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Date : 20161102

Dossier : T-2027-15

Référence : 2016 CF 1222

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

SONNY GAGNON

demandeur

et

MARK BELL, SHELDON ATLOOKAN, JOESEPH BAXTER, LUCIEN MENDOWAGON (ALIAS LUCIEN MATASAWAGON MENDOWEGAN), MARCEL GAGNON SR., ROBINSON MESHAKE, DOROTHY TOWEDO-BAXTER, BRENDA MEGAN et DAMIEN BOUCHARD

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

TABLE DES MATIÈRES

I. Résumé des faits  3

II. Thèses des parties  10

III. Questions en litige  12

IV. Discussion  12

A. La Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire et permettre au demandeur de présenter une demande de contrôle judiciaire visant plus d’une décision?  12

B. La coutume de la bande permet-elle aux présidents d’élection ou au conseil de bande de renverser les résultats de l’élection?  13

1) Norme de contrôle  13

2) Les présidents d’élection ou le conseil de bande peuvent-ils renverser les résultats de l’élection?  15

C. La Cour devrait-elle ordonner la délivrance d’un bref de quo warranto?  16

1) La Cour a-t-elle compétence sur la personne titulaire de la charge?  17

2) Le demandeur satisfait-il aux règles relatives à l’octroi du redressement sous la forme d’un bref de quo warranto, telles qu’elles sont énoncées dans la décision Jock?  17

a) Charge de nature publique  18

b) Exercice de la charge  18

c) Charge instituée par une loi fédérale  19

d) Adjoint ou préposé nommé à titre amovible  19

e) Acquiescement du demandeur  19

f) Intérêt véritable et qualité du demandeur pour poursuivre la demande  20

g) Épuisement de tous les recours internes  20

h) Fardeau  20

i) Disponibilité du bref de quo warranto comme réparation  20

3) La personne censée occuper une fonction officielle dispose-t-elle du fondement juridique requis pour occuper cette fonction?  21

a) Représentation des électeurs hors réserve  21

b) Chaîne de possession des boîtes de scrutin  26

c) Crainte raisonnable de partialité de la part des présidents d’élection  27

V. Conclusion  29

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire (la demande) présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-27 (la Loi) à l’encontre des décisions rendues par les défendeurs Brenda Megan et Damien Bouchard (les présidents d’élection) et les autres défendeurs le 7 novembre 2015 (l’élection) à titre de chef et de conseil de la bande de la Première Nation d’Aroland (PNA ou la bande), à savoir Dorothy Towedo à titre de chef et Mark Bell, Lucien Mendowegan, Marcel Gagnon Sr., Joe Baxter, Sheldon Atlookan et Robinson Meshake à titre de conseillers (collectivement, le conseil ou le conseil de bande).

[2]  Le demandeur sollicite la délivrance d’un bref qui s’apparente à un quo warranto, portant que le chef et le conseil élus le 7 novembre 2015 n’ont jamais occupé de fonction officielle, annulant les résultats de l’élection tenue dans la PNA le 7 novembre 2015, enjoignant aux parties de tenir une assemblée générale pour nommer de nouveaux présidents d’élection et ordonnant la tenue d’une nouvelle élection.

[3]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.  Résumé des faits

[4]  La PNA est une collectivité de la Première Nation située dans le nord de l’Ontario et compte environ 491 membres ayant droit de vote. La collectivité de la PNA tient des élections tous les deux (2) ans afin d’élire six (6) conseillers et un (1) chef. À l’heure actuelle, la procédure électorale de la PNA n’est régie ni par un code électoral écrit, ni par le règlement électoral pris en application de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5 (Loi sur les Indiens), ni par le nouveau système électoral prévu dans la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5. Le projet de code électoral Aroland First Nation Election Code Draft #8 n’a jamais été adopté ou ratifié par les membres de la PNA. Il est reconnu que la PNA fonctionne donc selon un code électoral oral, souvent appelé la [traduction] « coutume de la bande ».

[5]  Le 2 septembre 2015, lors d’une assemblée communautaire, Brenda Megan et Damien Bouchard ont été nommés respectivement présidente d’élection et président d’élection adjoint. Les présidents d’élection ont ensuite fixé les dates de vote par anticipation pour Thunder Bay et Aroland, la date de l’élection au 7 novembre 2015 et la date de l’assemblée de mise en candidature au 23 septembre 2015.

[6]  Le 3 septembre 2015, les présidents d’élection ont créé une page Facebook et ont publié les renseignements suivants : [traduction]

  • L’assemblée de mise en candidature pour les postes de chef et de conseil se tiendra le 23 septembre 2015 à 18 h à l’école Johnny Therriault Memorial, à Aroland.
  • Le vote par anticipation se tiendra à Aroland le 26 octobre 2015, de 8 h à 16 h.
  • Le vote par anticipation se tiendra à ThunderBay le 29 octobre 2015, de 8 h à 16 h, au Landmark Inn.
  • L’élection aura lieu le 7 novembre 2015 de 8 h à 20 h à l’école Johnny Therriault Memorial, à Aroland.

[7]  Un avis d’élection comprenant ces mêmes renseignements a également été affiché le 3 septembre 2015 à la tabagie locale, au bureau du conseil de bande et au centre de santé (tous situés dans la réserve) ainsi qu’à la station-service O’Sullivan (située hors réserve). Le même avis a été distribué à chaque résidence d’Aroland. Même si les élections de la PNA avaient auparavant été annoncées dans les médias imprimés, comme les journaux, les présidents d’élection n’ont utilisé que Facebook pour annoncer l’élection de 2015. Les membres hors réserve ont été informés de l’élection par l’intermédiaire de la page Facebook, par des membres de leur famille vivant toujours dans la réserve et par le bouche-à-oreille. Une fois informés, les membres de la PNA pouvaient communiquer avec les présidents d’élection pour demander un bulletin de vote.

[8]  L’assemblée de mise en candidature s’est tenue le 23 septembre 2015, comme prévu.

