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Date : 20161123


Dossier : IMM-1083-16

Référence : 2016 CF 1294

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ABDILLAHI JAMA ISMAIL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur, M. Ismail, est né en Somalie en 1966. Il réside au Royaume-Uni depuis 1989 et il est maintenant citoyen du Royaume-Uni. Il est marié à une citoyenne canadienne.

[2]               En 2012, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que membre de la catégorie du regroupement familial parrainé par son épouse. Dans sa demande, M. Ismail a indiqué que de 1981 à 1985, alors qu’il était âgé entre quinze et dix-neuf ans, il était membre du Mouvement national somalien (MNS). Le MNS était un groupe d’insurgés formé en 1981 qui cherchait à renverser le gouvernement de la Somalie par la lutte armée et d’autres moyens.

[3]               M. Ismail a été interviewé à deux reprises et a répondu à une lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle il a parlé de son implication au sein du MNS. En janvier 2016, M. Ismail a été informé par un agent d’immigration (agent) auprès du Haut-commissariat du Canada à Londres qu’il était interdit de territoire pour des raisons de sécurité en vertu des alinéas 34(1)b) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Plus précisément, l’agent a exprimé l’avis que son adhésion au MNS constituait une adhésion à un groupe qui était l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force. M. Ismail demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision pour le motif que l’agent a commis une erreur en omettant de tenir compte de son statut de mineur à l’époque de son adhésion à ce groupe.

[4]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’agent n’a pas commis d’erreur en déterminant que M. Ismail était interdit de territoire pour des raisons de sécurité. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Contexte

[5]               Dans sa demande, M. Ismail a indiqué qu’il était membre du « Mouvement national somalien qui cherchait à renverser Mohamed Siyais Poarreh, le président de la République de Somalie ». Il a en outre déclaré qu’à la suite de son adhésion, il a été arrêté et torturé avant de quitter la Somalie pour le Royaume-Uni, qu’il n’occupait aucun poste officiel au sein du MNS et, qu’à l’époque, il était jeune étudiant.

[6]               M. Ismail a été interviewé à Londres en mars 2013 et c’est à cette occasion qu’il a fait savoir qu’il s’était joint au MNS après avoir participé à des manifestations contre le gouvernement à la demande de ses enseignants. Il a décrit son rôle comme étant celui d’une personne ordinaire et il a indiqué qu’il a vécu dans un camp du MNS pendant un an, « à faire de la propagande contre le gouvernement ». Il a indiqué qu’il n’a pas participé à la guerre. En réponse à une question pour savoir ce qu’il pensait de la lutte armée contre le gouvernement, les notes de l’agent indiquent qu’il était au courant des activités violentes du MNS qui visaient des objectifs politiques. Il a également déclaré qu’il était jeune et qu’il ne se rendait pas compte des conséquences de ses actes.

[7]               M. Ismail s’est fait remettre une lettre relative à l’équité procédurale en mai 2015, dans laquelle on l’informait qu’il était interdit de territoire en raison de son adhésion au MNS et dans laquelle on l’invitait à présenter des observations sur la question. Il s’est ensuite rendu au Canada en juin 2015 pour rendre visite à son épouse. À son entrée au Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada (AFSC) l’a questionné sur son implication au sein du MNS. Au cours de son interrogatoire par l’ASFC, M. Ismail a fait savoir qu’il avait reçu une formation militaire lorsqu’il était membre du MNS.

[8]               Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale transmise après l’entrevue de l’ASFC, M. Ismail a déclaré que lorsqu’il était membre du MNS, il ne portait pas d’armes et n’a commis aucun acte de violence. Il a en outre déclaré avoir quitté la Somalie avant le début de la guerre civile en 1988 au cours de laquelle on a eu recours à la violence à des fins politiques.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               Dans sa décision, l’agent a comparé les déclarations de M. Ismail en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale aux renseignements fournis lors des deux entrevues. L’agent a conclu que ses déclarations n’étaient pas cohérentes concernant la nature et le niveau de son implication au sein du MNS et il a accordé plus de poids aux renseignements fournis lors des deux entrevues. L’agent a également fait remarquer que le MNS a entrepris son action militaire contre le gouvernement au début des années 1980, renseignements contenus dans une évaluation de l’interdiction de territoire réalisée par l’ASFC en janvier 2015.

[10]           L’agent a reconnu l’allégation de M. Ismail selon laquelle il était mineur à l’époque où il s’est joint au MNS, mais a conclu : 1) que l’objectif du MNS était de renverser le gouvernement par n’importe quel moyen, y compris le recours à la force; 2) que M. Ismail était membre du groupe; et 3) qu’il était au courant des objectifs du MNS. Pour ces motifs, l’agent a conclu que M. Ismail était interdit de territoire.

