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Date : 20161202


Dossier : IMM-3-16

Référence : 2016 CF 1338

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

RUSLAN IHOROVYC SOMYK, OLHA KLYM’YUK, MARTA SOMYK ET YAROSLAV SOMYK

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR ou la Commission) le 7 décembre 2015 (la décision), dans laquelle la SPR a conclu que Ruslan Ihorovyc Somyk (le demandeur principal), Olha Klym’yuk (la demanderesse), Marta Somyk et Yaroslav Somyk (les demandeurs mineurs) n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

I.                   FAITS ET PROCÉDURES

[2]               Les demandeurs sont des citoyens de l’Ukraine. Le demandeur principal est d’origine mixte; sa mère est rom et son père est ukrainien. Avec son épouse, qui est d’origine ukrainienne, ils ont deux enfants. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 28 août 2015 et ils ont demandé l’asile le 4 septembre 2015.

[3]               Les demandeurs prétendent avoir été persécutés en Ukraine en raison de leurs origines roms, citant six incidents particuliers. Le demandeur principal a été agressé physiquement à deux reprises, le 2 novembre 2014 et le 5 juillet 2015, les deux incidents ayant entraîné son hospitalisation. Il a également perdu deux emplois en raison de son ethnicité rom. Les demandeurs mineurs ont vécu des incidents reliés à leur ethnicité rom en mars et avril 2015.

II.                LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[4]               Le 7 décembre 2015, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

[5]               La SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour établir son identité personnelle en tant que Rom. Le demandeur principal n’a présenté aucun document d’identité et la SPR n’était pas convaincue que son apparence suffisait à l’identifier comme un Rom, d’autant plus qu’il ne parle pas le romani ou ne pratique aucune coutume culturelle associée aux Roms. La SPR a mentionné que contrairement à la plupart des Roms en Ukraine, le demandeur principal ne s’était pas vu refuser l’accès à l’emploi, aux soins de santé ou aux documents d’identité délivrés par le gouvernement. En outre, la SPR a souligné que malgré la discrimination alléguée, le demandeur principal ne connaissait pas d’organisations qui travaillaient avec les Roms.

[6]               La SPR a aussi conclu que le demandeur principal n’était pas crédible. Bien que le témoignage sous serment d’un requérant soit présumé véridique, la SPR estimait que cette présomption était réfutée par l’absence d’élément de preuve documentaire mentionnant un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver. La SPR a fait remarquer que même si les demandeurs avaient accès à l’espace Schengen après les incidents de persécution, ils se sont rendus en Pologne, un pays sûr désigné, sans y demander l’asile. La SPR a décrit cette situation comme étant une « recherche du meilleur pays d’asile » étant donné qu’il n’y avait aucune raison crédible pour laquelle les demandeurs n’ont pas demandé l’asile dans l’un des 26 pays de l’espace Schengen. Étant donné que l’identité n’a pas été établie, la SPR n’a pas analysé plus en profondeur les éléments de preuve et la demande.

III.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]               Les demandeurs soutiennent que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

1.      La conclusion de la SPR quant à la crédibilité était-elle déraisonnable pour les motifs suivants :

(a)    omission d’appliquer la présomption de véracité du témoignage du demandeur principal;

(b)   ne pas tenir compte des éléments de preuve corroborant la thèse principale selon laquelle le demandeur principal est facilement identifiable comme personne d’ethnicité rom;

(c)    omettre de tenir compte des éléments de preuve de discrimination?

2.      La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demande n’avait aucun fondement crédible?

IV.             LA NORME DE CONTRÔLE

[8]               Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie est bien établie par la jurisprudence antérieure, la cour de révision peut appliquer cette norme de contrôle. Lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[9]               La norme de contrôle applicable aux conclusions de la SPR sur la crédibilité et à son évaluation des éléments de preuve est celle de la décision raisonnable : Yang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543, au paragraphe 8; Ebika c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 582, au paragraphe 10.

[10]           Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de la décision raisonnable, son analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

V.                LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.             LES THÈSES DES PARTIES

La question en litige no 1a : la présomption de véracité

(1)               Les demandeurs

[11]           Le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est réputé être véridique, à moins qu’il y ait une bonne raison d’en douter : Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (C.A.), à la page 305. Dans sa décision, la SPR a indiqué que la présomption était suffisamment réfutée par l’absence de documents acceptables pour établir l’identité. Cependant, la SPR a reconnu la difficulté de fournir de tels documents, étant donné que les autorités ukrainiennes n’indiquent pas l’ethnicité dans les documents officiels. En outre, même si la SPR a fait valoir que des documents d’identité acceptables pourraient comprendre des lettres provenant de parents du demandeur principal qui confirment son ethnicité rom, la SPR a rejeté les photographies du demandeur principal avec des parents roms au motif qu’elles ne permettaient de distinguer les parents comme étant des Roms. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que le rejet par la SPR du témoignage sous serment des demandeurs en raison d’une absence de documents à l’appui est déraisonnable.

(2)               Le défendeur

[12]           Il n’y a pas eu omission d’accorder le bénéfice de la présomption de véracité aux éléments de preuve des demandeurs parce que la SPR a relevé suffisamment de motifs pour réfuter cette présomption.

