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Date : 20161125


Dossier : IMM-1364-16

Référence : 2016 CF 1309

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SYLVIA ANITA WILLIAMS

RAMON MARTIN WILLIAMS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs visent à faire annuler une décision d’une agente d’immigration (l’agente) datée du 8 mars 2016 qui a rejeté leur demande de résidence permanente à partir du Canada et conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Le contexte

[3]               Les demandeurs, Sylvia Williams et son fils Ramon Williams, sont des citoyens de la Barbade. Ils sont arrivés au Canada à titre de visiteurs le 23 décembre 2011. Ils sont restés au Canada sans statut depuis le 30 juin 2013. Ils ont présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire en juin 2015 en indiquant, entre autres, que plusieurs membres de leur famille vivaient au Canada, qu’ils souhaitaient parfaire leur éducation et que M. Williams souffre d’une déficience visuelle et qu’il se portait bien au Canada.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[4]               Dans la décision datée du 8 mars 2016, l’agente a conclu que les éléments de preuve ne justifiaient pas une exemption pour motifs d’ordre humanitaire de l’exigence que les demandeurs présentent leur demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

[5]               L’agente a pris en compte les observations des demandeurs au sujet de leur établissement au Canada, incluant leurs liens familiaux, les allégations de violence conjugale de Mme Williams à l’égard de son ancien conjoint de fait, la déficience visuelle de M. Williams et les conditions difficiles auxquelles ils pourraient être confrontés s’ils retournaient à la Barbade.

[6]               L’agente a noté que les deux demandeurs sont affairés à parfaire leur éducation au Canada, qu’ils sont membres d’une église locale et que Mme Williams prend part à des activités bénévoles. L’agente a noté que les demandeurs subviennent à leurs besoins grâce à leurs économies et avec l’aide de membres de leur famille, mais aucune information n’a été fournie sur la façon dont ils prévoient subvenir à leurs besoins une fois que leurs économies seront épuisées.

[7]               L’agente a noté les lettres de soutien fournies par les sœurs et le frère de Mme Williams, tous des citoyens canadiens, mais a conclu que les lettres manquaient de détails et n’ont pas établi que l’incidence émotionnelle du retour des demandeurs en Barbade dépasserait ce qui est normalement attendu dans de telles circonstances.

[8]               L’agente a reconnu les conséquences en matière de santé mentale et physique associées à la violence conjugale, mais a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour valider l’allégation d’abus de Mme Williams. Bien que Mme Williams ait demandé des rapports de police de la Barbade, il semble qu’elle n’ait pas fait de suivi. De plus, il n’y a pas d’autres éléments de preuve au sujet des défis psychologiques auxquels Mme Williams est confrontée en tant que victime d’abus ou si elle reçoit encore des menaces de son ancien conjoint de fait.

[9]               L’agente a pris en compte l’allégation des demandeurs que leur maison en Barbade est sujette à un ordre de démolition et qu’ils n’auraient pas de maison où retourner.

[10]           L’agente a également pris en compte la preuve documentaire limitée fournie au sujet de M. Williams. L’agente a reconnu qu’il est légalement aveugle, mais a constaté l’absence d’éléments de preuve au sujet de son état de santé actuel, de la discrimination dont il est victime en Barbade ou du fait qu’il ne pourrait pas poursuivre ses études.

[11]           L’agente a conclu que, séparément ou ensemble, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une exemption de la Loi pour motifs d’ordre humanitaire.

III.             Les questions en litige

[12]           Les demandeurs affirment que la décision de l’agente est déraisonnable puisqu’elle a omis : de prendre en compte leurs circonstances de façon globale; de considérer sérieusement leurs liens familiaux au Canada et leur manque de liens familiaux en Barbade; de considérer sérieusement leur établissement au Canada; d’évaluer les observations pour motifs d’ordre humanitaire en tenant compte de l’objectif équitable sous-jacent du recours pour motifs d’ordre humanitaire et de l’orientation de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy c. Canada, 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909, [Kanthasamy].

