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Date : 20161115


Dossiers : T‑1335‑16

T‑1442‑16

Référence : 2016 CF 1270

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Russell

Dossier : T‑1335‑16

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION DE MARCEL COLOMB, REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF CHRISTOPHER COLOMB ET LES CONSEILLERS SUZANNE HART, DOUGLAS HART ET GORDON COLOMB

demandeurs

et

ELISE COLOMB, CRYSTAL MICHELLE ET EUSTACHE SINCLAIR

défendeurs

Dossier : T‑1442‑16

ET ENTRE :

ELISE COLOMB, CRYSTAL MICHELLE ET EUSTACHE SINCLAIR À TITRE PERSONNEL ET À TITRE DE COMITÉ ÉLECTORAL DE LA PREMIÈRE NATION DE MARCEL COLOMB

demandeurs

et

CHRISTOPHER COLOMB, SUZANNE HART, DOUGLAS HART, GORDON COLOMB, PRISCILLA COLOMB, EVELYN SINCLAIR, ANGEL CASTEL, SARAH COPAPAY, URGEL LINKLATER, JOSEPH COLOMB, SOLOMON BIGHETTY, MARK D’AMATO ET TERRY LALIBERTY

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   LES DEMANDES

[1]               Dans le dossier T‑1442‑16, les demandeurs sollicitent les mesures de réparation qui suivent :

1.    une ordonnance portant que la demande soit entendue d’urgence, dans les plus brefs délais;

2.    une déclaration portant que le ou vers le 16 mars 2016, le comité d’appel des élections de la Première Nation de Marcel Colomb (le comité d’appel des élections de la PNMC) ne s’est pas réuni, n’a pas tenu d’audience d’appel électoral, n’a rendu aucune décision concernant un appel électoral et n’a rendu aucune décision annulant les résultats de l’élection du 1er février 2016 ayant pour but d’élire le chef et le conseil;

3.    une déclaration portant qu’aux termes de la Loi électorale de la Première Nation de Marcel Colomb (la Loi électorale de la PNMC), même lorsque les personnes prétendant faire partie du comité d’appel des élections en sont réellement membres :

a.    afin que le comité d’appel des élections puisse tenir une réunion dûment convoquée, un quorum de trois membres doit être atteint;

b.    ces personnes n’ont ni la compétence ni le pouvoir requis pour tenir une réunion ou prendre une décision si aucun appel n’a été interjeté par écrit dans les quatre jours suivant l’élection.

c.    En vertu du paragraphe 4(2), ces personnes n’ont pas le pouvoir de déclencher ni d’autoriser de nouvelles élections et lorsqu’un candidat élu n’a enfreint aucune clause de la Loi électorale de la PNMC, seul le comité électoral a le pouvoir de déclencher de nouvelles élections;

4.    une déclaration portant que malgré le statut de membre du comité d’appel des élections qu’a pu détenir le défendeur Joseph Colomb, Urgel Linklater ou Solomon Bighetty, ce statut était arrivé à échéance avant la prétendue décision prise le 16 mars 2016 (par deux d’entre eux, c’est-à-dire Joseph Colomb et Urgel Linklater) selon laquelle ils affirment avoir annulé les résultats de l’élection du 1er février 2016;

5.    une déclaration portant que la prétendue décision prise le 16 mars 2016 par Urgel Linklater et Joseph Colomb, selon laquelle ils auraient décidé ou conclu que les postes de chef et de conseillers comblés lors de l’élection du 1er février 2016 étaient devenus vacants, est nulle et sans effet;

6.    une ordonnance de quo warranto portant que les défendeurs Joseph Colomb, Urgel Linklater et Solomon Bighetty ne sont pas membres du comité d’appel des élections de la PNMC.

7.    Par ailleurs, si la décision de Joseph Colomb et d’Urgel Linklater était en fait celle d’un comité d’appel des élections dûment constitué, alors les demandeurs sollicitent :

a.    une ordonnance prorogeant le délai de 30 jours pour demander un contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 18.1(2), au besoin; et

b.    une ordonnance cassant cette décision et établissant qu’elle est contraire à la loi et déraisonnable et qu’elle constitue un manquement aux règles de justice naturelle;

8.    une déclaration portant que la décision non contestée, prise le 16 mai 2016 par Elise Colomb, Crystal Michelle et Eustache Sinclair à titre de comité électoral de la Première Nation de Marcel Colomb (le comité électoral de la PNMC) et selon laquelle ils confirment que le processus proposé le 16 mai 2016 pour élire le chef et le conseil n’était pas une élection de bande valable et décident qu’il n’y aura pas de nouvelle élection, était en fait une décision du comité électoral de la PNMC;

9.    une déclaration portant que les demandeurs Elise Colomb, Crystal Michelle et Eustache Sinclair sont actuellement et continueront d’être membres du comité électoral de la PNMC;

10.  une déclaration portant que le prétendu processus électoral du 16 mai 2016, par lequel les défendeurs Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb prétendent avoir été élus comme chef et conseil de la bande, n’est pas un processus électoral en vertu de la Loi électorale de la PNMC et qu’il ne peut pas lier la bande;

11.  une déclaration portant que les défendeurs Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb ne sont ni le chef ni les conseillers élus de la bande;

12.  une ordonnance de quo warranto portant que les défendeurs Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart, Gordon Colomb, Joseph Colomb, Urgel Linklater et Solomon Bighetty n’occupent pas les postes de chef et de conseillers de la bande;

13.  une déclaration portant que la présumée résolution du conseil de bande du 17 mars 2016, selon laquelle Christopher Colomb, Gordon Colomb, Douglas Hart et Suzanne Hart, en leur présumée qualité de chef et de conseillers de la bande, ont voulu modifier les pouvoirs de signature pour les comptes financiers de la bande, n’est pas une décision du chef et du conseil de bande et qu’elle est nulle et sans effet;

14.  une déclaration portant que la présumée résolution du conseil de bande du 12 août 2016, selon laquelle Christopher Colomb, Gordon Colomb, Douglas Hart et Suzanne Hart, en leur présumée qualité de chef et conseil de la bande, ont soi-disant résilié les services de Mark D’Amato et de Terry Laliberty (les cogestionnaires), n’est pas une décision du chef et du conseil de bande et qu’elle est nulle et sans effet;

15.  Si l’une ou l’autre des décisions susmentionnées, contestées par Christopher Colomb, Gordon Colomb, Douglas Hart et Suzanne Hart, sont en fait des décisions du chef et du conseil de bande, alors les demandeurs sollicitent :

a.    une ordonnance prorogeant le délai de 30 jours pour demander un contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 18.1(2), au besoin; et

b.    une ordonnance cassant cette décision et établissant qu’elle est contraire à la loi et déraisonnable et qu’elle constitue un manquement aux règles de justice naturelle;

16.  une ordonnance portant que les activités financières de la bande doivent être gérées par Mark D’Amato et Terry Laliberty (ses cogestionnaires) de la même façon qu’avant l’élection du 16 mai 2016 conformément à l’accord conclu entre la bande et les cogestionnaires et approuvé par Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC, auparavant appelé AADNC);

17.  une ordonnance :

a.    déclarant que les personnes élues le 1er février 2016, à savoir Priscilla Colomb, Evelyn Sinclair, Angel Castel et Sarah Copapay, sont la chef et les conseillères de la bande et que leur mandat prendra fin le 1er février 2020; ou

b.    commandant une nouvelle élection du chef et du conseil en vertu de la Loi électorale de la PNMC, ainsi qu’une ordonnance :

i.     confirmant que les demandeurs forment le comité électoral de la bande pour cette élection, sinon une ordonnance identifiant les personnes devant former le comité électoral pour cette élection;

ii.    nommant un président d’élection indépendant pour diriger cette élection, sinon une ordonnance indiquant qui aura le pouvoir de nommer un président d’élection;

iii.   nommant un comité d’appel des élections indépendant pour examiner les appels dûment interjetés concernant la nouvelle élection, sinon une ordonnance indiquant qui aura le pouvoir de nommer ce comité;

iv.   précisant la date de mise en candidature et la date de cette élection;

v.    portant des consignes supplémentaires afin que le nouveau processus électoral se déroule conformément à la Loi électorale de la PNMC;

18.  des ordonnances interlocutoires, en attendant une instruction approfondie et définitive de la demande aux présentes et au dossier T‑1335‑16 de la Cour :

a.    portant que les défenderesses Priscilla Colomb, Evelyn Sinclair, Angel Castel et Sarah Copapay, qui forment le conseil de bande élu le 1er février 2016, demeurent la chef et les conseillères légalement élues de la bande;

b.    interdisant aux défendeurs Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb de prétendre être le chef et les conseillers de la bande;

c.    interdisant aux défendeurs Joseph Colomb, Urgel Linklater et Solomon Bighetty de prétendre former le comité d’appel des élections de la PNMC;

d.    interdisant à toutes les parties de s’ingérer dans les activités d’administration financière que les défendeurs Mark D’Amato et Terry Laliberty sont autorisés à mener en vertu de l’accord conclu avec la bande;

e.    interdisant à toutes les parties de communiquer avec des institutions financières dans le but de faire modifier les pouvoirs de signature sans le consentement de Mark D’Amato, cogestionnaire de la bande;

19.  les frais et dépens relatifs à la présente demande sur une base avocat-client; et

20.  toute autre mesure de réparation, au besoin, que la Cour estime juste.

[2]               Dans le dossier T‑1335‑15, les demandeurs sollicitent les mesures de réparation qui suivent :

a)    une ordonnance provisoire sursoyant à toute autre instance visée par la présente décision jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue quant à la présente demande de contrôle judiciaire et à tout appel s’y rapportant;

b)    une ordonnance provisoire portant que les particuliers demandeurs conservent leurs postes de chef et de conseillers légalement élus de la Première Nation de Marcel Colomb jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue quant à la présente demande de contrôle judiciaire et à tout appel s’y rapportant;

c)    un bref de quo warranto à l’encontre des défendeurs et une déclaration portant que les défendeurs ne forment pas le comité électoral de la Première Nation de Marcel Colomb;

d)   une ordonnance infirmant et annulant la décision;

e)    les frais et dépens relatifs à la présente demande; et

f)    toute autre ordonnance que l’avocat pourrait demander et que la Cour pourrait autoriser.

II.                PRÉSENTES AFFAIRES

[3]               À ce moment-ci du litige, les parties sont devant la Cour pour résoudre les questions suivantes :

a)      Dans le dossier T‑1442‑16, les autres défendeurs présentent une requête visant à faire radier la demande en se fondant principalement sur le fait qu’ils savent qu’elle a été déposée hors délai, qu’elle enfreint intentionnellement les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), et qu’elle comporte des demandes de réparation auxquelles la Cour n’a pas la compétence d’accéder et pour lesquelles les demandeurs n’ont pas qualité.

b)      Dans le dossier T‑1442‑16, les demandeurs présentent une requête en vue d’obtenir une injonction interlocutoire demandant :

1.    une ordonnance, aux termes de l’article 8 des Règles, abrégeant le délai imparti pour l’audience de la présente demande, si nécessaire;

2.    une ordonnance, aux termes de l’article 105 des Règles, réunissant la présente instance à celle du dossier T‑1335‑16 de la Cour;

3.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, portant que les activités financières de la Nation crie de Marcel Colomb (la bande) soient gérées par Mark D’Amato et Terry Laliberty, les cogestionnaires de la bande, en conformité avec :

a.    l’accord visant la gestion de la bande et le développement de ses capacités, conclu entre la bande, Mark D’Amato et Terry Laliberty et signé le 25 février 2016;

b.    les pouvoirs de signature des chèques, les procédures et les contrôles financiers établis par la bande, Mark D’Amato et Terry Laliberty avant le 16 mai 2016;

4.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, enjoignant à quiconque, y compris à ceux qui prétendent être le chef et les conseillers de la bande, de :

a.    ne pas s’ingérer dans la bonne administration des activités financières de la bande, assurée par Mark D’Amato ou Terry Laliberty, ses cogestionnaires;

b.    ne pas s’ingérer dans les activités d’administration financière que les défendeurs Mark D’Amato et Terry Laliberty sont autorisés à mener en vertu de l’accord conclu avec la bande;

c.    interdisant à toutes les parties de communiquer avec des institutions financières dans le but de faire modifier les pouvoirs de signature sans le consentement de Mark D’Amato, cogestionnaire de la bande;

d.    ne prendre aucune mesure visant à résilier les services du cogestionnaire Mark D’Amato ou Terry Laliberty, ni d’agir sur la base de toute résiliation déjà effectuée selon les dires de l’une ou l’autre des parties;

5.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, portant que les défenderesses Priscilla Colomb, Evelyn Sinclair, Angel Castel et Sarah Copapay, formant le conseil de bande élu le 1er février 2016, conservent leurs postes de chef et de conseillères légalement élues de la Première Nation de Marcel Colomb;

6.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, interdisant aux défendeurs Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb de prétendre être le chef et les conseillers de la bande;

7.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, interdisant à Joseph Colomb, Urgel Linklater et Solomon Bighetty de prétendre former le comité d’appel des élections de la bande;

8.    une ordonnance dispensant de l’exigence de prendre un engagement;

9.    les frais et dépens sur une base avocat-client;

10.  toute autre mesure de réparation que l’avocat pourrait demander et que l’honorable Cour pourrait estimer juste.

c)      Dans le dossier T‑1335‑16, les demandeurs demandent à la Cour de statuer sur leur requête.

III.             CONTEXTE

[4]               La situation politique, administrative et financière de la Première Nation de Marcel Colomb (PNMC) est actuellement intolérable. Un litige quant à l’identité de son chef et de ses conseillers légitimes a provoqué un chaos politique et financier, et les deux parties ont indiqué à la Cour que la bande en souffre.

[5]               L’état insoutenable des choses était inévitable, vu les événements qui se sont produits depuis février 2016. Le 1er février 2016, la bande a tenu une élection générale (l’élection du mois de février) au terme de laquelle Priscilla Colomb a été élue comme chef et Evelyn Sinclair, Angel Castel et Sarah Copapay ont été élues comme conseillères (les CCF, signifiant « chef et conseillères élues en février »).

[6]               Le 16 mai 2016, une autre prétendue élection aurait eu lieu (l’élection du mois de mai), pendant laquelle 59 membres auraient voté (l’électorat totalisant environ 237 membres). Les éléments de preuve font valoir que le nombre de participants à la plupart des élections visant à élire le chef et le conseil de la PNMC se situe entre 101 et 117 membres. Les électeurs ont été nombreux à boycotter cette élection parce qu’ils estimaient qu’elle n’était ni autorisée ni valide. À l’élection du mois de mai, Christopher Colomb a été élu comme chef et Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb ont été élus comme conseillers (les CCM, signifiant « chef et conseillers élus en mai »).

[7]               Inévitablement, les CCF et les CCM déclarent être le chef et les conseillers légitimes de la PNMC, et ce conflit a donné lieu au présent litige.

[8]               Initialement, les CCF n’ont pris aucune mesure juridique pour établir leur légitimité parce que l’élection du mois de mai leur semblait être une pure imposture découlant d’une décision soi-disant prise le 16 mars 2016 par Urgel Linklater et Joseph Colomb, qui auraient agi en tant que comité d’appel des élections (CAE), déclaré que l’élection du mois de février n’était pas valide et que les CCF n’étaient ni la chef ni les conseillères de la bande et déclenché une nouvelle élection devant pourvoir les postes vacants le 16 mai 2016.

[9]               Les éléments de preuve qui m’ont été présentés ne font aucun doute que ces personnes ne pouvaient pas former un CAE en vertu de la Loi électorale de la PNMC, que l’élection du mois de février n’a fait l’objet d’aucun appel, qu’aucun CAE ne s’est réuni, qu’il n’y avait aucune raison d’annuler l’élection du mois de février et que la documentation produite et distribuée par ce faux CAE et ses complices ne visait qu’à frauder l’électorat de la PNMC. En fait, les intéressés (et les personnes pour lesquelles ils ont agi) doivent répondre de bien des actes, car cette documentation a soi-disant jeté les bases de l’élection du mois de mai et du chaos qui en a découlé. Je discuterai de ces éléments de preuve plus tard, mais il est à noter que les intéressés ne se sont manifestés durant ce litige ni pour répondre de leurs actes ni pour fournir des éléments de preuve, et qu’ils n’ont répondu à aucune question quant à la façon dont ils ont pu agir en tant que CAE, justifier l’annulation de l’élection du mois de février ou déclencher l’élection du mois de mai qui a permis aux CCM d’être élus comme chef et conseillers de la bande.

[10]           Selon la Loi électorale de la PNMC, cela signifie que les CCF n’ont jamais été destituées. Il est donc facile de comprendre pourquoi elles n’ont jamais poursuivi les CCM, vu l’évidence de la fraude commise par le CAE. Cependant, les CCM ont éventuellement réussi à convaincre la Gendarmerie royale du Canada et d’autres tierces parties, notamment Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC), qu’ils étaient le chef et les conseillers dûment élus de la bande. L’administration et la gouvernance de la PNMC ont alors commencé à battre de l’aile et les CCF ont été forcées d’intenter une poursuite.