La question en litige no 1b : le traitement de la preuve corroborante

(1)               Les demandeurs

[13]           La SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve corroborant la thèse principale selon laquelle les demandeurs sont facilement identifiables comme personnes d’ethnicité rom. Plusieurs documents ont été présentés pour étayer l’allégation selon laquelle ils ont été victimes de persécution en raison de leur ethnicité rom, notamment le carnet de santé du demandeur principal, des lettres de la police et un certificat délivré par le Bureau du psychothérapeute des enfants; cependant, aucun de ces documents n’était mentionné dans la décision. Plus particulièrement, les rapports de police démontrent la présence de racisme contre les Roms au sein de la force policière, et non pas que la police n’a tout simplement pas cru l’affirmation du demandeur principal selon laquelle l’agression était animée par du racisme. Les demandeurs soutiennent que le fait de ne pas avoir mentionné ces documents importants signifie qu’ils ont été mis de côté par erreur, et qu’il s’agit par conséquent d’une erreur susceptible de révision.

[14]           En outre, les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle l’apparence du demandeur principal ne le distinguait pas en tant que Rom sur la base d’une comparaison avec un Ukrainien lors de l’audience n’est que pure spéculation. La SPR n’est pas une spécialiste de l’apparence des Ukrainiens et ne peut pas présumer connaître ce que des agents de persécution sauraient ou penseraient relativement à l’apparence du demandeur principal.

(2)               Le défendeur

[15]           Le défendeur soutient que les documents à l’appui ne constituent pas une preuve corroborant la persécution fondée sur l’ethnicité rom; au contraire, les documents ne font que confirmer que le demandeur principal croit qu’il est reconnaissable en tant que Rom en Ukraine. Par exemple, le carnet de santé réitère seulement l’allégation du demandeur principal selon laquelle l’ethnicité constituait le motif de l’agression. De même, les rapports de police démontrent seulement que la police n’a pas ouvert de dossier ou n’a pas fait d’enquête sur les agressions, probablement parce qu’elle n’a pas cru les allégations du demandeur principal. Le deuxième rapport de police suppose que le policier n’a même pas identifié le demandeur principal comme étant une personne d’ethnicité rom avant d’apprendre que l’agression était supposément motivée par des considérations ethniques. Au lieu de confirmer les allégations de persécution, le rapport médical et les rapports de police tendent à indiquer l’opposé puisque des membres du public ont prêté assistance et que les agresseurs se sont enfuis, probablement parce qu’ils craignaient des représailles ou des poursuites.

[16]           Le certificat du Bureau du psychothérapeute des enfants constitue le seul document qui corrobore l’affirmation selon laquelle il est possible d’identifier les défendeurs comme des Roms. À part ce document, il y a une absence d’éléments de preuve qui montrent que les demandeurs sont reconnaissables en tant que Roms. Par conséquent, la SPR était justifiée de conclure que les demandeurs n’avaient pas demandé l’asile dans un des pays de l’espace Schengen auxquels ils avaient accès et de faire des comparaisons entre l’apparence physique du demandeur principal et un Ukrainien d’origine présent lors de l’audience. La SPR a examiné l’apparence du demandeur principal parce que sa tenue vestimentaire, sa posture, sa langue, ses coutumes ou tout autre indicateur possible ne permettent pas de l’identifier comme un Rom. Par conséquent, le défendeur soutient que la SPR n’a pas ignoré d’éléments de preuve corroborants dans sa décision.

La question en litige no 1c : la preuve de discrimination

(1)               Les demandeurs

[17]           En concluant que les demandeurs n’étaient pas perçus comme étant des Roms, la SPR n’a pas tenu compte de la preuve présentée qui indiquait que le demandeur principal avait été contraint de démissionner de son emploi par un patron ultranationaliste et de l’accusation de vol portée contre l’un des demandeurs mineurs à l’école. La SPR s’est plutôt fondée sur le fait que les demandeurs avaient accès à des soins de santé et sur des documents d’information sur le pays pour démontrer l’absence de discrimination. Cependant, la preuve n’établit pas que les Roms n’ont jamais accès aux études universitaires ou aux soins médicaux.

[18]           En outre, le voyage des demandeurs en Pologne sans demander l’asile ne devrait pas être utilisé contre eux, étant donné qu’on leur a conseillé de ne pas demander l’asile pour le motif que le traitement des Roms en Pologne n’est pas différent de celui en Ukraine. De même, la décision des demandeurs de ne pas voyager et de ne pas demander l’asile dans les pays de l’espace Schengen ne devrait pas être interprétée comme une absence de crainte de persécution. Aucun pouvoir n’exige qu’un demandeur d’asile présente une demande dans un pays où il n’est jamais allé tout simplement parce qu’il a la permission de s’y rendre. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve indépendante et crédible pouvant étayer une conclusion favorable à l’égard de leur demande.

(2)               Le défendeur

[19]           La preuve n’étaye pas le fait que le demandeur principal était contraint de démissionner de son emploi en raison de discrimination à l’encontre de son ethnicité rom comme cela est allégué. Il n’existe aucune preuve selon laquelle le demandeur principal a demandé l’aide de qui que ce soit relativement à sa situation, aucune preuve quant à la façon dont le nouveau patron pouvait effectivement nuire à ses perspectives d’emploi, et aucune preuve selon laquelle d’autres au sein de l’entreprise partageaient le point de vue du nouveau patron. Par conséquent, rien n’explique la raison pour laquelle le demandeur principal a conclu que la seule solution possible à la situation consistait à démissionner.

