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Date : 20161201

Dossier : IMM-663-16

Référence : 2016 CF 1323

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

MUHAMMAD ASIF

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Muhammad ASIF (le demandeur), en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) le 13 janvier 2016, dans laquelle la SAR a conclu que l’appel du demandeur de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 23 juin 2015, selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. L’autorisation de demander un contrôle judiciaire a été accordée le 20 mai 2016.

[2]               Brièvement, le demandeur est un ressortissant pakistanais de 38 ans de confession chiite qui allègue une crainte bien fondée de persécution du groupe extrémiste sunnite Sipah-e-Sahaba (SSP). Le SSP a cherché à l’obliger à vendre sa terre à prix réduit parce qu’il est de confession chiite et parce que ce groupe voulait qu’il quitte la région. Avant de fuir son domicile, le demandeur vivait dans la province du Punjab, dans le village de Murali Wala. Les résidents de Murali Wala sont principalement des sunnites, seulement quatre ou cinq familles chiites vivant dans la région.

[3]               Le demandeur a reçu sa terre en héritage de son père, tout comme ses frères; le demandeur l’a cultivée et souhaitait continuer de le faire. En 2011, les frères du demandeur ont été abordés par deux extrémistes sunnites importants, qui ont exigé que la famille du demandeur leur vende leur terre à prix réduit. Les frères l’ont fait, mais le demandeur a refusé. Les extrémistes ont construit sur les terres achetées une école sunnite, utilisée pour prêcher le djihãd et le terrorisme. Après le refus du demandeur de vendre, il y a eu une campagne de harcèlement sans cesse croissant contre lui, notamment de multiples fois où sa récolte a été détruite et des pressions ont été exercées par d’autres membres de la communauté. Il était qualifié d’infidèle. En 2013, il a été agressé par des extrémistes; ils se sont rendus sur la propriété du demandeur, l’ont giflé et ont menacé de le tuer s’il ne vendait pas sa terre.

[4]               Le demandeur allègue qu’à la fin de 2013, il a répandu une rumeur selon laquelle il avait rédigé un testament dans lequel il laissait sa terre au gouvernement pour la construction d’une école. Il a agi ainsi dans l’espoir de dissuader les extrémistes de le tuer, étant donné que l’existence d’un tel testament signifiait que sa terre n’irait pas à ses frères, qui pourraient être persuadés de la vendre comme ils l’ont fait pour leurs propres terres.

[5]               En janvier 2014, le demandeur a de nouveau été agressé par des gens qui travaillent pour les extrémistes. Le demandeur allègue que ces hommes se sont rendus sur sa ferme, l’ont battu, ont tiré des coups de feu dans les airs et l’ont menacé. Le demandeur a déposé un rapport auprès de la police, mais il ne s’est rien passé. Le demandeur allègue qu’il a déposé une plainte auprès du responsable de la police de district mais, une fois de plus, aucune mesure n’a été prise.

[6]               En février 2014, le demandeur a été enlevé et séquestré dans une petite cellule dans un sous-sol pendant à peu près un mois. On l’a menacé, mais on ne l’a pas agressé. Le demandeur allègue qu’on le laissait seul dans sa cellule et qu’on le nourrissait une fois aux 24 heures. Le demandeur allègue que pendant ce temps, les deux mêmes extrémistes entraient dans la cellule tous les deux ou trois jours et exigeaient qu’il vende sa terre à prix réduit, ce à quoi le demandeur répondait par une offre à plein prix. Cette réponse ne les satisfaisait pas et on le retournait dans sa cellule.

[7]               Pendant sa séquestration, l’homme qui apportait la nourriture au demandeur l’a informé que les extrémistes prévoyaient tuer le demandeur après avoir acheté sa terre. Cet homme a finalement aidé le demandeur à s’enfuir.

[8]               Le demandeur allègue qu’il a aussi été averti par un ami, un aîné du village, à la fin de 2011, que le SSP prévoyait le tuer après avoir acheté sa terre.