[9]  Le 25 septembre 2015, les dates de vote par anticipation ont été modifiées et publiées sur la page Facebook portant sur les élections au sein de la PNA. La date du vote par anticipation à Thunder Bay a été devancée, passant du 29 au 17 octobre 2015. La date du vote par anticipation à Aroland a été devancée, passant du 26 au 24 octobre 2015.

[10]  Le 15 octobre 2015, les dates de vote par anticipation ont de nouveau été modifiées en raison du décès d’un aîné de la collectivité. Les dates de vote par anticipation à Thunder Bay et à Aroland ont donc été modifiées, passant du 17 au 24 octobre 2015 et du 24 au 25 octobre 2015, respectivement.

[11]  Le vote par anticipation s’est déroulé les 24 et 25 octobre 2015 à Thunder Bay et à Aroland, respectivement.

[12]  Les élections ont eu lieu le 7 novembre 2015, de 8 h à 20 h, et les électeurs de la PNA admissibles et disposés à voter ont choisi d’élire un nouveau conseil et un nouveau chef à l’école Johnny Therriault Memorial. Après la clôture du scrutin, les présidents d’élection ont procédé au dépouillement du vote à l’école Johnny Therriault Memorial devant, entre autres, Gloria Wabasson, Dorothy Towedo-Baxter et le demandeur. Les résultats de l’élection ont été annoncés après minuit ce soir-là sur la page Facebook, par Damien Bouchard, président d’élection adjoint, de la façon suivante :

Mark Bell. Sheldon Atlookan. Joe Baxter. Louie Mendowagon. Marcel Gagnon Sr. Robinson Meshake. Conseillers. Dorothy Towedo, à titre de chef.

[13]  Le 9 novembre 2015, le demandeur, qui est également le chef sortant de la PNA, a envoyé un courriel à l’administratrice de bande (Patricia Magiskan), aux cogestionnaires (Cupri Consulting et Alice Towedo) ainsi qu’aux anciens membres du conseil de bande non élus afin d’exprimer ses préoccupations quant à l’élection et de demander un recomptage officiel. Le demandeur a allégué ce qui suit :

  • a) De nombreux membres de la PNA avaient communiqué avec le demandeur en lui indiquant ne pas avoir été informés de l’élection ou ne pas avoir reçu d’instructions claires sur la façon de voter.

  • b) Les dates de vote par anticipation à ThunderBay et à Aroland avaient été modifiées à deux reprises.

  • c) Les boîtes de scrutin n’avaient pas été supervisées en tout temps de façon adéquate.

  • d) Certains bulletins de vote postaux n’affichaient aucun timbre, indiquant qu’ils n’avaient pas été traités par le système postal.

  • e) Seuls 41 des 50 bulletins de vote postaux envoyés aux électeurs sont revenus avec des votes.

  • f) Le père du président d’élection adjoint (Damien Bouchard) se portait candidat au poste de chef lors de cette élection.

  • g) Le conjoint de la présidente d’élection (Brenda Megan) se portait candidat à un poste de conseiller.

[14]  De plus, le 9 novembre 2015, le chef et les nouveaux membres du conseil ont adopté la résolution du conseil de bande 15/16 no 015 déclarant que le conseil nouvellement élu devrait entrer en poste à la même date, en fonction des élections du 7 novembre 2015.

[15]  Le 11 novembre 2015, l’administratrice de bande a retenu les services du cabinet Buset & Partners LLP (B&P), le conseiller juridique de la bande, afin de procéder à l’examen de l’élection du 7 novembre 2015. Le même jour, B&P a envoyé un courriel à l’administratrice de bande, à l’un des cogestionnaires de la bande (Ryan Bliznikas) ainsi qu’à la présidente d’élection (Brenda Megan) demandant certains documents, notamment un rapport officiel sur l’élection et d’autres renseignements pertinents requis pour procéder à l’examen de l’élection. Mme Megan soutient n’avoir reçu ou lu ce courriel qu’après le 11 novembre 2015. Elle reconnaît également avoir entendu parler d’un appel portant sur le déroulement de l’élection peu de temps après l’élection.

[16]  Le 13 novembre 2015, B&P a rencontré l’administratrice de bande, l’un des cogestionnaires de la PNA (Crupi Consulting) et le demandeur pour discuter de l’élection et donner un avis juridique sur le déroulement de l’élection et les mesures à adopter.

[17]  Le 14 novembre 2015, le demandeur a écrit aux présidents d’élection pour leur demander un rapport sur l’élection et leur communiquer d’autres préoccupations, y compris les allégations suivantes :

  • a) Les bulletins de vote et la liste des électeurs étaient numérotés, portant ainsi atteinte au caractère anonyme du mode de scrutin.

  • b) La présidente d’élection a personnellement recueilli le bulletin de vote d’un électeur.

  • c) Le bulletin de vote d’un électeur de Nakina a été recueilli par un autre membre de la bande.

  • d) Deux membres admissibles se sont vu refuser le droit de vote sans aucune raison valable.

[18]  Le 17 novembre 2015, les présidents d’élection ont rempli un rapport sur l’élection [le rapport sur l’élection] et l’ont remis au bureau du conseil de bande. Le rapport sur l’élection indiquait que 239 des 248 membres vivant dans la réserve avaient voté, tandis que seuls 118 des 245 membres vivant hors réserve avaient voté. Il s’agit d’un taux de participation de 96 % pour les membres vivant dans la réserve et de 48 % pour les membres vivant hors réserve. Le demandeur a perdu l’élection par neuf (9) voix.

[19]  Le 18 novembre 2015, il a demandé à recevoir une copie du rapport sur l’élection.

[20]  Le 21 novembre 2015, le demandeur a écrit aux gestionnaires de la bande pour demander, une troisième fois, un recomptage des bulletins de vote.