[11]           Après l’élection du mois de mai, les CCF, Mark D’Amato (l’un des cogestionnaires de la PNMC en vertu d’un accord signé le 25 février 2016 visant la gestion de la bande et le développement de ses capacités), de même qu’Elise Colomb, Crystal Michelle et Eustache Sinclair (les parties, dans les affaires dont je suis saisi, qui prétendent former le comité électoral [CE] de la PNMC en vertu de la Loi électorale de cette dernière), ont tenté de persuader la communauté de la PNMC que l’élection du mois de mai n’était pas légitime. On a éventuellement décidé qu’il était nécessaire d’intenter une poursuite, alors le 3 juin 2016 (soit plus de 76 jours après la décision du CAE, prise le 16 mars 2016), on a présenté une demande de contrôle judiciaire visant cette décision dans le dossier T‑888‑16 (la demande 888).

[12]           Cependant, le 27 juillet 2016, le protonotaire Lafrenière a rejeté la demande 888 de manière quelque peu informelle en raison de documents reçus de l’avocat parce qu’il n’était pas convaincu que les auteurs de la demande 888 avaient fait preuve de diligence raisonnable pour se conformer à l’article 306 des Règles. Le bien-fondé de la demande 888 n’a jamais été entendu ni présenté par le protonotaire Lafrenière.

[13]           Les CCF et le CE ne semblent avoir compris les répercussions du rejet de la demande 888 que lorsqu’ils ont retenu les services d’un nouvel avocat. Cependant, il semble que le CE a éventuellement déterminé que le seul moyen de se sortir d’une apparente impasse juridique était de mener une nouvelle élection. Les CCF étaient d’accord avec cette approche, mais pas les CCM, qui soutenaient être le chef et les conseillers légitimes de la PNMC.

[14]           Le 9 août 2016, le CE a donc annoncé le déclenchement d’une nouvelle élection. Les CCM ont alors pris des mesures juridiques pour l’empêcher et ont présenté la demande au dossier T‑1335‑16 à la fois pour empêcher la tenue de l’élection et pour obtenir de la Cour qu’elle déclare que le CE, dans les faits, n’est pas reconnu comme tel en vertu de la Loi électorale de la PNMC et ne pouvait pas déclencher une élection.

[15]           En guise de réponse, le CE a présenté la demande au dossier T‑1442‑16 afin que la Cour examine l’ensemble de la situation et indique qui sont le chef et les conseillers légitimes de la PNMC. Cette demande réfère à quatre décisions à examiner, mais il ne fait aucun doute que la principale question demeure la même : qui ne sont pas le chef et les conseillers légitimes de la PNMC?

[16]           Les diverses requêtes et requêtes incidentes effectuées dans les dossiers T‑1335‑16 et T‑1442‑16, ajoutées au chaos juridique, reflétaient la confusion régnant au sein de la PNMC. Heureusement, le protonotaire Lafrenière s’est chargé de la gestion des instances et les parties ont convenu que la demande au dossier T‑1335‑16 pouvait être traitée immédiatement, sans que des réparations interlocutoires soient nécessaires, et que la requête en radiation des CCM et la requête du CE visant une injonction provisoire dans le dossier T‑1442‑16 pouvaient être entendues en même temps que la demande au dossier T‑1335‑16. Toutes ces questions sont interdépendantes, et les parties conviennent que je peux utiliser les recueils déposés pour chacune afin de rendre ma décision dans les trois dossiers dont je suis saisi.

[17]           Les parties sont d’accord que la principale question, que j’ai déjà énoncée, consiste à déterminer si les CCF ou les CCM sont le chef et les conseillers légitimes de la PNMC. Toutefois, elles voient cette question de façons différentes. En effet, le CE me demande de décider qui sont le chef et les conseillers légitimes de la PNMC, tandis que les CCM, en plus de vouloir que j’écarte le CE dans la demande au dossier T‑1335‑16, sollicitent la radiation du dossier T‑1442‑16 dans son intégralité parce qu’il était hors délai, plus précisément, et qu’il ne fait que contourner la décision que la Cour a déjà rendue en rejetant la demande 888. À ce moment-ci, les CCM désirent éviter que le bien-fondé de la demande soit établi et supposent que si le dossier T‑1442‑16 est radié, ils seront reconnus comme le chef et les conseillers légitimes de la PNMC.

[18]           Il ne changera probablement rien que je traite l’un ou l’autre des dossiers en premier lieu, car ils évoquent les mêmes faits et exigent, dans une mesure plus ou moins grande, que la Cour considère la question de légitimité. Je crois qu’il est préférable de statuer d’abord sur la demande des CCM au dossier T‑1335‑16 parce que la principale question en litige requiert qu’on s’y attaque plutôt de front. Dans le dossier T‑1335‑16, en présentant la demande au nom de la Première Nation de Marcel Colomb, les CCM m’ont fermement saisi d’une question de légitimité représentative, qui a été soulevée et débattue par le CE en réponse à la demande.

IV.             DEMANDE – DOSSIER T‑1335‑16

A.                La thèse des CCM

[19]           Pour réduire les choses à l’essentiel, les CCM soutiennent, dans le cadre de cette demande de quo warranto à l’encontre des défendeurs du CE, que le mandat du CE a pris fin en décembre 2015 et que les membres de ce comité n’ont jamais été désignés de nouveau conformément à la Loi électorale de la PNMC, qui régit les mises en candidature. Les CCM ont fait devant la Cour une présentation méticuleuse et convaincante des faits sur le fond et des dispositions pertinentes de la Loi électorale de la PNMC afin de démontrer que le CE ne pouvait pas être légitime et pourquoi il n’a pas légalement pu déclencher une élection le 9 août 2016 et organiser une assemblée de mise en candidature trente (30) jours après cette date.

B.                 La thèse du CE

[20]           Bien qu’il ne soit pas d’accord avec les arguments et les motifs des CCM quant à la légitimité du CE et à son pouvoir de déclencher une élection le 9 août 2016, le CE est plutôt d’avis que cette demande devrait être rejetée parce que :

a)      la demande est théorique. La décision du 9 août 2016 a été annulée et aucune élection n’a été déclenchée; et

b)      les CCM n’ont pas qualité pour présenter cette demande au nom de la PNMC parce qu’ils ne sont pas le chef et les conseillers légitimement élus de la PNMC.

[21]           Pour les défendeurs du CE, la légitimité demeure la principale question en litige. Dans leurs observations écrites, ils déclarent ce qui suit :

[traduction]
103.     Que les défendeurs forment ou non le comité électoral de la bande, ceux qui prétendent avoir été élus le 16 mai 2016 ne sont pas les personnes que l’électorat de la bande a choisies comme dirigeants dans le cadre d’un processus électoral juste ou inclusif.

104.     Dans l’intérêt public, l’électorat de la Première Nation de Marcel Colomb doit pouvoir choisir ses dirigeants lors d’une élection juste, menée conformément à son processus électoral et durant laquelle seuls les candidats éligibles peuvent être élus.

105.     Si ce groupe n’est pas celui de Priscilla Colomb, alors un nouveau processus électoral est justifié et devrait être enclenché par une personne désignée par la Cour afin qu’il soit juste et inclusif.

106.     Bref, l’électorat de la bande mérite mieux que de voir ses affaires régies par un groupe qui ne représente pas sa volonté.

107.     Si les demandeurs sont autorisés à demeurer en poste, leur accession au pouvoir n’est rien de moins qu’un coup orchestré qui va à l’encontre du principe de la primauté du droit et qui frappe la démocratie en plein cœur.

C.                 Analyse

[22]           Tout d’abord, je ne suis pas d’accord avec les défendeurs du CE lorsqu’ils disent que la présente demande est théorique. La décision de déclencher une élection le 9 août 2016 a peut‑être été annulée et le CE laisse peut-être à la Cour le soin de trancher la question de la gouvernance de la bande, mais il demeure que les CCM demandent à la Cour d’examiner la légitimité du CE, de statuer sur cette question et d’ordonner que le CE ne puisse pas se conduire ni se présenter comme un comité électoral ni déclencher une future élection.

[23]           Quant à la qualité des demandeurs, les CCM soutiennent que la présente demande ne vise pas la légitimité de la décision prise le 16 mars 2016 par le CAE et, quelle que soit l’issue de la cause, que cette question a déjà été tranchée par le protonotaire Lafrenière lorsqu’il a rejeté la demande 888. Ils soutiennent également que l’élection du mois de février, qui a permis aux CCF d’accéder au pouvoir, n’était aucunement plus valide que celle qui a permis aux CCM de prendre le pouvoir au mois de mai, et que la validité de ces élections n’est pas en cause. L’élection du mois de mai n’ayant pas été contestée, la PNMC est prise avec son résultat.

[24]           À mon avis, ces affirmations des CCM sont indéfendables. Il n’y a eu ni contestation ni appel de l’élection du mois de février, alors la décision prise le 16 mars 2016 par le CAE afin de soi-disant annuler cette élection est totalement frauduleuse et constitue un non-événement sur le plan juridique. L’avocat des CCM a présenté à la Cour, avec grande compétence, la Loi électorale de la PNMC et les faits de la présente demande afin de démontrer que les défendeurs du CE ne forment pas légitimement un comité électoral ni ne peuvent déclencher une élection, mais il a méticuleusement évité de faire le même exercice au sujet du CAE et de sa décision du 16 mars 2016, la cause première de ce litige. Je comprends pourquoi il a agi de la sorte : les éléments de preuve permettent de conclure que la décision du CAE n’est pas celle d’un comité légitime et que la décision et son application sont frauduleuses. Les CCM tentent en l’espèce d’établir la légitimité de l’élection, non en se conformant à la Loi électorale de la PNMC, mais plutôt en se servant des obstacles procéduraux de la demande T‑1442‑16. En fait, les CCM disent que même si la décision prise le 16 mars 2016 par le CAE était frauduleuse, c’est bien dommage, mais comme l’élection du mois de mai n’a pas été contestée à temps, sa légitimité ne peut plus être remise en question. À mon avis, ces affirmations ne sont pas défendables. En vertu de la Loi électorale de la PNMC, la légitimité politique ne peut pas être obtenue seulement par l’écoulement du temps lors d’une action en justice. Dans la présente demande, les questions de légitimité et de qualité ne peuvent pas être évitées, car puisqu’elles ont été soulevées fermement et légitimement, la Cour doit les trancher. Dans la demande et les requêtes dont je suis saisi, les CCM font valoir que le fond du litige n’est pas en cause. En réalité, cela signifie qu’ils ne se soucient pas de ce que dicte la Loi électorale de la PNMC quant à la façon d’élire ou de destituer son chef et son conseil. Cela signifie que la volonté de l’électorat de la PNMC n’est pas pertinente pour les CCM, puisqu’ils seront satisfaits d’accéder au pouvoir grâce à des formalités procédurales devant la Cour. Les CCF étaient prêtes à démissionner et à laisser l’électorat trancher la question lors d’une nouvelle élection, mais les CCM ont refusé. Les CCM ne veulent pas affronter leurs propres électeurs et sont satisfaits de s’accrocher au pouvoir grâce à une formalité juridique. C’est une étrange et inquiétante thèse à adopter alors qu’aucune clause de leur propre Loi électorale ne permet d’accéder au pouvoir de cette façon et que le pouvoir légitime ne devrait être accordé qu’aux personnes élues dans le cadre d’une élection juste et dûment déclenchée permettant aux membres de la PNMC de faire connaître leurs préférences. Si la culture politique de la PNMC permet un tel manque de respect et une telle négligence de la volonté du peuple, elle entraînera inévitablement un chaos encore plus profond. Les CCM disposent des mêmes éléments de preuve que moi concernant la décision prise le 16 mars 2016 par le CAE, alors ils doivent savoir qu’elle n’est pas valide, que les CCF n’ont jamais été légitimement destituées et que l’élection du mois de mai n’a jamais été légitimement déclenchée. Ils n’ont pas tenté d’étayer la décision prise le 16 mars 2016 par le CAE dans leur requête en radiation, qui exige qu’ils présentent leurs meilleurs arguments. Ils réclament le pouvoir en invoquant une formalité juridique, non la volonté de leur propre peuple. Comme on pouvait s’y attendre, la jurisprudence de la Cour ne le permet pas et penche fermement en faveur de dirigeants légitimement élus qui ont obtenu l’appui de leur propre peuple lors d’élections dûment menées. En fait, la Cour a déjà tranché des questions similaires.

[25]           Dans l’arrêt Première Nation du Lac des Mille-Lacs c. Chapman, [1998] ACF 752 (Lac des Mille Lacs), deux groupes distincts alléguaient être le chef et les conseillers de la Première Nation. Le premier groupe, déterminant que le code électoral en vertu duquel il avait été élu ne reflétait pas adéquatement la coutume de la bande, a décidé d’organiser un référendum dans le but de faire ratifier un nouveau projet de code. Cependant, avant la tenue du référendum, quelques membres de la bande ont organisé une élection qui a permis d’élire un second groupe composé d’un chef et de conseillers. La deuxième élection fut boycottée par le chef et le conseil du premier groupe. Lors de la deuxième élection, M. Sawdo a été élu chef; le conseil et lui ont alors invité les membres à les appuyer en tant que chef et conseillers de la bande. Un nouveau code électoral a prétendument été adopté lors du référendum et un troisième chef et conseil ont été élus. Il s’est inévitablement ensuivi l’habituel chaos politique et administratif et on a demandé à la Cour d’intervenir pour décider qui détient le pouvoir légitime. M. Sawdo et son conseil ont demandé à la Cour de déclarer qu’ils étaient le chef et les conseillers légitimes de la bande.

[26]           Les faits indiquaient clairement que le premier conseil prétendait être en poste sans toutefois en avoir le pouvoir légitime, mais M. Sawdo et ses conseillers ne pouvaient pas le destituer en raison de la deuxième élection. Le juge Cullen a donné aux parties des conseils de nature générale dont une bonne part est applicable à l’affaire dont je suis saisi :

15        Le demandeur sollicite une déclaration portant que lui et ses conseillers (le Conseil no 2) sont le véritable conseil de la Première nation. Il faut donc régler cette question en premier lieu, en cherchant à déterminer si l’élection qui les a supposément portés au pouvoir était légitime.

16        M. Sawdo et le Conseil no 2 ont été élus en 1996. Selon la preuve, c’est M. Sawdo lui-même qui, avec l’aide de certains membres non-identifiés (sic) de la bande, a déclenché, organisé et réalisé cette élection. Au paragraphe 18 de son affidavit, M. Sawdo affirme que le chef héréditaire et ancien Robert Sandy Patrick Sawdo et Pam Sawdo, respectivement père et sœur du demandeur, ont reçu des assurances verbales de M. Green, directeur de district, district de l’Ouest, région de l’Ontario, MAINC, à l’effet qu’ils étaient autorisés à tenir une élection. Toutefois, M. Brent Lepage, au paragraphe 8 de son affidavit, affirme clairement qu’il est très peu probable que M. Green ait donné de telles assurances, car le MAINC n’a ni le mandat, ni la compétence requise pour approuver le déclenchement d’une élection. Comme la Première nation devait choisir ses dirigeants selon la coutume de la bande, le seul rôle du ministère était de prendre connaissance officielle des résultats. De plus, l’avocat du demandeur aurait dû fournir à la Cour un affidavit de M. Patrick Sawdo et de Mme Pam Sawdo, ou de l’un d’entre eux, faisant état de ce qu’on leur avait dit exactement. Cette preuve n’ayant pas été fournie, et au vu de l’affidavit à l’effet contraire du MAINC, je considère que cette supposée « autorisation » ne peut en aucune façon justifier la tenue de l’élection. De toute façon, toute la question est peu pertinente car même si M. Green avait accordé son appui à la tenue de l’élection, cet appui n’aurait aucun effet en droit.

17        Il est avéré que M. Sawdo a été et demeure un membre de la bande. Toutefois, au moment où M. Sawdo a déclenché l’élection de 1996, il y avait déjà un conseil constitué qui se comportait comme s’il était toujours en fonctions. Rien dans la preuve n’indique qu’avant que M. Sawdo organise son élection des démarches aient été entreprises pour convaincre le Conseil no 1 de démissionner ou de déclencher une élection. On trouve toutefois en preuve le fait que le MAINC a proposé aux parties un processus de médiation afin de résoudre leur différend. Aucune des parties n’a voulu participer hors la présence de leurs avocats, dont les honoraires auraient dû être remboursés par le MAINC, proposition que le ministère n’a pas acceptée. (Voir l’alinéa 6(d) du premier affidavit de M. Lepage.)

