et 4).

[30]  Pour étayer leur position, les demanderesses soutiennent que, même si les défendeurs qualifient la réunion du 5 février d’assemblée extraordinaire du conseil, cette assemblée devait tout de même être organisée conformément à l’article 4 du Règlement sur le mode de procédure. Cet article précise que seul le chef de la bande (ou le surintendant des affaires indiennes) peut convoquer une assemblée extraordinaire du conseil s’il en est requis par la majorité des membres du conseil. Puisque ni le chef de la bande ni le surintendant des affaires indiennes n’a convoqué l’assemblée, il ne pouvait pas s’agir d’une assemblée extraordinaire (voir l’annexe C).

[31]  Sur la question de savoir si la réunion a été dûment convoquée, le préavis à la Chef Spence revêt une importance capitale. Les défendeurs indiquent qu’il était urgent de tenir la réunion puisque l’élection était prévue six jours plus tard et que la chef n’avait pas convoqué d’assemblée extraordinaire. Je ne doute pas du caractère urgent de la situation, mais une réunion régulière était déjà prévue le 8 février 2016, à l’ordre du jour de laquelle figurait la résolution électorale. La résolution électorale avait été reportée lors de la réunion du 4 février afin que la chef puisse obtenir davantage de conseils juridiques. D’après le procès-verbal de la réunion ordinaire générale du conseil tenue le 4 février, voici la façon dont la résolution électorale a été mentionnée :

[traduction]
4.  Lettre des conseillers Darlene Bird, Wade Sutherland et Tyler Bear concernant l’élection des fiduciaires

a. La conseillère Bird commence à aborder cette question avec la chef et les autres membres du conseil.

b. La RCB 91 (AANDC) et la RCB 22 (INTERNE) sont présentées à la chef Spence.

** La chef et le conseil discutent de l’élection des fiduciaires et des RCB – la secrétaire s’absente; la chef Spence lui a demandé de préparer la RCB 93 concernant l’enquête sur la santé régionale pour qu’elle soit examinée et signée aujourd’hui (absente pendant 45 minutes à une heure, de retour à 11 h 16).

MISE À JOUR : De retour à la réunion, la conseillère Bird déclare que la chef Spence a les deux RCB, soit la RCB 22 (INTERNE) et la RCB 92 (AANDC), cherche à obtenir des avis juridiques et en discutera avec les membres du conseil le lundi 8 février 2016.

[...]

6. Lettre concernant l’examen des critères d’admissibilité pour la fiducie de revendication de droits fonciers, et autorisation de procéder à un vote sur cette fiducie pour pourvoir aux postes vacants et chercher des remplaçants – EN ATTENTE jusqu’à ce que le conseil se réunisse de nouveau le lundi 8 février 2016 à Peguis, comme prévu par la chef Spence

[En italique dans l’original.]

[32]  Il semble y avoir une faute de frappe dans le procès-verbal, puisqu’il est question dans la mise à jour de la RCB 92 (AADNC) et non de la RCB 91. Il est d’autant plus certain qu’il s’agit d’une erreur que, dans le procès-verbal, la RCB 92 (PCH) était déjà approuvée lors de la réunion : [traduction] « RCB 92 concernant la maison de santé – Elva McCorrister; a. Résolution présentée et signée par la chef et les membres du conseil présents » (réunion ordinaire du conseil, jeudi 4 février 2016).

[33]  Les défendeurs ont tous produit des affidavits dans lesquels ils ont expliqué qu’ils auraient signé la copie papier de la résolution électorale à l’issue de la réunion générale du 4 février si la chef ne l’avait pas prise en vue d’obtenir davantage de conseils juridiques. D’après le procès-verbal de la réunion, il n’y a eu aucune motion et la résolution électorale n’a pas été adoptée. Par conséquent, les défendeurs ont fait imprimer une autre résolution électorale lors de la réunion du 5 février afin de pouvoir la signer.

[34]  Je conclus, selon la preuve mise à ma disposition, qu’un avis n’a pas été donné à tous les membres du conseil quant à la réunion du 5 février. La chef n’a pas non plus convoqué de réunions extraordinaires aux termes de l’article 4 du Règlement sur le mode de procédure.