IV.             La norme de contrôle

[13]           Les parties conviennent que la norme de contrôle d’une décision discrétionnaire est la norme de la décision raisonnable (Terigho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 835, paragraphe 6, [2006] ACF no 1061 (QL); voir aussi Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, paragraphes 57 à 62).

[14]           Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour doit établir « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’examiner « si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, et la Cour ne réévaluera pas les éléments de preuve.

V.                La décision est raisonnable

[15]           Les observations des demandeurs à propos du contrôle judiciaire constituent une demande pour que les éléments de preuve examinés par l’agente soient appréciés de nouveau. Ce n’est pas là le rôle de la Cour. Bien que les circonstances des demandeurs suggèrent qu’ils gagneraient à rester au Canada avec leur famille élargie, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve qui leur incombe en fournissant suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer leur demande en vue d’obtenir une exemption pour motifs d’ordre humanitaire. L’agente n’est pas tenue de lire entre les lignes ou de demander des éléments de preuve supplémentaires pour appuyer une demande.

[16]           L’agente a examiné tous les éléments de preuve présentés et a raisonnablement conclu qu’ils étaient limités et pas suffisamment détaillés. L’agent comprenait le but de l’exemption pour motifs d’ordre humanitaire et a examiné tous les éléments de preuve de façon cumulative, mais elle n’avait tout simplement pas assez d’éléments en sa possession pour justifier l’exemption et accorder la dispense.

L’agente a considéré les circonstances des demandeurs de façon globale

[17]           L’agente a tenu compte de chaque facteur d’ordre humanitaire pertinent et tiré une conclusion au sujet de l’établissement des demandeurs, de leur attachement à leur famille, des répercussions de leur départ sur leur famille au Canada, des allégations de violence conjugale en Barbade, de la démolition de leur maison en Barbade, de la déficience visuelle de M. Williams et de ses activités au Canada, de même que de l’énoncé général du frère de Mme Williams qui mentionne que la situation en Barbade s’est détériorée. L’agente a clairement mentionné qu’elle avait examiné les circonstances de façon individuelle et cumulative. L’argument des demandeurs que l’agente a omis de prendre en compte l’ensemble des circonstances est non fondé.

L’agente a tenu compte de l’établissement des demandeurs

[18]           L’agente a raisonnablement conclu que les lettres d’appui n’indiquaient pas la façon dont les demandeurs allaient subvenir à leurs besoins une fois leurs économies épuisées, soit que leur famille au Canada qui aidait présentement M. Williams ne serait pas disponible s’ils revenaient, ou encore, l’incidence de leur départ sur leur famille au Canada. L’agente a reconnu leur appartenance à une église et qu’ils ont tous les deux récemment suivi des cours pour parfaire leur éducation. L’agente a raisonnablement mentionné qu’il n’y avait aucun élément de preuve que l’intention de Mme Williams de devenir productrice de musique avait de l’avenir ou qu’elle pourrait faire cela en Barbade.

[19]           Il y avait également peu d’éléments de preuve des défis auxquels M. Williams est confronté en raison de sa déficience visuelle ou qu’il serait affecté négativement s’il retournait en Barbade.

[20]           Les demandeurs prétendent que l’agente a commis une erreur en concluant à un établissement insuffisant en l’absence d’un point de référence pour déterminer le niveau d’établissement attendu selon Kachi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 871 [Kachi] où la Cour a mentionné au paragraphe 15 que,  « [i]l n’est pas suffisant de dire que leur degré d’établissement était insuffisant sans établir de point de référence ». Je ne considère pas que Kachi établit un principe selon lequel un agent doit commencer par indiquer le point de référence approprié. Ceci ne serait pas possible étant donné les circonstances de chaque demandeur et que leur preuve d’établissement sera différente. De plus, en l’espèce, l’agente n’a pas conclu que l’établissement des demandeurs était inférieur à tout niveau attendu, mais plutôt qu’ils ont démontré « un certain établissement au Canada », constatant que cela n’est qu’un des facteurs d’une appréciation des motifs d’ordre humanitaire. 