18        Selon la procédure normale, M. Sawdo aurait dû demander à cette Cour la délivrance d’un bref de quo warranto. Dans Bone c. Bande indienne de Sioux Valley no 290 (1996) 107 F.T.R. 133, le juge Heald s’est penché sur le droit relatif au bref de quo warranto dans le contexte de différends portant sur la légitimité d’un conseil d’une Première nation. Dans Bone, un appel a été logé auprès de la Commission d’appel en vertu du code électoral de la bande au motif que le chef élu n’avait pas qualité pour être candidat car il ne satisfaisait pas au critère de résidence du code électoral. La Commission d’appel a ordonné la tenue d’une nouvelle élection. Toutefois, seul le chef et le conseil étaient habilités par le règlement de la bande à déclencher une élection et ils refusèrent de le faire, suivant ainsi l’avis des anciens de la Première nation. Le chef intimé dans l’affaire a donc refusé de se démettre de ses fonctions. Le juge Heald a décidé que la Cour pouvait délivrer un bref de quo warranto si elle était convaincue que l’exercice de la charge en question par l’intimé en cause ne reposait sur aucun fondement juridique. À la page 151, le juge Heald cite le commentaire suivant du juge Teitelbaum dans Jock c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1991] 1 C.F. 355 :

Selon l’ouvrage de de Smith’s [sic] Judicial Review of Administrative Action (4e éd., par J.M. Evans, 1980), les anciennes règles de droit énumérées ci‑dessous en matière de quo warranto s’appliquent encore, sous réserve de quelques modifications mineures (aux pages 463 et 464) :

1. Il doit s’agir d’une charge de nature publique.

2. Il faut que le titulaire ait déjà exercé la charge; il ne suffit pas qu’il ait simplement revendiqué le droit de le faire.

3. Il faut que la charge ait été instituée par la Couronne, en vertu du [sic] charte royale ou d’une loi du Parlement.

4. Le titulaire de la charge ne doit pas être un adjoint ou un préposé nommé à titre amovible.

5. Est irrecevable la demande de réparation d’un demandeur qui a acquiescé à l’usurpation de la charge ou qui a exercé le recours avec un retard indu.

6. Il faut que le demandeur ait un intérêt véritable à engager les procédures. De nos jours, n’importe qui aura probablement un intérêt suffisant à agir, pourvu qu’il n’agisse pas pour le compte d’intérêts privés.

D’autres critères ont été cités par le juge Heald, mais il n’est pas nécessaire de les aborder ici puisque cette demande ne vise pas l’obtention d’un bref de quo warranto.

19        L’avocat du demandeur prétend toutefois que l’élection de 1996 était légitime, au motif :

1. qu’elle avait respecté la procédure utilisée en 1990 et 1992, et

2. qu’après le retrait du code 93-001, il n’y avait plus de conseil en fonctions puisque le Conseil no 1 n’avait plus aucun mandat ou compétence.

20        À mon avis, ce deuxième argument ne peut être retenu car s’il était vrai que le Conseil no 1 prétendait continuer d’agir sans compétence il aurait fallu chercher à obtenir un bref de quo warranto. De plus, le simple fait que le Conseil no 1 ne soit plus compétent ne conférait pas une quelconque compétence au demandeur.

21        Dans le contexte susmentionné, il aurait fallu chercher à obtenir un bref de quo warranto aux motifs que : la charge du chef est de nature publique; il est avéré que M. Chapman a déjà exercé la charge; comme l’a décidé le juge Heald dans Bone, même un titulaire élu conformément à la coutume de la bande satisfait au troisième critère; le chef n’est pas nommé à titre amovible; et M. Sawdo a un intérêt véritable à engager les procédures. L’avocat du défendeur plaide que le demandeur a exercé son recours avec un retard indu et qu’en fait il a acquiescé au maintien de M. Chapman dans les fonctions de chef. Comme aucune des parties n’a demandé de bref de quo warranto, il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’instance. Je suis convaincu que c’est ce que M. Sawdo aurait dû faire. Plusieurs facteurs vont dans ce sens. Premièrement, un message clair aurait été envoyé au conseil que les membres de la Première nation ne toléreraient pas qu’il prolonge indûment son mandat. Deuxièmement, et plus important encore, cette façon de procéder aurait permis d’éviter la situation à laquelle nous sommes confrontés ici. Si le premier geste posé avait été de demander un bref de quo warranto, il n’y aurait jamais eu aucun doute quant à qui était autorisé à représenter les membres de la Première nation. À défaut d’avoir procédé ainsi, M. Sawdo n’a pas démontré à la Cour qu’il avait l’autorité requise pour déclencher une élection alors qu’il y avait déjà un conseil en fonctions et que ce dernier n’a pas participé à l’élection de 1996. À mon avis, c’est lui qui a le fardeau de la preuve quant à l’existence de cette autorité. La Cour ne peut déclarer l’élection de 1996 valide et ainsi accorder à M. Sawdo la déclaration qu’il recherche, parce qu’il n’a pas démontré qu’il était doté d’une autorité légitime.

22        Quant au premier argument, savoir [sic] que la procédure est un motif suffisant pour que l’élection soit valide, je veux souligner que le défaut d’avoir eu l’autorité nécessaire pour déclencher le processus le rend nul et non avenu. De plus, la description de la façon dont l’élection a été déclenchée que l’on trouve à l’affidavit de M. Sawdo n’est pas suffisante. Le demandeur n’indique pas où et quand les annonces ont été publiées. La seule copie d’une des prétendues annonces au sujet de l’élection se trouve au dossier du défendeur. Or, on n’y trouve aucune mention de la date ou du lieu de l’élection. Même si le demandeur avait présenté une preuve suffisante quant à la publicité faite au sujet de la réunion et de l’élection, cela ne suffirait pas à combler les carences susmentionnées. Le défaut d’avoir demandé un bref de quo warranto réduit à néant les chances de succès du demandeur.

23        Il ne me reste qu’à déterminer si les défendeurs exercent toujours leurs fonctions légitimement. Je vais d’abord aborder la question de la compétence de la Cour à juger du droit des défendeurs de rester en poste, compte tenu de l’assertion de l’avocat du demandeur que la Cour n’a pas compétence pour se prononcer sur la légitimité du Conseil no 1 ou du Conseil de remplacement en l’absence d’une requête incidente des défendeurs à cet effet.

24        Dans l’acte introductif d’instance, daté du 23 septembre 1997, on demande à la Cour :

Tout autre redressement que cette honorable Cour considère juste et équitable dans les circonstances.

À mon avis, si la Cour doit résoudre toutes les questions en litige entre les parties, elle se doit d’arriver à des conclusions sur les faits et d’accorder « tout autre redressement » qui soit « juste et équitable dans les circonstances ».

25        Le mandat que le Conseil no 1 a obtenu à l’élection de 1992 était de deux ans. Après la tenue de l’élection, le Conseil no 1 a adopté le code électoral #93-001 qui portait son mandat à quatre ans. Ce code a toutefois été révoqué par une résolution du conseil le 29 janvier 1995. Ceci veut dire que le conseil avait déjà dépassé son mandat de près d’un an, le seul texte en vigueur étant le code en vertu duquel il avait été élu. Il en ressort qu’en 1995, M. Chapman et ses conseillers ne pouvaient s’appuyer sur aucune autorité légitime pour demeurer en fonctions. Toutefois, le Conseil no 1 a continué à administrer les affaires de la Première nation.

26        Comme je l’ai déjà précisé, à ce moment-là ou à n’importe quel moment depuis, le Conseil no 1 ne pouvait être privé de ses fonctions de gestion que s’il démissionnait, s’il déclenchait une élection, ou si quelqu’un demandait un bref de quo warranto contre lui. Rien de cela ne s’est produit.

[27]           Dans l’arrêt Lac des Mille Lacs, le premier conseil avait manifestement dépassé la durée de son mandat, mais il ne pouvait être démis de ses fonctions qu’en démissionnant volontairement, en déclenchant une élection ou en faisant l’objet d’un bref de quo warranto. Une deuxième élection ne pouvait pas le destituer. En l’espèce, il ne fait aucun doute que les CCF étaient toujours la chef et les conseillères légitimes de la PNMC lors de l’élection du mois de mai, qu’elles ont boycotté cette élection et qu’elles ont refusé de démissionner. Autrement dit, les CCF n’ont jamais été démises de leurs fonctions et demeurent la chef et les conseillères légitimes de la PNMC. Les CCM ont tenté de clamer leur légitimité en se servant de l’élection du mois de mai et, maintenant, en me présentant des arguments techniques de droit axés sur l’écoulement du délai de 30 jours et du rejet de la demande 888 par la Cour, mais ces arguments ne sont pas défendables.

[28]           Les motifs du procédé présenté par le juge Cullen sont évidents. Il est trop facile pour un groupe concurrent auquel l’électorat a refusé le pouvoir de persuader les membres de la bande (dont un bon nombre les appuyait déjà) que le chef et les conseillers élus ne sont pas légitimes et de convaincre quelqu’un de déclencher une nouvelle élection. Comme on peut le voir en l’espèce, permettre un tel procédé entraîne le chaos politique et social. Au paragraphe 25 de l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de la présente demande, Christopher Colomb a écrit ce qui suit :

[traduction]
Le déclenchement indu d’une élection engendre bien des problèmes pour la PNMC dans ses interactions avec les autorités gouvernementales responsables, les conseillers professionnels et d’autres parties, en particulier avec les institutions financières.

Apparemment, M. Colomb estime que cette observation doit s’appliquer à d’autres, mais ni à ses prétendus conseillers ni à lui-même.

[29]           Le juge Rennie a énergiquement établi la principale question en litige dans la décision Poker c. Première nation des Innus Mushuau, 2012 CF 1 (Poker) :

[30]      La Cour ne tire aucune conclusion au sujet de cette allégation tardive. En tout état de cause, indépendamment de la question de savoir quelles sont les personnes responsables, en tout ou en partie, des irrégularités de l’élection, le facteur prépondérant à prendre en compte pour décider s’il y a lieu d’accorder ou non la réparation réside dans la confiance des membres de la bande à l’endroit du processus électoral lui-même. Il existe un intérêt public primordial lié au maintien d’une confiance méritée de la bande à l’endroit des élections qu’elle tient, parce que cette confiance renforce sa gouvernance. En conséquence, eu égard à l’importance du processus électoral, la réparation ne sera pas refusée.

[Non souligné dans l’original.]

[30]           En l’espèce, Christopher Colomb, Gordon Colomb et Douglas Hart se sont présentés à l’élection du mois de février et ont été disqualifiés parce qu’ils n’ont pas soumis la vérification de casier judiciaire qu’exige la Loi électorale de la PNMC. Un CAE frauduleux a ensuite déclaré nulle l’élection du mois de février en se fondant apparemment sur ces trois disqualifications, mais sans expliquer ses réels motifs à la Cour. À l’élection du mois de mai, boycottée par les CCF et par de nombreux membres de la bande, les trois intéressés se sont présentés et ont été élus, même si, cette fois encore, ils n’avaient pas fourni la vérification de casier judiciaire exigée par leur Loi électorale. En l’espèce, la présentation des CCM laisse sans réponse quelques questions très troublantes. Par exemple :

a)      Pourquoi Mme Janet Moore, directrice de l’élection du mois de février qui a porté les CCF au pouvoir, a-t-elle confirmé auprès d’AANC et d’autres parties que l’élection du mois de février a eu lieu, qu’aucun appel n’a été interjeté et que les CCF sont la chef et les conseillères élues de la PNMC, alors que peu de temps après, c’est-à-dire au mois de mars, elle s’est jointe à un CAE frauduleux pour déclarer nulle l’élection du mois de février? Quelqu’un doit l’avoir persuadée de changer d’idée. Elle confirme d’abord que les CCF sont la chef et les conseillères légitimes, puis, après un court laps de temps, elle fait valoir qu’elles ne le sont pas. Heureusement, M. D’Amato s’est rendu compte du coup illégitime et a fait de son mieux pour le faire comprendre à Mme Moore, mais celle‑ci a affirmé qu’il avait tort. Dans le cadre de la présente instance, Mme Moore n’est pas venue expliquer pourquoi elle a agi d’une manière aussi contradictoire et qui (ou qu’est-ce qui) l’a amenée à adopter la thèse inverse et à collaborer avec ce CAE frauduleux, alors qu’en tant que directrice des élections, elle devait savoir qu’il s’agissait d’imposteurs. On devrait féliciter M. D’Amato de s’être aperçu de ce coup et d’avoir fait le nécessaire pour protéger la PNMC contre les dangers du pouvoir illégitime. Par contre, Mme Moore, qui a agi de concert avec Urgel Linklater et Joseph Colomb, a une grande part de responsabilité dans le chaos et l’adversité qu’elle a imposés à la PNMC par ses actes et le manquement à son devoir;

b)      Pourquoi les deux (2) autres membres du CAE (Urgel Linklater et Joseph Colomb) n’ont‑ils pas été convoqués pour expliquer leurs actes dans la présente instance? L’imposture de la décision prise le 16 mars 2016, déclarant nulle l’élection du mois de février, fait si manifestement partie des éléments clés de ce litige que la Cour ne peut que tirer une conclusion défavorable du fait que les CCM n’aient pas convoqué ces deux personnes pour faire entendre leurs explications et les soumettre à un contre‑interrogatoire. Plus précisément, ils ont aussi omis de répondre à la demande de documentation et d’explications du CE quant à leur conduite. Nous avons obtenu la prétendue résolution qu’ils ont tous deux signée, mais rien n’explique comment ils ont pu, à ce moment-là, former le CAE en vertu de la Loi électorale de la PNMC, comment la prétendue réunion a été organisée ni comment l’avis approprié a été donné (les CCF n’ayant reçu aucun avis), et aucune explication n’indique qu’ils ont décidé que l’élection du mois de février était nulle parce que Christopher Colomb, Gordon Colomb et Douglas Hart n’ont pas soumis la vérification de casier judiciaire exigée par la Loi électorale de la PNMC, alors que les personnes élues l’avaient fait. En l’absence d’explication, la Cour doit considérer que ces motifs sont complètement fallacieux. Ce sont les seuls motifs qu’ils ont trouvés pour justifier l’annulation d’une élection qui n’a fait l’objet d’aucun appel et qui a permis à la directrice des élections, Mme Moore, de déclarer que les CCF sont la chef et les conseillères dûment élues de la PNMC. Heureusement, la Cour a reçu de M. Bighetty, l’ancien troisième membre du CAE, un élément de preuve indiquant clairement qu’il a été invité à participer à une fraude évidente et que ladite réunion n’a jamais eu lieu. Les CCM n’ont pas contesté cet élément de preuve. On doit féliciter M. Bighetty d’avoir fait son devoir en refusant de participer à une fraude évidente et en fournissant un élément de preuve dans le cadre de ce litige, alors que les membres de sa communauté étaient vraisemblablement incités à ne pas se manifester;

c)      Pourquoi Christopher Colomb, Gordon Colomb et Douglas Hart se sont-ils présentés à l’élection du mois de mai sans fournir la vérification de casier judiciaire qu’ils savaient nécessaire, étant donné que cette omission les avait disqualifiés de l’élection du mois de février? Et pourquoi Mme Moore, qui était apparemment la directrice de l’élection du mois de mai (et qui a collaboré avec Urgel Linklater et Joseph Colomb afin d’annuler l’élection du mois de février pour ces mêmes motifs), a-t-elle permis à ces personnes de se présenter à l’élection sans cette vérification? En l’absence d’explications, la Cour doit, ici encore, tirer la conclusion évidente que Christopher Colomb, Gordon Colomb et Douglas Hart n’ont pas soumis cette vérification au mois de mai parce qu’ils savaient qu’à ce moment-là, on ne leur demanderait pas de le faire. M. Hart a subi un interrogatoire sur affidavit qui a permis de confirmer qu’il a été reconnu coupable d’un acte criminel et qu’on ne leur avait pas demandé cette vérification. La Cour ne peut que supposer que ces trois hommes voulaient voir s’ils pouvaient impunément accéder au pouvoir de la PNMC, sans respecter la volonté des membres de la PNMC exprimée dans leur Loi électorale. Au cours de l’audience tenue devant moi, M. Hart a tenté de contredire son témoignage sous serment selon lequel il a été reconnu coupable d’un acte criminel, prétendant alors qu’il s’agissait d’une infraction punissable par procédure sommaire. J’ai décidé d’admettre ce nouvel élément de preuve, mais je dois également noter la contradiction et le fait que M. Hart n’a pas été contre-interrogé au sujet de cette nouvelle assertion. Par conséquent, le type de crime qu’il a commis n’est toujours pas clair, mais cela n’a pas de réelle importance, puisque les éléments de preuve indiquent manifestement que Douglas Hart, Christopher Colomb et Gordon Colomb ont été autorisés à se présenter à l’élection du mois de mai sans présenter de vérification de casier judiciaire, alors que la même omission les avait disqualifiés de l’élection du mois de février, déclarée nulle justement pour cette raison par un faux CAE. En outre, la Cour doit prendre note que durant l’audience tenue devant moi, les CCM ont tenté de rectifier la position de M. Hart (voulant qu’il ait commis une infraction punissable par procédure sommaire plutôt qu’un acte criminel) parce qu’ils savaient qu’elle leur serait favorable sur le fond. Par contre, ils n’ont pas contesté le fait qu’aucune vérification de casier judiciaire n’avait été produite, et aucun élément de preuve n’a été présenté indiquant si Christopher Colomb et Gordon Colomb ont un casier judiciaire. Cette omission est à la fois étrange et révélatrice. Elle démontre que les CCM ne sont prêts à discuter que des points qui leur sont favorables sur le fond et à soumettre des éléments de preuve que s’ils leur sont favorables pour expliquer les faits entourant une élection fortement contestée. Elle indique également qu’ils sont prêts à discuter du bien-fondé de la demande lorsqu’ils peuvent en tirer un avantage. Or, ils ne peuvent pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

Je ferai référence à bien d’autres anomalies et questions inexpliquées, mais celles-ci suffisent pour démontrer que les CCM ont omis de discuter de questions cruciales dans la présente instance.