[35]  J’en arrive à cette conclusion en me fondant sur l’affidavit de Glennis Sutherland et sur la transcription de l’audience du 10 février devant la juge Roussel, qui est rédigée ainsi :

LA COUR : Avez-vous donné avis de la réunion du 5 février? D’après ce que je comprends, vous avez envoyé la [résolution électorale] par courriel. Mais avez-vous informé la chef que vous alliez tenir une réunion le 5 pour discuter de la [résolution électorale] et signer la [résolution électorale]?

CONSEILLÈRE BIRD : Non, nous ne l’avons pas fait.

[36]  Par hasard, la conseillère Glennis Sutherland était au bureau de la bande le 5 février; elle a été invitée à participer à la réunion, mais a refusé puisqu’il ne s’agissait pas d’une réunion dûment convoquée. Je note que la chef ne vote qu’en cas d’égalité des voix et que même si la conseillère Glennis Sutherland avait participé à la réunion et avait voté contre la résolution électorale, la majorité l’aurait tout de même emporté. Dans ces conditions, les défendeurs n’avaient absolument aucune raison de se réunir sans avoir donné un avis approprié, puisqu’il semble que la majorité aurait emporté le vote lors d’une réunion dûment convoquée. Les règles relatives aux avis, au quorum et à la transcription des réunions doivent être respectées par tous les membres du conseil et par la chef.

[37]  Le juge Rothstein, dans Long Lake Cree Nation v Canada (Minister of Indian and Northern Affairs), [1995] FCJ No 1020, a saisi que les conflits qui surviennent au sein des conseils de bande prennent souvent une tournure personnelle. Ces conflits peuvent opposer des personnes ou des groupes au sein du conseil. Le juge affirme (au paragraphe 31) que [traduction] « [l]e peuple donne aux membres du Conseil le pouvoir de prendre des décisions en son nom et les membres du Conseil doivent s’acquitter de leurs responsabilités en tenant compte du peuple qui l’a élu pour protéger et représenter ses intérêts. » Dans le même paragraphe, il indique que les conseillers doivent respecter la loi écrite, le droit coutumier, la Loi sur les Indiens ou toute règle de droit applicable, et qu’ils ne peuvent pas prendre des mesures eux-mêmes. Si le maintien de la primauté du droit est sacré, c’est pour protéger les membres de la bande, et non la chef et le conseil.

[38]  Je comprends que les défendeurs croyaient accomplir la volonté des gens qu’ils représentent. Cependant, en agissant à l’insu de la chef, ils ont fragilisé le processus démocratique et ébranlé la confiance que leur accordent les membres de la bande. Il aurait été sage et prudent pour les conseillers d’attendre jusqu’au 8 février au lieu de tenir la réunion inappropriée du 5 février.

[39]  Je déduis de ces faits que les défendeurs, même si leurs intentions étaient bonnes, n’ont pas respecté la primauté du droit. Cela ne signifie pas qu’il faille modifier le droit, ou en l’espèce l’Entente, pour faire face à certaines situations qui ne sont pas prévues dans l’Entente actuelle. Il n’en demeure pas moins que la loi est là et qu’elle n’a pas été respectée puisque la réunion n’a pas été dûment convoquée.

[40]  Les défendeurs affirment que la chef a violé plusieurs règles avant la réunion du 5 février. Par conséquent, la Cour devrait tenir compte du fait qu’elle n’est pas irréprochable. Sans me prononcer sur la question de savoir si la chef a manqué à l’équité procédurale avant la réunion du 5 février, je vais réitérer ce que je viens de dire, c’est-à-dire que tous les membres du conseil, de même que la chef, puisqu’ils occupent des positions de confiance, doivent respecter les règles, les directives du conseil de bande (écrites et coutumières) et le droit législatif afin que les membres de la bande constatent qu’ils ont raison de faire confiance aux personnes élues à ces postes.

[41]  Les titulaires de ces postes doivent se comporter de manière honorable tout en évitant des conflits personnels qui pourraient avoir une incidence sur leur rôle de chef ou de conseiller. Les décisions, en dépit des bonnes intentions, ne peuvent pas être prises sans respecter la primauté du droit. C’est une question de principe et, comme l’a déclaré le juge Rothstein, il faut respecter la primauté du droit.