[21]  Ce même jour, B&P a transmis par courriel un avis juridique sur le déroulement de l’élection au nouveau chef et au nouveau conseil de bande. B&P était d’avis que l’élection comprenait suffisamment d’irrégularités, et que le nombre de votes touchés suffisait à influencer le résultat de l’élection. Selon B&P, une nouvelle élection devait être tenue en ce qui concerne les postes de chef et de conseillers, et une prolongation de mandat, dans l’intérim, devait être consentie au demandeur et à son conseil.

[22]  L’avis de B&P reposait, en partie, sur des lettres d’électeurs recueillies par le demandeur et sur le témoignage non vérifié de ce dernier concernant d’autres questions. Aucune de ces lettres n’a été présentée à la Cour ou n’a été corroborée par une déclaration assermentée, à l’exception de l’affidavit de Mme Ella Gagnon. De plus, l’avis de B&P était fondé sur le Aroland First Nation Custom Election Code Draft #8, un code électoral n’ayant jamais été adopté par la PNA ainsi que sur des lois et règlements non applicables à l’élection au sein de la PNA, comme le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952 et la Loi sur les élections au sein de premières nations.

[23]  Le 22 novembre 2015 ou aux alentours de cette date, le nouveau chef et le nouveau conseil ont été assermentés.

[24]  Le 24 novembre 2015, une assemblée de la bande s’est tenue à Aroland pour répondre aux préoccupations entourant l’élection. La présidente d’élection, Mme Megan, n’était pas présente. Au cours de cette assemblée, une première motion a été adoptée voulant que la collectivité reconnaisse le chef et le conseil nouvellement élus comme étant l’organe directeur de la PNA. Une deuxième motion a été adoptée enjoignant au nouveau conseil de la PNA de démettre de ses fonctions l’administratrice de bande en poste, Patricia Magiskan.

[25]  Le 26 novembre, Patricia Magiskan a été suspendue de son poste d’administratrice de bande en raison des mesures [traduction] « prises en vue d’interjeter appel de l’élection [...] durant ses heures de travail ». Mme Magiskan soutient que sa suspension découle de sa décision de demander au conseiller juridique de la bande de vérifier la légalité de l’élection.

[26]  Le 2 décembre 2015, M. Gagnon a déposé la présente demande de contrôle judiciaire demandant notamment à la Cour :

  1. d’annuler les résultats de l’élection du 7 novembre 2015;

  2. de délivrer un bref de quo warranto, portant que le chef et le conseil élus le 7 novembre 2015 n’ont jamais occupé de fonction officielle;

  3. de délivrer un bref de mandamus enjoignant aux parties d’organiser une assemblée générale pour nommer de nouveaux présidents d’élection et tenir une nouvelle élection.

II.  Thèses des parties

[27]  Le demandeur résume les principales observations de son mémoire de la façon suivante :

[traduction]

19. L’élection ne s’est pas déroulée de façon à intégrer suffisamment les points de vue des électeurs vivant hors réserve, tant en ce qui a trait à la nomination des présidents d’élection qu’aux mises en candidature et aux avis. Cette situation a eu une incidence sur les résultats de l’élection.

20. Toutefois, la présente demande de contrôle judiciaire porte sur la conduite des présidents d’élection, du nouveau chef et du nouveau conseil à la suite des plaintes et des appels, et il importe de préciser qu’aucune réponse n’a été donnée.

[28]  Plus précisément, le demandeur soutient que la décision d’informer les membres de la PNA vivant hors réserve de la tenue d’une élection que par l’intermédiaire d’une page Facebook et du bouche-à-oreille ne constitue pas un avis d’élection approprié.

[29]  Le demandeur reconnaît qu’en matière d’élections, la coutume de la bande ne prévoit aucune disposition sur les recomptages, les appels ou l’examen des irrégularités dans le cadre d’élections au sein de la bande puisqu’il n’y a jamais eu contestation d’une élection tenue dans la PNA. Il soutient plutôt que la coutume de la bande doit être conforme à la règle de droit et qu’il avait droit à l’équité procédurale. Il affirme qu’en raison des décisions qu’ils ont rendues, les présidents d’élection ou le conseil l’ont traité injustement en refusant de traiter ses plaintes sérieuses et documentées portant sur l’élection.

[30]  Les défendeurs élus font valoir que la plainte ne leur a pas été dûment communiquée, mais qu’elle a plutôt été transmise aux gestionnaires de la bande. La Cour écarte cet argument, et conclut que tous les défendeurs étaient suffisamment informés des plaintes du demandeur et que ces plaintes étaient susceptibles d’influencer les résultats de l’élection si elles étaient retenues.

[31]  Les présidents d’élection affirment qu’ils constituent des offices fédéraux et que leurs décisions sont susceptibles de contrôle par la Cour fédérale. Ils soutiennent aussi qu’en tant que tribunal administratif, la demande devrait être rejetée, parce qu’il est inapproprié de les ajouter comme partie à la présente instance en l’absence d’une loi en ce sens.

[32]  Tous les défendeurs soutiennent que le demandeur n’a pas fourni un témoignage sous serment direct établissant que les électeurs vivant hors réserve n’avaient pas été informés de la tenue de l’élection, n’avaient pas été mesure de voter ou que l’utilisation d’une page Facebook pour communiquer des avis et de l’information sur l’élection avait eu une quelconque incidence sur les résultats de l’élection.

[33]  Aucun des défendeurs n’affirme que l’assemblée communautaire du 24 novembre 2015 était un processus d’appel ou un réexamen des plaintes du demandeur sur l’intégrité de l’élection.

III.  Questions en litige

[34]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. La Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire et permettre au demandeur de présenter une demande de contrôle judiciaire visant plus d’une décision?

  2. La coutume de la bande permet-elle aux présidents d’élection ou au conseil de bande de renverser les résultats de l’élection?

  3. La Cour devrait-elle ordonner la délivrance d’un bref de quo warranto?

IV.  Discussion

A.  La Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire et permettre au demandeur de présenter une demande de contrôle judiciaire visant plus d’une décision?

