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Date : 20161124


Dossier : IMM-2087-16

Référence : 2016 CF 1300

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

LOTIFYA K.Q. ALHEZMA

AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE LOTFIYA ALHEZMA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 17 novembre 2016)

I.                   Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, par laquelle la demande d’asile de Lotifya Alhezma (Mme Alhezma) a été rejetée. Dans sa décision, la SAR a conclu que Mme Alhezma n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

II.                Contexte

[3]               Mme Alhezma est une Palestinienne apatride. Elle a obtenu un passeport jordanien qui lui a par la suite été retiré en 2011.

[4]               En 1991, la fille de Mme Alhezma a agressé un homme juif, ce qui a créé toute une série de problèmes pour Mme Alhezma. Elle a été convoquée devant les autorités israéliennes à Jérusalem, elle a été questionnée à plusieurs reprises et son domicile a été cambriolé. Pendant que sa fille était emprisonnée, elle (sa fille) a été impliquée dans la mort d’une autre prisonnière. Une fois de plus, les autorités israéliennes ont questionné Mme Alhezma.

[5]               Sachant que les conditions des Palestiniens dans les prisons israéliennes sont difficiles au mieux, la demanderesse a participé à diverses manifestations afin de sensibiliser les gens à ces conditions. Pendant les manifestations, Mme Alhezma a été agressée par les forces de sécurité israéliennes qui ont utilisé des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et qui l’ont frappée avec la crosse de leurs fusils. Pendant l’une de ces manifestations, lorsque Mme Alhezma a été frappée avec la crosse d’une carabine, elle a subi une blessure au dos pour laquelle les médecins recommandent une intervention chirurgicale. Elle a choisi de ne pas subir la chirurgie, en raison des risques qu’elle posait.

[6]               En 1993, Mme Alhezma a été convoquée par les autorités israéliennes, détenue et interrogée pendant environ 14 heures après la détonation d’une voiture piégée près de son domicile.

[7]               En 1998, Mme Alhezma a cessé de participer aux manifestations en raison des douleurs dont elle souffrait.

[8]               En 2003, Mme Alhezma cueillait des olives dans le verger familial lorsque deux colons israéliens l’ont menacée elle et les autres cueilleurs d’olives avec une carabine, ont chassé le groupe du verger et mis le feu à leur véhicule. La même année, Maysoun, la fille de Mme Alhezma, s’est mariée à un homme impliqué dans la résistance de l’armée palestinienne, qui a participé au meurtre de soldats israéliens. En conséquence, les autorités israéliennes ont interrogé Mme Alhezma et ont fouillé sa résidence.

[9]               En 2011, Khaled, le fils de Mme Alhezma, est venu lui rendre visite des États-Unis. Les autorités sont venues à sa recherche pendant la nuit, et ont détruit son domicile. Elle était présente quand les autorités israéliennes ont battu Khaled et ont lancé son petit-fils contre le mur.

[10]           Face à un harcèlement constant de la part des autorités israéliennes, Khaled, son épouse et ses six enfants ont quitté pour les États-Unis afin de demander l’asile. Mme Alhezma les a rejoints en janvier 2015. Cependant, parce qu’elle avait besoin de médicaments que la famille ne pouvait pas payer, Mme Alhezma est retournée à Ramallah en mars 2015 pour y suivre des traitements. Khaled a par la suite informé Mme Alhezma qu’il comptait présenter une demande d’asile au Canada. Mme Alhezma est arrivée au Canada le 4 décembre 2015, date à laquelle elle a demandé l’asile.

III.             La décision contestée

[11]           La demande d’asile incluait Mme Alhezma, Khaled, sa conjointe, et leurs six enfants. Une audience a eu lieu le 6 avril 2016. La SPR a rejeté la demande de Mme Alhezma le 20 avril 2016. Elle a conclu que Mme Alhezma n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir une demande valide en vertu de l’article 96 ou de l’article 97 de la LIPR. La SPR a accepté les demandes d’asile de Khaled et de ses quatre enfants, qui ne possèdent pas la citoyenneté égyptienne.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[12]           Bien que Mme Alhezma ait soulevé de nombreuses questions, j’ai indiqué aux parties que je cherchais particulièrement à savoir si oui ou non la SPR avait confondu les critères requis par les articles 96 et 97, et était par conséquent parvenue à une décision déraisonnable.

