Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20161108


Dossier : IMM-1409-16

Référence : 2016 CF 1244

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2016

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

BANDESE MUTATYAMA AARON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur, Bandese Mutatyama Aaron (M. Aaron), conteste une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) datée du 24 mars 2016, qui a conclu qu’il n’est pas un réfugié. M. Aaron avait présenté une demande d’asile au Canada pour le motif qu’il était persécuté en raison de sa sexualité et de son emploi dans une clinique sur le VIH/sida en Ouganda.

[2]               M. Aaron conteste la décision, parce que la SAR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve, n’a pas fourni d’explications ou n’était pas raisonnable dans son évaluation de sa crédibilité. M. Aaron a également soutenu que la SAR a correctement exposé le critère de la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], mais l’a ensuite mal appliqué parce qu’elle n’a fait qu’avaliser la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) sans dire pourquoi la SPR bénéficiait d’un avantage lorsqu’elle effectuait une évaluation de la crédibilité.

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                Contexte

[4]               M. Aaron est citoyen de l’Ouganda. Il a travaillé en Ouganda à titre de professionnel médical dans une clinique sur le VIH/sida avant son arrivée au Canada. M. Aaron était marié à une femme et se déclare bisexuel.

[5]               M. Aaron allègue que le 21 mars 2015, lui et son partenaire masculin ont été agressés par un groupe d’environ 20 personnes qui ont menacé de les brûler vifs à cause de leur orientation sexuelle. M. Aaron s’est enfui, mais son partenaire a été détenu par la police et demeure en détention.

[6]               Cet incident a amené M. Aaron à quitter son emploi et à se cacher, et c’est à ce moment que son frère lui a suggéré de fuir au Canada. Son frère a aidé M. Aaron à obtenir un visa sous le prétexte d’assister à une conférence sur le VIH/sida à Vancouver, en Colombie-Britannique. Il est arrivé au Canada le 14 juillet 2015 et a demandé l’asile le 17 septembre 2015.

[7]               La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Aaron pour le motif qu’il avait omis de fournir des éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour étayer son allégation et qu’il « n’était pas crédible. »

[8]               La SPR a tiré des conclusions défavorables fondées sur les incohérences et omissions suivantes dans son formulaire de demande (FDA) :

  • la visite non déclarée de M. Aaron au Kenya pendant qu’il se cachait;
  • ses éléments de preuve contradictoires quant à la personne qui a préparé son voyage;
  • son témoignage contradictoire en ce qui concerne son mariage;
  • les renseignements bancaires démontrant un revenu continu malgré son témoignage selon lequel il vivait en clandestinité;
  • de multiples retraits bancaires malgré le fait qu’il vivait supposément en clandestinité;
  • des déclarations alléguées de son épouse et de son frère devant la grande cour de magistrat de l’Ouganda qui reconnaissent avoir aidé M. Aaron à fuir le pays;
  • la visite oubliée de la police le 21 mars 2015.

[9]               Aucune audience n’a été demandée et aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté par M. Aaron pour la comparution devant la SAR.

[10]           La SAR a relevé les mêmes omissions et incohérences entre le formulaire FDA de M. Aaron et son témoignage devant la SPR. Elle a examiné la preuve documentaire provenant tant du Cartable national de documentation que d’articles fournis par M. Aaron et elle a conclu que la SPR en avait tenu compte.

[11]           Malgré les conclusions défavorables sur la crédibilité, la SAR a procédé à une analyse distincte en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la Loi), concluant que M. Aaron n’était pas exposé à un risque ou danger personnel en raison de son orientation sexuelle s’il retournait en Ouganda.

[12]           La SAR a conclu que M. Aaron ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir qu’il y avait une sérieuse possibilité qu’il soit persécuté, ou qu’il soit personnellement exposé à un risque pour sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture en Ouganda. L’appel de M. Aaron a été rejeté.

III.             Questions en litige

[13]           Les questions en litige soulevées par M. Aaron dans le cadre du contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. La SAR a-t-elle correctement appliqué la norme de contrôle exposée dans Huruglica?
  2. La SAR a-t-elle raisonnablement conclu que M. Aaron n’est pas un réfugié au sens de la Convention en vertu des articles 96 ou 97 de la Loi?