[35]  Le demandeur demande à la Cour d’examiner une panoplie de décisions rendues par les présidents d’élection ainsi que par le chef et le conseil nouvellement élus. L’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), édicte que « la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée ». Toutefois, cette règle ne s’applique pas « lorsqu’il s’agit d’une même série d’actes » (Shotclose c Première Nation Stoney, 2011 CF 750, au paragraphe 64 [Shotclose]).

[36]  À l’instar de la décision Anichinapéo c Papatie, 2014 CF 687, au paragraphe 19 [Anichinapéo], j’estime en l’espèce que « les différentes décisions contestées sont étroitement liées et découlent d’une même série d’évènements ». Je remarque de plus que les défendeurs ne se sont pas opposés à la présente demande de contrôle judiciaire portant sur les différentes questions soulevées et qu’ils ont reconnu implicitement le bien-fondé de cette démarche en présentant des questions et des arguments eux-mêmes portant sur la conduite et les décisions des présidents d’élection et du conseil de bande (Anichinapéo, au paragraphe 31). Subsidiairement, même si je devais avoir tort sur ce point, j’exercerais le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par l’article 55 des Règles pour permettre aux parties de se soustraire à l’application de l’article 302.

B.  La coutume de la bande permet-elle aux présidents d’élection ou au conseil de bande de renverser les résultats de l’élection?

1)  Norme de contrôle

[37]  Les parties ont défendu leur position comme si la présente affaire portait sur le contrôle de la décision du conseil ou des présidents d’élection concernant leur refus d’entendre les plaintes du demandeur.

[38]  La Cour conclut qu’aucune coutume de la bande ne concerne les appels en matière d’élections, comme elle le comprend de la position du demandeur. En effet, aucune élection n’a jamais été contestée de façon à donner naissance à une telle coutume. L’argument du demandeur voulant que cela n’exclue pas la possibilité de conclure à l’existence d’une coutume est illogique. Le demandeur a le fardeau d’établir l’existence d’une coutume et, en l’espèce, il n’y a aucun élément de preuve établissant l’existence d’un consensus au sein de la communauté pour corroborer son allégation. C’est pour ce motif qu’il s’appuie sur la jurisprudence de la Cour qui applique les principes d’équité procédurale en l’absence de toute coutume régissant la question : Shotclose, au paragraphe 97, Sparvier c Bande indienne Cowessess, 1993 CarswellNat 808, aux paragraphes 1 à 15 (CF 1re inst.) [Sparvier]. Toutefois, en l’absence d’une coutume régissant les appels en matière d’élections, les défendeurs n’ont pas compétence ni pour entendre de tels appels ni pour rendre des décisions relativement à de tels appels. Par conséquent, la demande du demandeur de se voir accorder l’équité procédurale dans le cadre du processus menant à une décision que ni les présidents d’élection ni le conseil de bande n’ont compétence pour rendre ne peut être retenue.

[39]  Si la question de l’interprétation de la compétence des défendeurs à entendre un appel avait été soulevée, je l’aurais examinée selon la norme de la décision correcte (Première nation no 195 de Salt River c Martselos, 2008 CAF 221, au paragraphe 30 [Salt River Nation], concluant que « [...] bien que le conseil jouisse d’une plus grande expertise relativement à des questions comme la connaissance des coutumes de la bande et la détermination des faits [...], les conseillers, qui sont élus par les membres de la PNSR, n’ont pas d’expertise particulière dans l’interprétation du code électoral [...], et n’ont certes pas à cet égard une expertise plus grande que celle de notre Cour ». [références omises] Voir également Joseph c Schielke, 2012 CF 1153, au paragraphe 25.

[40]  En outre, l’absence de toute coutume en matière d’appels d’élections est précisément le genre d’affaire où le recours au bref de quo warranto peut être utilisé. Si la « qualité pour agir » peut être établie en ce qui a trait au bref de quo warranto, alors la Cour doit déterminer que la personne censée occuper une fonction officielle ne dispose pas du fondement juridique requis pour occuper cette fonction. J’en viens à la conclusion que le bref de quo warranto s’applique à l’espèce. À ce titre, la Cour examinera les arguments du demandeur voulant que l’élection n’ait pas été conduite équitablement selon la coutume de la bande.

[41]  Cela ne signifie pas que les questions d’équité procédurale ne puissent pas faire l’objet d’un examen dans le cadre d’une analyse portant sur le bref de quo warranto. En outre, en l’espèce, une de ces questions est soulevée quant à la prétendue partialité des présidents d’élection. J’y reviendrai plus loin.

[42]  Pour le reste, l’appréciation des faits et des mesures prises selon la coutume de la bande doit se faire selon la norme de la décision raisonnable. Cela vaut pour la plainte principale du demandeur quant au traitement des membres hors réserve.

2)  Les présidents d’élection ou le conseil de bande peuvent-ils renverser les résultats de l’élection?

[43]  Il est bien établi dans la jurisprudence que la coutume doit être établie par la partie qui cherche à l’invoquer (Anichinapéo, au paragraphe 46; Taypotat c Taypotat, 2012 CF 1036, au paragraphe 28; Francis c Conseil mohawk de Kanesatake, 2003 CFPI 115, au paragraphe 21). Je conclus, comme mentionné précédemment, que la coutume de la bande en matière d’élections ne comprend aucune coutume régissant le renversement des résultats de l’élection. Une fois encore, la présente affaire s’apparente à la décision Anichinapéo, tranchée par le juge de Montigny, étant donné que la coutume de la bande de la PNA ne confère aucun pouvoir aux présidents d’élection ou au conseil de bande de renverser les résultats d’une élection. Par conséquent, ni les présidents d’élection ni le conseil de bande n’ont compétence pour renverser les résultats d’une élection sans le consentement de la collectivité.