[42]  J’ai conclu que la question déterminante était de savoir s’il y avait eu une réunion dûment convoquée lors de laquelle on avait adopté la résolution électorale en lien avec le report de l’élection pour les postes de fiduciaires vacants conformément à l’Entente. Les parties ont présenté d’autres questions qui n’étaient pas déterminantes, cependant j’en commenterai une brièvement.

VIII.  Autres questions

A.  Pouvoir du conseil de reporter une élection prévue par l’Entente au-delà du délai de 30 jours une fois que la liste a été fournie par le comité des candidatures de fiduciaires

[43]  Les demanderesses s’appuient sur un avis juridique fourni au conseil pour affirmer que le report des élections dépasse la compétence du conseil. L’avis juridique en question, daté du 22 janvier 2016, a été fourni sur demande à la chef et au conseil après que le comité des candidatures eut fourni sa liste conformément à la clause 9.7d); il y est indiqué que l’Entente ne prévoit pas le report des élections. Cependant, le report des élections n’est pas explicitement interdit (voir l’annexe B).

[44]  Selon les clauses 9.1 et 9.2 de l’Entente, [traduction] « il doit y avoir en tout temps » cinq fiduciaires du fonds communautaire et sept fiduciaires financiers. Le libellé de la clause 9.7(d) est contraignant puisque le conseil doit, dans les 30 jours suivant la réception de la liste envoyée par le comité des candidatures, afficher la liste des candidats potentiels et faire voter les membres. Les défendeurs affirment que le report des élections des fiduciaires est un élargissement des principes démocratiques auquel le conseil est autorisé. Cette position n’est étayée par aucune jurisprudence ou référence à une loi (voir l’annexe B).

[45]  Je ne vois pas, compte tenu de la clause 9.7d), de quelle façon le conseil peut reporter une élection une fois que le comité des candidatures lui a fourni une liste. Assurément, dans l’Entente, tant que le comité des candidatures n’a pas fourni de liste, rien ne précise le moment auquel l’élection doit avoir lieu, mis à part le fait qu’aucun poste ne doit rester vacant; il est donc possible de reporter une élection avant que la liste soit donnée.

[46]  Les défendeurs ont étayé leur position en indiquant que le comité des candidatures n’avait jamais remis au conseil de [traduction] « liste » de candidats qualifiés. Leur argument repose sur la définition commune du mot [traduction] « liste » qui suppose l’existence de plusieurs candidats. Puisqu’un seul candidat était proposé à l’élection, les défendeurs affirment qu’il n’y avait pas de liste à proprement parler.

[47]  Je ne suis pas d’accord pour dire que le comité des candidatures n’a remis aucune liste de candidats au conseil. Dans la clause 9.7 de l’Entente, on parle de [traduction] « candidat ». Il est question d’un maximum de trois candidats et rien n’indique qu’il ne peut pas y en avoir un seul. De plus, des élections ont eu lieu en 2011 et certains postes n’ont pas été disputés; il a donc dû y avoir, pour certains postes, une liste ne contenant qu’une personne. Je ne vois aucune raison pour que cette élection échoue parce que la liste ne comportait qu’un seul candidat admissible.

[48]  De plus, les défendeurs affirment que les bulletins de vote doivent permettre de voter par oui ou par non. Puisqu’il n’y avait qu’un seul candidat, le bulletin de vote ne permettait pas de choisir entre oui et non, contrairement à ce que les défendeurs estiment nécessaire. L’argument avancé sur ce point doit être rejeté. Un vote par oui ou par non est nécessaire en cas de cession ou de désignation conformément au Règlement sur le mode de procédure, mais non lors de l’élection d’un fiduciaire à un poste vacant aux termes de l’Entente.

[49]  En conclusion, les demanderesses tentent de pourvoir, au sein d’une fiducie qui est vitale pour leur communauté, des postes qui sont vacants depuis beaucoup trop longtemps. Les défendeurs tentent de s’assurer que des élections sérieuses sont tenues plutôt que d’élire par acclamation le seul fiduciaire autorisé à se présenter. J’espère que la Première nation, la chef et le conseil trouveront une matière de concrétiser les objectifs de chacun.

