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Date : 20161207


Dossier : IMM-1986-16

Référence : 2016 CF 1343

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 7 décembre 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

DIXON JAVIER CAMPO DIAZ,

LEIDY JOHANA GARCIA PAREDES, ET

NICOLAS ANDRES CAMPO GARCIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rendue le 6 avril 2016, par laquelle elle rejette l’allégation des demandeurs selon laquelle ils sont des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la demande doit être rejetée.

Contexte

[2]               Les demandeurs sont Leidy Johana Garcia Paredes, son conjoint, Dixon Javier Campo Diaz, et leur enfant d’âge mineur, Nicolas Andres Campo Garcia. Ils sont des ressortissants de la Colombie qui disent craindre d’être persécutés aux mains des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). À cet égard, M. Diaz allègue que le 15 septembre 2015, il a rencontré un vieil ami accompagné de deux autres hommes qu’il ne connaissait pas. Au cours de la conversation, M. Diaz a mentionné que sa femme travaillait pour une société aérienne. Les deux hommes ont demandé si sa femme pouvait transporter pour eux deux valises de Bogota à Cali, en Colombie. M. Diaz a refusé, étant donné qu’il soupçonnait que les hommes voulaient transporter de la drogue ou autre chose d’illégal.

[3]               M. Diaz allègue que le 16 septembre 2015, il a reçu un appel téléphonique anonyme l’informant que s’il ne faisait pas ce qui lui était demandé, il en subirait des conséquences et qu’il ne devrait pas « provoquer » les FARC. Craignant pour sa vie, il a déposé un rapport de l’incident auprès du bureau du procureur général le lendemain. Ce bureau lui a remis une demande de protection à déposer auprès de la police locale, ce qu’il a fait le 21 septembre 2015. M. Diaz allègue que le 11 octobre 2015, il a été agressé par trois hommes non identifiés à un arrêt d’autobus alors qu’il se rendait au travail, ce qui a entraîné son hospitalisation et une absence de son travail pendant 12 jours. Après cet incident, il craignait pour sa vie et la sécurité de sa famille. Les demandeurs allèguent qu’après l’agression, ils ont évité de sortir en public, M. Diaz a commencé à travailler à partir de chez lui, sa femme a continué de travailler, recourant à un chauffeur privé pour ses déplacements au travail, et leur fils a continué d’aller à l’école, prenant un autobus scolaire qui le prenait et le laissait chez lui. Les demandeurs soutiennent qu’il est devenu intolérable de vivre dans la peur. Par conséquent, ils ont fui aux États-Unis le 1er décembre 2015, utilisant des visas des États-Unis qu’ils possédaient déjà, puis ils se sont rendus au Canada où ils ont demandé l’asile le 12 décembre 2015.

La décision contestée

[4]               La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, la question déterminante étant la crédibilité. La SPR a pris note des éléments de preuve de M. Diaz selon lesquels, après l’appel téléphonique du 16 septembre 2015, il estimait que sa vie et celle des membres de sa famille étaient en danger. Cependant, il n’avait pas fait de suivi auprès de la police au sujet de la demande de protection. En outre, même s’il a déclaré qu’il croyait qu’une présence policière 24 heures sur 24 à son domicile serait nécessaire pour le garder en sécurité contre les FARC, il a laissé sa femme et son enfant seuls et s’est rendu à Arauca pendant trois jours pour célébrer l’anniversaire de naissance de sa mère, mettant des photos de l’événement sur son compte Facebook. La SPR a fait observer que M. Diaz avait aussi affiché des photos d’un autre événement social le 10 octobre 2015, la veille de l’agression, et le 12 octobre 2015, le lendemain. En outre, ce n’est qu’à la deuxième séance, lorsque son propre avocat lui a posé des questions, que M. Diaz a dit que ce n’est qu’à la première séance qu’il s’est rendu compte que ses messages sur Facebook pouvaient être vus par le public.

[5]               La SPR a tiré des conclusions défavorables sur la crédibilité concernant les éléments de preuve de M. Diaz. Elle a conclu qu’il n’était pas logique que M. Diaz quitte la ville et laisse sa femme et son enfant vulnérables s’il croyait qu’ils étaient en danger au point de penser qu’une protection policière de 24 heures sur 24 serait nécessaire pour les garder en sécurité. Elle a conclu que son explication selon laquelle il allait célébrer l’anniversaire de sa mère n’était pas crédible. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait fait quoi que ce soit pour assurer la sécurité de sa famille, il a dit qu’il n’avait pas mentionné le danger à sa femme. La SPR a conclu qu’il s’agissait d’un manque de sensibilité et que cela ne servait qu’à aggraver le danger qu’elle courait. Ensuite, lorsqu’on lui a posé des questions à ce sujet, M. Diaz avait modifié ses éléments de preuve et a dit dans son témoignage que la menace est devenue réelle uniquement après l’agression dont il avait été victime.