[31]           Cependant, lorsque l’avocat du défendeur a tenté de faire la distinction entre la présente instance et l’arrêt Lac des Mille Lacs, précité, il s’est basé sur l’absence évidente de bien-fondé de la position de M. Sawdo, indiquant que c’est M. Sawdo qui a organisé la deuxième élection dans cette instance. Ce qui est ironique dans l’arrêt Lacs des Mille Lacs, c’est que le chef et les conseillers élus en premier lieu ont manifestement dépassé la durée de leur mandat et ne sont pas légitimement demeurés au pouvoir. Quoi qu’il en soit, le bien-fondé ne peut manifestement pas être simplement ignoré dans de telles situations. En matière de procédure et de pratique, les Premières Nations sont régies par les Règles, dont l’article 3 est très clair à ce sujet :

3 Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

3 These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

[32]           Cela suffit à démontrer pourquoi la Cour ne peut pas retenir que les CCM ont qualité pour présenter la présente demande et pourquoi il n’y a pas lieu d’en examiner le bien-fondé. La Cour doit conclure que les CCM ne sont pas le chef et les conseillers de la PNMC et qu’ils n’ont pas la compétence pour la représenter. Cette compétence demeure celle des CCF, qui ont été légitimement élues le 1er février 2016 et qui demeurent la chef et les conseillères légitimes de la PNMC.

[33]           Comme c’était le cas dans l’arrêt Lac des Mille Lacs, précité, le fait que les CCM n’aient pas demandé de bref de quo warranto réduit à néant les chances de succès de la demande au dossier T‑1335‑16 et de la requête en radiation présentée par les CCM au dossier T‑1442‑16. Bien que les CCM ne soient pas nommés dans l’intitulé de la cause en tant que représentants de la PNMC (pour la raison évidente que les CCF ne leur reconnaissaient pas ce statut), leur thèse dans cette requête est basée sur le fait qu’ils allèguent être le chef et les conseillers légitimes de la PNMC. De ce fait, la mesure de réparation sollicitée par les demandeurs du CE, au dossier T‑1442‑16, devient en bonne partie inutile.

[34]           En l’espèce, les CCM sollicitent notamment [traduction] « toute autre ordonnance que l’avocat pourrait demander et que la Cour pourrait autoriser ». L’avocat des défendeurs du CE et celui des autres parties toujours impliquées dans ce litige ont demandé à la Cour de concevoir une mesure de réparation visant à régler toutes les questions en litige et d’accorder [traduction] « tout autre redressement » qui soit juste et équitable dans les circonstances, comme l’a fait le juge Cullen dans l’arrêt Lacs des Mille Lacs, précité. La jurisprudence de la Cour me le permet. Dans Ominayak c. Venne, [2003] 3 CNLR 180, le juge Dawson a cité ses sources pour adopter cette approche :

51        Comme M. le juge Muldoon l’a fait remarquer dans la décision Grand Rapids First Nation c. Nasikapow (2000), 197 F.T.R. 184 au paragraphe 79, la jurisprudence de la Cour démontre qu’elle peut créer un recours approprié pour la situation. Cela reflète le fait que les recours possibles lors du contrôle judiciaire dépendent du pouvoir discrétionnaire.

52        Une demande de contrôle judiciaire constitue une instance de droit public. Par conséquent, le recours accordé par la Cour devrait se conformer à l’intérêt public. Consulter : Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146 (1re inst) aux paragraphes 220 et suivants.

[35]           On a suggéré que je proroge le mandat des CCF afin de tenir compte de son interruption causée par ce litige ou que j’aligne leur mandat sur le calendrier électoral habituel, qui a été perturbé en l’espèce pour diverses raisons. Selon le paragraphe 3(9) de la Loi électorale de la PNMC, des élections générales doivent être tenues tous les quatre (4) ans, au mois de juin. À mon avis, ce sont là des questions que les membres de la PNMC, avec leur chef et leurs conseillers légitimes, doivent régler conformément à leurs propres procédures, énoncées dans leur Loi électorale. Je n’ai pas été saisi de ces questions, à juste titre. En vertu de la Loi électorale de la PNMC, le chef et les conseillers sont élus pour un mandat de quatre ans, donc l’électorat de la PNMC a élu les CCF pour un mandat de quatre ans. Ce n’est pas à la Cour de modifier la procédure que l’électorat a choisie et adoptée lors de l’élection du mois de février, qui n’a pas été contestée.

[36]           La demande au dossier T‑1335‑16 montre également que l’élection, le mandat et la durée des fonctions des élus, en vertu de la loi du comité électoral, doivent manifestement être clarifiés et officialisés. Si ce n’est pas fait, ces questions risquent d’occasionner d’autres litiges. J’ai rejeté la présente demande pour les motifs énoncés, mais cela ne signifie pas que je retiens la légitimité des demandeurs du CE. Ici encore, il incombe aux membres, au chef et aux conseillers de la PNMC de régler cette question d’une façon acceptable pour la communauté et conforme à la Loi électorale de la PNMC, qu’ils devront peut-être amender.

[37]           Mes conclusions à l’égard de la présente demande sont les suivantes :

a)      Les personnes élues le 1er février 2016, à savoir Priscilla Colomb, Evelyn Sinclair, Angel Castel et Sarah Copapay, sont la chef et les conseillères de la PNMC, puisqu’elles ont été dûment élues conformément à la Loi électorale de la PNMC et qu’elles n’ont pas été destituées par la décision prise le 16 mars 2016 par Joseph Colomb et Urgel Linklater, qui prétendaient agir en tant que CAE, et leur mandat prendra fin le 1er février 2020.

b)      Le prétendu processus électoral du 16 mai 2016, par lequel Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb prétendent avoir été élus comme chef et conseillers de la PNMC, n’était pas un processus électoral en vertu de la Loi électorale de la PNMC et ne peut pas lier la PNMC. Ainsi, Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb ne sont pas devenus, et ne sont toujours pas, le chef et les conseillers de la PNMC. De même, toutes les décisions et tous les actes qu’ils ont prétendument prises ou commis à ce titre sont nuls et sans effet.

c)      Étant donné que Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb ne sont pas le chef et les conseillers dûment élus de la PNMC et qu’ils n’ont ni la compétence ni la qualité pour présenter leur demande au nom de la PNMC, la présente demande est rejetée.

V.                REQUÊTE EN RADIATION – DOSSIER T‑1442‑16

A.                Les arguments des CCM

[38]           Les CCM affirment que la demande au dossier, par laquelle les demandeurs du CE sollicitent le contrôle judiciaire d’une [traduction] « série de décisions » alléguées, est en fait une tentative de demande de contrôle judiciaire de la décision prise en mars 2016 par le CAE, laquelle a conduit à l’élection des CCM, le 16 mai 2016.

[39]           Ils affirment que les demandeurs du CE sollicitent la même mesure de réparation que celle que les CCF ont sollicitée dans la demande 888, présentée le 3 juin 2016. Le 27 juin 2016, le protonotaire Lafrenière a rejeté la demande 888, qui n’a fait l’objet d’aucun appel.

[40]           Les CCM affirment que la demande au dossier T‑1442‑16, qui sollicite la même mesure de réparation que celle de la demande 888, a été déposée hors délai, constitue un recours abusif à la procédure, enfreint intentionnellement les Règles et comporte des demandes de réparation auxquelles la Cour n’a pas la compétence d’accéder et pour lesquelles les demandeurs du CE n’ont pas qualité. Pour ces motifs, la demande devrait être radiée.

(1)               Demande hors délai

[41]           Les CCM affirment qu’il est évident, au vu de l’avis de demande, que les demandeurs du CE étaient au courant de la décision du CAE lorsque celle-ci a été communiquée au public, le 16 mars 2016.

[42]           Au plus tard le 30 mars 2016, chacun des demandeurs du CE (et des auteurs de la demande 888) a signé une pétition indiquant qu’il préférait que les CCF (les auteurs de la demande 888) conservent leurs postes.

[43]           En outre, le 5 avril 2016, l’ancienne chef (la défenderesse Priscilla Colomb) a publié dans la communauté de la PNMC un avis dans lequel elle affirme que l’élection prévue pour le mois de mai 2016 n’est pas valide.

[44]           Les demandeurs du CE se sont joints aux membres boycottant l’élection du mois de mai. Ils ont ensuite prétendu agir en tant que CE de la PNMC, sans apparence de droit, de pouvoir ou de compétence, et ont déclaré que les résultats de l’élection du mois de mai n’étaient pas valides.

[45]           Bien qu’ils n’aient pris aucune mesure juridique dans les trente (30) jours suivants, ils demandent maintenant un jugement déclaratoire à l’égard de leurs propres actes.

[46]           Le 9 août 2016, les demandeurs du CE, toujours sans apparence de droit, de pouvoir ou de compétence, ont soi-disant déclenché une nouvelle élection qu’ils ont illogiquement justifiée par le rejet de la demande 888.

[47]           Ils ont ensuite annulé le déclenchement de l’élection au vu de la demande T‑1335‑16 et de la requête d’injonction provisoire qu’elle comporte.

[48]           C’est à ce moment seulement, soit plus de trente (30) jours après le rejet de la demande 888, qu’ils ont tenté d’entreprendre une demande de contrôle judiciaire.

[49]           Il est évident que le « caractère essentiel » de la présente demande est une tentative de contestation de la décision prise le 16 mars 2016 par le CAE.

[50]           La tentative de voiler la demande en plaidant une [traduction] « série de décisions » est simplement une tentative visant à contourner les exigences du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (Loi sur les Cours fédérales), de même que l’exigence de demander la prorogation du délai de présentation avant le début d’une demande, conformément à l’article 67 des Règles, ce qui va à l’encontre des principes établis dans l’arrêt Canada c. Roitman, 2006 CAF 266.

[51]           Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 (JP Morgan), comme je l’ai mentionné précédemment, la Cour a insisté sur le fait que « les demandes de contrôle judiciaire doivent être introduites rapidement ».

[52]           Plus récemment, soit dans l’arrêt Robertson v. Canada (Attorney General), 2016 FCA 30 (Robertson), bien qu’elle n’ait pas jugé une requête en radiation, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision d’un tribunal d’instance inférieure ayant rejeté une demande de contrôle judiciaire présentée hors du délai de 30 jours. La Cour a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Sur la question de la ponctualité, le délai obligatoire de 30 jours prescrit au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales commence à la date à laquelle le demandeur est au courant de la décision dont il souhaite obtenir le contrôle judiciaire. En l’espèce, cette date est le 11 avril 2014. Le fait que l’appelant ait subséquemment écrit des lettres de plainte au SCC ou que le SCC lui ait répondu n’a pas permis de proroger le délai applicable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de l’appelant a été présentée trop tard. Étant donné que l’appelant n’a pas demandé la prorogation du délai, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur en rejetant sa demande, qui a été présentée hors délai.

[53]           La décision rendue dans l’arrêt Robertson insiste sur le fait qu’en choisissant des moyens autres qu’une demande de contrôle judiciaire, le demandeur n’est pas exempté des exigences de la Loi sur les Cours fédérales et que cela ne constitue pas un intérêt continu à présenter une telle demande.

[54]           En l’espèce, les demandeurs du CE ont consciemment et délibérément choisi des moyens autres qu’un contrôle judiciaire et n’ont tenté ces derniers que lorsque leurs efforts se sont avérés infructueux. Les demandeurs du CE devraient être tenus responsables de leur choix.

(2)               Infraction aux procédures et aux Règles des Cours fédérales

[55]           En vertu de l’article 302 des Règles, « la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée ».

[56]           En l’espèce, au vu de la demande, les demandeurs du CE prétendent solliciter une mesure de réparation à l’égard des décisions du 16 mars 2016, du 16 mai 2016, du 17 mai 2016 et du 12 août 2016.

[57]           Ce qui est encore plus offensant, c’est que la demande prétend solliciter une mesure de réparation concernant les décisions rendues par trois offices fédéraux distincts : le CAE, le prétendu CE et les CCM.

[58]           Exacerbant encore plus la situation, ces infractions aux Règles n’ont pas été commises à cause de situations critiques raisonnablement hors du contrôle des demandeurs du CE, mais plutôt pour contourner consciemment les exigences et les procédures réglementaires de la Cour qui ont été mentionnées précédemment.

(3)               Compétence outrepassée de la Cour

[59]           Aux paragraphes 8 et 9 de l’avis de demande, les demandeurs du CE sollicitent, à même la demande de contrôle judiciaire, un certain jugement déclaratoire qui n’aille [traduction] « à l’encontre » d’aucun office fédéral et qui ne tente d’invalider ni d’infirmer aucune décision d’un office fédéral.

[60]           Les demandeurs du CE se sont joints aux membres boycottant l’élection du mois de mai. Ils ont ensuite prétendu agir en tant que CE de la PNMC et, sans apparence de droit, de pouvoir ou de compétence, ont déclaré que les résultats de l’élection du mois de mai n’étaient pas valides.

[61]           Autrement dit, cette portion de l’avis de demande ne sollicite aucune mesure de réparation prescrite par les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales concernant la compétence de la Cour en matière de demandes de contrôle judiciaire.

[62]           Aux paragraphes 16 et 17 de l’avis de demande, les demandeurs du CE sollicitent une mesure de réparation visant à appliquer un contrat de louage de services, maintenant résilié, entre la PNMC et les défendeurs Mark D’Amato et Terry Laliberty.

[63]           Or, les contrats commerciaux et les décisions s’y rattachant qui sont prises par le conseil d’une Première Nation ne sont pas des questions visées par le contrôle judiciaire. Voir Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. c. Première Nation de Rat Portage no 38B, 2008 CF 812.

[64]           Les litiges liés à des ententes commerciales sont de la compétence exclusive des cours provinciales; le litige en l’espèce relève donc de la Cour du Banc de la Reine, au Manitoba.

(4)               Absence de qualité pour agir

[65]           L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales autorise quiconque est « directement touché » par l’objet de la demande à présenter une demande de contrôle judiciaire.

[66]           Comme il a été signalé précédemment, les demandeurs du CE prétendent solliciter le contrôle judiciaire de la résiliation de tout contrat de louage de services conclu entre les défendeurs Mark D’Amato et Terry Laliberty, mais il n’existe aucun lien contractuel avec les demandeurs du CE et ces derniers ne sont pas « directement touchés » par l’objet de la demande.

[67]           Par conséquent, selon l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, les demandeurs du CE n’ont pas qualité pour présenter une demande à l’égard de cette question.

(5)               Recours abusif à la procédure

[68]           Comme il a été signalé précédemment, une appréciation réaliste du caractère essentiel de la présente demande permet de déterminer qu’il s’agit d’une tentative de contestation, quelque cinq mois et demi plus tard, de la décision prise le 16 mars 2016 par le CAE.

[69]           Manifestement, la présente demande est encore plus hors délai que l’était la demande 888. Si cette dernière n’avait pas été rejetée, les demandeurs du CE n’auraient jamais tenté de présenter la présente demande.

[70]           Les demandeurs du CE agissent de concert avec les auteurs de la demande 888 dans l’espoir de contourner l’ordonnance du protonotaire Lafrenière, qui a rejeté la demande 888.

[71]           Les auteurs de la demande 888 ont choisi de ne pas interjeter appel de cette ordonnance de rejet, mais en réalité, ils tentent de le faire par la présente avec l’aide des demandeurs du CE.

[72]           La Cour doit éviter de permettre un recours abusif aussi flagrant de sa procédure.

(6)               Conclusions

[73]           La présente requête en radiation n’est pas uniquement fondée sur une question de ponctualité ou sur une infraction aux procédures et aux Règles des Cours fédérales. Elle présente toutes les failles citées précédemment ainsi que des manigances visant à contourner une ordonnance antérieure de la Cour.

[74]           Lorsqu’on décompose la « série de décisions », ses éléments s’avèrent plutôt des infractions aux Règles et aux procédures de la Cour.

[75]           L’essence de cette « série de décisions » constitue alors une tentative inappropriée pour contourner les exigences juridiques et réglementaires de la Cour.

[76]           Dans ces circonstances, permettre la présente demande ne pourrait que déconsidérer l’administration de la justice et causer un chahut, une indisposition et un préjudice importants à la Première Nation.

[77]           Par conséquent, les CCM demandent respectueusement la radiation de l’avis de demande des dossiers de la Cour.

B.                 Les arguments du CE

(1)               Demande présentée dans le délai permis

[78]           Puisque la requête en radiation a été présentée quelque cinq mois après la décision que le CAE prétend avoir prise le 16 mars 2016, elle est principalement fondée sur l’assertion que le délai de 30 jours n’a pas été respecté et qu’il n’y a aucun motif possible et valable pour que la Cour proroge le délai de présentation. Ces propositions sont fondamentalement erronées pour un certain nombre de raisons.

a)                  Le délai de 30 jours ne s’applique pas, car la demande ne vise pas principalement le contrôle judiciaire d’une décision.