[9]               Après s’être enfui, le demandeur s’est caché chez un parent à Dhonkal, un village situé dans la province du Punjab. Plusieurs semaines après sa fuite, les extrémistes se sont présentés chez ce parent à sa recherche. Le demandeur a ensuite déménagé chez un autre parent, dans le village de Faizabad, également situé dans la province du Punjab. Une fois de plus, les extrémistes l’ont retracé, cette fois agressant le parent chez qui il restait à Faizabad. Le demandeur allègue que les extrémistes étaient accompagnés de policiers lorsqu’ils se sont rendus au domicile de son parent à Faizabad. Le frère du demandeur a pris des dispositions pour qu’il quitte le Pakistan et, après avoir été retracé la deuxième fois, le demandeur s’est rendu à Lahore pour prendre son vol et quitter le pays.

[10]           Le demandeur a quitté le Pakistan le 25 juin 2014, avec l’aide d’un passeur. Il a présenté une demande d’asile au Canada le 6 octobre 2014.

[11]           Le demandeur fait également les allégations suivantes :

  • Les extrémistes se sont rendus aux résidences de ses frères avec des policiers à plusieurs reprises, tant avant qu’après son départ du pays. Au cours de ces visites, les extrémistes ont fouillé les résidences de ses frères, ont exigé de savoir où il se trouvait, ont eu recours à la violence verbale et ont proféré des menaces de mort si on ne leur disait pas où se trouvait le demandeur.
  • Son voisin à Murali Wala est un Musulman sunnite dont la terre a la même valeur que la sienne et il n’a pas été dérangé par les extrémistes. Pendant le temps où il s’est caché, le demandeur a demandé à son voisin de s’occuper de sa terre et de garder les profits qu’il en tirerait. Malgré qu’il ait accepté au départ, ce voisin a refusé de s’occuper de la ferme après avoir reçu la visite des extrémistes, qui insistaient pour dire que cette terre leur appartenait.

[12]           À l’appui de sa demande, le demandeur a déposé un rapport psychologique préparé par un psychologue, dans lequel le demandeur a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT) et de trouble dépressif majeur (TDM). Le rapport concluait qu’un retour au Pakistan entraînerait un tort psychologique invalidant pour le demandeur.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[13]           La SPR a entendu le demandeur le 13 janvier 2016. Aucun nouvel élément de preuve n’a été déposé et aucune demande d’audience n’a été faite. La question dont était saisie la SAR était de savoir s’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Hyderabad, une ville dans la province du Sindh, dans le sud-est du Pakistan. La SPR a conclu qu’il avait une PRI, raison pour laquelle elle a rejeté sa demande à l’origine.

[14]           Appliquant la norme de révision énoncée par la Cour fédérale dans Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, aux paragraphes 54 à 56 [Huruglica (CF)], la SAR a conclu que les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR étaient claires, qu’elle avait donné les motifs relatifs à ses préoccupations sur la crédibilité et qu’elle avait indiqué clairement les allégations qu’elle croyait vraies. Je souligne que la SPR a rejeté la demande du demandeur, citant aussi des préoccupations sur la crédibilité fondées sur le fait que le demandeur a présenté des histoires incohérentes au sujet de ses intentions concernant sa terre – essentiellement, que le demandeur avait déclaré que sa terre n’était pas à vendre et aussi qu’elle l’était à un prix équitable. La SAR est d’accord avec la SPR quand elle dit que les déclarations du demandeur au sujet de son intention de vendre sa terre, comme il a été indiqué dans son formulaire FDA et lors de l’audience, n’étaient pas cohérentes. La SAR est d’accord pour dire que le défaut de la SPR de contester les éléments de preuve au sujet des actions du SSP, de la fuite du demandeur et de la poursuite par le SSP indiquait que ces allégations étaient réputées véridiques. Cependant, elle n’a pas conclu que cela rendait la viabilité d’une PRI déraisonnable.

[15]           La SAR a convenu que le SSP voulait la terre du demandeur parce qu’il est un musulman chiite mais a conclu, selon une prépondérance des probabilités, que la poursuite des extrémistes se fondait sur le défaut du demandeur de vendre sa terre. La SAR a conclu qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour étayer l’allégation voulant que les extrémistes continueraient à poursuivre le demandeur une fois sa terre vendue. La SAR a fait observer que les éléments de preuve du demandeur qui indiquaient qu’il avait été informé qu’il serait tué après avoir vendu sa terre n’étaient pas corroborés. La SAR fait aussi observer que les éléments de preuve [traduction] « forçaient la note », étant donné que de telles menaces l’empêcheraient d’accepter de vendre sa terre.