[6]               La SPR n’a pas non plus accepté l’explication de M. Diaz selon laquelle il ne s’était pas rendu compte avant la première audience, lorsqu’on lui a posé des questions à cet effet, que les photos affichées sur sa page Facebook étaient publiques. Elle a conclu que si c’était effectivement le cas, il en aurait fait mention à ce moment-là. En outre, s’il se croyait en danger et s’il affichait des photos de son voyage, qui indiquaient sa destination et que les membres de sa famille étaient seuls, il aurait pris des mesures pour s’assurer que les photos n’étaient pas rendues publiques et que les FARC ne pouvaient pas les voir. La SPR a tiré une inférence défavorable de cela, tout comme elle l’avait fait pour son explication relativement aux messages la veille et le lendemain des agressions alléguées.

[7]               La SPR n’a pas jugé non plus crédible que le demandeur d’âge mineur ait continué à aller à l’école après l’agression alors que, selon l’exposé des faits sur le formulaire Fondement de demande d’asile (FDA), les demandeurs se cachaient. Elle n’a pas accepté l’explication de Mme Diaz selon laquelle, en rétrospective, elle croyait qu’il était dangereux que l’enfant aille à l’école. Elle a conclu que le comportement des demandeurs n’était pas compatible avec leur crainte alléguée et a tiré une inférence défavorable.

[8]               La SPR a ensuite évalué la preuve documentaire personnelle des demandeurs qui comprenait le rapport envoyé au bureau du procureur général, le document de demande de protection et les documents médicaux relatifs à l’agression. Elle a fait observer que la Direction des recherches avait fait savoir qu’elle n’était pas en mesure de vérifier l’authenticité de documents officiels colombiens. Par contre, la SPR s’est reportée à la jurisprudence et s’est fondée sur cette jurisprudence à l’appui de la proposition voulant que s’il y avait des motifs de croire que les allégations centrales d’un revendicateur sont frauduleuses, alors les documents visant à corroborer ces allégations peuvent être rejetés comme étant frauduleux ou avoir peu de poids (Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1062, au paragraphe 4 (Xu); Jia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 422, au paragraphe 19 (Jia ); Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1250, au paragraphe 15 (Huang)). Par conséquent, la SPR a rejeté les documents ou, subsidiairement, leur a accordé peu de poids comme documents authentiques, mais fondés sur un compte rendu mensonger des événements. Les rapports de police se fondaient uniquement sur les déclarations de M. Diaz à la police et n’offraient aucun élément de preuve sur quoi que ce soit résultant d’une enquête indépendante de la police. Les documents médicaux, s’ils sont authentiques, indiquaient qu’il y avait eu une agression, mais ne corroboraient pas le fait que les FARC avaient joué un rôle dans l’agression.

[9]               La SPR a conclu, peu importe que les documents médicaux et de police visés aient été rejetés tout simplement ou peu importe la valeur probante précise ou le poids qui leur a été accordé, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs n’étaient pas crédibles et leurs allégations étaient fausses.

Question en litige et norme de contrôle

[10]           À mon avis, la seule question en l’espèce consiste à déterminer si la décision de la SPR était raisonnable. La jurisprudence a déjà établi que les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable et qu’on doit faire preuve d’un degré élevé de retenue (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CA), au paragraphe 4; Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183, au paragraphe 8; Huang, au  paragraphe 9; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315, au paragraphe 16 (Cao); Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26 (Zhou). De même, pour ce qui est de l’évaluation par la SPR des éléments de preuve et des conclusions de fait, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53 (Dunsmuir); Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 288, au paragraphe 16 (Huang 2011); Zhou, au paragraphe 26).