[44]  Bien que le demandeur ait présenté sa demande de réparation par la voie d’un bref de quo warranto, aucune observation appropriée sur cette question n’a été présentée à la Cour. Cependant, étant donné l’absence d’une coutume permettant à un membre ou un organisme au sein de la collectivité de la PNA de renverser les résultats d’une élection, ceux-ci ne peuvent que faire l’objet d’une contestation sous la forme d’un bref de quo warranto suivant le paragraphe 18(1) de la Loi. Comme l’a indiqué le juge de Montigny, « [c]e résultat n’est peut-être pas souhaitable, et il serait sans doute préférable que ces questions soient tranchées au sein même de la communauté par le biais d’un mécanisme interne. Mais tant et aussi longtemps que la communauté ne s’entendra pas sur un tel mécanisme [...], c’est à la Cour qu’il reviendra de décider ces questions » (Anichinapéo, au paragraphe 43).

C.  La Cour devrait-elle ordonner la délivrance d’un bref de quo warranto?

[45]  Il faut répondre aux questions suivantes par l’affirmative pour déterminer si une élection doit être annulée et ordonner la délivrance d’un bref de quo warranto pour démettre une personne de ses fonctions :

  1. La Cour a-t-elle compétence sur la personne titulaire de la charge?

  2. Le demandeur satisfait-il aux règles relatives à l’octroi du redressement sous la forme d’un bref de quo warranto, telles qu’elles sont énoncées dans la décision Jock c R, 1991 CarswellNat 126 (CF 1re instance) [Jock]?

  3. La personne censée occuper une fonction officielle dispose-t-elle du fondement juridique requis pour occuper cette fonction?

[46]  J’analyse chacune de ces questions plus loin.

1)  La Cour a-t-elle compétence sur la personne titulaire de la charge?

[47]  La Cour fédérale a compétence exclusive pour décerner un bref de quo warranto contre tout office fédéral, commission ou autre tribunal ainsi que pour entendre et trancher toute demande visant une réparation de telle nature (paragraphe 18(1) de la Loi). La Cour fédérale a également compétence sur les élections tenues selon la coutume (Sparvier, aux paragraphes 11 à 15). Il est acquis en matière jurisprudentielle qu’aux fins d’un contrôle judiciaire, un conseil de bande indienne constitue un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi (Sparvier, au paragraphe 13). Par conséquent, la Cour a compétence sur le chef et le conseil de la PNA.

2)  Le demandeur satisfait-il aux règles relatives à l’octroi du redressement sous la forme d’un bref de quo warranto, telles qu’elles sont énoncées dans la décision Jock?

[48]  Les règles applicables servant à déterminer si la Cour peut accorder une ordonnance de quo warranto sont les suivantes (Jock, au paragraphe 49) :

1. Il doit s’agir d’une charge de nature publique.

2. Il faut que le titulaire ait déjà exercé la charge; il ne suffit pas qu’il ait simplement revendiqué le droit de le faire.

3. Il faut que la charge ait été instituée par la Couronne, en vertu d’une charte royale ou d’une loi du Parlement.

4. Le titulaire de la charge ne doit pas être un adjoint ou un préposé nommé à titre amovible.

5. Est irrecevable la demande de réparation d’un demandeur qui a acquiescé à l’usurpation de la charge ou qui a exercé le recours avec un retard indu.

6. Il faut que le demandeur ait un intérêt véritable à engager les procédures. De nos jours, n’importe qui aura probablement un intérêt suffisant à agir, pourvu qu’il n’agisse pas pour le compte d’intérêts privés.

La Cour peut tenir compte des facteurs suivants dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Dussault et Borgeat, Traité de droit administratif, 1990, page 388) :

7. La qualité du demandeur pour poursuivre la demande.

8. Le caractère raisonnable du délai écoulé depuis l’élection.

9. L’opportunité d’exiger que tous les recours internes aient d’abord été épuisés.

Les facteurs supplémentaires suivants doivent être pris en compte en ce qui concerne le recours au bref de quo warranto :

10. Incombe-t-il au demandeur ou au défendeur d’établir le bien-fondé de sa cause?

11. Le bref de quo warranto peut-il être accordé indépendamment de tout autre recours?

[49]  J’appliquerai plus loin ces facteurs à l’affaire en instance.

a)  Charge de nature publique

[50]  Le demandeur sollicite une ordonnance de quo warranto contre le chef et le conseil nouvellement élus. Dans la décision Jock, le juge Teitelbaum a conclu que les charges de conseiller et de chef étaient « de nature publique » (voir également Bone c Sioux Valley Indian Band No 290, 1996 CarswellNat 150, au paragraphe 84 (C.F. 1re inst.) [Bone]).

b)  Exercice de la charge

[51]  Il est admis que les défendeurs élus ont exercé les fonctions de chef et de conseillers de la PNA depuis l’élection.

c)  Charge instituée par une loi fédérale

[52]  Comme il a été mentionné précédemment, il est possible d’affirmer que les charges de conseillers et de chef ont été instituées par la Loi sur les Indiens, même si le conseil de bande est élu suivant la coutume de la bande (voir les décisions Jock, au paragraphe 53 et Bone, au paragraphe 84).

d)  Adjoint ou préposé nommé à titre amovible

[53]  Les charges de chef et de conseillers de la PNA sont des postes auxquels ces personnes ont été élues. Ces représentants élus de la PNA ne peuvent être congédiés au gré d’une autre personne.

e)  Acquiescement du demandeur

[54]  Comme l’a mentionné le juge Teitelbaum dans la décision Jock, au paragraphe 49, « Est irrecevable la demande de réparation d’un demandeur qui a acquiescé à l’usurpation de la charge ou qui a exercé le recours avec un retard indu ». En l’espèce, la demande a été présentée sans délai.

f)  Intérêt véritable et qualité du demandeur pour poursuivre la demande

[55]  Comme le demandeur est membre de la PNA, vit dans la réserve, était l’ancien chef de la PNA et candidat à l’élection, je conclus qu’il a un intérêt suffisant dans l’affaire pour poursuivre la présente demande.

g)  Épuisement de tous les recours internes

[56]  Dans la décision Jock, au paragraphe 66, le juge Teitelbaum a mentionné que [traduction] « lorsque la loi prévoit un autre recours, on ne peut avoir recours au quo warranto pour contester une élection ». Ayant conclu que ni les présidents d’élection ni le conseil de bande n’étaient habilités, selon la coutume de la bande, à renverser les résultats de l’élection, je conclus que le demandeur avait épuisé tous les autres recours à sa disposition.

h)  Fardeau

[57]  Il incombe au demandeur d’établir en quoi les défendeurs élus n’occupent pas légalement leur charge (voir la décision Bone, au paragraphe 105).

i)  Disponibilité du bref de quo warranto comme réparation

[58]  Compte tenu de ce qui précède, j’estime que le bref de quo warranto est un recours disponible et approprié dans les circonstances si le demandeur établit l’absence de fondement juridique à l’occupation des charges respectives de chef et de conseil.