IV.             Norme de contrôle

[11]           Les parties soutiennent, et j’en conviens, que la conclusion de l’agent selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Ismail était interdit de territoire en vertu des alinéas 34(1)b) et f) de la LIPR parce qu’il avait été membre d’un groupe qui était l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force est susceptible de révision par la Cour au regard de la norme de la décision raisonnable (Pizarro Gutierrez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623 [Pizarro Gutierrez], aux paragraphes 21 et 22, Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 [Poshteh], au paragraphe 24).

V.                Dispositions législatives

[12]           Le paragraphe 34(1) prévoit :

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage that is against Canada or that is contrary to Canada’s interests;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

(b.1) engaging in an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

(c) engaging in terrorism;

(d) being a danger to the security of Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

VI.             Analyse

A.                Est-ce que l’agent a commis une erreur en omettant de tenir compte du statut de M. Ismail en tant que mineur au moment où il s’est joint au MNS?

[13]           M. Ismail s’appuie sur l’arrêt Poshteh pour soutenir que l’agent avait l’obligation de tenir compte de son statut de mineur lorsqu’il a examiné la question d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Il soutient qu’en omettant de le faire, l’agent a omis d’examiner la question de savoir s’il possédait la capacité mentale requise pour comprendre la nature et les effets de ses actes. M. Ismail soutient que cette question a été soumise à l’agent lorsqu’il a fait référence : 1) à sa jeunesse: 2) au fait que son implication au sein du MNS était pour le plaisir et 3) au fait qu’il ne s’était pas rendu compte des conséquences de ses actes. Je ne suis pas d’accord.

[14]           Dans l’arrêt Poshteh, la Cour d’appel fédérale reconnaît que le statut de mineur d’une personne est pertinent à la question d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 34(1) de LIPR.  Cependant, la Cour d’appel fait remarquer que la reconnaissance du statut de mineur en common law n’entraîne par une dispense générale d’application de la loi. Il faut une évaluation de la personne. S’agissant de la reconnaissance de capacité fondée sur l’âge par la common law, la capacité est considérée comme un phénomène évolutif dans lequel elle est présumée s’accroître à mesure que le mineur avance en âge (Poshteh, aux paragraphes 42 et 43). La Cour d’appel fait en outre remarquer que dans le cas d’un jeune enfant (moins de 12 ans), il semblerait couler de source qu’il n’a pas les connaissances requises ni la capacité mentale nécessaire pour comprendre la nature et les conséquences de ses actes (Poshteh, au paragraphe 48). Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Au contraire, on présumera que plus le mineur se rapproche de l’âge de dix-huit ans, plus il sera probable qu’il possède la capacité requise (Poshteh, au paragraphe 51).

[15]           Contrairement aux prétentions de M. Ismail, l’agent n’est pas tenu d’examiner sa capacité mentale, ni de la prendre en considération. Il est bien établi que « Non seulement appartient-il au demandeur de faire valoir qu’il n’avait pas les facultés requises pour bien saisir les conséquences de ses actes et d’en apporter la preuve... » (Pizarro Gutierrez, au paragraphe 43).

[16]           Dans son témoignage, M. Ismail a effectivement fait référence à sa jeunesse et au fait de ne pas s’être rendu compte des conséquences de ses actes, mais il n’a pas expressément soulevé la question de capacité et n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve pour étayer les déclarations faites. À la place, les éléments de preuve fournis par M. Ismail étaient qu’il n’était pas au courant des buts et objectifs du MNS. Bien qu’il soutienne le contraire en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, il était raisonnablement loisible à l’agent de préférer les éléments de preuve fournis lors des deux entrevues à ceux contenus dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale.

[17]           En l’espèce, entre quinze et dix-neuf ans, M. Ismail était membre du MNS. En l’absence de preuve du contraire, l’agent avait le droit de se fonder sur la présomption de capacité et de connaissance. M. Ismail n’a fourni aucun élément de preuve pour réfuter la présomption. Il n’existe aucun élément de preuve selon lequel la décision de M. Ismail de se joindre au MNS ait été prise sous l’effet de la contrainte. Il n’existe aucun élément de preuve selon lequel son adhésion continue était sous l’effet de la contrainte. Au contraire, les éléments de preuve indiquaient qu’il comprenait les buts et objectifs du MNS lorsqu’il en était membre. Les éléments de preuve indiquent qu’il n’a pas quitté le MNS parce qu’il s’est finalement rendu compte de la nature de l’organisation, mais plutôt à la suite de son arrestation et des tortures subies en 1985.

[18]           Par conséquent, je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur en concluant que M. Ismail est interdit de territoire pour les motifs énoncés à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. L’agent était au courant de l’âge du M. Ismail au moment où il s’est joint au MNS, mais M. Ismail n’a pas soutenu que la capacité mentale était une question en litige ou n’a pas fourni d’éléments de preuve pour réfuter la présomption de capacité.

VII.          Conclusion

[19]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[20]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-1083-16

 

INTITULÉ :

ABDILLAHI JAMA ISMAIL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET E L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 NOVEMBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

Pour le demandeur

 

Kristina Dragaitis

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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