[16]           La SAR a fait observer la contradiction de la SPR dans son analyse concernant l’activité du SSP à Hyderabad, et a conclu que les déclarations de la SPR au sujet d’une présence possible du SSP dans cette ville étaient conjecturales et sans fondement probatoire. La SAR a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve selon lequel le SSP est actif à Hyderabad et a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve du contraire.

[17]           La SAR a conclu que les organisations extrémistes comme le SSP et le Lashkar-e-Jhangvi (LeJ) conservaient leur capacité de faire du tort aux personnes et organisations au Pakistan, mais que les éléments de preuve concernant une PRI dans ce pays étaient mixtes. La SAR a mentionné spécifiquement des documents du ministère des Affaires étrangères et du Commerce de l’Australie, concluant que, selon une prépondérance des probabilités, une PRI au Pakistan était disponible pour des gens comme le demandeur qui avaient des craintes semblables. La SAR a conclu que le raisonnement de la SPR (à savoir que le SSP avait réussi à poursuivre le demandeur en deux occasions distinctes parce qu’il demeurait chez des membres de la famille dans la province du Punjab) était convaincant à cet égard.

[18]           La SAR a conclu que l’on devrait accorder peu de poids au rapport du psychologue quant à la disponibilité d’une PRI pour le demandeur pour les raisons suivantes :

         il franchissait la ligne séparant l’opinion d’expert de la défense des intérêts;

         il tirait des conclusions sur la crédibilité qui auraient dû être réservées au tribunal;

         il n’avait fait l’objet d’aucune validation;

         il parvenait à des conclusions très graves concernant la santé psychologique de l’appelant après une seule entrevue;

         il traitait de l’absence de ressources disponibles au Pakistan sans donner d’éléments de preuve de connaissances concernant les options en matière de traitement dans ce pays.

III.             Questions en litige

[19]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.      Était-il raisonnable pour la SAR de trouver une PRI dans la ville de Hyderabad, ailleurs au Pakistan?

2.      La SAR a-t-elle commis une erreur en attribuant peu de poids au rapport du psychologue?

IV.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], aux paragraphes 57 et 62, la Cour suprême du Canada a conclu qu’une analyse relative à la norme de contrôle n’est pas nécessaire lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. » L’existence d’une PRI est une question mixte de faits et de droit susceptible de révision et, par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique. Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] ACF no 1543. La décision de la SAR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable : Huruglica c. Canada, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica (CAF)]. Même si la Cour d’appel fédérale a conclu dans Huruglica (CAF) que la norme de contrôle à appliquer par la SAR est celle de la décision correcte, sauf pour les questions de crédibilité où la SPR a eu un avantage, l’application par la SAR de la norme entérinée antérieurement par la Cour fédérale dans Huruglica (CF), précité, n’est pas nécessairement une erreur susceptible de révision dans la mesure où la SAR mène, sur le fond, une révision approfondie, complète et indépendante telle celle entérinée par la Cour d’appel fédérale : (Shala c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 573, au paragraphe 9.

[21]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour de révision lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Dans le cas d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[22]           En l’espèce, une décision de la SAR répond aux critères exposés dans Dunsmuir si « les motifs permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16. En outre, la Cour a indiqué que le contrôle judiciaire ne doit pas devenir une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur : voir l’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54. Je souligne qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation faite par la SAR : voir Dunsmuir, au paragraphe 53; Zhong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 346, au paragraphe 16.

B.                 Analyse

[23]           Tout bien pesé, j’ai conclu que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs suivants.

[24]           Je conviens que la question en litige est celle de la décision raisonnable de la conclusion relative à la PRI. La règle de droit à cet égard se trouve dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (FCA), 1993 CanLII 3011, au paragraphe 12 :

12   Le juge Mahoney a exprimé la position avec plus de précision dans Rasaratnam, précité, page 711 :

À mon avis, en concluant à l’existence de la PRI, la Commission se devait d’être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant ne risquait pas sérieusement d’être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour l’appelant d’y chercher refuge.

[25]           Je conclus également que la SAR a procédé à un contrôle en bonne et due forme, conformément à Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 9; la SAR a mené, sur le fond, une révision approfondie, complète et indépendante, tel qu’il est exigé.