[79]           Le délai de 30 jours prescrit par le paragraphe 18.1(2) s’applique seulement lorsqu’une véritable « décision » a été rendue par un office fédéral, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[80]           L’essentiel de la demande au dossier T‑1442‑16 n’est pas le contrôle judiciaire d’une « décision » rendue par un office fédéral, mais plutôt un quo warranto et un jugement déclaratoire concernant un office fédéral, pour lesquels aucun délai n’est établi.

[81]           La Cour d’appel fédérale a systématiquement conclu que lorsque la mesure de réparation sollicitée est un jugement déclaratoire ou un recours extraordinaire et qu’aucune décision d’un office fédéral n’est contestée, le délai de 30 jours prescrit par le paragraphe 18.1(2) ne s’applique pas. La Cour d’appel fédérale en a donné cette explication :

Même s’il est vrai que les demandes de contrôle judiciaire présentées devant la Cour sollicitent habituellement le contrôle de décisions prises par des organismes fédéraux, il est bien établi par la jurisprudence que le paragraphe 18.1(1) autorise la présentation d’une demande de contrôle judiciaire « par quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Le terme « objet » inclut plus qu’une simple décision ou une ordonnance d’un office fédéral : il s’applique à toute question à l’égard de laquelle il est possible d’obtenir une réparation : Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.F.), à la page 491. Les politiques d’application courante qui sont illégales ou inconstitutionnelles peuvent être contestées à tout moment au moyen d’une demande de contrôle judiciaire dans laquelle le demandeur sollicite, par exemple, une réparation de la nature d’un jugement déclaratoire : Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. no 1539 (QL) (C.A.F.).

(May c. CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130, au paragraphe 10)

[82]           Le nœud de la présente affaire n’est pas qu’une décision d’un office fédéral requiert un contrôle judiciaire, mais plutôt que les personnes qui affirment former un office fédéral ne le forment pas réellement et que, quoi que soit le document de mars 2016 selon lequel les CCF auraient été destituées, il ne s’agit pas d’une « décision » d’un office fédéral.

[83]           Si les demandeurs du CE ont gain de cause dans leur demande de déclaration et de quo warranto, alors aucune décision d’un office fédéral ne requiert un contrôle judiciaire. Par conséquent, cela signifierait nécessairement que les CCF n’ont pas réellement été destituées et que l’élection du mois de mai n’était rien, comme la majorité des membres de la bande l’ont raisonnablement cru.

[84]           Les éléments de preuve présentés à la Cour étayent de manière écrasante la conclusion qu’aucune « décision » d’un office fédéral n’a démis les CCF de leurs fonctions.

[85]           Le délai de 30 jours devra être discuté seulement si la Cour décide que le document du 16 ou du 17 mars 2016, une prétendue « décision » du CAE, constitue en réalité la décision d’un office fédéral.

b)                  Même si une décision a effectivement été prise par un office fédéral, le délai de 30 jours n’a pas été dépassé.

[86]           L’argument alléguant le non-respect du délai préjuge l’issue du litige entre les parties. Cet argument suppose que la Cour a déjà conclu qu’une décision requiert un contrôle judiciaire.

[87]           Dans le dossier T‑1442‑16, les demandeurs du CE sont d’avis que, dans les faits particuliers de la présente affaire, il n’y a aucun motif raisonnable de croire à une décision d’un office fédéral et que le délai de 30 jours ne commencera qu’au moment où la Cour tranchera la question en faveur des demandeurs au dossier T‑1335‑16, le cas échéant.

[88]           Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les 30 jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision.

[89]           Dans ce délai, on suppose qu’il est évident et manifeste qu’une décision a effectivement été rendue par un office fédéral. Or, ce « déclencheur » sous-jacent, vraiment fondamental, est vivement contesté en l’espèce.

[90]           Il faut reconnaître qu’il est rare qu’il n’existe pas de motif raisonnable de conclure qu’une décision d’un office fédéral a effectivement été rendue. C’est pourtant le cas en l’espèce.

[91]           Vu la rareté de la situation, dans laquelle les éléments de preuve étayent l’absence de « décision » d’un office fédéral, il n’est pas surprenant que la jurisprudence ne discute pas la question du moment où le dommage aurait pu être découvert.

[92]           Par contre, la règle prétorienne de la possibilité de découvrir le dommage de même que le droit statutaire concernant la possibilité de découvrir des délais de prescription corroborent l’opinion que ce n’est ni le moment où naît le moyen ni la connaissance des faits donnant lieu au moyen sous-jacent qui fait qu’un délai commence. Il faut non seulement déterminer la possibilité raisonnable de découvrir les faits sur lesquels une allégation est fondée, mais aussi évaluer s’il est approprié de recourir aux tribunaux pour obtenir réparation. Voir la Loi sur la prescription du Manitoba, C.P.L.M. c. L150, au paragraphe 20(3), et la Limitation Act de la Colombie‑Britannique, [SBC 2012] C.13, au paragraphe 8(d).

[93]           Par analogie avec les lois sur la prescription, vu les faits particuliers en l’espèce, le délai de prescription n’a pas encore commencé.

[94]           En outre, il est important de se rappeler que le temps écoulé pour la possible découverte du dommage a été fondamentalement causé par le défaut des personnes désirant confirmer la validité du document du CAE daté du 16 mars 2016 de demander l’assistance de la Cour comme elles y étaient tenues (voir l’arrêt Lac des Mille Lacs, précité, aux paragraphes 16 à 21).

[95]           Il n’incombait ni au comité électoral ni aux CCF de poursuivre immédiatement leurs mesures auprès de la Cour après les événements de mars 2016. Ils ne devraient donc pas subir les conséquences du temps écoulé.

[96]           Si quelqu’un a depuis longtemps omis de respecter un délai dans le présent litige, ce sont les demandeurs au dossier T‑1335‑16.

[97]           Dans le dossier T‑1442‑16, les demandeurs du CE n’avaient aucun motif raisonnable de croire qu’une « décision » rendue par un office fédéral devait être contestée devant les tribunaux. Le délai de présentation de la demande n’a pas été dépassé.

c)                  Si un délai a été dépassé, sa prorogation est justifiée.

[98]           Si un délai a été dépassé, les demandeurs du CE au dossier T‑1442‑16 ont demandé, à titre subsidiaire, la prorogation de ce délai en vertu du paragraphe 18.1(2).

[99]           Vu qu’il n’est pas admis qu’une décision doit faire l’objet d’un contrôle judiciaire, il était nécessaire et approprié de demander une telle mesure de réparation à titre subsidiaire, et celle-ci devrait être considérée par la Cour seulement si l’audience de la demande principale permet à la Cour de conclure qu’un délai a été dépassé.

d)                 Aucune requête préliminaire de prorogation de délai n’est appropriée en l’espèce.

[100]       Si les demandeurs du CE avaient présenté une requête préliminaire dans le dossier T‑1442‑16, il aurait fallu qu’ils le fassent en tenant pour acquis qu’une décision requérait la prorogation du délai.

[101]       Par conséquent, vu qu’une partie nie l’existence d’une décision, il est inutile de présenter une requête préliminaire visant à proroger le délai. Pour considérer le bien-fondé de l’argument selon lequel la partie est hors délai (la base d’une prorogation du délai), le moment approprié est lors de l’audience établissant le fond de la demande, pas avant. Voir Maracle c. Six Nations of The Grand River Band of Indians, [1998] ACF no 332, aux paragraphes 7 et 8.

e)                  Si le délai de 30 jours est autrement venu à échéance, le paragraphe 18.1(2) déclare des motifs défendables pour proroger le délai.

[102]       Par ailleurs, même en l’absence d’un arrêt établissant la nécessité d’une telle mesure de réparation dans le cadre de la présente requête préliminaire, si la Cour désire considérer d’accorder la prorogation du délai pour permettre le contrôle judiciaire, les demandeurs du CE au dossier T‑1442‑16 affirment non seulement que la cause de la prorogation est défendable, mais aussi que la Cour devrait accorder cette mesure de réparation si elle est nécessaire.

[103]       La Cour d’appel fédérale a établi, dans Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204 (Larkman), les facteurs à considérer afin de déterminer s’il faut ou non accorder la prorogation du délai pour permettre un contrôle judiciaire au-delà des 30 jours prescrits :

(2)        Le critère applicable en matière de prorogation de délai

[61]      Les parties s’entendent pour dire que les questions suivantes sont pertinentes lorsqu’il s’agit pour notre Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour se prononcer sur une demande de prorogation de délai :

(1)  Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

(2)  La demande a-t-elle un certain fondement?

(3)  La Couronne a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?

(4)  Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

(Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.); Muckenheim c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2008 CAF 249, au paragraphe 8).

[62]      Ces principes orientent la Cour et l’aident à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice (Grewal, ci-dessus, aux pages 277 et 278). L’importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances de l’espèce. De plus, il n’est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. Ainsi, « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » (Grewal, à la page 282). Dans certains cas, surtout dans ceux qui sortent de l’ordinaire, d’autres questions peuvent s’avérer pertinentes. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice (voir, de façon générale, l’arrêt Grewal, aux pages 278 et 279; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, au paragraphe 33; Huard c. Canada (Procureur général), 2007 CF 195, 89 Admin LR (4th) 1).

f)                   Y a-t-il eu une intention constante de poursuivre la demande?

[104]       La question de l’intention constante est le plus souvent soulevée lorsqu’il n’y a aucun litige quant à l’existence d’une décision.

[105]       Une personne n’ayant aucune raison de croire à l’existence d’une décision ne peut pas logiquement exprimer l’intention de poursuivre une demande de contrôle judiciaire d’une décision.

[106]       Heureusement, l’intention constante de protéger ses droits suffit cependant à conclure au facteur d’intention constante. Voir la décision APV Canada Inc. c. Canada (Ministre du Revenu National), [2001] ACF no 1099, au paragraphe 13, citée et approuvée dans Première Nation des Chippewas de Rama Mnjikaning c. Cottrell, 2007 CAF 288, au paragraphe 15 (Cottrell CAF).

[107]       Les faits en l’espèce démontrent manifestement que le CE a poursuivi les moyens dont il disposait, selon sa compréhension des lois applicables, pour contester les affirmations selon lesquelles la destitution des CCF est valide et les CCM sont le chef et les conseillers dûment élus de la PNMC.

g)                  La demande a-t-elle un certain fondement?

[108]       Si le « fondement » à prendre en considération a quoi que ce soit à voir avec le fait que les personnes qui le prétendent ont effectivement été élues, alors les éléments de preuve présentés à la Cour étayent de manière écrasante la conclusion que le CAE de la PNMC n’a pris aucune décision et que le processus électoral du 16 mai 2016 n’était pas valide.

[109]       L’autre argument selon lequel une « décision » devrait être annulée par un contrôle judiciaire a également un solide fondement. Les éléments de preuve, ajoutés à la lecture de la Loi électorale de la PNMC, permettent d’établir ce qui suit :

a)      Aucun appel n’a été interjeté.

b)      Aucun appel n’a été entendu.

c)      Aucune décision n’a été prise par les trois membres du comité d’appel des élections, donc il n’y a pas eu quorum (voir Comité de la bande indienne d’Adams Lake c. Bande indienne d’Adams Lake, 2011 CAF 37, au paragraphe 19).

d)     Aucune des parties intéressées, notamment les CCF soi-disant destituées, n’a été avisée d’une audience et n’a eu l’occasion de participer au processus avant qu’une décision soit prise.

e)      La décision portait au moins une signature contrefaite.

f)       Même si un CAE dûment constitué a tenu une réunion dûment convoquée, sur le plan juridique, la Loi électorale de la PNMC ne lui donne pas le pouvoir de destituer un chef et des conseillers élus qui n’ont pas enfreint la loi électorale ni de déclencher de nouvelles élections.

[110]       En l’espèce, les principes de justice naturelle et d’équité procédurale les plus fondamentaux ont été ignorés.

h)                  Le retard a-t-il causé un préjudice?

[111]       Le préjudice selon lequel la partie risque de perdre le bien-fondé de l’affaire ne peut pas être en cause. Un tel préjudice présuppose à tort l’issue de l’affaire. Il faut en savoir plus. Voir les paragraphes 25 à 28 de la décision Cottrell c. Nation des Chippewas de Rama Mnjikaning, 2007 CF 269, confirmée par l’arrêt Cottrell CAF, précité.

[112]       Les faits de la présente affaire ne constituent pas une preuve irréfutable de préjudice.

[113]       On dit souvent que le préjudice est inhérent au retard, mais il y a un manque distinct d’éléments prouvant un réel préjudice en l’espèce.

[114]       Il est soutenu que la question du préjudice, comme toutes les questions litigieuses, doit attendre l’audience du bien-fondé.

i)                    Une explication raisonnable a-t-elle été fournie pour justifier le retard?

[115]       Les éléments de preuve fournis à la Cour permettent de conclure que le retard avec lequel les demandeurs du CE ont poursuivi la demande au dossier T‑1442‑16, présentée le 30 août 2016, s’explique de façon raisonnable. En bref, l’explication est la suivante :

a)      Attendu que tout portait à croire qu’aucun appel n’avait été interjeté, qu’il n’y avait eu aucune audience d’appel, que le CAE ne s’était pas réuni et que seule une décision frauduleuse avait été prise, il n’y avait aucune raison de croire qu’un office fédéral avait pris une décision requérant un contrôle judiciaire.

b)      Attendu que c’est à ceux qui prétendent avoir destitué les CCF et avoir le droit de déclencher de nouvelles élections qu’il revenait de se présenter immédiatement à la Cour après la « décision » de la mi-mars (voir l’arrêt Lac des Mille Lacs, précité), il est raisonnable que les titulaires des postes en litige n’aient pas soumis l’affaire à la Cour.

c)      Jusqu’à environ la mi-mai 2016 (soit trois mois après la communication de la « décision »), l’incidence de la « décision » sur la capacité des CCF de gouverner n’était pas assez importante pour justifier les frais à engager pour présenter une demande à la Cour, d’autant plus que ce fardeau ne leur revenait pas.

d)     Les CCF ont présenté une demande à la Cour au début du mois de juin 2016, soit quelques semaines suivant de réels problèmes qui requéraient l’assistance de la Cour, mais des faux pas ou des erreurs ont entraîné la radiation de cette demande le 27 juillet 2016, sans qu’elle soit même entendue sur le fond.

e)      Peu après que la décision du 27 juillet 2016 a été rendue de radier la demande 888 pour des motifs techniques, les demandeurs du CE ont pris un recours auquel ils croyaient avoir droit en demandant à la direction de l’électorat de la bande de déclencher de nouvelles élections, la voie même qui avait été empruntée en novembre 2015 pour discuter le processus électoral illégitime du mois de juillet 2015. Le déclenchement d’élections, en novembre 2015, n’a pas été contesté.

f)       À cet égard, l’un des obstacles au contrôle judiciaire est le défaut de poursuivre et d’épuiser tous les recours internes raisonnablement possibles. Les demandeurs du CE avaient toutes les raisons de croire que demander à la direction de l’électorat de déclencher de nouvelles élections, comme ils l’ont fait en novembre 2015, constituait un recours interne adéquat.

g)      Ce n’est que lorsqu’il est devenu évident que les CCM avaient présenté la demande de contrôle judiciaire au dossier T‑1335‑16 pour nier la validité de l’élection déclenchée le 9 août 2016 qu’il est devenu approprié et opportun pour les demandeurs du CE de présenter une demande de contrôle judiciaire, ce qu’ils ont fait.

(2)               Absence d’infraction aux procédures et aux Règles des Cours fédérales

[116]       Subsidiairement au quo warranto et au jugement déclaratoire, seules les décisions alléguées de deux organismes sont contestées, soit celles du CAE et des CCM en leur présumée qualité de chef et de conseillers de la bande.

[117]       Ces « décisions » forment une suite de décisions interdépendantes traduisant une même série d’actes au cœur de ce litige, à savoir qui a le droit de se présenter comme le chef et les conseillers véritables de la PNMC et qui pourra contrôler les fonds dérivés des deniers publics.

[118]       Au bout du compte, la règle 302 n’a pas été enfreinte.

[119]       Cependant, si cette règle a été enfreinte et selon la décision Shotclose c. Première Nation Stoney, 2011 CF 750, la Cour devrait, dans ces circonstances, invoquer à juste titre l’article 65 et permettre l’exemption d’application de la règle 302.

[120]       À cet égard, les demandeurs du CE réclament également à la Cour d’être consciente du coût élevé du contentieux et de la nécessité d’interpréter et d’appliquer les Règles afin « d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ».

(3)               Compétence

[121]       Dans l’arrêt Air Canada c. Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347, la Cour d’appel fédérale a analysé, aux paragraphes 50 à 60, les divers facteurs que la Cour doit prendre en compte avant de décider si la nature du contrat en litige est suffisamment publique pour justifier une demande de contrôle judiciaire.