[20]           Bien que l’auteur du rapport de psychothérapeute semble étayer les allégations de discrimination des demandeurs, le rapport ne suffit pas à l’emporter sur la totalité des éléments de preuve qui contredisent les allégations, soit notamment le fait que les demandeurs n’ont pas fui la persécution malgré la disponibilité immédiate d’asile tout autour d’eux en Europe. Même si les demandeurs déclarent que la situation en Pologne ne leur aurait pas procuré de protection, le fait qu’ils ne se soient pas rendus dans un autre pays de l’espace Schengen indique qu’ils n’éprouvaient aucune crainte subjective de persécution. En outre, la SPR a raisonnablement déduit que le demandeur principal ne faisait pas l’objet de tant de discrimination en Ukraine en tant que Rom puisqu’il a fait des études universitaires, qu’il a occupé un emploi stable et qu’il a obtenu des soins médicaux au besoin.

La question en litige no 2 : l’absence de fondement crédible

(1)               Les demandeurs

[21]           La SPR n’aurait pas pu conclure valablement qu’il n’existait aucun fondement crédible, parce qu’il y a des éléments de preuve indépendants et crédibles sous la forme de documents médicaux et de documents de police qui peuvent étayer une conclusion favorable à l’égard des demandes, ce qui n’a pas été mentionné dans la décision.

(2)               Le défendeur

[22]           Aucune erreur n’a été commise dans l’évaluation de la crédibilité des éléments de preuve et, par conséquent, aucune contestation sérieuse relativement aux conclusions de la SPR n’est soulevée.

VII.          L’ANALYSE

[23]           Les demandeurs ont soulevé plusieurs motifs justifiant une révision et je les examinerai successivement.

A.                L’omission d’appliquer la présomption de véracité

[24]           Les demandeurs se plaignent du fait que la SPR a rejeté leur demande parce que le demandeur principal a omis de produire les documents à l’appui de son affirmation selon laquelle il était un Rom, mais la SPR n’a pas indiqué quels documents d’identité le demandeur principal aurait pu présenter.

[25]           En fait, la SPR affirme que le demandeur principal aurait pu présenter des lettres provenant de membres de sa famille à l’appui de son identité personnelle. Les demandeurs soutiennent maintenant que la SPR a rejeté les photographies présentées, de sorte que [traduction] « il est difficile de conclure que la SPR aurait cru que les auteurs de lettres proposées a) étaient eux-mêmes des Roms; ou b) étaient des parents du demandeur ». Cette prétention n’est pas convaincante. En soi, les photographies n’établissent pas que la personne représentée est un Rom. Si elles avaient été accompagnées d’explications et de témoignages écrits quant à la façon dont le demandeur principal s’identifie comme un Rom et est perçu comme tel, cela aurait constitué un fondement à la demande. Le demandeur principal a allégué qu’il est demi-rom, parce que sa mère était une Rom. De ce fait, on aurait pu s’attendre à ce qu’il fournisse des documents (une lettre ou un certificat de naissance) pour établir qui est sa mère et qu’elle est une Rom. Les demandeurs n’ont pas produit de tels documents.

[26]           Le témoignage sous serment du demandeur principal n’a pas non plus été contredit. Comme le fait observer la SPR, les éléments de preuve ont révélé que le demandeur principal avait mené une vie qui ne révélait pas de discrimination, de persécution ou de risque personnel dont sont victimes les Roms comme il est décrit dans la preuve documentaire. Par le passé, il ne s’était pas vu refuser l’accès à l’emploi, aux études, aux soins de santé ou aux documents d’identité délivrés par le gouvernement. En outre, il n’avait eu aucune difficulté à se déplacer à l’extérieur de l’Ukraine ou à y revenir. De plus, il ne connaissait pas d’organisations roms en Ukraine, il n’a eu aucune interaction avec ces dernières et, dans son propre témoignage, il a dit qu’il était seulement demi-rom et qu’il n’avait pas grandi dans les traditions roms ou au sein d’une communauté rom. Comme le fait aussi observer la SPR, il [traduction] « est allé à l’école, a terminé des études postsecondaires et a voyagé à l’extérieur de l’Ukraine pendant de nombreuses années en détenant un passeport ». Le demandeur principal ne présentait pas le genre de profil pour étayer son allégation de base voulant que les autres personnes le percevraient comme un Rom et qu’il serait par conséquent victime de persécution et exposé à un tel risque. La SPR apprécie l’ensemble de la preuve et tire une conclusion sur la crédibilité au paragraphe 23 de la décision :

[traduction] Selon l’avocat, ces allégations reposent sur la crédibilité des demandeurs et comme ils ont témoigné de manière franche, sans omission ni embellissement, ils constituaient des témoins crédibles et, par conséquent, le tribunal devrait accepter l’identité personnelle du demandeur comme étant un Rom. Le tribunal n’est pas d’accord étant donné que le demandeur allègue la persécution en raison de son origine rom, des documents acceptables établissant son origine rom constitueraient un élément essentiel de l’allégation. Selon une prépondérance des probabilités, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas fourni de documents convaincants pour corroborer le fait qu’il a une origine rom, et le tribunal n’a pas conclu non plus que [sic] le témoignage du demandeur, en ce qui concerne son ethnicité perçue, était crédible.

