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Date : 20161208


Dossier : T-431-16

Référence : 2016 CF 1356

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

DAN PELLETIER

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est appelée à se prononcer sur une requête écrite que la défenderesse (la Couronne fédérale) a déposée sous le régime de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), afin d’obtenir la radiation de la déclaration du demandeur, sans autorisation de la modifier, au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable et qu’elle est « scandaleuse, frivole ou vexatoire ».

[2]  La déclaration du demandeur a été déposée le 11 mars 2016 à titre de « Recours collectif – envisagé », au sens de la partie 5.1 des Règles. Le demandeur sollicite plusieurs injonctions et jugements déclaratoires, ainsi que des dommages-intérêts compensatoires à l’encontre de la Couronne fédérale relativement au rejet dans l’espace aérien canadien de prétendues « trainées de matières particulaires blanches », composées de « fines particules » toxiques (les rejets atmosphériques) qui, en se dissipant à basse altitude, sont nuisibles à l’environnement, y compris à l’air que respirent sa famille et les membres potentiels du recours collectif envisagé.

[3]  Selon le demandeur, les rejets atmosphériques peuvent facilement être absorbés par le corps humain et l’environnement, et sont donc dangereux pour les deux. Il reproche à la Couronne fédérale, de même qu’à ses représentants ou intermédiaires, de continuer les rejets atmosphériques dans l’espace aérien en sachant qu’ils sont dangereux, ou du moins en étant censés le savoir. Le demandeur allègue que la responsabilité de la Couronne fédérale est engagée du fait que ses actions ou inactions à l’égard des rejets atmosphériques contreviennent à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, LC 1999 c 33 (la LCPE) et à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), équivalent à de la négligence, et constituent une intrusion ainsi qu’une nuisance entravant la jouissance paisible, pour lui et les membres potentiels du recours collectif envisagé, de leur propriété.

[4]  Tel qu’il a été énoncé précédemment, la défenderesse réclame la radiation de la déclaration du demandeur. À son avis, les causes d’action alléguées par le demandeur n’existent pas en droit ou ne sont pas révélées par les faits substantiels requis. La défenderesse prétend également que la déclaration du demandeur est scandaleuse, frivole et vexatoire parce qu’elle est truffée d’affirmations et de conclusions vagues, et par ailleurs si dépourvue d’éléments factuels qu’il est impossible de bâtir une défense valable.

[5]  Le critère applicable à une requête en radiation fondée sur l’absence de cause d’action est bien connu : il doit être évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable (R. c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45, au paragraphe 17 (Imperial Tobacco); Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la page 980; Sivak c Canada, 2012 CF 272, au paragraphe 15 [Sivak]).

[6]  Il est bien établi aussi qu’aucun élément de preuve absent des actes de procédure ne peut être pris en considération dans le cadre de telles requêtes et que, même si les allégations qu’il est possible de prouver doivent être considérées comme véridiques, le même principe ne s’applique pas aux actes de procédure fondés sur des hypothèses et des spéculations et à ceux qu’il est impossible de prouver (Imperial Tobacco, au paragraphe 22; Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, à la page 455 [Operation Dismantle]; AstraZeneca Canada Inc. c Novopharm Limited, 2009 CF 1209, aux paragraphes 10 à 12).

[7]  À cet égard, même si la déclaration doit être lue de manière aussi libérale que possible afin de remédier à tout vice de forme attribuable à une carence rédactionnelle (Operation Dismantle, à la page 451), le demandeur est tenu de présenter clairement les faits sur lesquels repose sa demande :

[22]  […] Il incombe au demandeur de plaider clairement les faits sur lesquels il fonde sa demande. Un demandeur ne peut compter sur la possibilité que de nouveaux faits apparaissent au fur et à mesure que l’instruction progresse. Il peut arriver que le demandeur ne soit pas en mesure de prouver les faits plaidés au moment de la requête. Il peut seulement espérer qu’il sera en mesure de les prouver. Il doit cependant les plaider. Les faits allégués sont le fondement solide en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie. S’ils ne sont pas allégués, l’exercice ne peut pas être exécuté adéquatement. (Imperial Tobacco) (Je souligne.)