3)  La personne censée occuper une fonction officielle dispose-t-elle du fondement juridique requis pour occuper cette fonction?

[59]  En l’espèce, le chef et le conseil nouvellement élus ont, à première vue, été dûment élus selon la coutume de la bande. Il incombe donc au demandeur d’établir en quoi les défendeurs élus n’occupent pas légalement leur charge (voir la décision Bone, au paragraphe 105). Une élection est présumée valide et « le scrutin n’est considéré comme entaché de vices que s’il est démontré que les irrégularités étaient telles que, selon la prépondérance des probabilités, le résultat des élections aurait pu être différent [...] » (Assiniboine c Meeches, 2013 CAF 177, au paragraphe 63), lequel est déterminé par le « critère du nombre magique » établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, au paragraphe 71 [Opitz]. Le fardeau de la preuve incombe toujours à la partie qui demande l’annulation d’une élection (ibid., au paragraphe 52).

[60]  Le demandeur soutient qu’un certain nombre d’irrégularités au cours de l’élection ont eu une incidence sur le résultat de l’élection, ce que la Cour abordera plus loin.

a)  Représentation des électeurs hors réserve

[61]  Le demandeur soulève des préoccupations sur le déroulement de l’élection, qui, selon lui, ne s’est pas fait de façon à intégrer suffisamment les points de vue des électeurs vivant hors réserve, tant en ce qui a trait à la nomination des présidents d’élection qu’aux mises en candidature et aux avis. Il soutient que ces irrégularités ont influencé le résultat de l’élection.

[62]  La nomination des présidents d’élection et l’assemblée de mise en candidature semblent s’être déroulées de la même façon que par le passé. Les circonstances entourant la nomination des présidents d’élection et l’assemblée de mise en candidature étaient connues du demandeur avant la publication des résultats de l’élection. Or, le demandeur n’a fait état de ses doutes qu’après avoir été défait à l’élection. Plus de 50 % des électeurs admissibles ont participé à l’élection de novembre 2015. Rien n’indique qu’un membre de la bande ait contesté le déroulement de l’élection selon la coutume de la bande, que ce soit avant ou durant l’élection. La conduite des membres de la PNA en acceptant la nomination et les procédures de mise en candidature est un élément de preuve suffisant pour conclure que ces procédures étaient « généralement acceptables pour les membres de la bande [et] font donc l’objet d’un large consensus », et qu’elles reflètent la coutume de la bande de la PNA (voir les décisions Bigstone c Big Eagle, 1992 CarswellNat 721, au paragraphe 20 (CF 1re inst.) et Bone, au paragraphe 65). Je conclus donc que la nomination des présidents d’élection et la tenue de l’assemblée de mise en candidature se sont déroulées conformément à la coutume de la bande.

[63]  Les électeurs hors réserve ont été informés de la tenue de l’assemblée de mise en candidature, du vote par anticipation et de l’élection par l’intermédiaire de la page Facebook sur l’élection au sein de la PNA. La coutume de la bande de la PNA n’étant pas écrite, il est impossible pour la Cour de savoir si la coutume était de publier un avis dans le journal ou de communiquer simplement un avis d’élection approprié aux membres hors réserve. Si la seconde option est retenue, la décision des présidents d’élection de communiquer les avis par l’intermédiaire d’une page Facebook pourrait être raisonnable. Cependant, si la coutume veut qu’il faille plutôt publier un avis dans le journal, la décision des présidents d’élection de ne pas publier dans le journal pourrait être déraisonnable. Étant donné la nature évolutive d’une coutume de bande et du pouvoir discrétionnaire conféré aux présidents d’élection, la Cour conclut que la coutume voulait que les membres hors réserve reçoivent un avis approprié. La question de savoir si l’avis publié sur la page Facebook était raisonnable dépend de son efficacité à rejoindre les membres hors réserve par rapport aux avis publiés dans le journal par le passé.

[64]  Pour que la preuve par ouï-dire soit recevable, les exigences de nécessité et de fiabilité découlant de la « méthode fondée sur des principes » doivent être respectées : R c Khan, [1990] 2 RCS 531, aux pages 546 et 547 (CSC). Ces exigences visent à trouver l’équilibre entre l’intérêt de la justice et l’obligation d’assurer la fiabilité de la preuve pour préserver l’intégrité du processus juridique de recherche de la vérité. La lettre d’opinion de B&P quant à la validité de l’élection ainsi que plusieurs affidavits produits par le demandeur débordent d’éléments de preuve par ouï-dire. Or, celui-ci n’a pas convaincu la Cour de leur fiabilité ou de leur nécessité.

[65]  L’affidavit de Mme Ella Gagnon, membre hors réserve de la PNA, à Thunder Bay, en Ontario, indique qu’elle a manqué le vote anticipé à Thunder Bay, parce qu’elle ne savait pas que le bureau de vote fermait ses portes avant 20 h. Cet élément de preuve est admissible, mais n’est pas très utile à la cause du demandeur. Mme Gagnon a appris la tenue de l’élection d’un membre vivant dans la réserve de la PNA, ce qui explique pourquoi elle connaissait la date du vote par anticipation, mais non l’heure de fermeture du bureau de vote. Elle n’a pas indiqué qu’elle avait accès à Facebook ou qu’elle était généralement informée de la tenue d’élections au moyen du journal. Le témoignage de Mme Gagnon indique seulement qu’elle n’a pas été avisée adéquatement de l’élection, et non qu’elle l’aurait été si les avis avaient été publiés dans les journaux. Sa déclaration selon laquelle son fils, sa fille et sa petite-fille n’aient pu voter à l’élection pour la même raison constitue du ouï-dire et la Cour ne peut en tenir compte.