[26]           J’aborderai chaque partie de ce critère à deux volets.

N’y avait-il pas une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à Hyderabad?

[27]           Comme il est indiqué, les conclusions de la SAR concernant une PRI à Hyderabad sont contestées pour le motif qu’elles sont déraisonnables pour plusieurs raisons. J’énoncerai chacune de ces raisons et je les aborderai dans l’ordre.

[28]           Je ne conclus pas que les raisons de la SAR sont contradictoires, tel qu’il est allégué. Les éléments de preuve sur la situation au pays quant à la possibilité de persécution à Hyderabad étaient effectivement mixtes, comme l’a raisonnablement conclu la SAR. La SAR a exposé les éléments de preuve et a tiré une conclusion fondée sur les faits de l’espèce. Tirer cette conclusion était du ressort de la SAR, soit d’évaluer les éléments de preuve mixtes et d’en venir à une conclusion. Elle a appliqué le critère reconnu pour cette évaluation et a choisi de se fier au rapport de l’Australie plutôt qu’à d’autres; à mon humble avis, cela constituait sa prérogative et son devoir et n’était pas contraire à Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, aux paragraphes 14 à 17.

[29]           La conclusion de la SAR de savoir si le SSP et d’autres groupes poursuivraient ou non le demandeur à Hyderabad, en supposant que sa terre ait été vendue, est aussi raisonnablement loisible compte tenu des faits. Encore une fois, il s’agit d’une évaluation factuelle qu’il appartient à la SAR de trancher. À cet égard, je souligne que la SAR est un organisme spécialisé en évaluation d’une possible PRI et je suis prêt à faire preuve de retenue, comme il est généralement exigé, à l’égard de son évaluation à ce sujet.

[30]           La question de la rumeur répandue par le demandeur selon laquelle il avait légué dans son testament sa terre au gouvernement (une rumeur visant à ce qu’il n’y ait aucun avantage pour le SSP qu’il soit mort) est précisément le genre d’évaluation nuancée et factuelle que la SAR est conçue pour évaluer et trancher. Bien qu’il n’en soit nullement mention dans son analyse, il est bien connu que la SAR n’est pas tenue d’aborder chacune des questions en litige proposées par un demandeur : Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, au paragraphe 3; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16.

[31]           L’allégation selon laquelle le SSP tuerait le demandeur, même s’il vendait sa terre, a été examinée et réglée par la SAR. Une fois de plus, cet argument invite la Cour à tenir une nouvelle instance sur les faits de l’espèce, ce qui n’est habituellement pas son obligation. Je conviens que la conclusion de la SAR voulant que ces rapports ne sont pas corroborés est contraire aux éléments de preuve, si ces éléments de preuve ont effectivement été acceptés. Selon le demandeur, deux sources différentes l’ont informé qu’il serait tué, peu importe qu’il ait ou non vendu sa terre : son geôlier et un aîné du village qui était également son ami. À mon avis, chacun a corroboré l’autre. Même si la SPR a conclu que ces éléments de preuve ne sont pas corroborés, cette conclusion n’est pas étayée par le dossier. À mon avis, cela ne suffit pas à rendre la décision déraisonnable.

Est-ce que les conditions qui prévalent à Hyderabad sont telles qu’il serait déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge?

[32]           Il incombe au demandeur de démontrer qu’il est objectivement déraisonnable que l’on s’attende à ce qu’il trouve un « refuge » dans son propre pays : Thirunavukkarasu, au paragraphe 12.

[33]           À mon avis, le règlement de cette question dépend de l’évaluation du rapport déposé par le psychologue du demandeur, auquel la SAR a accordé peu de poids. Les raisons qu’a fournies la SAR pour agir ainsi et mes commentaires à l’égard de chacune suivent :

A.           Il a franchi la ligne qui sépare l’opinion d’experts du plaidoyer. À mon avis, bien que l’on s’attende à ce que les rapports d’experts soient favorables à l’allégation faite par la personne qui les dépose, il existe une limite entre donner un diagnostic et un pronostic avec le soutien approprié et le plaidoyer : Egbesola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 204. La détermination du côté de la ligne où un rapport d’experts se situe revient à pondérer les éléments de preuve et à évaluer leur portée sur les faits de l’espèce. C’est une question qui relève de la SAR dans le cadre de son obligation d’apprécier la preuve. La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard d’une telle évaluation. J’ai examiné le rapport et je ne peux pas dire que l’évaluation faite par la SAR de ce rapport précis est déraisonnable.