[27]           Cette décision comporte la pondération de l’ensemble de la preuve présentée et souligne l’absence d’une preuve documentaire acceptable pour établir que le demandeur principal a été perçu, ou serait perçu, comme un Rom : [traduction] « Bien qu’il soit possible que l’histoire du demandeur soit véridique, le tribunal conclut, selon une prépondérance des probabilités, qu’elle ne l’est pas » (au paragraphe 28).

B.                 Les documents corroborants

[28]           Les demandeurs ont effectivement fourni des documents reliés à leurs expériences récentes, notamment :

a)      un extrait du carnet de santé du demandeur principal relativement à l’agression alléguée du 2 novembre 2014;

b)      une lettre de la police qui refuse d’ouvrir une enquête sur l’agression du 2 novembre 2014;

c)      un certificat délivré par le Bureau du psychothérapeute des enfants pour Marta;

d)     une inscription dans le carnet de santé du demandeur principal relativement à l’agression alléguée du 5 juillet 2015;

e)      le refus de la police d’ouvrir une enquête criminelle à l’égard de l’agression du 5 juillet 2015.

[29]           À l’exception du certificat médical pour la demanderesse mineure, Marta, que j’aborde plus loin, tous ces documents utilisent des expressions comme [traduction] « selon lui », « prétendument causée par votre ethnicité » et « selon ses dires ». Rien n’indique que les documents médicaux ou ceux de la police considéraient le demandeur principal comme un Rom. En réalité, le mot « rom » n’est jamais utilisé et le fait que les documents indiquent toujours clairement que « l’ethnicité » n’est rien de plus qu’une allégation porte à croire que le demandeur principal n’était pas identifié comme étant un Rom.

[30]           Les demandeurs se plaignent qu’ [traduction] « aucun de ces documents n’a été mentionné, et encore moins pris en considération par la SPR ». Ces documents ne sont pas mentionnés parce qu’ils n’offrent aucune preuve que le demandeur principal était perçu, ou aurait été perçu, comme un Rom. En fait, les documents indiquent clairement que les allégations d’ethnicité et de nationalisme provenaient des demandeurs et, comme le fait observer la SPR, le passé du demandeur principal ne permet pas de penser à un profil rom.

[31]           Ainsi, à mon avis, on ne peut pas dire, en utilisant les principes énoncés dans la décision Cepada, que la Cour devrait supposer que la SPR n’a pas examiné ces documents : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425. Le demandeur principal fait observer qu’il a fourni des éléments de preuve précis d’ethnicité dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et dans son témoignage oral, mais la SPR a conclu que son exposé de faits n’est pas véridique, selon une prépondérance des probabilités, parce qu’il n’a pas fourni des documents acceptables qui établissent son origine rom ni [traduction] « raisonnablement expliqué la raison pour laquelle aucun document n’était présenté ».

C.                 L’apparence

[32]           Les demandeurs se plaignent du fait que la SPR se fie aux apparences. Voici ce qu’ils soutiennent :

[traduction]

18.       En outre, la SPR a ensuite conclu que le témoignage du demandeur relativement à son « ethnicité perçue » n’était pas crédible. Premièrement, la SPR a tiré cette conclusion pour le motif que l’apparence du demandeur ne le distinguait pas apparemment comme étant un Rom.

19.       On fait valoir que cette analyse présente de graves problèmes. La SPR ne pouvait pas, comme elle croyait apparemment pouvoir le faire, présumer ce que les agents de persécution penseraient ou sauraient, d’après leurs propres perceptions de l’apparence du demandeur. Le demandeur a dit dans son témoignage que son teint semblait foncé par rapport à celui de la plupart des Ukrainiens. De toute évidence, la SPR n’était pas une spécialiste du teint moyen des Ukrainiens, et n’était pas non plus qualifiée pour comparer l’apparence du beau-frère du demandeur avec celle de telles personnes. En l’absence d’une telle expertise, on soutient que l’opinion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi qu’il était un Rom en fonction de son apparence, et qu’il ne serait pas reconnu comme un Rom pour ce motif, n’était que pure spéculation.

[Références omises.]

[33]           C’est le demandeur principal qui a soulevé la question de son « apparence » foncée comme raison principale du fait qu’il serait perçu comme un Rom. La SPR n’est peut-être pas une « spécialiste du teint moyen des Ukrainiens », mais on n’a pas besoin de connaissances approfondies pour comparer l’apparence du demandeur principal à celle de son beau-frère, un Ukrainien, et observer que [traduction] « le demandeur ne semblait pas avoir un teint ou des cheveux plus foncés que l’observateur dans la salle, Roman Klymyuk, le frère ukrainien au teint brun de la demanderesse ». Il incombait au demandeur principal d’établir que son apparence l’identifierait comme un Rom. Il n’y avait pas suffisamment de preuve sur ce point.