[50]  Puisqu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale, j’accueille la demande de contrôle judiciaire et j’annule la résolution électorale. Les bulletins de vote de l’élection de fiduciaires du 11 février 2016, visés par l’injonction accordée par la juge Roussel le 10 février 2016, doivent être comptés conformément à son ordonnance.

IX.  Dépens

[51]  La résolution 106 du conseil de bande de la Première nation de Peguis prévoit que les avocats des demanderesses et des défendeurs seront payés par la Première nation de Peguis. Je n’adjugerai donc de dépens à aucune des parties.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé est modifié, avec effet immédiat, en retirant la Première nation de Peguis à titre de demanderesse; il sera désormais rédigé comme suit :

ENTRE :

CYNTHIA SPENCE en sa qualité de CHEF DE LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS et GLENNIS SUTHERLAND en sa qualité de CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS (demanderesses)

ET

MARY TYLER BEAR, DARLENE BIRD et WADE SUTHERLAND, en leur qualité de CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS (défendeurs)

  1. La demande est accueillie.

  2. Les bulletins de vote de l’élection des fiduciaires du 11 février 2016, visés par l’injonction de madame la juge Roussel en date du 10 février 2016, doivent être comptés conformément à son ordonnance.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de janvier 2020

Lionbridge



ANNEXE A



ANNEXE B

ENTENTE DE FIDUCIE RELATIVE À LA REVENDICATION DE DROITS FONCIERS DE LA PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

9.6 Demande et évaluation des qualifications

a) Le comité des candidatures de fiduciaires devra évaluer les candidatures des membres qui souhaitent occuper le poste de fiduciaire du fonds communautaire ou de fiduciaire financier.

b) Le comité des candidatures de fiduciaires aura le pouvoir de recommander des critères d’admissibilité appropriés et raisonnables et de modifier ces critères de temps à autre afin de les appliquer aux demandes d’élection au poste de fiduciaire par le comité, si ces critères ne sont pas contraires à la présente entente. Les critères d’admissibilité devront être présentés par écrit et devront être approuvés par résolution ordinaire lors de toute assemblée générale des membres convoquée conformément à la section 12.2. Pour plus de certitude, il ne sera pas nécessaire que les critères d’admissibilité soient les mêmes pour les postes de fiduciaire financier et de fiduciaire du fonds communautaire.

9.7 Mise en candidature et élection

a) Le comité des candidatures de fiduciaires désignera, par consensus (et à défaut de consensus, par résolution ordinaire), les candidats qu’il juge les plus qualifiés pour assumer les fonctions et les responsabilités liées aux postes de fiduciaire financier et de fiduciaire du fonds communautaire, selon le cas, parmi les candidatures soumises aux fins d’élection par les membres, en donnant les raisons sommaires de la mise en candidature de chaque candidat à l’élection, y compris les qualifications de chacun.

b) Si un ou plusieurs postes de fiduciaires du fonds communautaire sont vacants ou en voie de le devenir, le comité des candidatures de fiduciaires remettra au conseil une liste indiquant les noms d’au plus trois (3) candidats proposés à l’élection pour chaque poste vacant parmi les fiduciaires du fonds communautaire; si un ou plusieurs postes de fiduciaires financiers sont vacants ou en voie de le devenir, le comité des candidatures de fiduciaires remettra au conseil une liste indiquant les noms d’au plus trois (3) candidats proposés à l’élection pour chaque poste vacant parmi les fiduciaires financiers, ainsi qu’un résumé des raisons de la nomination de chaque candidat proposé à l’élection.

c) Le comité des candidatures de fiduciaires remettra au conseil la liste mentionnée à la clause 9.7b) :

i) si des postes sont en voie d’être vacants en raison du remplacement des fiduciaires initiaux, dans les six (6) mois suivant l’approbation par les membres des critères d’admissibilité mentionnés à la clause 9.6b);

ii) dans tous les autres cas, dans les soixante (60) jours suivant l’approbation par les membres du critère d’admissibilité mentionné à la clause 9.6b).