IV.             Norme de contrôle

[14]           Dans la décision Huruglica, précitée, la Cour d’appel fédérale a enjoint à la SAR d’examiner les conclusions de fait et de droit de la SPR selon la norme de la décision correcte, sauf en ce qui concerne la crédibilité. La Cour d’appel fédérale a aussi déterminé qu’il ne s’agissait pas d’un véritable appel de novo, étant donné que la SAR procède à un contrôle sur le dossier devant la SPR et a aussi conclu que la SAR peut s’en remettre à la SPR pour les conclusions sur la crédibilité là où la SPR bénéficie d’un « avantage certain » en fonction de la preuve orale qu’elle entend.

[15]           Les parties conviennent que la norme de contrôle pour notre Cour est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

V.                Analyse

A.                Critère juridique appliqué aux faits

[16]           M. Aaron avance que la SAR a correctement exposé le critère dans la décision, mais l’a mal appliqué. Sa position est celle que la SAR a accepté les conclusions de la SPR sur la crédibilité sans dire pourquoi la SPR est mieux placée pour tirer cette conclusion. En outre, il a soutenu que si la SAR avait effectué une évaluation indépendante, elle se serait rendu compte que son témoignage était compatible avec la preuve documentaire. Selon M. Aaron, la SAR doit expliquer pourquoi la SPR est mieux placée qu’elle pour apprécier la preuve.

[17]           En l’espèce, la SAR a effectué une analyse indépendante de la plupart des conclusions sur la crédibilité et de toutes les conclusions déterminantes, mais a conclu qu’il y avait [traduction] « de nombreuses autres conclusions sur la crédibilité effectuées par la SPR » sur lesquelles elle se fonderait.

[18]           Voici quelques conclusions sur la crédibilité à l’égard desquelles la SAR a fait preuve de retenue concernant les conclusions de la SPR :

a.       M. Aaron a utilisé son adresse domiciliaire dans son formulaire FDA au lieu de celle où il se vivait supposément en clandestinité, ce qui indique qu’il ne se cachait pas du tout;

b.      M. Aaron a allégué qu’il était réticent à conclure un mariage arrangé et que les rapports sexuels semblaient totalement non naturels, mais il a plus tard témoigné qu’il avait consenti au mariage et qu’il aimait avoir des relations sexuelles avec sa femme;

c.       M. Aaron a allégué que son patron l’a suspendu en janvier 2015, parce qu’il a constaté son orientation sexuelle, mais ses activités bancaires indiquent qu’il a été payé tout au long du mois de janvier, sans interruption;

d.      M. Aaron a allégué qu’il a vécu en clandestinité à compter de mars 2015 et qu’il a continué d’être payé pour un travail qu’il n’effectuait plus;

e.       M. Aaron a reconnu avoir effectué de nombreux petits retraits à sa banque, malgré le grave risque qu’il allègue. Son explication selon laquelle il devait rembourser un chauffeur de taxi lorsqu’il s’est enfui n’a pas été jugée crédible. Plus particulièrement, les visites de M. Aaron à la banque alors qu’il vivait en clandestinité étaient aussi fréquentes pendant la période précédant sa clandestinité, ce qui contredit son affirmation qu’il se cachait.

[19]           Je ne suis pas d’accord avec M. Aaron lorsqu’il dit que la SAR n’a pas appliqué correctement la norme de contrôle exposée dans la décision Huruglica. Aucune audience n’a été demandée devant la SAR et aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté. La SPR a été en mesure d’observer et de poser directement des questions au cours de deux audiences distinctes. La SPR était incontestablement mieux placée pour déterminer ces conclusions sur la crédibilité. Plus particulièrement lorsque la SAR a évalué plus à fond toutes les questions déterminantes liées à la crédibilité.

[20]           Il n’y a rien de mal à ce que la SAR s’en remette à la SPR pour les questions de crédibilité (Huruglica, aux paragraphes 70 à 73). Ne pas expliquer pourquoi la SPR était mieux placée semble évident en l’espèce, quoiqu’il puisse y avoir des situations pour lesquelles les faits sont semblables et où la SAR devrait expliquer pourquoi la SPR bénéficie d’un avantage. Je conclus que l’application par la SAR de la décision Huruglica et sa retenue envers la SPR sont raisonnables.