D.                La contrainte de démissionner de son emploi

[34]           Les demandeurs contestent aussi les conclusions de la SPR relativement au profil :

[traduction]

21.       Ensuite, la SPR a tiré la conclusion que le demandeur n’était pas perçu comme un Rom parce qu’il n’a pas souffert de ce qu’il considérait être de la discrimination vécue par les Roms ukrainiens.

22.       On soutient que la première erreur dans cette analyse découlait de la déclaration de la SPR selon laquelle le demandeur avait pu conserver un emploi

… sauf lorsqu’il a démissionné de son emploi.

23.       Cette déclaration ne tient pas compte de la preuve du demandeur selon laquelle il a été contraint de démissionner de son poste par un patron ultranationaliste, qui a menacé, s’il ne s’exécutait pas, que le patron ferait une inscription dans le carnet de travail du demandeur qui l’empêcherait même d’obtenir un emploi décent par la suite. On fait valoir qu’il s’agissait d’un excellent exemple du genre de discrimination décrite dans la preuve documentaire, pourtant la SPR n’en a tenu aucun compte.

[Renvois omis, souligné dans l’original.]

[35]           Les questions liées à l’emploi soulevées par les demandeurs faisaient partie de l’exposé des faits à l’égard duquel, selon une prépondérance des probabilités, la SPR a conclu qu’il était faux. Comme pour le reste de son exposé des faits, cet aspect de la demande a été rejeté parce que le demandeur principal n’a pas pu établir son identité rom au moyen de la preuve documentaire, et n’a pas pu raisonnablement expliquer la raison pour laquelle aucun document n’était présenté.

[36]           Une lecture de la décision dans son ensemble indique clairement que la SPR a conclu que les allégations précises de discrimination et de persécution en tant que Rom dont aurait fait l’objet le demandeur principal n’étaient pas convaincantes en raison d’autres éléments de preuve plus concluants selon lesquels il avait pu mener une vie qui, d’après les documents généraux, ne correspond pas au profil d’une personne identifiable comme un Rom, et parce qu’il n’a pas raisonnablement expliqué la raison pour laquelle il n’a présenté aucune preuve documentaire. Si le demandeur principal n’est pas en mesure d’établir son ethnicité rom, alors la SPR n’est pas tenue de retenir qu’il a été contraint de quitter son emploi pour des motifs de discrimination ethnique, en particulier parce qu’il avait été en mesure d’obtenir l’emploi au départ et qu’il semble avoir démissionné de son poste.

E.                 L’expérience de Marta

[37]           L’expérience de Marta est exposée en détail dans la décision :

[traduction]

[12]      Marta, la fille du demandeur, a hérité des traits foncés de son père et, au début de mars 2015, elle est revenue chez elle un jour parce qu’il y avait eu un vol dans sa classe. L’enseignant et d’autres enfants l’ont accusée. Plusieurs jours plus tard, le véritable coupable a été trouvé, mais personne n’a présenté d’excuses à sa fille. Le demandeur est allé parler au directeur et ce dernier est devenu agressif et a dit que les enfants roms étaient connus pour créer des problèmes en classe.

[38]           Ce que font valoir les demandeurs, comme dans l’incident concernant le nouveau patron, c’est que cela démontre que Marta, tout comme son père, est perçue comme une Rom. Mais, encore une fois, on présente ce fait comme un incident isolé de sorte que pour la SPR, il n’établit pas l’identité rom lorsque les documents portent à croire que, si Marta était perçue comme une Rom, elle aurait fait l’objet de beaucoup plus d’actes discriminatoires que celui-là, et parce que cela fait partie d’un exposé des faits qui n’est pas cru en raison de l’absence de documents sur le profil du demandeur principal comme étant une personne qui serait perçue comme un Rom. La situation de Marta n’a pas été ignorée. La SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve de discrimination, lorsqu’on l’examinait avec la preuve dans son ensemble, pour étayer l’affirmation selon laquelle le demandeur principal serait généralement perçu comme un Rom et serait victime des persécutions prévues à l’article 96, ou serait exposé aux risques énoncés à l’article 97.

F.                  La preuve documentaire

[39]           Les demandeurs affirment également que la SPR a commis une erreur susceptible de révision en ce sens qu’elle utilise la preuve documentaire pour nier que le demandeur principal ressemble à un Rom :

[traduction]

26. On soutient en outre qu’il n’y a aucun fondement à la conclusion de la SPR selon laquelle tous les Roms se voient refuser l’accès à des passeports, aux soins de santé et aux études. Le fait que le demandeur ait eu un passeport et ait eu accès à des soins de santé ne pouvait pas rationnellement mener à la conclusion qu’il n’a pas été agressé par des racistes pour des motifs liés à son ethnicité. À cet égard, encore une fois, la SPR n’a pas tenu compte de la preuve présentée par le demandeur selon laquelle le racisme anti-rom a pris de l’ampleur au cours des dernières années en Ukraine, et c’est pour cela que sa situation et celle de sa famille se sont nettement détériorées au cours de cette période.

[Souligné dans l’original.]