[11]           La Cour n’interviendra que s’il manque à la décision les attributs requis de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et que si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

Analyse

[12]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en écartant des éléments de preuve probants très pertinents, notamment la plainte déposée au bureau du procureur général, la demande de protection et les documents de l’hôpital, sans les analyser ou fournir des motifs appropriés pour les rejeter. Les demandeurs soutiennent que la SPR est tenue de déterminer si des documents précis présentés par les revendicateurs étaient authentiques ou non (Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 157, au paragraphe 54 (Lin 2012)) et que les éléments de preuve corroborants ne peuvent pas être écartés au motif que la SPR a déjà déterminé que les éléments de preuve d’un demandeur ne sont pas crédibles, en particulier lorsque les éléments de preuve qui ont été écartés contestent directement la décision définitive concernant l’affaire (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1re inst. 456 (Ahmed)). La SPR a également écarté les éléments de preuve documentaire objectifs sur la situation du pays qui étayaient leurs allégations.

[13]           À mon avis, il est évident que les motifs de la SPR selon lesquels ses nombreuses préoccupations au sujet de la crédibilité n’ont pas été dissipées par les explications des demandeurs, notamment : M. Diaz n’a pas informé son épouse de la menace du 16 septembre 2015; il n’a pas fait de suivi auprès de la police au sujet de la demande de protection, même s’il disait croire que sa vie et celle des membres de sa famille couraient un grave danger et que cela nécessitait une protection de 24 heures sur 24; après avoir reçu la menace, il a laissé sa femme et son fils seuls tandis qu’il s’est rendu chez sa mère pour souligner son anniversaire de naissance, et il l’a fait sans informer sa femme de la menace ou sans prendre des mesures pour assurer la protection de sa famille en son absence; M. Diaz a affiché publiquement ses plans de voyage sur sa page Facebook sans s’assurer que ses paramètres de confidentialité limiteraient l’accès à cette information; lorsqu’il a été confronté à cette situation lors de la première audience, il a fourni des explications contradictoires qui ne comprenaient pas l’explication selon laquelle il n’avait été mis au courant de la nature publique de ses messages que lorsque la SPR lui en a fait part; et, après avoir dit s’être rendu compte pour la première fois de la nature publique de ses messages, il n’a quand même pas modifié ses paramètres de confidentialité, même s’il a allégué que les autres membres de sa famille en Colombie étaient exposés à un risque du fait de son opposition aux FARC.

[14]           La SPR était en meilleure position pour évaluer la crédibilité des demandeurs et, m’appuyant sur le dossier dont elle était saisie et ayant examiné les transcriptions de l’audience, je suis convaincue que les inférences qu’elle a tirées quant à la crédibilité étaient raisonnablement étayées par la preuve (Mantilla Cortes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 254, au paragraphe 15). Comme l’a indiqué la juge Gleason dans l’affaire Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 60 :

[60]      [...] J’estime que la Cour ne doit pas intervenir pour infirmer des conclusions relatives à la crédibilité et à l’identité si la décision de la Commission s’appuie sur des éléments de preuve, si les motifs invoqués par la SPR pour justifier ses conclusions (qui ne sont pas manifestement spécieuses) ne sont pas des généralisations et s’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier. Il importe peu que les motifs de la SPR ne soient pas parfaits ou même que la Cour soit en accord avec la conclusion, ou encore avec chaque étape du processus d’analyse de la crédibilité suivi par la SPR. La jurisprudence établit que l’appréciation de la crédibilité se situe au cœur même des attributions que le législateur a conférées à la SPR.

[15]           La SPR n’a pas non plus écarté la preuve documentaire personnelle corroborante sans motifs. Au contraire, la SPR a fait référence explicite à cette preuve et a expliqué que parce qu’elle avait conclu que les éléments de preuve des demandeurs manquaient de crédibilité, elle a estimé que la preuve documentaire était soit frauduleuse, soit présentait une valeur probante faible. Il était loisible à la SPR d’adopter cette approche. Les demandeurs n’ont pas été jugés crédibles à l’égard des aspects centraux de leur demande – la menace des FARC, l’agression et leur crainte subjective – et il était loisible à la SPR d’accorder peu ou pas de poids aux documents à l’appui dans cette circonstance. Comme il est précisé dans l’arrête Xu, il est raisonnable de conclure que si un demandeur a inventé de toutes pièces son allégation, alors le document qui l’étaye est également une fabrication (au paragraphe 4). De même, comme l’a déclaré le juge Annis dans la décision Jia :

[19]      Les conclusions quant à la crédibilité sont au cœur de l’expertise de la Commission, qui doit apprécier les témoignages et tirer des conclusions à partir de la preuve. Il est bien établi que la crédibilité du demandeur en général peut influer sur le poids accordé à la preuve documentaire (Granada c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 1766, par. 13; Hamid c. Canada (Emploi et Immigration), [1995] ACF no 1293 (QL) (1re inst.), par. 21; Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 288, par. 21).

