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Date : 20161202


Dossier : IMM-2577-16

Référence : 2016 CF 1325

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 2 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

X.Y.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

[1]               La présente demande concerne un parcours de vie examiné selon des considérations d’ordre humanitaire dans la décision faisant l’objet du présent examen. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision est déraisonnable.

[2]               L’histoire de la demanderesse est détaillée et tragique. Elle est une femme éthiopienne de 33 ans qui est arrivée au Canada le 5 février 2013. Dix jours plus tard, elle a présenté une demande d’asile au motif de son opinion politique actuelle et supposée. Environ un mois plus tard, pendant son examen médical, elle a appris qu’elle était séropositive.

[3]               Le 24 avril 2013, la SPR a rejeté sa demande sur les motifs d’identité et de crédibilité. Elle n’a jamais divulgué sa séropositivité à son avocat devant la SPR, en partie de peur que l’interprète amharique de son avocat transmette cette information à la communauté éthiopienne. Elle n’a également pas divulgué sa séropositivité à l’avocat qui a préparé son évaluation du fondement de la demande d’appel pour l’aide juridique en raison de sa très grande honte. Son appel auprès de la SAR a été rejeté le 1er novembre 2013 pour défaut de mettre en état.

[4]               Le 27 novembre 2013, la mère de la demanderesse est décédée, la laissant sans famille en Éthiopie.

[5]               Lorsqu’elle a été incapable de recevoir de l’aide juridique, la demanderesse s’est retrouvée sans avocat et elle ne pouvait pas mettre en état sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Par conséquent, sa demande a été rejetée le 1er janvier 2014.

[6]               En février 2014, la demanderesse a fait part de ses problèmes d’immigration à son spécialiste du SIDA, lequel l’a dirigé vers la HIV & AIDs Legal Clinic of Ontario [HALCO]. Son avocat actuel lui a conseillé de divulguer sa séropositivité dans sa demande pour motifs d’ordre humanitaire et sa demande d’ERAR.

[7]               Le 21 décembre 2014, la demanderesse a présenté sa première demande pour motifs d’ordre humanitaire, fondée sur ses difficultés en Éthiopie en raison de sa séropositivité et de son établissement au Canada. Elle a été représentée par un avocat du secteur privé puisque l’HALCO ne pouvait pas l’aider à ce moment. Cette première demande a été rejetée le 6 mars 2015. Le 13 mai et le 10 juillet 2015, la demanderesse a présenté une demande d’ERAR et une deuxième demande pour motifs d’ordre humanitaire, respectivement. La deuxième demande pour motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse était fondée sur ses difficultés en Éthiopie en raison de sa séropositivité et sur son établissement au Canada. Cette fois-ci, elle bénéficiait de l’aide de l’HALCO. Le même agent a rejeté sa demande d’ERAR et sa deuxième demande pour motifs d’ordre humanitaire le 2 juillet 2016. La présente demande est une contestation de la décision relative à la demande pour motifs d’ordre humanitaire.

[8]               Peu importe le fondement du plaidoyer détaillé de la demanderesse pour obtenir une dispense pour motifs d’ordre humanitaire, l’agent qui a entendu le plaidoyer a choisi de réduire le poids des éléments de preuve de la demanderesse en raison d’une vague conclusion d’invraisemblance. Deux extraits essentiels de la décision se rapportent à ce point.

[9]               Après un bref énoncé de l’historique de la longue tentative de la demanderesse pour obtenir une dispense au Canada, la toute première conclusion dans la décision faisant l’objet du contrôle est la suivante :

[traduction] La SPR n’était pas satisfaite que la demanderesse avait établi son identité. Elle a fourni des éléments de preuve supplémentaires. Toutefois, j’ai des préoccupations à l’égard des documents qu’elle a fournis pour établir son identité en raison de la présentation rudimentaire des armoiries dans le timbre/sceau sur son certificat de naissance et de l’erreur d’orthographe dans le mot adjoint dans le titre Directeur adjoint sur son certificat d’études secondaires. Je conclus qu’elle n’a pas suffisamment établi son identité en tant que citoyenne de l’Éthiopie et cela a un poids négatif dans la présente évaluation.