[40]           Comme la décision l’indique clairement, la SPR n’affirme pas que « tous » les Roms se voient refuser des passeports, des soins de santé et des études :

[traduction]

[26]      Le tribunal a examiné la preuve documentaire dans les documents de la Commission sur la situation dans le pays et dans les documents présentés par les avocats qui semblent indiquer que les Roms font l’objet de discrimination en Ukraine. On leur refuse régulièrement l’accès aux documents d’identité délivrés par le gouvernement, aux soins de santé, aux études et à l’emploi. Le tribunal fait remarquer que le demandeur n’a eu aucune difficulté à obtenir un passeport, des soins de santé et qu’il a toujours conservé un emploi sauf lorsqu’il a démissionné de son emploi. Il n’avait eu aucune difficulté à se déplacer à l’extérieur de l’Ukraine ou à y revenir.

[27]      Le tribunal estime que si le demandeur était perçu comme étant un Rom, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il fasse l’objet de la discrimination alléguée dans la preuve documentaire. On a interrogé le demandeur au sujet d’organisations qui travaillent avec la population rom en Ukraine; il a déclaré dans son témoignage qu’il y avait la Croix-Rouge, mais lorsqu’on l’a interrogé sur des organisations précises qui travaillent avec les Roms, le demandeur a déclaré qu’il n’en avait jamais entendu parler. La preuve documentaire indique qu’il y a environ 90 organisations roms non gouvernementales en Ukraine. Le tribunal fait observer que la connaissance de ces organisations en soi n’établit pas l’ethnicité d’une personne; cependant, ces organisations travaillent avec la population rom et elles seraient celles vers lesquelles se tourner pour obtenir de l’aide, par exemple, pour être en relation avec la police ou obtenir des documents ou de l’assistance avec les organismes gouvernementaux. Le tribunal rappelle que le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il n’a pas grandi dans les coutumes ou traditions roms, et qu’il n’a pas été élevé dans un peuplement rom. Bien qu’il ait indiqué dans son formulaire FDA qu’il parlait un peu le romani, il a déclaré dans son témoignage qu’il ne comprenait que quelques mots. Le tribunal relève que le demandeur est allé à l’école, a terminé des études postsecondaires et a voyagé avec un passeport à l’extérieur de l’Ukraine pendant de nombreuses années. Le tribunal ne conclut pas que le demandeur serait perçu comme un Rom d’après son apparence. Selon la preuve documentaire, le tribunal ne conclut pas non plus que le profil personnel du demandeur permettrait d’établir qu’il est un Rom.

[Renvois omis.]

[41]           Il est évident en l’espèce que la SPR ne s’est pas tout simplement appuyée sur les documents généraux sur la discrimination contre les Roms en Ukraine. Le fait que le demandeur principal n’ait pas fait régulièrement l’objet de discrimination est l’un des facteurs que la SPR prend en compte pour conclure qu’il n’a pas établi qu’il serait perçu comme étant un Rom.

G.                Se réclamer de nouveau de la protection et défaut de ne pas quitter le pays

[42]           Les demandeurs critiquent les conclusions de la SPR pour ce qui est de se réclamer de nouveau de la protection :

[traduction]

27.       La SPR a reproché aux demandeurs de s’être rendus en Pologne et d’être revenus en Ukraine sans demander l’asile, et qu’ils n’avaient pas demandé l’asile dans n’importe lequel des autres pays où leur visa Schengen les autorisait à entrer.

28.       La SPR a déclaré que les demandeurs étaient « en sécurité dans un deuxième pays » (la Pologne), mais qu’ils ont plutôt choisi de revenir en Ukraine. On soutient toutefois que les éléments de preuve étaient que la Pologne n’était pas un pays « sûr » pour les demandeurs. Ils ont affirmé avoir expressément demandé à des parents de Ruslan Somyk en Pologne s’ils devraient demander l’asile dans ce pays, mais qu’on leur a répondu que la situation pour les Roms était la même qu’en Ukraine. Contrairement à l’opinion de la SPR, il aurait par conséquent été illogique pour les demandeurs de demander l’asile en Pologne.

29.       Pour le reste des pays, on fait valoir que les demandeurs ne se sont jamais rendus dans un autre pays européen. Bien qu’un demandeur puisse être interrogé sur le fait de ne pas avoir demandé l’asile dans un pays qu’il a effectivement visité, aucun pouvoir [sic] n’exige d’un demandeur qu’il se rende dans un pays en particulier pour y demander l’asile simplement parce qu’il détient un visa qui lui permet d’y entrer provisoirement. Il n’y avait tout simplement aucun fondement à la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’éprouvaient pas une crainte subjective ou n’avaient pas un fondement objectif d’une telle crainte, parce qu’ils ont choisi de demander l’asile au Canada plutôt que dans l’un des 25 pays où ils ne sont jamais allés.

[Références omises.]

[43]           La SPR traite en profondeur de cette question :

[traduction]

[29]      Pour ce qui est de la crédibilité, le tribunal conclut que même s’il n’existait aucune contradiction importante entre le formulaire FDA et leur témoignage, le tribunal conclut que le demandeur et la demanderesse n’étaient pas crédibles pour se réclamer de nouveau de la protection. La « présomption » selon laquelle le témoignage sous serment d’un demandeur est véridique peut toujours être réfutée et, dans les circonstances appropriées, peut l’être par l’absence d’éléments de preuve documentaires mentionnant un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver.