(voir aussi Huang, par. 15 et 16; Cao, par. 20; et, Huang 2011, par. 21).

[16]           Même si les demandeurs se fondent sur la décision Ahmed, cette affaire se distingue étant donné que dans ce cas la décision a été jugée déraisonnable parce que la SPR n’avait fourni aucune explication pour n’accorder aucun poids aux éléments de preuve corroborants dès qu’elle avait conclu que le demandeur n’était pas crédible. En l’espèce, la SPR a fourni des motifs et une jurisprudence plus récente appuie son approche. De plus, contrairement à la décision Lin 2012, en l’espèce la SPR n’a pas rejeté la preuve documentaire d’emblée et sans fournir d’explication, et il ne s’agit pas non plus d’une circonstance où la décision porte sur l’authenticité des documents. Ensuite, ayant conclu que l’histoire des demandeurs n’était pas crédible, la SPR n’était pas tenue de tenir compte de la documentation sur la situation dans le pays (Rahaman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1008, au paragraphe 17).

[17]           Les demandeurs font également valoir que la SPR a procédé à une analyse microscopique de leurs témoignages sans tenir compte de la totalité de la preuve. À l’appui de cette affirmation, les demandeurs allèguent que lorsqu’on leur a demandé pourquoi M. Diaz s’était rendu chez sa mère à l’occasion de son anniversaire après avoir reçu des menaces en septembre, il a expliqué qu’il était devenu plus craintif et s’était caché après l’agression d’octobre. La SPR a rejeté cette explication au titre d’une modification de la preuve. Cependant, il s’agissait d’une erreur de fait étant donné que l’exposé sur le formulaire FDA indiquait que la menace était devenue plus grave après l’agression. La SPR a donc commis une erreur en ne tenant pas compte du formulaire FDA.

[18]           À mon avis, l’observation des demandeurs ne tient pas compte du contexte dans lequel la SPR a rejeté les éléments de preuve ou les a caractérisés comme étant une modification de la preuve. Comme l’a fait valoir la SPR, lorsqu’on lui a demandé quelle sorte de protection aurait été nécessaire pour le garder en sécurité contre les FARC après la menace téléphonique de septembre 2015, M. Diaz a dit dans son témoignage qu’il estimait qu’il faudrait une protection policière 24 heures sur 24. C’est en fonction de ce témoignage que la SPR a conclu que l’allégation de crainte n’est devenue grave qu’en octobre, après que l’agression alléguée soit devenue une modification de la preuve dans le but d’expliquer pourquoi il laissait sa famille seule pour assister à la fête pour souligner l’anniversaire de sa mère et il n’avait pas informé sa femme de la menace. Je fais observer que le témoignage est également conforme à l’exposé sur le formulaire FDA de la famille dans lequel M. Diaz a indiqué qu’après la menace téléphonique en septembre 2015, il a aussitôt craint pour sa vie étant donné qu’il savait ce dont les FARC étaient capables, y compris le meurtre.

[19]           Je ne crois pas non plus que la décision Ferdosi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CF 1re inst. 1203, aide les demandeurs. Dans cette affaire, il a été conclu que la SPR avait commis une erreur en tirant des conclusions sur la crédibilité et la vraisemblance qui n’étaient pas reliées aux questions en litige à trancher. En l’espèce, la SPR a continuellement rattaché ses conclusions au fondement de la demande. Par exemple, la conduite de M. Diaz sur Facebook, le fait qu’il a assisté à la fête pour l’anniversaire de sa mère et la décision d’envoyer le demandeur d’âge mineur à l’école pendant une période où les membres de la famille prétendaient craindre pour leur vie, ont été des facteurs très pertinents pour la question de leur crédibilité et de leur crainte subjective de persécution.

[20]           En résumé, je n’accepte pas le fait que la SPR ait mené un examen microscopique de la preuve, se soit concentrée de façon erronée sur des facteurs non pertinents, ait mal formulé les éléments de preuve ou ait omis de tenir compte de la preuve dans sa totalité.

[21]           Les demandeurs soutiennent aussi que la SPR a commis une erreur en n’acceptant pas leurs explications. Par exemple, ils soutiennent que M. Diaz a fourni une explication raisonnable et plausible pour avoir affiché des messages sur Facebook, le fait étant qu’il ne savait pas que les photos pouvaient être visionnées par le public.