[8]  Récemment, dans un arrêt rejetant l’appel d’une décision par laquelle notre Cour avait accueilli une requête en radiation, la Cour d’appel fédérale a insisté sur l’importance fondamentale pour le procès qu’un demandeur « présente les faits matériels de façon suffisamment détaillée pour appuyer la demande et le redressement souhaité » (Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227, au paragraphe 16 [Mancuso]). Les demandeurs dans cette affaire sont des consommateurs, des distributeurs et des fabricants de produits de santé naturels qui contestent la compétence législative du Parlement ou, subsidiairement, le pouvoir délégué à Santé Canada par la Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985 c F-27, de réglementer ce genre de produits. Ils soutiennent également que la réglementation de ces produits contrevient à certaines dispositions de la Charte et que les personnes qui, au sein du gouvernement du Canada, sont chargées de mettre en œuvre et de faire respecter cette réglementation ont commis divers délits relativement à l’exercice du pouvoir de l’État (Mancuso, aux paragraphes 5 à 7).

[9]  Citant le juge de première instance, la Cour d’appel fédérale a d’abord endossé le principe selon lequel « les actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action » (Mancuso, au paragraphe 16). Après avoir rappelé que cette exigence est consacrée par l’article 174 des Règles, la Cour explique sur quoi repose l’obligation des parties de présenter suffisamment de faits matériels à l’appui d’une demande :

[17]  La dernière partie de cette exigence, soit l’exposé de faits matériels suffisamment précis, constitue le fondement des actes de procédure correctement rédigés. Si un juge autorisait les parties à avancer de simples affirmations de fait, ou de simples conclusions de droit, les actes de procédure ne rempliraient pas le rôle qui leur revient, soit celui de cerner les questions en litige. Il est essentiel que le défendeur ait en main des actes de procédure correctement rédigés de façon à préparer son système de défense. Les faits matériels servent à encadrer les interrogatoires préalables et permettent aux avocats de conseiller leur client, à préparer leurs moyens et à établir une stratégie en vue du procès. Qui plus est, les actes de procédure permettent de définir les paramètres d’appréciation de la pertinence d’éléments de preuve lors des interrogatoires préalables et de l’instruction du procès.

[10]  Reconnaissant qu’il n’existe « aucune démarcation très nette entre les faits matériels et les simples allégations ni entre l’exposé de faits matériels et l’interdiction de plaider certains éléments de preuve », la Cour d’appel fédérale a soutenu que la pertinence des faits est établie « en fonction du moyen et des dommages-intérêts réclamés », ce qu’il revient au juge de première instance d’apprécier. Au bout du compte, le demandeur « doit énoncer, avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé » afin de veiller à ce que les actes de procédure « cernent les questions en litige avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction et des phases préparatoires à l’instruction ». En bref, « l’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée » (Mancuso, aux paragraphes 18 et 19).

[11]  L’exposé des faits substantiels est requis autant pour les allégations de violations de la Charte que pour les causes d’action fondées sur la common law. Autrement dit, quel que soit le fondement de la demande, « [l]e demandeur ne peut déposer des actes de procédure qui ne sont pas suffisants et ensuite compter sur le défendeur pour présenter une demande de précisions, pas plus qu’il ne peut les compléter au moyen de précisions visant à les rendre suffisants » (Mancuso, aux paragraphes 20 et 21).

[12]  Les principes exposés ci-dessus guideront l’analyse de la requête en radiation de la défenderesse et de l’acte de procédure du demandeur en l’espèce.

[13]  À mon avis, les trois allégations suivantes sont au cœur de la présente demande :

  1. À différentes dates, de fines particules toxiques provenant d’aéronefs ont été libérées dans l’espace aérien canadien.
  2. La Couronne fédérale, ses représentants ou ses intermédiaires savaient, ou auraient dû savoir, que les rejets atmosphériques se dissipaient à basse altitude et qu’ils étaient présents dans l’air respiré par le demandeur et les membres potentiels du recours collectif envisagé et, par conséquent, qu’ils étaient dangereux pour le corps humain et l’environnement.
  3. Dans un tel contexte, considérant que la Couronne fédérale, ses représentants ou ses intermédiaires « ont participé » à la production des rejets atmosphériques dans l’espace aérien canadien, ils doivent être tenus responsables de la violation d’une loi et de la Charte, ainsi que de délits de common law, savoir la négligence, la nuisance et l’intrusion.