[30]      Le requérant et sa famille ont voyagé à l’extérieur de l’Ukraine au moment des incidents avant [l]’incident de juillet 2015, mais après la perte de l’emploi en juin 2014, après l’agression de novembre 2014 et après les menaces proférées en novembre et février 2015. La famille avait le moyen de quitter le pays bien avant son départ en août 2015, en ce sens que tous les membres de la famille détenaient des visas Schengen valides pour voyager dans l’espace Schengen, plus précisément en Pologne. Le demandeur a détenu de nombreux visas Schengen, le dernier ayant expiré en 2016. Pourtant, à aucun moment le demandeur n’a demandé l’asile dans l’un des 26 pays de l’espace Schengen, expliquant que les membres de sa parenté lui avaient dit que les Roms étaient mal traités en Pologne et ailleurs dans l’espace Schengen. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il l’a vu à la télévision et sur Internet. La demanderesse a témoigné dans le même sens. Toutefois, le tribunal ne peut pas être d’accord. Le fait que les demandeurs étaient en sécurité dans un deuxième pays, mais ont choisi de revenir en Ukraine non pas une fois, mais plusieurs fois, est révélateur. Plus particulièrement, le fait qu’ils soient retournés dans la même région, au même appartement où ils étaient confrontés à des menaces, où les enfants mineurs faisaient l’objet de discrimination à l’école et où le demandeur s’était fait refuser un emploi et s’était fait agresser.

[31]      Le tribunal conclut que ces actions en disent long sur la crainte objective et subjective du demandeur. La famille avait la possibilité de quitter l’Ukraine et l’a fait, mais y est retournée. Il a expliqué qu’il n’a pas demandé l’asile en Pologne parce qu’il a entendu de la part de membres de sa parenté que ce n’était pas si facile que cela en Pologne ou ailleurs en Europe pour les Roms. Il avait vu à la télévision et sur Internet que c’était vrai. Le tribunal ne conclut pas que c’est le cas, peut-être que les membres de sa parenté ont eu des expériences négatives en Pologne; toutefois, l’espace Schengen compte 26 pays et il avait la possibilité d’aller dans chacun de ces pays et a choisi de revenir en Ukraine et d’y rester jusqu’en août 2015. Le tribunal conclut qu’il s’agit d’une recherche du meilleur pays d’asile, qu’il n’y avait aucune raison crédible pour laquelle il ne pouvait pas ou ne voulait pas demander l’asile dans l’un des 25 autres pays de l’espace Schengen. La Cour suprême du Canada a établi que pour obtenir le statut de réfugié, il faut respecter les deux éléments objectifs et subjectifs. Le tribunal constate que dans le cas de la décision Ilie, la Cour fédérale a conclu :

Le tribunal était autorisé à tenir compte du défaut du demandeur de revendiquer le statut de réfugié dans d’autres pays et à examiner comment le témoignage du demandeur devait être apprécié au regard de ce défaut[.]

[32]      Le tribunal a examiné la jurisprudence sur le défaut de revendiquer le statut de réfugié ailleurs. Dans la décision Gomez Bedoya, la Cour fédérale a conclu :

[I]l n’en demeure pas moins que les États‑Unis ont ratifié la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, et il n’y a aucune raison de croire qu’ils ne respectent pas leurs obligations. Le taux des demandes d’asile admises est peut‑être plus faible aux États‑Unis qu’au Canada, mais cela ne dispensait pas les demandeurs de solliciter l’asile aux États‑Unis. La Commission pouvait certainement prendre ce facteur en considération lorsqu’elle a évalué la crainte subjective de Mme Bedoya : Breucop c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 117; Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2001 (C.F. 1re inst.).

[33]      De même, dans la décision Assadi, la Cour a conclu :

L’omission de demander immédiatement protection peut attaquer la crédibilité du demandeur, y compris son témoignage sur les événements survenus dans son pays d’origine.

[34]      Le tribunal conclut qu’il est raisonnable que [sic] les demandeurs aient demandé l’asile s’ils craignaient véritablement pour leur vie, en particulier le demandeur qui avait voyagé à l’extérieur de l’Ukraine à de nombreuses reprises avant l’incident de juillet 2015, mais après celui de novembre 2014, et après les menaces proférées en février 2015. En outre, le tribunal conclut que les actes accomplis par les requérants qui les auraient mis en danger, c’est-à-dire revenir en Ukraine au même domicile, démentent leur crainte et rendent leurs motivations suspectes. Le tribunal estime que les requérants ne sont pas crédibles pour ce qui est de l’omission de ne pas demander l’asile ailleurs. Leur capacité de quitter l’Ukraine alors qu’ils sont revenus à la même adresse, dans la même ville où ils ont été confrontés à de la violence et à des menaces, les remet et met leurs enfants dans la situation dangereuse. Le tribunal conclut que cela porte un coup fatal à leur allégation de persécution.

[Références omises.]