[22]           À cet égard, la SPR a demandé à M. Diaz pourquoi il [traduction] « identifierait publiquement » l’endroit où il se rendait à une période où il prétendait croire que sa vie était menacée par les FARC. Sa première réponse a été que c’est sa sœur et non lui qui avait affiché l’information. Confronté aux extraits de son propre compte rendu, il a alors reconnu qu’il avait affiché l’information. On lui a ensuite demandé s’il comprenait pourquoi cela constituait une préoccupation qu’il [traduction] « affiche publiquement »l’information sur Facebook qui indiquait où on pouvait le trouver et le fait que les autres membres de sa famille étaient seuls à la maison, sans protection. Il a dit qu’il comprenait. Quand on lui a demandé une explication, il a répondu que lorsqu’il a affiché les photos sur Facebook, plus il recevait des « J’aime », plus il se sentait célèbre. Pour ce qui est du danger, il se rendait chez sa mère, à l’occasion de son anniversaire, pour lui faire part des menaces, préférant ne pas le faire au téléphone. Il n’a en aucun temps au cours de cette discussion indiqué qu’il n’avait pas compris, jusqu’à ce que la SPR lui indique que l’information affichée sur Facebook était publique.

[23]           Il faut également souligner qu’au début de l’audience, la SPR a informé l’avocat des demandeurs que des recherches sur les médias sociaux avaient été entreprises à l’égard de sites accessibles au public et avait fourni des documents à communiquer de ce matériel. La lettre d’accompagnement indiquait aussi que la note avait été préparée après des recherches dans des renseignements accessibles au public. La SPR a aussi indiqué qu’elle avait des préoccupations concernant les messages Facebook et le moment des allégations des demandeurs. Les avocats ont eu le temps de passer en revue les documents et d’en discuter avec les demandeurs avant le début de l’audience.

[24]           Ayant examiné la transcription, je ne suis pas convaincue qu’elle étaye l’allégation de l’avocat des demandeurs selon laquelle M. Diaz a mal compris les questions de la SPR à ce sujet, et je fais remarquer que les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve par affidavit à l’appui de cette allégation. À mon avis, la SPR a raisonnablement conclu que si M. Diaz avait cru que ses messages étaient privés, alors il l’aurait mentionné au cours de la première audience lorsque la préoccupation a été soulevée par la SPR, et ne l’aurait pas dit plus tard en guise d’explication lors de la deuxième audience. La SPR a expliqué cette situation en indiquant que M. Diaz a été longuement interrogé lors de la première séance quant aux raisons pour lesquelles il a affiché les photos publiquement de sorte que les FARC pouvaient les voir. Elle a abordé son explication et a conclu que s’il ne s’était pas rendu compte que les photos étaient publiques au moment où il les a affichées, alors il l’aurait mentionné à la première audience. En outre, s’il voyageait pendant une période de danger pour lui et sa famille, il aurait pris des mesures pour s’assurer que les photos n’étaient pas publiques. À mon avis, la SPR a raisonnablement tiré une inférence défavorable dans ces circonstances et n’a pas commis d’erreur en refusant d’accepter l’explication des demandeurs. Elle n’a pas commis d’erreur non plus en refusant d’accepter l’explication des demandeurs selon laquelle ils ne se sont pas rendu compte, jusqu’à ce qu’ils soient interrogés lors de la première audience, qu’il était dangereux d’envoyer le demandeur d’âge mineur à l’école pendant qu’ils étaient en clandestinité et qu’ils alléguaient craindre pour leur vie.

[25]           Comme l’a fait observer le défendeur, la SPR n’était pas tenue d’accepter les explications des demandeurs et était habilitée à soupeser ces explications par rapport aux autres éléments de preuve dont elle était saisie (Razzaq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 864, au paragraphe 26; Gulabzada c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 547, au paragraphe 9; Houshan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 650, au paragraphe 19). En outre, il était loisible à la SPR de tirer des inférences des éléments de preuve en se fondant sur le raisonnement et le bon sens (Soorasingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 691, au paragraphe 23; Avagyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1003, au paragraphe 33; Chowdhury c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1210, au paragraphe 31).

[26]           À mon avis, les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité étaient raisonnables et les demandeurs sont tout simplement en désaccord avec la pondération des éléments de preuve. Par conséquent, la Cour n’interviendra pas dans la décision.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Aucune question sérieuse d’importance générale n’a été proposée à certifier et aucune ne se pose.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1986-16

 

INTITULÉ :

DIXON JAVIER CAMPO DIAZ ET ALL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Phillip Trotter

 

Pour les demandeurs

 

Nadine Silverman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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