[14]  Le demandeur soutient que dans les circonstances, il a droit à diverses formes de réparation, notamment i) des déclarations de violation de la loi et de la Charte; ii) une injonction interlocutoire et permanente ordonnant à la Couronne fédérale de se conformer à la Charte et à la LCPE ainsi qu’aux règlements connexes, et de s’abstenir de participer à la production des rejets atmosphériques en cause; iii) des dommages-intérêts généraux, de nature pécuniaire et autre, pour les préjudices corporels graves, y compris la mort, les traumatismes émotionnels et psychologiques, ainsi que la perte de revenus; iv) des dommages-intérêts punitifs, majorés et exemplaires; v) les dépens, y compris les frais d’administration du plan de distribution rattaché à l’action.

[15]  Je suis d’accord avec la défenderesse que la déclaration du demandeur repose sur de simples allégations et des affirmations péremptoires à l’égard de principes de droit et que, par conséquent, elle est loin d’énoncer avec suffisamment de précision les éléments constitutifs de chacune des causes d’action soulevées. En particulier, la déclaration néglige d’indiquer à la défenderesse « par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée », et elle ne cerne pas les questions en litige avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction (Mancuso, aux paragraphes 18 et 19).

[16]   Les allégations de violation de la loi et de la Charte sont toutes aussi simplistes, générales et vagues : i) elles ne précisent pas quelles dispositions de la LCPE ni quels droits garantis par la Charte ont été violés; ii) elles n’indiquent pas à la défenderesse qui sont les auteurs des violations alléguées, comment elles ont été commises et de quelle façon sa responsabilité est engagée; iii) elles ne précisent pas où et quand les violations alléguées ont été commises; iv) elles n’indiquent pas de quelle façon la Couronne fédérale, ses représentants ou ses intermédiaires « participent » à la production de rejets atmosphériques dans l’espace aérien canadien et déclenchent ainsi l’application de la LCPE et de la Charte; v) elles n’identifient pas les représentants ou les intermédiaires de la Couronne fédérale à qui il est reproché de violer la LCPE et la Charte.

[17]  Comme il a été précisé précédemment, les règles ne sont pas différentes pour les actes de procédure déposés dans les affaires relevant de la Charte. L’exigence liée aux faits essentiels s’applique de la même façon que pour d’autres causes d’action (Mancuso, au paragraphe 21). Dans l’affaire Mancuso, les actes de procédure ont été jugés insuffisants, mais ils indiquaient au moins les dispositions de la Charte prétendument violées. Là encore, ce n’est pas le cas en l’espèce. Pour ce qui concerne la violation alléguée de la LCPE, non seulement le demandeur a omis d’énoncer les faits substantiels dans son acte de procédure, mais la demande elle-même est vouée à l’échec puisqu’il est fermement établi qu’une autorité publique ne peut pas être poursuivie pour manquement par négligence à une obligation légale (Holland c Saskatchewan, [2008] 2 RCS 551, aux paragraphes 8 et 9).

[18]  L’acte de procédure du demandeur présente les mêmes vices pour ce qui touche les causes d’action fondées sur la common law, qui reposent sur les mêmes allégations simplistes et affirmations péremptoires à l’égard de principes de droit. Tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Mancuso, la rédaction adéquate d’allégations de responsabilité délictuelle exige « que le délit civil spécial reproché soit énoncé et que les faits pertinents nécessaires pour établir les éléments du délit soient exposés » (Mancuso, au paragraphe 26). Les éléments essentiels du délit de négligence comprennent un devoir de diligence, une violation précise de ce devoir, un lien de cause à effet entre la violation du devoir et le préjudice allégué, ainsi qu’une perte réelle. Par conséquent, la déclaration doit exposer suffisamment de faits et fournir tous les détails nécessaires à l’appui de chacun des éléments essentiels (Sivak, au paragraphe 26).