B.           Il tirait des conclusions sur la crédibilité qui auraient dû être réservées au tribunal. À mon avis, il est bien connu que les conclusions relatives à la crédibilité sont au cœur du travail de tribunaux comme la SPR et la SAR. Bien que je ne connaisse pas la pratique de l’expert visé en l’espèce, il est rare que de tels rapports traitent de la crédibilité d’un demandeur, et encore moins qu’ils entrent dans le niveau de détails comme on l’a fait en l’espèce. Le rapport en question non seulement évalue la crédibilité du demandeur, il va plus loin et peut sembler donner des conseils au juge des faits sur la façon d’évaluer la crédibilité du demandeur lorsqu’il comparaît devant lui. Le demandeur offre une explication, à savoir que les observations du psychologue constituent une évaluation de ce que le demandeur lui signalait, afin de déterminer la crédibilité des faits qui lui étaient fournis et sur lesquels il a fondé ses conclusions. Cependant, une lecture impartiale du rapport, respectueusement, n’étaye pas un tel argument. En l’espèce, comme je suis tenu de le faire, je fais preuve de retenue à l’égard de l’évaluation de la SAR. Quoi qu’il en soit, j’ai conclu que cet aspect de l’examen de la SAR du rapport est raisonnable.

C.           Il n’avait fait l’objet d’aucune validation. À mon avis, il ne s’agit pas d’un motif qui permet à lui seul d’attribuer peu de poids au rapport. Si tel était le cas, la plupart, voire la totalité, de ces rapports n’auraient pas beaucoup de poids. Par conséquent, je conclus que ce motif n’est pas raisonnable.

D.           Il parvenait à des conclusions très graves concernant la santé psychologique du demandeur après une seule entrevue. Nous savons que le demandeur n’a rencontré le psychologue qu’une seule fois; nous ne savons pas pendant combien de temps. On a dit à la Cour que ce psychologue rencontre habituellement ses clients pendant deux ou trois heures. Respectueusement, il faut une fois de plus évaluer le poids à accorder au rapport, ce que la SAR doit trancher de façon raisonnable. Il faut faire preuve de retenue à l’égard d’une telle détermination, en particulier du fait de l’expérience de la SAR dans l’examen de tels rapports.

E.            Il traitait de l’absence de ressources disponibles au Pakistan sans donner d’éléments de preuve de connaissances concernant les options en matière de traitement dans ce pays. D’une part, le psychologue a dit qu’il n’y avait [traduction] « aucune option de traitement psychologique ou psychiatrique au Pakistan en ce qui concerne le TSPT, le TDM au Pakistan »; cependant, rien ne laisse croire qu’il avait cette expertise à cet égard. D’autre part, le demandeur soutient que cette observation visait à indiquer que le demandeur ne pourrait pas être traité s’il retournait au Pakistan, sans parler de l’état des traitements en santé mentale dans ce pays. Tout bien pesé, cette conclusion est raisonnable à mon avis.

[34]           J’ai tenu compte de ces questions en tant que conclusions individuelles pour des raisons purement pratiques et je comprends qu’il ne s’agit pas d’additionner les positifs et de soustraire les négatifs.

[35]           Prenant du recul et examinant la décision comme un tout, examinant chaque aspect du critère à deux volets pour déterminer le caractère raisonnable d’une PRI conformément aux principes de Thirunavukkarasu et gardant à l’esprit qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor à la recherche d’erreurs, j’ai conclu que la décision de la SAR est raisonnable. Elle satisfait aux principes exposés dans Dunsmuir parce qu’elle appartient aux résultats possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit

V.                Question à certifier

[36]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune ne se pose.

VI.             Conclusions

[37]           Par conséquent, le présent contrôle judiciaire doit être rejeté. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, sans aucune question à certifier et aucune ordonnance quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-663-16

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD ASIF c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 octobre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Alexandra Mann

Pour le demandeur

 

David Shiroky

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherritt Green

Avocats

Calgary (Alberta)

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

Pour le défendeur

 

 

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