[44]           Le demandeur principal ne pensait pas que sa situation serait meilleure en Pologne ou dans n’importe quel autre pays de l’espace Schengen, et pourtant il n’a présenté aucune preuve de discrimination ou de persécution à son endroit en Pologne. Les membres de la parenté des demandeurs leur ont peut-être dit que les Roms sont mal traités en Pologne et ailleurs dans l’espace Schengen, mais aucune preuve ne démontre que le demandeur principal ait été mal traité dans l’un de ces pays ou qu’il serait perçu comme étant un Rom s’il y allait. Sans preuve de discrimination ou de persécution dans un deuxième pays, les demandeurs ont choisi de revenir de la Pologne « dans la même région, au même appartement où ils étaient confrontés à des menaces, où les enfants mineurs faisaient l’objet de discrimination à l’école et où le demandeur s’était fait refuser un emploi et s’était fait agresser ».

[45]           Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en leur reprochant de faire la « recherche du meilleur pays d’asile » et en soutenant « qu’il n’y avait aucune raison crédible pour laquelle il ne pouvait pas ou ne voulait pas demander l’asile dans l’un des 25 autres pays [c.-à-d. autre que la Pologne] de l’espace Schengen ». Je suis d’accord avec les demandeurs que la jurisprudence citée par la SPR à ce sujet traite des demandeurs qui se rendent dans d’autres pays, mais qui omettent de demander protection dans ces pays avant de venir au Canada présenter une demande d’asile. En l’espèce, les demandeurs sont allés uniquement en Pologne dans l’espace Schengen. Cependant, la SPR fait aussi observer qu’il n’était pas nécessaire d’attendre de partir en août 2015 parce que, s’ils étaient réellement en danger, ils auraient pu partir plus tôt étant donné qu’ils détenaient des visas et pouvaient se rendre dans des pays de l’espace Schengen. Cependant, je ne pense pas que l’erreur de la SPR relativement à la « recherche du meilleur pays d’asile » ait été importante au point de vraisemblablement modifier la décision. La DPR insiste particulièrement sur les [traduction] « actes accomplis par les demandeurs qui les auraient mis en danger, c’est-à-dire revenir en Ukraine au même domicile » qui [traduction] « démentent leur crainte et rendent leurs motivations suspectes » :

Leur capacité de quitter l’Ukraine alors qu’ils sont revenus à la même adresse, dans la même ville où ils ont été confrontés à de la violence et à des menaces, les remet et met leurs enfants dans la situation dangereuse. Le tribunal conclut que cela porte un coup fatal à leur allégation de persécution.

De plus, la SPR fait valoir qu’ils auraient pu quitter plus tôt qu’ils ne l’ont fait, mais qu’ils ont choisi de demeurer à l’endroit où ils prétendaient être en danger.

H.                L’absence de fondement crédible

[46]           Les demandeurs soutiennent que puisque les conclusions de la SPR sur la crédibilité étaient déraisonnables, il s’ensuit que la conclusion relative à l’absence de fondement crédible ne peut pas tenir. Étant donné que j’ai conclu que les conclusions défavorables relativement à la crédibilité étaient raisonnables, il s’ensuit que je dois rejeter cette thèse.

[47]           Cependant, les demandeurs ajoutent :

[traduction]

31.       Quoi qu’il en soit, on soutient qu’il ne s’agit pas d’un cas où on aurait pu conclure valablement à une absence de fondement crédible. À cet égard, on fait valoir qu’il y avait des éléments de preuve « indépendants et crédibles » sous la forme des documents médicaux et des documents de police cités aux paragraphes 11 à 17 ci-dessus, que la SPR n’a pas mentionnés, mais qui auraient permis d’appuyer une décision favorable à l’égard des demandes. Cela étant, il n’était pas raisonnablement loisible au tribunal de conclure que les demandes du demandeur n’avaient aucun fondement crédible.

[48]           Même si j’accepte que la décision soit raisonnable, en ce sens qu’elle appartient aux issues possibles décrites dans l’arrêt Dunsmuir, je ne pense pas qu’il soit raisonnable ou possible, étant donné l’ensemble de la preuve, de conclure qu’il n’existait aucun fondement crédible à cette demande. Il s’agit d’une affaire pour laquelle il n’y a pas suffisamment de preuve; par contre, il y avait certains éléments de preuve – l’expérience de Marta, par exemple – qui auraient pu appuyer une décision favorable.

I.                   Conclusions

[49]           Il s’agit d’une affaire difficile qui, en fin de compte, repose sur l’absence de la part des demandeurs de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur principal serait perçu comme étant un Rom en Ukraine et qu’il serait, par conséquent, victime de persécutions selon la définition donnée à l’article 96 de la Loi, ou serait exposé à des risques, selon la définition de l’article 97, s’il y est renvoyé. La SPR expose des motifs clairs quant aux raisons pour lesquelles les éléments de preuve sont insuffisants. Il est possible de ne pas souscrire aux conclusions de la SPR, mais je ne pense pas que l’on puisse affirmer qu’elles n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Cela signifie que la Cour ne peut pas intervenir.

J.                   Les questions à certifier

[50]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est rejetée, sauf en ce qui concerne la conclusion relative à l’absence de fondement crédible.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3-16

 

INTITULÉ :

RUSLAN IHOROVYC SOMYK ET AL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Clifford Luyt

Pour les demandeurs

 

Rafeena Rashid

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Beiles

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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