[19]  Par surcroît, dans les affaires mettant en jeu la responsabilité de la Couronne fédérale, il faut toujours garder à l’esprit qu’elle doit découler du fait d’autrui, tel qu’il est prévu aux articles 3 et 10 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985 c C-50. Le demandeur doit à tout le moins identifier les individus prétendument fautifs ou, si c’est impossible, un groupe de personnes, un secteur organisationnel ou les postes dont relevait une question susceptible de donner matière à poursuite (Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184, aux paragraphes 36 à 38 [Merchant Law Group]). De plus, comme l’a précisé la Cour dans la décision Sivak, l’exigence de présenter des faits substantiels suffisants revêt une importance particulière pour étayer des allégations de négligence, qui requièrent le plus souvent de déterminer si la conduite reprochée relève d’une politique (non susceptible de poursuite) ou d’une décision opérationnelle (susceptible de poursuite) (Sivak, au paragraphe 48).

[20]  La défenderesse souligne à juste titre que dans sa déclaration, le demandeur se borne à indiquer les étapes de l’analyse du délit général de négligence. Il n’y précise pas qui sont les personnes, le groupe de personnes ou le secteur organisationnel prétendument impliqués dans les actes de négligence, et encore moins qui sont les représentants ou les intermédiaires de la Couronne prétendument responsables de ces actes. La déclaration ne fournit aucun détail sur les actes de négligence allégués – la « participation à la production de rejets atmosphériques » –, elle n’indique pas par qui, comment et de quelle façon la responsabilité de la défenderesse est engagée à l’égard de ces actes, ni quel est le lien entre la Couronne fédérale, ses représentants ou ses intermédiaires et les aéronefs dont proviennent en réalité lesdits rejets. Enfin, la déclaration expose très vaguement quand et où les actes ont eu lieu. Force est de constater que la déclaration n’avise pas raisonnablement la défenderesse de la preuve à réfuter.

[21]  Les mêmes constats valent pour les allégations de nuisance et d’intrusion. Le demandeur n’expose aucun fait substantiel qui permettrait d’établir que la participation alléguée à la production de rejets atmosphériques constitue une entrave substantielle et déraisonnable à l’utilisation ou à la jouissance de son bien-fonds (Antrim Truck Center Ltd c Ontario (Transports), [2013] 1 RCS 594, au paragraphe 19). Aucun fait n’étaye l’allégation d’intrusion – le demandeur n’a pas établi que les actes délictueux allégués ont entraîné une intrusion directe et physique sur son bien-fonds. Plus précisément, il n’a présenté aucun fait substantiel permettant de comprendre la nature de l’entrave ou de l’intrusion.

[22]  Pour ces motifs, j’estime que le demandeur n’a pas exposé les faits de façon suffisamment précise pour appuyer sa demande et l’octroi de la réparation sollicitée. Il oblige la défenderesse et la Cour à formuler des hypothèses sur les faits substantiels qui pourraient appuyer ses diverses causes d’action (Mancuso, au paragraphe 16). La Cour suprême du Canada fait observer au paragraphe 22 de l’arrêt Imperial Tobacco que « [l]es faits allégués sont le fondement solide en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie. S’ils ne sont pas allégués, l’exercice ne peut pas être exécuté adéquatement. » C’est exactement le cas en l’espèce.

[23]  La déclaration du demandeur ne remplit tout simplement pas le critère minimal de ce qui constitue un acte de procédure adéquat. Dans sa forme actuelle, elle ne révèle pas les éléments constitutifs de chaque cause d’action soulevée et elle ne cerne pas avec suffisamment de précision les questions en litige pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction et des phases préparatoires à l’instruction. En somme, elle n’expose pas les faits substantiels sur lesquels reposent les causes d’action soulevées. Comme il a été constaté précédemment, c’est suffisant pour radier la présente demande au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable. C’est suffisant également pour radier la déclaration au motif qu’elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire, comme il est prévu à l’alinéa 221(1)c) des Règles. En effet, un acte de procédure truffé de simples allégations et d’affirmations péremptoires concernant des principes de droit, comme c’est le cas ici, est normalement considéré comme étant scandaleux, frivole et vexatoire (Kisikawpimootewin c Canada, 2004 CF 1426, au paragraphe 9; Ceminchuk c Canada, [1995] ACF no 914, au paragraphe 10).