[122]       La Cour d’appel fédérale a déclaré :

[60]      Pour trancher la question de la nature publique ou privée d’une mesure, il convient d’apprécier l’ensemble des circonstances : Cairns c. Farm Credit Corp., [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.); Jackson c. Canada (Procureur général), (1997) 141 F.T.R. 1 (1re inst.). Il existe un certain nombre de facteurs qu’il convient de prendre en compte pour décider si une question est associée à une caractéristique, à un élément ou à un contexte suffisamment public pour qu’elle relève du droit public. La question de savoir si tel facteur ou tel ensemble de facteurs particuliers fait pencher la balance d’un côté et rend une question « publique » dépend des faits de l’affaire et de l’impression d’ensemble donnée à la Cour.

[123]       Le contrat conclu avec Mark D’Amato, cogestionnaire de la PNMC, se rapporte à l’utilisation de fonds publics dans l’administration de fonctions gouvernementales. Il ne s’apparente pas à une entente de droit privé aux termes de laquelle un conseil de bande retient des services de conciergerie.

[124]       À ce moment-ci du litige, il suffit qu’il demeure défendable que la nature du contrat est suffisamment publique pour justifier qu’il fasse l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

(4)               Les demandeurs ont qualité

[125]       Qu’ils fassent partie de la structure de gouvernance de la PNMC (son comité électoral) ou qu’ils soient membres de la bande, tous les demandeurs au dossier T‑1442‑16 peuvent être directement touchés par l’issue de l’instance présentée.

[126]       En fait, leur intérêt direct est reconnu, vu qu’ils sont les défendeurs nommés au dossier T‑1335‑16, une instance connexe.

[127]       Tous les membres de la bande ont le droit de s’assurer qu’ils sont gouvernés par un chef et des conseillers dûment élus, et tous ont un intérêt direct dans la protection des fonds de la PNMC.

[128]       Une bande n’est pas une entreprise. C’est un collectif sui generis, alors si la bande a un intérêt direct dans l’affaire, ce qui est sûrement le cas, il doit en aller de même de ses membres.

a)                  En tout état de cause, les demandeurs du CE ont qualité pour agir dans l’intérêt public.

[129]       En tout état de cause, si cette affaire ne présentait pas le classique « intérêt direct », les demandeurs du CE auraient qualité pour agir dans l’intérêt public et poursuivre la présente demande. Trois facteurs doivent être pris en compte de manière libérale et généreuse :

a)      Une question justiciable sérieuse est‑elle soulevée?

b)      Le demandeur a‑t‑il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question?

c)      Compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux?

Voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, aux paragraphes 37 à 50.

[130]       Si les demandeurs n’ont aucun intérêt direct dans l’affaire, ils ont certainement qualité pour agir dans l’intérêt public.

(5)               Absence de recours abusif à la procédure

[131]       Les demandeurs cherchent à faire reconnaître la demande au dossier T‑1442‑16 comme un recours abusif à la procédure de la Cour, vu la décision rendue par le protonotaire Lafrenière le 27 juillet 2016.

[132]       Au cœur d’un recours abusif de la procédure, les éléments stricts de la notion de décision passée en force de chose jugée ou de la notion de préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquent pas, souvent en raison d’un manque de mutualité des parties à la première instance, et on tente de remettre en litige une question précédemment entendue et tranchée par la Cour sur le fond.

[133]       Une telle plainte n’est pas valide en l’espèce.

[134]       Le 27 juillet 2016, l’unique question tranchée par le protonotaire était de savoir si l’avocate des CCF avait suffisamment expliqué la notion de retard pour leur permettre de déposer leur affidavit. Il a décidé qu’elle ne l’avait pas fait.

[135]       Le protonotaire n’a pas conclu que la demande n’était pas fondée. Il n’a même pas conclu qu’il refuserait la prorogation du délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire; il n’a pas été saisi d’une telle demande.

[136]       La demande 888 a été rejetée pour des motifs techniques très étroits, alors que le protonotaire n’a pas été informé de la véritable situation.

[137]       Les demandeurs du CE n’étaient pas des parties à cette instance, alors ils n’auraient pas pu interjeter appel de cette décision.

[138]       Les CCF avaient elles-mêmes tous les motifs raisonnables de ne pas interjeter appel de cette décision, étant donné que les membres de la PNMC souhaitaient tenir de nouvelles élections le 4 août 2016.

[139]       Il n’est pas abusif de demander aux tribunaux de statuer sur le bien-fondé d’une affaire afin que les membres de la PNMC puissent savoir qui sont leurs réels chef et conseillers et s’ils doivent continuer de confier l’utilisation des fonds publics que fait la PNMC à une tierce partie indépendante qui a toujours empêché tout abus financier.

[140]       Voilà qui est justement le point important à retenir : cette demande a été présentée dans l’intérêt des membres de la PNMC. Dans la décision Poker, précitée, la Cour a dû trancher une allégation selon laquelle la partie demanderesse avait contribué aux irrégularités électorales de la bande et que la Cour devait, par conséquent, rejeter la mesure de réparation demandée. Il vaut la peine de répéter les observations du juge Rennie :

[30]      [...] En tout état de cause, indépendamment de la question de savoir quelles sont les personnes responsables, en tout ou en partie, des irrégularités de l’élection, le facteur prépondérant à prendre en compte pour décider s’il y a lieu d’accorder ou non la réparation réside dans la confiance des membres de la bande à l’endroit du processus électoral lui-même. Il existe un intérêt public primordial lié au maintien d’une confiance méritée de la bande à l’endroit des élections qu’elle tient, parce que cette confiance renforce sa gouvernance. En conséquence, eu égard à l’importance du processus électoral, la réparation ne sera pas refusée.

[141]       Au bout du compte, l’électorat de la PNMC a le droit d’être gouverné par les personnes élues dans le cadre d’une élection juste, démocratique et tenue conformément au modèle de gouvernance que la PNMC a choisi. En l’espèce, si un fait est clair comme de l’eau de roche, c’est que le processus électoral du mois de mai n’en était pas un.

C.                 Analyse

[142]       Vu la décision que j’ai précédemment rendue dans le dossier T‑1335‑16, selon laquelle les CCF sont la chef et les conseillères légitimes de la PNMC et que les CCM ne le sont pas, la présente requête en radiation est théorique, strictement parlant. Cependant, je désire également préciser que, même si je n’avais pas rendu cette décision dans le dossier T‑1335‑16, précité, la requête en radiation aurait également due être rejetée.

(1)               Le critère juridique

[143]       Aucune règle de la Cour fédérale ne traite de la radiation d’une demande, mais il est maintenant bien connu que la Cour peut rejeter une demande selon une procédure sommaire dans des affaires exceptionnelles. Dans l’arrêt JP Morgan, précité, sur lequel les CCM se sont basés, la Cour d’appel fédérale a donné les orientations suivantes :

[47]      La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucun [sic] chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage ByProducts, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[144]       Les CCM font valoir que le droit est allé encore plus loin. En effet, en se basant sur le jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans la décision Forner c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2016 CAF 35, ils affirment que la Cour doit [traduction] « tenir compte de toutes les circonstances afin d’établir l’équilibre entre les deux intérêts divergents ». Je ne suis pas en désaccord avec les CCM lorsqu’ils disent qu’il faut éviter de faire un recours abusif de la procédure de la Cour et qu’il faut voir ce qui se passe réellement en coulisse d’adroites présentations. Cependant, je suis d’avis que, lorsqu’elle se penche sur de telles questions, la Cour doit tout de même veiller à ne pas rejeter une demande (particulièrement lorsqu’elle est aussi complexe que la présente demande) si elle a « une chance d’être accueillie » et si elle ne présente aucun « vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande » pour citer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt JP Morgan, précité. Les CCM indiquent plusieurs de ces « vices », que j’examinerai à tour de rôle.

(2)               Demande présentée hors délai

[145]       Tel est le plus solide argument des CCM. Cependant, comme la Cour l’a déjà fait remarquer, toute question de délai devrait habituellement être débattue pendant l’audience de la demande, non lors d’une requête en radiation. Voir la décision Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2002 CFPI 119, confirmée par l’arrêt 2003 CAF 48. Cela s’explique par le fait que les délais et la possibilité d’obtenir leur prorogation sont souvent des questions complexes qui exigent de connaître tous les faits à l’origine de la demande.

[146]       En l’espèce, les CCM sont d’avis qu’il est évident que le délai de 30 jours prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales commence à la date à laquelle un demandeur est au courant de la décision dont il souhaite obtenir le contrôle judiciaire, en l’espèce la décision prise le 16 mars 2016 par le prétendu CAE, et que la prorogation du délai au 30 août 2016, date de présentation de la demande, n’est pas une cause défendable.

[147]       Cependant, plusieurs facteurs viennent compliquer la présente cause et font valoir que cette question devrait être tranchée par le juge des demandes. Tout d’abord, en vertu du paragraphe 18.1(2), le délai de 30 jours peut être prorogé en un « délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder ». Nous savons que, pour obtenir une prorogation, un demandeur doit à la fois justifier son retard et établir sa chance raisonnable de succès sur le fond de sa demande.

[148]       En l’espèce, il y a plusieurs motifs de ne pas utiliser la question du délai pour radier la demande :

a)      Un réel litige oppose les parties quant à savoir si la demande en l’espèce constitue une décision ou une ordonnance d’un office fédéral. Par exemple, les demandeurs du CE prétendent que la décision prise le 16 mars 2016 par le CAE n’était [traduction] « rien » parce qu’à cette date, aucun CAE n’était investi en vertu de la Loi électorale de la PNMC et, en tout état de cause, qu’il n’y a eu aucune réunion conforme à la loi électorale et que le processus entier qui a mené à ce « rien » était une fraude délibérée à l’encontre de la PNMC. En me fondant sur le dossier dont je suis saisi, je conclus que cet argument est indéfendable. Lorsqu’une demande de contrôle judiciaire ne vise pas la décision ou l’ordonnance d’un tribunal, le délai de 30 jours ne s’applique pas; la Cour devra donc déterminer si le retard est raisonnable ou pas dans les circonstances. Voir l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 RCS 3. Afin de déterminer si le retard en l’espèce est raisonnable dans les circonstances, la Cour devra tenir compte du dossier complet de la demande.

b)      Le paragraphe 18.1(2) accorde lui-même le pouvoir discrétionnaire de libérer une partie de la règle des 30 jours, même si une décision doit faire l’objet d’un contrôle judiciaire en l’espèce. Les principes généraux de la prorogation de délai sont établis dans l’arrêt Larkman, précité, et nous savons qu’il n’est pas nécessaire qu’une partie demandant une prorogation obtienne une réponse favorable aux quatre questions citées par la Cour d’appel fédérale dans cette affaire, car le plus important est que les intérêts de la justice soient servis. La façon dont ce litige se présente et la possibilité que l’électorat de la PNMC ait été fraudé par les CCM, qui ont organisé l’élection du mois de mai, signifient qu’en l’espèce, la justice pourrait bien nécessiter la prorogation de tout délai normalement applicable. En outre, ce litige ne concerne pas les intérêts personnels des parties, mais plutôt la question de savoir qui sont le chef et les conseillers légitimes de la PNMC. Comme l’a indiqué le juge Rennie dans la décision Poker, précitée, « le facteur prépondérant à prendre en compte pour décider s’il y a lieu d’accorder ou non la réparation réside dans la confiance des membres de la bande à l’endroit du processus électoral lui-même ». À ce moment-ci du litige, ce facteur prépondérant ne peut pas être pris en compte simplement en radiant la demande sur la base du délai de 30 jours.

c)      Les demandeurs du CE sollicitent une déclaration ou un quo warranto, ce qui soulève la question de savoir si un délai fixe est applicable et si le retard doit être pris en compte de manière générale et conformément aux principes équitables.

d)     Nous savons également que le demandeur n’est pas toujours tenu d’établir son intention constante de présenter une demande de contrôle judiciaire et qu’il peut lui suffire de montrer une intention constante de protéger ses droits. Les éléments de preuve qui me sont présentés dans le cadre de la présente requête pourraient bien établir une telle intention constante.

[149]       D’autres facteurs sont en cause en l’espèce, notamment la nécessité prépondérante pour la Cour d’établir si les CCF ou les CCM sont le chef et les conseillers légitimes de la PNMC. Cette incertitude a déjà eu de très graves répercussions sur les activités financières de la communauté. Sa culture politique a également été désorganisée et le demeurera jusqu’à ce que cette question soit réglée. Les demandeurs du CE et ceux qu’ils représentent ne forment peut-être pas l’ensemble de la communauté, mais ils sont suffisamment nombreux pour démontrer que le conflit en l’espèce doit être rapidement résolu par la Cour. Si le bien-fondé de leur demande n’est pas étudié par la Cour, l’instabilité politique qui règne dans la PNMC se poursuivra. Tous ces éléments devront être pris en compte avant qu’il soit possible d’établir l’incidence du retard en l’espèce. À mon avis, les CCM sont loin d’avoir établi que la demande devrait être radiée à cause d’un délai ou d’un retard déraisonnable. Je suis d’avis que les intérêts prépondérants de la PNMC exigent que ce litige soit entendu et tranché sur le fond le plus rapidement possible. Si le CAE a fait ce que les demandeurs du CE disent qu’il a fait, s’il a fraudé la PNMC et si cette fraude n’est pas examinée par la Cour, cela deviendra un modèle de comportement qui sera noté et suivi. Ceci minera l’ensemble de la culture politique de la PNMC et découragera ceux qui veulent un processus électoral juste et une responsabilité.

(3)               Infraction aux procédures et aux Règles des Cours fédérales

[150]       Les CCM invoquent l’article 302 des Règles et affirment, au vu de la demande, que les demandeurs du CE prétendent solliciter une mesure de réparation à l’égard de quatre décisions datées du 16 mars 2016, du 16 mai 2016, du 17 mai 2016 et du 12 août 2016. Les CCM indiquent également que ces décisions ont été prises par [traduction] « trois offices fédéraux distincts : le CAE, le prétendu CE et le conseil en poste ». Les CCM font valoir que ces infractions à l’article 302 des Règles constituent une tentative délibérée et consciente pour contourner les exigences et les procédures réglementaires de la Cour.

[151]       L’article 302 des Règles ne donne pas aux CCM le « K.O. technique » qu’ils espèrent dans la présente requête en radiation. Les CCM reconnaissent la principale question de ce litige, à savoir qui sont le chef et les conseillers légitimes de la PNMC. Afin de prendre chaque décision, la Cour examinera les mêmes faits et le même dossier pour chaque affaire. Exiger que les demandeurs du CE présentent des dossiers de demande distincts ne servirait à rien et ne permettrait pas « d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » conformément à l’article 3 des Règles, que je suis tenu d’appliquer.

[152]       Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve qui me sont présentés dans le cadre de cette requête portent à croire que ce sont les CCM qui tentent de contourner leur propre Loi électorale en voulant annuler la demande au moyen des Règles, lesquelles, à leur avis, exigent que la Cour écarte le fond de la question au cœur du litige. Les Règles et les procédures des Cours fédérales n’ont pas cette intention. Voir, par exemple, l’article 3 des Règles.

(4)               Compétence outrepassée de la Cour

[153]       Il ne fait aucun doute que la Cour fédérale a la compétence requise pour traiter la question principale et fondamentale de ce litige, sur laquelle toutes les parties s’entendent : qui, des CCF ou des CCM, sont le chef et les conseillers légitimes de la PNMC? La réponse à cette question aura une incidence sur maintes affaires collatérales dans lesquelles la compétence pourrait être en cause. Cependant, jusqu’à ce que la Cour soit saisie de tous les faits et ait statué sur cette question principale, elle ne peut pas traiter d’affaires collatérales distinctes, qui ne devraient pas être radiées à ce moment-ci de la procédure.

(5)               Absence de qualité pour agir

[154]       À l’égard de cette question, les CCM affirment que les demandeurs du CE n’ont pas qualité, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, pour demander à la Cour d’examiner la résiliation des contrats conclus avec Mark D’Amato et Terry Laliberty au motif qu’il n’existe aucun lien contractuel avec les demandeurs du CE et que ces derniers ne sont pas « directement touchés » par l’objet de la demande.

[155]       À ce stade de la procédure, comme le disent les demandeurs du CE et vu le dossier dont je suis saisi, il me semble impossible d’affirmer que ce contrat n’a pas la dimension publique qui permettrait manifestement de le soustraire de la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire. En outre, je ne pense pas que l’on puisse dire que les demandeurs du CE (ou tout autre membre de la PNMC) n’ont pas été directement touchés par la résiliation de ce contrat et par ses conséquences sur la communauté de la PNMC.

[156]       L’état de ce contrat a beaucoup à voir avec la légitimité de sa résiliation, effectuée par les CCM. S’il s’avère que les CCM ne sont pas le chef et les conseillers légitimes de la PNMC et qu’ils ne l’ont jamais été, la légalité de tout acte et de toute omission des CCM deviendra une considération inévitable pour la Cour. Le contrat ne peut tout simplement pas être séparé de la principale question en litige. Il en va de même pour la compétence de la Cour d’examiner la résiliation de ce contrat.