[13]           Mme Alhezma soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. En toute déférence, je ne peux souscrire à cette interprétation. Lorsqu’un tribunal interprète ou applique sa loi constitutive, on peut présumer que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable : voir, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 39, [2011] ACS no 61. Notre Cour a conclu qu’une analyse des exigences juridiques en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR appelle la norme de la décision correcte (Kayitankore v. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 CF 1030, au paragraphe 9, [2016] ACS no 1034).

[14]           Notre Cour n’interviendra pas si la décision est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

V.                Analyse

[15]           Pour être considéré comme un réfugié au sens de la Convention, un demandeur d’asile doit avoir une crainte fondée d’être persécuté du fait « de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques ».

[16]           Comme on l’a mentionné précédemment, Mme Alhezma soutient que la SPR a appliqué le mauvais critère juridique pour parvenir à sa décision. Pour appuyer sa décision, elle cite cinq occasions où la SPR a appliqué le critère plus rigoureux visé par l’article 97 dans son analyse en vertu de l’article 96. Ces motifs sont énoncés ci-dessous.

[traduction] Les Palestiniens souffrent des restrictions imposées dans leur vie quotidienne en Cisjordanie, ce qui peut représenter un grand inconvénient et entraîner des conséquences économiques défavorables, cette situation n’est pas unique et elle semble viser la totalité ou la plupart des personnes qui habitent en Cisjordanie.

...

Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la présente revendicatrice serait ciblée davantage que ce que la population générale de la Cisjordanie subit dans le cadre des hostilités entre les parties.

...

Le tribunal a examiné ses allégations de crainte des colons, mais il n’estime pas que cette crainte est propre à la revendicatrice.

...

[…] rien devant le tribunal ne laisse entendre que la revendicatrice plus âgée présentait un intérêt pour les IDF.

...

La preuve documentaire laisse entendre que le profil de la revendicatrice plus âgée n’est pas celui qui attirerait l’attention des IDF, même si selon son témoignage elle avait été détenue plusieurs années auparavant. Rien dans ses éléments de preuve ne laisse entendre qu’elle présente un intérêt pour les IDF.

[Non souligné dans l’original.]

[17]           Je signale que IDF est l’acronyme anglais pour les Forces israéliennes de défense.

[18]           Je suis d’accord avec l’argument de Mme Alhezma. De toute évidence, d’après les extraits ci-dessus, la SPR, dans son analyse en vertu de l’article 96, cherchait un degré de risque personnel pour Mme Alhezma qui dépassait le risque pour les Palestiniens en général. Une telle approche convient dans le cas d’une analyse en vertu de l’article 97. La question n’est pas de savoir si Mme Alhezma est plus à risque qu’une autre personne, mais de savoir si la persécution à laquelle elle ferait face à son retour en Cisjordanie se fonde sur un motif de la Convention, qui justifierait le statut de réfugié Osama Fi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1125, au paragraphe 14, 2007 3 RCF 400).

VI.             Conclusion

[19]           Étant donné que la SPR a appliqué les critères visés à l’article 97 dans son analyse en vertu de l’article 96, je conclus que la décision ne respecte pas le critère de la décision raisonnable énoncé dans Dunsmuir, et je ne peux pas non plus trouver un fondement qui le justifierait par l’application de la décision Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 26, [2011] 3 RCS 708. Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire et je renvoie l’affaire à un autre tribunal pour réexamen.

JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire sans dépens. L’affaire est renvoyée à un tribunal constitué différemment pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« B. Richard Bell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


INTITULÉ :

LOTIFYA K.Q. ALHEZMA

AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE LOTFIYA ALHEZMA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Molly Joeck

 

Pour la demanderesse

 

Aleksandra Lipska

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Molly Joeck

Avocat

Jared Will & Associates

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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