L’agente n’a pas omis de tenir compte de l’attachement des demandeurs à leur famille au Canada

[21]           L’agente a examiné chacune des lettres fournies par le frère et les sœurs de Mme Williams et a raisonnablement conclu qu’elles n’étaient pas suffisamment détaillées. L’agente a reconnu que les lettres des membres de la famille décrivaient les activités familiales qu’ils partageaient au Canada, mais a conclu, comme cela est établi dans la jurisprudence, que la séparation des demandeurs de leur famille était une conséquence fâcheuse, mais ne constituait pas des difficultés justifiant une exemption.

[22]           La juge Abella a mentionné ce qui suit dans Kanthasamy, au paragraphe 23 :

L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) (voir Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463 (CanLII), par. 13 (CanLII); Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16640 (CF), 2000 CanLII 16640 (C.F. 1re inst.), par. 12). De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 27 mai 2010, 15 h 40 (Peter MacDougall); voir également Témoignages, no 3, 1re sess., 37e lég., 13 mars 2001, 9 h 55 à 10 h (Joan Atkinson).

L’agente n’a tiré aucune conclusion défavorable

[23]           L’agente a expliqué pourquoi elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer les allégations de violence conjugale. L’agente a indiqué le type d’éléments de preuve qui auraient pu favoriser la demande des demandeurs. Bien que Mme Williams ait envoyé une requête à la police en Barbade pour obtenir une copie des accusations et des cas de violence conjugale signalés, cette lettre ne précise pas la date des incidents présumés ni n’indique si Mme Williams posait des questions au sujet des rapports qu’elle a rédigés à propos de ces incidents. Il n’y avait aucun élément de preuve que cette requête avait fait l’objet d’un suivi ni des difficultés vécues par Mme Williams en tant que survivante ou des éléments de preuve de contact ou de menaces actuelles formulées par son ancien conjoint de fait.

[24]           En ce qui concerne la démolition de la maison des demandeurs en Barbade, malgré le fait que l’agente ait remarqué que l’avis de démolition était une copie, l’agente a également conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve au sujet de la façon dont les documents ont abouti dans les mains des demandeurs ou s’il y a eu un suivi quelconque, incluant l’exercice de leurs droits d’appel, ce qui aurait pu empêcher la démolition de leur maison. L’agente a raisonnablement conclu à un manque d’éléments de preuve à savoir si les demandeurs auraient accès à leur maison en Barbade.

L’agente a bien compris l’objectif équitable du recours pour motifs d’ordre humanitaire

[25]           À l’égard de l’observation des demandeurs que l’analyse des considérations d’ordre humanitaire ne reflète pas l’approche établie par la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy, je ne suis pas d’accord. L’agente a exploré chaque facteur d’ordre humanitaire et évalué tous les éléments de preuve relativement aux difficultés le plus généralement possible, mais a conclu de façon raisonnable qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve.

[26]           Kanthasamy fournit des indications aux décideurs, incluant de soupeser tous les faits pertinents à leur disposition et de ne pas appliquer la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » en tant que seuils distincts des objectifs équitables du paragraphe 25 (aux paragraphes 25 et 33). La juge Abella a mentionné au paragraphe 25 :

Ce qui justifie une dispense dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Baker, par. 74‑75).

[27]           L’agente n’a pas défini les « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » en tant que seuil. L’agente a examiné chaque facteur et ensuite tous les facteurs de façon cumulative.

[28]           La décision de l’agente comporte toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable; l’agente n’a pas fait fi d’éléments de preuve, l’agente a évalué tous les éléments de preuve et expliqué pourquoi cela était insuffisant; l’agente n’a pas commis une erreur de droit dans sa compréhension de l’approche appropriée à une analyse des motifs d’ordre humanitaire. La décision est justifiée, transparente et intelligible.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1364-16

 

INTITULÉ :

SYLVIA ANITA WILLIAMS, RAMON MARTIN WILLIAMS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 octobre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Paul VanderVennen

 

Pour les demandeurs

 

Charles J. Jubenville

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul VanderVennen

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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