(6)               Recours abusif à la procédure

[157]       Les CCM soutiennent que les demandeurs du CE tentent simplement de contourner l’ordonnance du protonotaire Lafrenière rejetant la demande 888, ordonnance de laquelle personne n’a fait appel. Ils prétendent qu’il s’agit d’un recours abusif de la procédure.

[158]       Dans son ordonnance du 27 juillet 2016, le protonotaire Lafrenière a pris la décision de rejeter la demande 888 en se basant [traduction] « sur les documents reçus de l’avocat plutôt qu’en demandant aux auteurs de la demande 888 de présenter une requête officielle » de prorogation du délai et sur le matériel dont il a été saisi, à savoir des lettres reçues de l’avocat, et non sur le dossier dont j’ai été saisi. Dans les documents reçus de l’avocat, les CCM ont été qualifiés de dûment élus, et l’avocat qui représentait alors le demandeur n’a pas discuté les questions dont je suis saisi. Le protonotaire Lafrenière a conclu que les auteurs de la demande 888 ne se sont pas conformés à l’article 306 des Règles avec diligence raisonnable. Essentiellement, il a rejeté la demande 888 parce que l’avocate des demandeurs, qui n’est pas la personne ayant comparu devant moi, n’a pas déposé l’affidavit à temps et lui a fourni un prétexte qu’il n’a pas jugé suffisant pour exercer son pouvoir discrétionnaire et en proroger le délai de présentation. Il a également refusé de proroger ce délai parce que, selon une lettre reçue de l’avocat du défendeur, la demande 888 était [traduction] « inopportune, de prime abord » et que le retard avait [traduction] « porté préjudice non seulement aux défendeurs, mais aussi à toute la communauté de la bande », de sorte que [traduction] « toute contestation de la décision prise par le comité d’appel aurait dû être effectuée rapidement et poursuivie avec diligence ».

[159]       Le protonotaire s’est considéré [traduction] « substantiellement en accord avec les observations écrites soumises par l’avocat des défendeurs » et, vu la nature inadéquate des observations écrites présentées par l’avocat de la CFC qui représentait les auteurs de la demande 888, sa décision de rejeter la demande 888 était, à mon avis, appropriée et inévitable.

[160]       Cependant, le protonotaire Lafrenière n’a pas été saisi du dossier exhaustif dont je dispose maintenant et qui démontre les conséquences extrêmement graves que subiront les membres de la PNMC si la Cour refuse de traiter le fond de ce litige.

[161]       J’ai également reçu les observations détaillées des deux parties sur la ponctualité, de même qu’une requête officielle en prorogation de délai, au besoin. Il n’y a ici aucune décision passée en force de chose jugée, étant donné que les demandeurs du CE n’ont pas présenté la demande 888 et que le protonotaire Lafrenière n’a pas discuté sur le fond les renvois et appels dont il a été saisi. Il ne disposait tout simplement pas du dossier qui lui aurait permis d’évaluer le bien-fondé de la demande. J’ai maintenant des éléments de preuve et des observations détaillées sur le fond que l’article 3 des Règles et la jurisprudence régissant la prorogation de délai indiquent que je dois considérer la demande. Le protonotaire Lafrenière a appliqué l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] A.C.F. no 846 (CAF), qui l’obligeait à s’interroger sur le bien-fondé de la demande 888. Par contre, en raison du caractère informel de la procédure (lettres à la Cour) et de l’insuffisance des observations soumises par l’avocat de la CFC qui représentait les auteurs de la demande 888, il n’avait aucun moyen d’évaluer le bien‑fondé de la demande 888 ni de lui accorder du poids dans ses délibérations. Vu le dossier dont le protonotaire Lafrenière a été saisi, tout appel de sa décision aurait été vain et aurait gaspillé les ressources des parties et de la Cour.

[162]       L’ordonnance du protonotaire Lafrenière n’empêche pas les demandeurs du CE de présenter leur demande. Il est vrai que des questions de ponctualité devront être prises en compte, cette fois encore, mais un dossier beaucoup plus étoffé permet maintenant de les évaluer et, comme je l’ai déjà indiqué, le dossier qui m’a été présenté fait valoir que ces questions ne peuvent pas être utilisées pour mettre l’autre partie « hors combat » dans une requête en radiation, que les CCM aimeraient obtenir, ni pour écarter le fond du présent litige et les intérêts « prépondérants » du peuple de la PNMC.

(7)               Conclusions

[163]       Dans la décision Poker, précitée, le juge Rennie a souligné ce point important :

La Cour ne tire aucune conclusion au sujet de cette allégation tardive. En tout état de cause, indépendamment de la question de savoir quelles sont les personnes responsables, en tout ou en partie, des irrégularités de l’élection, le facteur prépondérant à prendre en compte pour décider s’il y a lieu d’accorder ou non la réparation réside dans la confiance des membres de la bande à l’endroit du processus électoral lui-même. Il existe un intérêt public primordial lié au maintien d’une confiance méritée de la bande à l’endroit des élections qu’elle tient, parce que cette confiance renforce sa gouvernance. En conséquence, eu égard à l’importance du processus électoral, la réparation ne sera pas refusée.

[164]       Les observations du juge Rennie mettent précisément le doigt sur la présente question en litige. Les éléments de preuve dont je suis saisi font valoir qu’à l’heure actuelle, la PNMC est désorganisée sur les plans financier et politique. La dignité et la légitimité du processus électoral de la PNMC sont menacées et, à mon avis, ce serait faire insulte aux membres de la PNMC que de simplement concéder la victoire aux CCM sur la base d’une règle procédurale qui ne comprend pas la pleine considération du fond. Les membres de la PNMC ont besoin du plein appui de la Cour pour surmonter leurs difficultés actuelles. En outre, quelle que soit l’issue de ce litige, la Cour doit prendre grand soin de protéger ce que le juge Rennie a appelé « un intérêt public primordial lié au maintien d’une confiance méritée de la bande à l’endroit des élections qu’elle tient » dans la décision Poker, précitée.

[165]       Les demandeurs du CE, ainsi que les membres de la PNMC qu’ils représentent, ont pensé que le meilleur moyen de protéger cet « intérêt public primordial » était de laisser les électeurs décider par l’entremise d’une nouvelle élection. Les CCM ont bloqué cette approche en omettant de l’accepter et en faisant les présentes tentatives au dossier T‑1335‑16 pour s’assurer que les demandeurs du CE n’essaieront plus jamais cette approche.

[166]       Les CCM souhaitent plutôt rester au pouvoir en se basant sur les résultats de l’élection du mois de mai qui, selon le dossier qui m’a été remis, est très suspecte pour diverses raisons, notamment parce que seulement 59 personnes y ont participé et qu’un plus grand nombre de membres l’ont boycottée en ne croyant pas à son déclenchement légitime. Les éléments de preuve concernant la décision prise le 16 mars 2016 par le prétendu CAE font valoir que les électeurs avaient raison. Vu la confusion qui entoure l’élection du mois de mai, on ne peut pas dire que cette élection a permis aux électeurs de la PNMC d’exprimer leur volonté sur la principale question en litige. Ils ont plutôt été contraints soit de voter dans le cadre d’une élection dont la légitimité était très incertaine, soit de s’abstenir en risquant de subir le chaos auquel ils sont maintenant exposés. Voir cette situation comme un simple litige entre les CCF et les CCM équivaudrait à négliger « l’intérêt public primordial » observé par le juge Rennie, et tenter de régler le litige en invoquant seulement des règles de procédure technique dans le cadre d’une requête en radiation ne résoudra pas les problèmes que vit la PNMC.

[167]       En effet, même si la demande au dossier T‑1442‑16 était radiée, cela ne ferait pas des CCM le chef et les conseillers légitimes de la PNMC. Le fait que le protonotaire Lafrenière ait radié la demande 888 n’en fait pas non plus le chef et les conseillers légitimes. Les CCM tentent de s’arroger le pouvoir des CCF, qui ont été élues conformément à la Loi électorale de la PNMC sans n’être jamais destituées. Comme il est clairement indiqué dans l’arrêt Lac des Mille Lacs, précité, une deuxième élection ne permet pas de supplanter un chef et des conseillers n’ayant jamais été démis de leurs fonctions conformément à la loi électorale d’une bande. Les CCM veulent s’éviter cette question en demandant la radiation de la présente demande. À maintes reprises, ils ont fait valoir devant moi que le fond de la demande n’est pas en cause dans la présente requête, mais comme l’indique très clairement l’arrêt Lac des Mille Lacs, il est (et doit être) en cause. Les CCM tentent de s’approprier le pouvoir, non en appliquant la Loi électorale de la PNMC qui, à mon avis, est le seul moyen légitime d’accéder au pouvoir, mais plutôt par la prescription et l’application procédurale des Règles des Cours fédérales, qui ne font pas partie de leur loi électorale. Ils veulent éviter leur propre Loi électorale et, apparemment, leur propre électorat. Ils n’ont fait aucun réel effort pour m’expliquer la façon dont ils pensent pouvoir contourner l’arrêt Lac des Mille Lacs en appliquant un délai des Règles ni les autres motifs de radiation qu’ils ont soulevés dans la présente requête. Je ne crois pas qu’il serait approprié que la Cour permette aux CCM de « contourner », comme ils le disent eux-mêmes, leur propre Loi électorale en accueillant leur requête en radiation.

VI.             REQUÊTE EN INJONCTION DES DEMANDEURS DU CE – DOSSIER T‑1442‑16

[168]       Tout comme la requête en radiation, la présente requête est devenue théorique lorsque j’ai rendu ma décision au dossier T‑1335‑16, mais je pense qu’il vaut la peine de souligner que, dans les circonstances de cette affaire, elle aurait dû être accueillie, du moins en partie.

[169]       Les parties s’entendent pour dire que la Cour devrait appliquer à la présente requête en injonction l’habituel critère cumulatif de l’arrêt RJR -- Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311. Ainsi, la Cour doit prendre en compte une question sérieuse à juger, le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients.

[170]       Les demandeurs du CE sollicitent les mesures de réparation qui suivent :

1.    une ordonnance, aux termes de l’article 8 des Règles, abrégeant le délai imparti pour l’audience de la présente demande, si nécessaire;

2.    une ordonnance, aux termes de l’article 105 des Règles, réunissant la présente instance à celle du dossier T‑1335‑16 de la Cour;

3.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, portant que les activités financières de la [PNMC] soient gérées par Mark D’Amato et Terry Laliberty, les cogestionnaires de la bande, en conformité avec :

a.    l’accord visant la gestion de la bande et le développement de ses capacités, conclu entre la bande, Mark D’Amato et Terry Laliberty et signé le 25 février 2016;

b.    les pouvoirs de signature des chèques, les procédures et les contrôles financiers établis par la bande, Mark D’Amato et Terry Laliberty avant le 16 mai 2016;

4.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, enjoignant à quiconque, y compris à ceux qui prétendent être le chef et les conseillers de la bande, de :

a.    ne pas s’ingérer dans la bonne administration des activités financières de la bande, assurée par Mark D’Amato ou Terry Laliberty, ses cogestionnaires;

b.    ne pas s’ingérer dans les activités d’administration financière que les défendeurs Mark D’Amato et Terry Laliberty sont autorisés à mener en vertu de l’accord conclu avec la bande;

c.    interdisant à toutes les parties de communiquer avec des institutions financières dans le but de faire modifier les pouvoirs de signature sans le consentement de Mark D’Amato, cogestionnaire de la bande;

d.    ne prendre aucune mesure visant à résilier les services du cogestionnaire Mark D’Amato ou Terry Laliberty, ni d’agir sur la base de toute résiliation déjà effectuée selon les dires de l’une ou l’autre des parties;

5.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, portant que les défenderesses Priscilla Colomb, Evelyn Sinclair, Angel Castel et Sarah Copapay, formant le conseil de bande élu le 1er février 2016, conservent leurs postes de chef et de conseillères légalement élues de la Première Nation de Marcel Colomb;

6.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, interdisant aux défendeurs Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb de prétendre être le chef et les conseillers de la bande;

7.    une ordonnance interlocutoire, en attendant l’issue des présentes instances, interdisant à Joseph Colomb, Urgel Linklater et Solomon Bighetty de prétendre former le comité d’appel des élections de la bande;

8.    une ordonnance dispensant de l’exigence de prendre un engagement;

9.    les frais et dépens sur une base avocat-client;

10.  toute autre mesure de réparation que l’avocat pourrait demander et que l’honorable Cour pourrait estimer juste.

[171]       En refusant la requête en radiation des CCM, je suis manifestement d’avis qu’une question sérieuse doit être jugée dans la demande. Celle-ci soulève plusieurs questions, mais il suffit de dire qu’en ce moment, le litige entre les parties – à savoir qui des CCF ou des CCM sont le chef et les conseillers légitimes de la PNMC – n’est ni frivole ni vexant, au même titre que l’allégation des demandeurs du CE selon laquelle le processus électoral du mois de mai était frappé de nullité, notamment parce qu’aucun appel n’a été interjeté de l’élection du mois de février, que le CAE n’a pris aucune décision légitime le 16 mars 2016 ou autour de cette date et que la décision du prétendu CAE était frauduleuse.

[172]       Aucune des parties ne peut réellement alléguer qu’elle subira personnellement un préjudice irréparable, que l’injonction soit accordée ou non. La réelle préoccupation, dans cette affaire, est de déterminer si la PNMC et ses membres risquent, selon la prépondérance des probabilités, de subir un préjudice irréparable.

[173]       Les CCM affirment qu’il n’est plus urgent à la PNMC d’assurer les besoins essentiels d’assistance sociale et de paiement des employés, car les fondateurs et la banque de la PNMC reconnaissent maintenant que les CCM et un cogestionnaire approuvé représentent la PNMC.

[174]       Par contre, les demandeurs du CE affirment que l’intégrité politique et le bien-être financier de la PNMC et de ses membres ont été compromis, et demeurent compromis, à cause des actes posés par les CCM pour :

a.    suspendre à tort le gestionnaire de la bande;

b.    suspendre à tort l’agente des Travaux publics;

c.    faire cesser les activités du bureau de la bande;

d.    soi-disant modifier les pouvoirs de signature de la bande, à l’encontre des ententes de cogestion et de financement en vigueur;

e.    soi-disant résilier le contrat d’un cogestionnaire très expérimenté et efficace auquel tous les conseils ont fait confiance depuis sa nomination, en 2012.

[175]       Les demandeurs du CE affirment que ces actes ont amené la banque de la PNMC à geler ses comptes et ont compromis des services essentiels, notamment le versement de prestations d’assistance sociale aux membres qui en ont désespérément besoin et qui comptent sur cet argent. Des éléments de preuve étayent ces affirmations.

[176]       Cependant, il faut avant tout prendre en compte l’intérêt public, primordial et prépondérant, de maintenir la confiance publique en l’intégrité du processus électoral de la PNMC au vu de ce qui semble être, selon le dossier dont je suis saisi, un recours abusif de ce processus, commis par le CAE et les CCM.

[177]       Les éléments de preuve qui m’ont été présentés en l’espèce seront, en gros, ceux dont disposera le juge des demandes. Dans le cadre de la requête en radiation dont je suis saisi, l’avocat des CCM a indiqué que des éléments pourraient être ajoutés au dossier, mais il n’a pas précisé ce qu’il avait en tête ni comment cela pourrait modifier la situation actuelle. Quoi qu’il en soit, lorsqu’une requête en radiation est déposée, chaque partie doit présenter ses meilleurs arguments, alors je suppose que les CCM l’ont fait. En fait, les CCM m’ont indiqué que je ne devrais pas trancher sur le bien-fondé de la demande, mais plutôt me concentrer sur les règles qui régissent les divers motifs qu’ils ont soulevés afin de la radier.

[178]       Ceci me semble être une mauvaise interprétation à plusieurs égards. Tout d’abord, les règles procédurales de la Cour fédérale ne sont pas appliquées dans un vide où le bien-fondé d’une demande serait ignoré. Par exemple, la Cour ne peut pas appliquer la règle des 30 jours que prescrit le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales sans tenir compte du fond, puisque le paragraphe 18.1(2) permet lui-même de présenter une demande « dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder » et que la jurisprudence sur la prorogation de délai m’indique de voir le fond d’une demande comme l’un des facteurs à prendre en compte et déclare que la considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice. Voir l’arrêt Larkman, précité. En outre, l’article 3 des Règles des Cours fédérales m’oblige à veiller à ce que ces règles soient « interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Bien sûr, cet article ne veut pas dire que la Cour abandonnera à la légère ou de façon routinière une règle sur le délai de présentation, mais il signifie que quiconque (dont moi-même) examine la demande doit tenir compte de son bien-fondé dans l’ensemble du contexte de la présente affaire.

[179]       Dans la présente requête qui m’est présentée, il est évident, pour les motifs indiqués précédemment, que, sur le fond, les CCM tentent d’accéder au pouvoir par des moyens illégitimes.

[180]       En effet, les éléments de preuve indiquent que les CCF ont été élues le 1er février 2016 lors d’une élection qui n’a fait l’objet d’aucun appel et pour laquelle la directrice des élections (Mme Janet Moore) a confirmé auprès d’AANC que le délai d’appel était venu à échéance sans qu’un appel soit interjeté et que les CCF avaient été élues. AANC et d’autres tierces parties font affaire avec les CCF en raison de cette déclaration de légitimité.