VI.             Analyse du caractère raisonnable visé aux articles 96 et 97

[21]           Autrement dit, M. Aaron n’a pas été en mesure de persuader la SAR que sa crainte de persécution était fondée en vertu de l’article 96 de la Loi. Dans la même veine, il n’a pas établi qu’il était exposé à un risque personnel visé à l’article 97 de la Loi. Ayant entendu les méticuleuses observations des avocats et étant amenée à consulter le dossier, la transcription et les décisions de la SPR et de la SAR pendant leurs longues plaidoiries, je suis convaincue que la décision de la SAR était raisonnable.

[22]           M. Aaron a présenté des arguments détaillés concernant les points à l’égard desquels la SAR et la SPR avaient commis des erreurs dans certaines des conclusions sur la crédibilité. M. Aaron s’appuie sur la décision Maldonado c. Canada, [1997] ACF no 248 pour soutenir que l’on aurait dû se fier sur les déclarations solennelles comme preuve suffisante pour étayer son allégation.

[23]           Rien ne laisse croire que les déclarations solennelles ont été ignorées. Les allégations de M. Aaron ont été réfutées par les contradictions et incohérences relevées plus haut, qui ont entraîné des conclusions défavorables sur la crédibilité. Les motifs fournis par la SAR sont clairement exposés et démontrent pourquoi elle est en désaccord les assertions de M. Aaron selon lesquelles il serait exposé à un risque s’il retournait en Ouganda.

[24]           La SAR a justifié ses conclusions en procédant à une analyse distincte en vertu de chacun des articles 96 et 97. Plus particulièrement, elle fait observer le défaut de M. Aaron dans son formulaire FDA de mentionner qu’un agent de voyage a pris les dispositions concernant sa fuite de l’Ouganda (malgré que ce soit dans son annexe 12). L’agent était au cœur de son dernier témoignage et il a allégué que l’agent a placé un visa kényan frauduleux dans son passeport. La SPR a accepté le formulaire FDA de M. Aaron et a conclu que l’agent de voyage a joué le rôle d’agent de voyage, rien de plus. Au cours de l’audience, M. Aaron a dit que c’est son frère qui l’a aidé à obtenir un passeport et un visa après que son frère eût trouvé la conférence à Vancouver. La SAR a conclu que le témoignage de M. Aaron n’était pas compatible et n’était pas crédible et qu’il était formulé afin de déguiser son voyage au Kenya et son retour en Ouganda alors qu’il vivait supposément en clandestinité.

[25]           La SPR a accepté qu’il a travaillé dans le domaine du VIH/sida et qu’en Ouganda, les travailleurs dans ce domaine sont parfois maltraités. Par contre, la SPR a conclu qu’il était un clinicien beaucoup plus qu’un activiste; qu’il n’avait jamais été ciblé; qu’il travaillait pour le ministère de la Santé du gouvernement, qu’il ne serait pas maltraité en raison de son VIH/sida présumé ou de son homosexualité présumée à son travail. La SPR n’a pas accepté qu’il n’était pas suffisant que le mari soit fâché contre lui. La SPR a conclu que M. Aaron ne serait pas exposé à une possibilité de persécution visée à l’article 97.

[26]           Il est établi en droit que si une conclusion est déterminante, alors les erreurs concernant les autres conclusions n’ont pas d’importance. Même si la SAR était entrée dans les moindres détails comme l’ont fait les avocats dans leur analyse, l’effet cumulatif du dossier ne rendrait pas la présente décision déraisonnable.

[27]           La SAR a conclu à juste titre qu’il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles. L’avocat de M. Aaron a offert des explications et a signalé des incohérences qui auraient pu amener la SAR à conclure différemment, mais ce n’est pas mon rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire de réévaluer la preuve. Les conclusions de la SAR concernant les articles 96 et 97 sont étayées par les éléments de preuve et les conclusions dans leur ensemble sont déterminantes.

[28]           Je conclus donc que la décision est raisonnable et que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son application de la décision Huruglica. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29]           Aucune question n’a été soumise pour être certifiée et aucune n’est à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1409-16

INTITULÉ :

BANDESE MUTATYAMA AARON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DES MOTIFS :

Le 8 novembre 2016

COMPARUTIONS :

Pius Okoronkwo

Pour le demandeur

Sybil Thompson

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pius L. Okoronkwo

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.