d) Dans les trente (30) jours suivant la réception des listes de candidatures, le conseil les affichera dans les bureaux administratifs de Peguis et faire voter les des membres de la manière prévue par le Règlement sur les référendums des Indiens pris en application de la Loi sur les Indiens, avec les modifications qu’il juge nécessaires ou souhaitables, pour l’élection de fiduciaires du fonds communautaire ou de fiduciaires financiers, ou des deux, selon le cas, y compris, s’il y a lieu, l’élection d’un maximum de trois (3) fiduciaires financiers remplaçants et de deux (2) fiduciaires du fonds communautaire remplaçants.

e) Les membres voteront pour élire les fiduciaires du fonds communautaire ou les fiduciaires financiers, ou les deux, selon le cas; le (les) candidat(s) ayant le plus grand nombre de voix sera (seront) élu(s) fiduciaire(s) du Fonds communautaire ou fiduciaire(s) financier(s), selon le cas, et le (les) candidat(s) ayant obtenu le deuxième plus grand nombre de voix sera (seront) élu(s) fiduciaire(s) financier(s) remplaçant(s) ou fiduciaire(s) du Fonds communautaire remplaçant(s) (collectivement, les « fiduciaires élus remplaçants » et individuellement le « fiduciaire élu remplaçant »), selon le cas. Chaque personne élue fiduciaire remplaçant pourra, pendant deux (2) ans à compter de la date de son élection, être nommée par le conseil en vue de pourvoir un poste vacant de fiduciaire financier ou de fiduciaire du fonds communautaire, selon le cas, conformément aux dispositions de la clause 9.11.

f) Nonobstant ce qui précède, il ne pourra à aucun moment y avoir plus de trois (3) fiduciaires remplaçants élus admissibles à la fonction de fiduciaire financier et plus de deux (2) fiduciaires remplaçants élus admissibles à la fonction de fiduciaire du fonds communautaire.


ANNEXE C

Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, CRC, c 950

3 (1) La première assemblée du conseil se tiendra dans un délai d’un mois au plus tard après l’élection, au jour, à l’heure et à l’endroit qui seront indiqués à l’avis communiqué à chacun des membres du conseil, et les assemblées subséquentes se tiendront au jour et à l’heure déterminés, selon ce que requièrent les affaires du conseil ou les intérêts de la bande.

3(1) The first meeting of the council shall be held not later than one month after its election, on a day, hour and place to be stated in a notice given to each member of the council, and meetings shall thereafter be held on such days and at such times as may be necessary for the business of the council or the affairs of the band.

4 Le chef de la bande ou le surintendant peut en tout temps convoquer une assemblée extraordinaire du conseil et doit convoquer une telle assemblée s’il en est requis par la majorité des membres du conseil.

4 The chief of the band or superintendent may, at any time, summon a special meeting of the council, and shall summon a special meeting when requested to do so by a majority of the members of the council.

5 Le surintendant doit notifier à chaque membre du conseil le jour, l’heure et l’endroit de l’assemblée.

5 The superintendent shall notify each member of the council of the day, hour and place of the meeting.

31 Le conseil peut, s’il l’estime nécessaire, établir tout règlement interne, qui ne soit pas en contradiction au présent règlement, en ce qui concerne des points qui n’y sont pas spécifiquement prévus.

31 The council may make such rules of procedure as are not inconsistent with these Regulations in respect of matters not specifically provided for thereby, as it may deem necessary.


ANNEXE D

Procédures du conseil : Première nation de Peguis

15  Le chef des opérations doit informer chaque membre du conseil du jour, de l’heure et du lieu de la réunion.

16  Le chef des opérations doit donner un avis public en cas d’assemblée extraordinaire en affichant un avis sur le babillard du centre commercial de Peguis au moins 24 heures avant la date de la réunion.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-242-16

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE PEGUIS ET AL c CONSEILLÈRE MARY TYLER ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DES MOTIFS :

Le 26 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Robert A. Watchman

Karen R. Poetker

Pour les demanderesses

James Beddome

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

Pour les demanderesses

Michael Jerch Law Corporation

Winnipeg (Manitoba)

Pour les défendeurs

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.