[181]       Des problèmes sont survenus seulement parce que le 16 mars 2016, deux personnes affirmant former le CAE ont signé une feuille qui indiquait que le CAE s’était réuni, déclarait nulle l’élection du mois de février et déclenchait une nouvelle élection. Aucun des éléments de preuve qui m’ont été présentés ne démontre comment cette feuille ou plusieurs feuilles pourraient constituer une réelle décision d’un comité d’appel des élections, créée et adoptée conformément à la Loi électorale de la PNMC. Premièrement, le mandat des membres du CAE du mois de février était venu à échéance et rien ne montre qu’un autre CAE aurait pu être constitué. En outre, la Cour est saisie de l’affidavit non contesté de M. Bighetty, le troisième ancien membre du CAE de février, selon lequel l’élection n’a fait l’objet d’aucun appel, aucune audience d’appel de l’élection n’a eu lieu, le délai d’appel de l’élection était échu et le CAE n’existait plus en raison de l’expiration de son mandat. M. Bighetty fait également remarquer qu’il a été invité à signer un document annulant l’élection du mois de février, mais qu’il a refusé de le signer parce qu’il n’était pas légitime. Il n’est toujours pas tout à fait clair si sa signature a été contrefaite sur la documentation que les CCM ont fournie à la Cour.

[182]       Les CCM ne m’ont pas démontré comment le CAE aurait pu devenir un comité d’appel des élections légitime, étant donné que leur mandat était échu et que l’élection du mois de février n’avait fait l’objet d’aucun appel, comme l’a confirmé la directrice des élections le 9 février 2016.

[183]       Le prétendu CAE a été invité à produire une pièce prouvant sa décision du 16 mars 2016, mais ne l’a pas fait, alors je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant comment il a été créé ni comment il a pris cette prétendue décision. Pour les motifs indiqués précédemment au dossier T‑1335‑16, la prétendue décision du CAE n’a aucun sens, puisque les seules personnes qui ont omis de fournir une vérification de casier judiciaire sont Christopher Colomb, Gordon Colomb et Douglas Hart, qui n’ont également pas présenté cette vérification lors de l’élection du mois de mai.

[184]       De nombreux membres de la PNMC se sont vite aperçus de ces problèmes et ont refusé de participer à l’élection du mois de mai pour le motif qu’il s’agissait d’une imposture. En fait, 72 membres de la PNMC ont signé une pétition confirmant les résultats de l’élection du mois de février; ces signataires sont plus nombreux que les 59 membres qui ont participé à l’élection du mois de mai.

[185]       Un autre facteur important doit être pris en considération aux fins de la présente requête. En effet, Christopher Colomb, Gordon Colomb et Douglas Hart n’ont pas fourni de vérification de casier judiciaire, ce qui signifie, en vertu de la Loi électorale de la PNMC, qu’ils ne pouvaient pas se présenter à l’élection du mois de février. Aucun de ces candidats n’a été élu lors de l’élection du mois de février. Tous les candidats élus en février avaient fourni une vérification de casier judiciaire et rien dans le dossier dont je suis saisi ne fait valoir que leur élection n’était pas légitime.

[186]       Ainsi, la seule raison pouvant expliquer pourquoi le prétendu CAE a déclaré que [traduction] « Priscilla Colomb, Angel Castel, Sarah Copapay et Evelyn Sinclair [élues en février 2016] NE REPRÉSENTENT PAS LA PREMIÈRE NATION DE MARCEL COLOMB » est que les candidats inéligibles qui se sont présentés auraient pu influer sur le vote, d’une façon ou d’une autre. Pourtant, le CAE ne peut d’aucune façon démontrer comment il a pu arriver à une telle conclusion et rien ne l’indique dans le dossier dont je suis saisi.

[187]       Il faut ajouter à cela que Christopher Colomb, Gordon Colomb et Douglas Hart, disqualifiés de l’élection du mois de février, se sont tous présentés à la prétendue élection du mois de mai et l’ont remportée. Ils forment la majeure partie des CCM, qui demandent à la Cour de confirmer leur accession au pouvoir dans les présentes requêtes. Cependant, ils ont de nouveau omis de fournir une vérification de casier judiciaire lors de l’élection du mois de mai. Qui plus est, ils ne m’ont présenté aucune vérification de casier judiciaire. La Cour n’a donc aucune preuve que Christopher Colomb et Gordon Colomb sont qualifiés pour occuper les postes de chef et de conseiller, et des doutes demeurent au sujet de Douglas Hart, car durant le contre‑interrogatoire concernant son affidavit, M. Hart a témoigné sous serment qu’il a été reconnu coupable d’un acte criminel et qu’il savait que cela le disqualifiait. Il a également témoigné qu’il n’a jamais fourni de vérification de casier judiciaire en vue de l’élection du mois de mai.

[188]       M. Hart a tenté, devant moi, de déposer un affidavit visant à préciser qu’il n’avait été reconnu coupable que d’une infraction punissable par procédure sommaire. Cela donne ouverture à toutes sortes de problèmes procéduraux de scission de la preuve, ce qui signifie que le témoin n’a pas été contre-interrogé quant à cette incohérence, mais pour être juste envers les CCM, j’ai décidé d’admettre ce témoignage parce qu’il a trait au fond de l’affaire. Cependant, il ne modifie en rien mes conclusions. Christopher Colomb et Gordon Colomb n’étaient qualifiés pour se présenter ni à l’élection du mois de février ni à celle du mois de mai et aucun d’eux n’a fait la preuve qu’il n’a pas de casier judiciaire pouvant l’empêcher d’occuper le poste de chef ou de conseiller. Dans un litige qui, au bout du compte, en est un de légitimité politique, une telle omission est troublante.

[189]       L’alinéa 7(2)e) de la Loi électorale de la PNMC déclare que quiconque se présente à une élection doit fournir [traduction] « une vérification de casier judiciaire et ne faire l’objet d’aucune accusation criminelle ». Les éléments de preuve indiquent clairement que M. Hart n’a fourni aucune vérification de casier judiciaire pour les élections des mois de février et mai 2016. Il est également clair que Christopher Colomb et Gordon Colomb n’ont pas fourni de vérification de casier judiciaire lors de l’élection du mois de février, et rien dans le dossier dont je suis saisi n’indique qu’ils l’ont fait pour l’élection du mois de mai. Du fait que le prétendu CAE n’a même pas répondu à la demande de documentation de sa décision du 16 mars 2016 et que Christopher Colomb et Gordon Colomb n’ont pas fourni de vérification de casier judiciaire, ils n’ont pas démontré à la Cour qu’ils sont qualifiés pour exercer leurs fonctions à la PNMC en vertu de la Loi électorale applicable.

[190]       Ce qui est ironique, c’est que Christopher Colomb, Gordon Colomb et Douglas Hart comptent sur ce qui semble être une décision complètement frauduleuse du CAE, d’après les éléments de preuve qui m’ont été fournis, laquelle a été prise parce que l’élection du mois de février aurait été nulle parce qu’ils (non les candidats élus) n’ont pas fourni de vérification de casier judiciaire, alors qu’ils affirment que l’élection du mois de mai est légitime même s’ils n’ont pas produit cette même vérification, qu’ils ne m’ont d’ailleurs pas fournie. À mon avis, ceci est inacceptable. La Cour ne peut pas permettre à ces hommes d’exercer le pouvoir conféré au chef et aux conseillers alors qu’ils n’ont même pas démontré qu’ils y sont autorisés en vertu de la Loi électorale de la PNMC.

[191]       Par ailleurs, rien ne m’a été présenté qui soutienne que Priscilla Colomb, Angel Castel, Sarah Copapay et Evelyn Sinclair n’ont pas été légitimement élues et n’ont pas gouverné de façon appropriée et compétente jusqu’à ce que le CAE prenne sa décision du 16 mars 2016 et que l’élection du mois de mai sème la confusion dans la gouvernance de la PNMC. Les éléments de preuve dont je suis saisi indiquent que Priscilla Colomb a été élue soit comme conseillère, soit comme chef à chacune des élections générales tenues depuis le 19 juin 2003. Ceci indique qu’elle fait preuve de constance et qu’elle a plusieurs fois gagné la confiance des électeurs de la PNMC, qui lui ont confié la gestion de la PNMC pendant de nombreuses années.

[192]       En fonction des éléments de preuve dont je dispose, je dois conclure que, selon la prépondérance des probabilités, la décision que le prétendu CAE a prise le 16 mars 2016 était une imposture et que l’élection du mois de mai n’a pas été déclenchée et ne s’est pas tenue de façon légitime. Outre les dommages politiques et financiers que le peuple de la PNMC a pu subir, cela signifie qu’on a fait un recours abusif du processus politique, ce qui constitue en soi une forme de préjudice irréparable que la Cour ne peut pas permettre de poursuivre. De plus, comme je l’ai indiqué précédemment, les CCM n’ont fait aucun réel effort pour démontrer à la Cour comment ils peuvent être le chef et les conseillers légitimes, vu la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Lac des Mille Lacs, précité, et vu le fait que les CCF n’ont jamais été démises de leurs fonctions conformément à la Loi électorale de la PNMC.

[193]       Je dois trancher en fonction du dossier dont je dispose. Dans la plaidoirie qu’il m’a soumise, l’avocat des CCM a maintes fois écarté l’attention de la Cour du fond de l’affaire et a réclamé la radiation de la demande en se fondant, plus précisément, sur le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, sur le délai de 30 jours et sur la décision du protonotaire Lafrenière de rejeter la demande 888. Cependant, en examinant la question du préjudice irréparable, je ne connais aucune règle qui impose un délai aux éléments de preuve dont je devrais tenir compte, et les CCM n’ont contesté aucun délai de ce type. Les CCM n’ont fait aucun effort pour me convaincre que la réunion du CAE et la lettre du 16 mars 2016 n’étaient pas frauduleuses. Ils prétendent que ce qui importe, c’est le temps écoulé ou l’infraction à une règle de procédure. Je dois donc me pencher sur les présentes réalités, l’une d’elles étant, d’après les éléments de preuve qui m’ont été fournis, que la décision prise le 16 mars 2016 par le prétendu CAE est une imposture ayant permis à des candidats non qualifiés d’entrer en fonction au vu de l’importante protestation d’une majorité de membres de la PNMC, dont on pouvait attendre qu’ils aillent voter, et que rien ne prouve que Christopher Colomb et Gordon Colomb sont même qualifiés pour poser leur candidature comme chef et conseiller lors d’une élection, alors que les CCF ont à leur tête une chef de confiance qui, d’après les éléments de preuve dont je dispose, a gouverné avec compétence jusqu’à ce que les CCM réussissent à convaincre de tierces parties de traiter avec eux, rendant impossible l’administration de la PNMC.

[194]       À peu près les mêmes observations peuvent être faites sur la question de la prépondérance des inconvénients. Les CCM veulent que j’appuie le statu quo, c’est-à-dire eux‑mêmes. La jurisprudence indique clairement que c’est l’approche habituelle de la Cour. Cependant, la Cour doit hésiter à appuyer le statu quo lorsque ses défenseurs ont omis de démontrer qu’ils sont qualifiés pour exercer leurs fonctions et, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils ont accédé au pouvoir par un recours abusif du processus. Il est vrai que les CCM ont été reconnus à certaines fins par de tierces parties, mais cela ne leur confère aucune légitimité en vertu de la Loi électorale de la PNMC. De plus, cela ne signifie pas que ces mêmes tierces parties seraient de quelque façon réticentes à traiter avec les CCF si la Cour concluait que c’est approprié, dans les circonstances. Les tierces parties importantes ont fait affaire avec les CCF avant l’élection du mois de mai. En outre, je ne vois pas comment la Cour pourrait dire au peuple de la PNMC qu’il doit continuer d’être gouverné par des individus qui, d’après les éléments de preuve dont je dispose, n’ont aucun droit d’occuper leurs postes et qui ont accédé au pouvoir en participant à ce qui semble être, à ce moment-ci, un recours abusif du processus qu’ils ont omis de discuter sans détour dans les requêtes qu’ils m’ont soumises. Le peuple de la PNMC doit savoir que la Cour respecte et appuie sa Loi électorale. Accorder aux CCM ce qu’ils sollicitent dans leur requête et rejeter la demande des CCF équivaudrait, d’après le dossier dont je suis saisi, à cautionner l’usurpation et à encourager l’instabilité politique actuelle et future de la PNMC. La Cour ne peut pas appuyer un tel recours abusif du processus, même temporaire, mais sur le plan pratique et administratif, je ne pense pas que la PNMC souffre si les CCF étaient aujourd’hui autorisées à gouverner la PNMC jusqu’à ce que la présente demande soit finalement tranchée, elles qui ont été légitimement élues et qui ont gouverné sans problème apparent depuis février 2016 jusqu’à ce que les CCM commencent à persuader de tierces parties de reconnaître leur statut et qui, d’après les éléments de preuve qui m’ont été fournis, n’ont jamais été légitimement démises de leurs fonctions. Si ce rôle était confié aux CCM, je crois que le chaos serait seulement aggravé.

[195]       Je conclus donc que les CCF, c’est-à-dire Priscilla Colomb, Evelyn Sinclair, Angel Castel et Sarah Copapay, doivent demeurer la chef et les conseillères légalement élues de la PNMC et que tous les membres et toutes les tierces parties devront traiter avec elles à ce titre. Les CCM, c’est-à-dire Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb, cesseront de se présenter à quiconque comme étant le chef et les conseillers de la PNMC et s’abstiendront de s’ingérer dans l’administration financière et dans les autres activités de la PNMC.


JUGEMENT ET ORDONNANCES

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

Dans la demande au dossier T‑1335‑16, par voie de déclaration ou de quo warranto,

1.      La Cour déclare que :

a)      les personnes élues le 1er février 2016, c’est-à-dire Priscilla Colomb, Evelyn Sinclair, Angel Castel et Sarah Copapay, ont été dûment élues en tant que chef et conseillères de la PNMC et en demeureront la chef et les conseillères jusqu’à la fin de leur mandat, le 1er février 2020;

b)      le prétendu processus électoral du 16 mai 2016, par lequel Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb prétendent avoir été élus comme chef et conseillers de la PNMC, est nul parce qu’il ne constitue pas un processus électoral en vertu de la Loi électorale de la PNMC;

c)      lesdits Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb ne sont pas le chef et les conseillers de la PNMC, et toutes les décisions et tous les actes qu’ils ont prétendument prises ou commis à ce titre sont nuls et sans effet;

d)     lesdits Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb n’ont ni la compétence ni la qualité pour présenter ou poursuivre la présente demande en tant que représentants de la PNMC.

2.      La Cour ordonne en outre que :

a)      la présente demande soit rejetée;

b)      lesdits Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb cessent de se présenter comme étant le chef et les conseillers dûment élus de la PNMC et de faire affaire avec les membres et non-membres de la PNMC à ce titre. De plus, ils rendront rapidement tout bien appartenant à la PNMC qu’ils ont en leur possession;

c)      les parties présentent à la Cour leurs observations relativement aux frais et dépens. Elles le feront par écrit, du moins initialement, et la Cour rendra une ordonnance supplémentaire au sujet des frais et dépens au dossier T‑1335‑16;

d)     une copie du présent jugement soit versée dans le dossier T‑1442‑16.

LA COUR ORDONNE que :

Dans les requêtes au dossier T‑1442‑16,

1.      la requête en radiation déposée par les défendeurs soit rejetée pour les motifs fournis;

2.      l’injonction interlocutoire soit accordée aux demandeurs, de même que les réparations interlocutoires sollicitées aux présentes;

3.      les parties présentent à la Cour leurs observations relativement aux frais et dépens. Elles le feront par écrit, du moins initialement, et la Cour rendra une ordonnance supplémentaire au sujet des frais et dépens au dossier T‑1442‑16;

4.      une copie de la présente ordonnance soit versée dans le dossier T‑1335‑16.

« James Russell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1335‑16

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE MARCEL COLOMB ET AL. c. ELISE COLOMB ET AL.

 

ET DOSSIER :

T‑1442‑16

 

INTITULÉ :

ELISE COLOMB ET AL. c. CHRISTOPHER COLOMB ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 27 octobre 2016 et 3 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Robert A. Watchman

Karen Poetker

 

Pour les demandeurs, Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb

 

Harley I. Schachter

Evan L. M. Edwards

 

Pour les défendeurs, Elise Colomb, Crystal Michelle et Eustache Sinclair

 

Sacha Paul

Megan Smith

POUR LES DÉFENDEURS, Priscilla Colomb, Evelyn Sinclair, Angel Castel, Mark D’Amato et Terry Laliberty

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les demandeurs, Christopher Colomb, Suzanne Hart, Douglas Hart et Gordon Colomb

 

Duboff Edwards Haight & Schachter

Law Corporation

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les défendeurs, Elise Colomb, Crystal Michelle et Eustache Sinclair

 

Thompson Dorfman Sweatman LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les défendeurs, Priscilla Colomb, Evelyn Sinclair, Angel Castel, Mark D’Amato et Terry Laliberty

 

 

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