(Décision, p. 2)

[10]           Et la toute dernière conclusion de la décision faisant l’objet du contrôle :

[traduction] L’établissement de [la demanderesse] au Canada a reçu peu de poids, et son incapacité à établir son identité de façon crédible a également constitué un facteur défavorable dans cette évaluation. Même avec le poids modéré accordé à la considération du niveau de discrimination auquel elle peut être confrontée, je conclus que cela est insuffisant pour rendre cette demande positive.

(Décision, page 5)

[11]           À mon avis, la première conclusion est une conclusion d’invraisemblance non fondée qui constitue une conclusion négative erronée à l’égard de la crédibilité. En effet, l’agent a conclu que, sans preuve à l’appui, il est invraisemblable que le gouvernement de l’Éthiopie émette un certificat de naissance avec les défauts observés relevés et, par conséquent, le document est frauduleux. En conséquence, puisque la demanderesse a présenté un document frauduleux, l’agent a conclu qu’elle doit assumer le poids d’une conclusion négative à l’égard de sa crédibilité, laquelle mine les mérites de son plaidoyer pour obtenir une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Je conclus que prendre une telle décision est remarquablement injuste.

[12]           Le texte législatif pour en arriver à une conclusion d’invraisemblance est mentionné dans Vodics c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783, aux paragraphes 10 et 11 :

En ce qui a trait aux conclusions défavorables sur la crédibilité en général et les conclusions d’invraisemblance en particulier, le juge Muldoon a énoncé, dans la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 [aux paragraphes 6 et 7] :

Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n’a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu’il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre, ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur. [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22]

[Souligné dans l’original.]

Il n’est pas difficile de comprendre que, en toute justice pour la personne qui jure de dire toute la vérité, des motifs concrets s’appuyant sur une preuve forte doivent exister pour qu’on refuse de croire cette personne. Soyons clairs. Dire qu’une personne n’est pas crédible, c’est dire qu’elle ment. Donc, pour être juste, le décideur doit pouvoir exprimer les raisons qui le font douter du témoignage sous serment, à défaut de quoi le doute ne peut servir à tirer des conclusions. La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé.

[13]           Par conséquent, en l’espèce, en s’appuyant sur les éléments de preuve au dossier, l’agent devait clairement conclure ce qui était raisonnablement attendu au sujet de l’apparence des documents du gouvernement de l’Éthiopie, et ensuite conclure si les documents en question sont conformes à ce qui est raisonnablement attendu. En l’espèce, ce processus d’analyse critique n’a pas été suivi. En conséquence, je conclus que la conclusion d’invraisemblance tirée par l’agent constitue une erreur de droit qui fait en sorte que la décision faisant l’objet du contrôle est déraisonnable. La décision de l’agent doit être annulée et l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un autre décideur.

[14]           Je souhaite terminer l’exposé des présents motifs avec un rappel à l’égard de la conduite de la nouvelle détermination. L’empathie menant à la compassion doit être présente dans l’esprit et le cœur d’une personne qui a la tâche cruciale de prendre une décision pour alléger la souffrance d’une autre personne. N’oubliez pas que nous demanderions tous ce traitement prudent et bienveillance si nous étions à la place de cette personne.


JUGEMENT

LA COUR infirme la décision à l’examen, et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre décideur.

Il n’a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2577-16

INTITULÉ :

X.Y. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 novembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

Le 2 décembre 2016

COMPARUTIONS :

Meagan Johnston

 

Pour la demanderesse

Suranjana Bhattacharyya

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

HALCO HIV & AIDS LEGAL CLINIC ONTARIO

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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