[66]  Le seul élément de preuve indiquant que l’avis publié sur Facebook ait pu avoir une incidence sur la participation des électeurs est le rapport sur l’élection. Ce rapport indique que le taux de participation des électeurs hors réserve était de 48 %, tandis qu’il était de 96 % chez les électeurs vivant dans la réserve. Or, rien n’indique que le taux de participation des membres hors réserve à l’élection de novembre 2015 différait sensiblement du taux de participation aux élections précédentes. Selon la preuve, aucun rapport de ce genre n’a été rédigé au cours des élections précédentes.

[67]  Le demandeur soutient que les éléments de preuve présentés suffisent à établir l’existence de problèmes importants dans le déroulement de l’élection de façon à transférer le fardeau de la preuve aux défendeurs, qui doivent ensuite démontrer que l’élection s’est déroulée selon la coutume de la bande (Laboucan c Loonskin, 2008 CF 193, au paragraphe 13). Toutefois, les éléments de preuve susmentionnés ne font qu’établir que le taux de participation à l’élection était considérablement plus élevé chez les membres vivant dans la réserve que chez les membres hors réserve.

[68]  Même si, de l’avis de B&P, je devais tenir compte de toute la preuve par ouï-dire, ce ne serait pas suffisant pour convaincre la Cour que le résultat de l’élection en aurait été touché de façon appréciable. L’analyse selon le critère du nombre magique, effectuée par B&P, est fondée, entre autres, sur sept (7) lettres provenant de membres de la PNA qui affirment ne pas avoir été en mesure de voter ou ne pas avoir été informés de la tenue de l’élection, les déclarations non vérifiées du demandeur et les commentaires publiés sur la page Facebook de l’élection au sein de la PNA. En plus de constituer du ouï-dire, cet élément de preuve est peu fiable pour plusieurs raisons. Par exemple, les circonstances entourant le fait que certains membres (Liz Jabic, Mason Jabic, Merle Jabic et Bill Johnson) n’ont pas reçu leur bulletin de vote par la poste restent inexpliquées. Il est donc impossible pour la Cour de déterminer si ces membres ont même demandé à recevoir un bulletin. La Cour n’est également pas en mesure de savoir si Ricky Medowegan et Annabelle Mendowegan ont finalement voté, après s’être fait dire qu’ils devaient voter par la poste. Alex Sagutch affirme ne pas avoir été en mesure de voter par anticipation, car il croyait, tout comme Mme Ella Gagnon, que les bureaux resteraient ouverts beaucoup plus tard. À l’instar de Mme Gagnon, il semble avoir été au courant des dates de vote par anticipation, et la preuve démontre tout au plus qu’il n’a pas été dûment avisé de la tenue de l’élection. Elle n’établit pas que M. Sagutch aurait été dûment avisé si l’avis avait été publié dans les journaux. Lawrence Marlatt semble avoir été informé de la date, du lieu et des heures d’ouverture des bureaux de vote par anticipation, mais n’a pas pu voter en raison des heures d’ouverture du bureau de vote par anticipation de Thunder Bay. Cela indique que M. Marlatt a dûment été avisé de la tenue de l’élection, mais qu’il n’a pas été en mesure de se présenter au bureau de vote.

[69]  Par conséquent, le peu d’éléments de preuve admissibles présentés à la Cour ne m’amène pas à conclure que le fait d’aviser les membres hors réserve par l’intermédiaire d’une page Facebook a eu une incidence importante sur les résultats de l’élection.

b)  Chaîne de possession des boîtes de scrutin

[70]  Le demandeur soutient que l’absence de mesures de sécurité à l’égard des bulletins de vote et des boîtes de scrutin a vicié le processus électoral. Cet argument est hypothétique. Selon le témoignage de Mme Megan, le sergent Welsey du service de police de Nishnawbe-Aski (SPNA) a refusé d’être présent lors du vote par anticipation afin de prendre possession des boîtes de scrutin, parce que le SPNA ne voulait pas être lié à un éventuel dilemme entourant l’élection. Mme Megan affirme toutefois que le sergent Wesley a indiqué qu’un agent pourrait surveiller le déroulement de l’élection le 7 novembre 2015, et que la boîte de scrutin pourrait être conservée au bureau du SPNA d’Aroland. Le témoignage de Mme Megan n’amène pas la Cour à croire que les boîtes de scrutin avaient été compromises à quelque moment que ce soit. Mme Megan a rapporté la boîte de scrutin chez elle après le vote par anticipation à Thunder Bay, mais cette boîte était scellée et cadenassée. Elle n’aurait pas pu ouvrir la boîte de scrutin, puisque c’est Mme Wabasson qui avait la clé. Mme Megan avait prévu apporter la boîte de scrutin au bureau du SPNA le lendemain du vote par anticipation à Aroland, mais le bureau était fermé. Elle a donc apporté la boîte de scrutin chez elle. On ne sait pas avec certitude si la boîte de scrutin était verrouillée et, le cas échéant, qui était en possession des clés à ce moment-là. Mme Megan a apporté la boîte de scrutin à l’ouverture du bureau du SPNA, le lendemain. Une fois le dépouillement du vote terminé le jour de l’élection, les bulletins ont été remis dans la boîte de scrutin, laquelle a été de nouveau cadenassée. Encore une fois, on ne sait pas clairement qui était en possession des clés à ce moment-là.

[71]  Aucun élément de preuve n’a été présenté à la Cour établissant clairement les coutumes de la PNA sur la manutention des boîtes de scrutin. Compte tenu de la nature informelle de la coutume de la bande de la PNA, la déclaration de Mme Megan selon laquelle elle n’avait aucune raison de croire que les boîtes de scrutin ou les bulletins de vote étaient falsifiés et l’absence d’éléments de preuve crédibles soutenant le contraire, la Cour conclut que les boîtes de scrutin et les bulletins de vote n’étaient pas falsifiés. La Cour conclut en outre que tout vice de procédure dans la manutention des bulletins de vote ou des boîtes de scrutin ayant pu se produire n’a eu aucune incidence sur les résultats de l’élection.

c)  Crainte raisonnable de partialité de la part des présidents d’élection

[72]  Le critère de la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré, dissident, dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie (1976), [1978] 1 RCS 369 (CSC), à la page 394, de la manière suivante :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[73]  La Cour suprême du Canada a adopté le critère ainsi exprimé dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker), au paragraphe 46. Dans l’arrêt Baker, la Cour a conclu que le test relatif à la crainte raisonnable de partialité pouvait varier selon le contexte et le genre de fonction exercée par le décideur concerné (au paragraphe 47). Dans la décision Sparvier, aux paragraphes 75 et 76, le juge Rothstein a expliqué en quoi il était parfois inapproprié d’appliquer rigoureusement le critère de la crainte raisonnable de partialité dans le contexte des communautés autochtones et des Premières Nations :

Si on devait appliquer rigoureusement le critère de la crainte raisonnable de partialité, la légitimité des membres d’organismes décisionnels comme le tribunal d’appel, dans les bandes peu nombreuses, serait constamment contestée pour des motifs de partialité découlant des liens de parenté qu’un membre de l’organisme décisionnel avait avec l’un ou l’autre des candidats éventuels. Une application aussi rigoureuse des principes relatifs à la crainte de partialité risque de mener à des situations où le processus électoral serait constamment menacé par de telles allégations. Comme l’a affirmé l’avocat des intimés, une telle paralysie de la procédure pourrait compromettre l’élection autonome des gouvernements de bandes.

[...]

Cependant, la Cour doit agir dans le cadre du droit existant. Si j’ai ajouté ces commentaires, c’est à cause des difficultés que pose, à mon sens, l’application d’un critère strict « et plus souhaitable » en matière de partialité dans le cas d’une commission exerçant des fonctions juridictionnelles, comme le tribunal d’appel, aux réalités concrètes des relations sociales et commerciales qui existent inévitablement dans une petite collectivité comme la bande Cowessess.

[74]  La PNA est une petite collectivité. Il n’est donc pas inhabituel que la plupart des membres de la PNA aient un membre de leur famille qui se présente comme candidat à une élection. La preuve ne laisse pas craindre une partialité, si ce n’est la relation elle-même. De plus, rien n’indique que les membres de la bande de la PNA se soient opposés à la nomination des présidents d’élection avant la publication des résultats de l’élection. Il convient également de souligner que le conjoint de Mme Megan et le père du président adjoint d’élection ont tous deux été défaits à l’élection. Par conséquent, la Cour conclut qu’il n’y avait aucune crainte raisonnable de partialité.

V.  Conclusion

[75]  La Cour conclut que l’élection s’est tenue en conformité avec la coutume de la bande de la PNA. Le demandeur n’est pas parvenu à établir l’existence d’irrégularités ayant vicié le processus électoral.

[76]  Par conséquent, la demande est rejetée.

[77]  Lorsque la Cour s’apprêtait à terminer le processus décisionnel en l’espèce, elle a remarqué que la bande semble maintenant avoir adopté un code électoral très acceptable, désormais rendu à sa huitième révision. Si ce code avait été adopté, il est très probable que la présente demande aurait pu être évitée, tout comme les torts qu’elle a causés au sentiment d’appartenance de la collectivité de la PNA.

[78]  La Cour se rappelle les sages paroles de la juge Trudel selon lesquelles, ayant opté pour un processus électoral démocratique, « un code électoral plus élaboré, interprété et appliqué de manière équitable et transparente, contribuerait considérablement à atteindre ce noble objectif et à éviter, peut-on espérer, des situations comme celle qui nous occupe, qui sont contre-productives et extrêmement perturbantes pour toutes les personnes concernées » (Salt River First Nation, au paragraphe 48).

[79]  La Cour n’adjuge aucuns dépens en l’espèce. Bien que les défendeurs aient eu gain de cause, la Cour estime que leur omission de répondre aux plaintes sérieuses formulées par le demandeur a, d’une certaine façon, contribué à l’introduction de l’instance. Par ailleurs, la Cour souhaite à tout prix éviter de créer un précédent dans la jurisprudence sur les Premières Nations voulant que les plaintes sérieuses entourant la tenue d’une élection puissent être complètement écartées et soumises à la Cour fédérale pour être tranchées au seul motif qu’il n’existe aucune coutume à ce chapitre.

[80]  Le conseil, plus précisément à titre de représentant de la collectivité, a l’obligation de tenter d’atténuer une controverse qui divise sa communauté. Comme la Cour l’a mentionné aux nombreux membres de la collectivité qui ont participé à l’instance, il n’est pas dans l’intérêt de la PNA que la Cour se substitue au conseil pour la résolution de tels litiges. Les procédures judiciaires suscitent une rancœur persistante chez les participants et ne font en rien la promotion d’un sentiment d’appartenance à la collectivité, ce qui devrait être l’objectif primordial du conseil. Quant aux présidents d’élection, j’estime que leurs intérêts sont semblables à ceux du conseil.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande, sans dépens.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2027-15

 

INTITULÉ :

SONNY GAGNON c MARK BELL, ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Thunder Bay (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 AVRIL 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 NOVEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Mike Maher

POUR LE DEMANDEUR

 

Derek T. Noyes

POUR LES DÉFENDEURS

(MARK BELL ET AL)

 

Bradley A. Smith

POUR LES DÉFENDEURS

(BRENDA MEGAN ET AL)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BUSET & PARTNERS LLP

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

ERICKSON & PARTNERS

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

(MARK BELL ET AL)

 

WEILER, MALONEY, NELSON

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

(BRENDA MEGAN ET AL)

 

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