[24]  Je ne puis retenir l’allégation du demandeur comme quoi la défenderesse cherche à obtenir des précisions sur un acte de procédure par ailleurs tout à fait adéquat, et comme quoi également cette requête est prématurée puisque l’analyse de sa demande sera possible seulement quand les questions communes du recours collectif auront été définies (étant donné que ces questions touchent à la conduite systématique et centralisée de la défenderesse, à l’égard desquelles elle devra éventuellement se défendre).

[25]  Au bout du compte, le demandeur laisse entendre que la norme est différente pour les actes de procédure liés à un recours collectif envisagé, et qu’il faut les examiner non pas tels qu’ils ont été rédigés, mais plutôt tels qu’ils auraient pu l’être. Dans l’arrêt Merchant Law Group, la Cour d’appel fédérale tranche sans équivoque qu’il n’existe pas de norme distincte ni aucune jurisprudence à l’appui de cette prétention :

[40]  Enfin, les appelants soutiennent globalement que notre Cour devrait assouplir les règles de procédure lorsqu’elle est saisie d’un recours collectif projeté. Les appelants font valoir que toute lacune dans la déclaration modifiée peut être corrigée dans la requête en certification de l’action en tant que recours collectif. Dans le même ordre d’idée, les appelants soutiennent que la présente Cour ne devrait pas considérer l’acte de procédure tel qu’il est rédigé, mais plutôt [traduction] « de la façon dont il pourrait être rédigé ». Les appelants n’invoquent aucune jurisprudence à l’appui de ces arguments. Je les rejette donc. Une requête en radiation peut être déposée à n’importe quel moment à l’encontre d’une déclaration dans un recours collectif projeté pour non-conformité aux règles de procédure ou parce que la déclaration ne soulève pas de cause d’action valable : Pearson c Canada, 2008 CF 62, [2008] 4 R.C.F. 373, le protonotaire Aalto. L’ouverture d’un recours collectif projeté est une affaire très sérieuse qui peut affecter les droits d’un grand nombre des membres du recours ainsi que les responsabilités et les intérêts des défendeurs. La conformité aux Règles n’est pas sans importance ou optionnelle, elle est en vérité obligatoire et essentielle.

[26]  Par conséquent, l’affaire Baroch c Canada Cartage, 2015 ONSC 40, instruite dans le contexte d’une requête en certification d’un recours collectif, n’est d’aucun secours pour le demandeur. La conformité aux règles de procédure, même dans le contexte d’un recours collectif envisagé, est obligatoire et son absence justifie amplement la radiation d’une requête. Comme le souligne la défenderesse, il est constant en droit que le défaut de révéler la cause d’action à l’appui d’un recours collectif envisagé peut faire l’objet d’une requête en radiation, peu importe si la question pourrait être soulevée dans le cadre d’une requête de certification (Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2008 CF 1371, aux paragraphes 17, 18 et 28).

[27]  Après avoir statué que la déclaration du demandeur devrait être radiée intégralement, je dois maintenant décider s’il faut en autoriser ou non la modification, conformément au paragraphe 221(1) des Règles. Je pourrais aussi ordonner la radiation de la déclaration sans autorisation de la modifier, mais sans préjudice du droit du demandeur d’intenter une nouvelle action, me collant ainsi à la décision Baird c Canada, 2006 CF 205 [Baird CF].

[28]  Normalement, l’autorisation de modification ne devrait pas être accordée si l’acte de procédure comporte un vice qui ne peut être corrigé par une modification (Simon c Canada, 2011 CAF 6, au paragraphe 8 [Simon]). L’arrêt Baird c Canada, 2007 CAF 48 de la Cour d’appel fédérale confirme la décision Baird CF, précisant au paragraphe 3 qu’il n’est tout simplement pas possible de modifier la déclaration car, telle quelle, « il ne peut pas être remédié à ses défauts ». Dans cette affaire, le demandeur avait déposé « une déclaration de 18 pages serrées » par laquelle il réclamait des dommages-intérêts de plus de 30 milliards de dollars à la Couronne fédérale (Baird CF, au paragraphe 2). Notre Cour a expressément conclu qu’une autre raison fondamentale de radier la déclaration sans autorisation de la modifier était qu’elle contenait « un si grand nombre d’allégations non assorties de précisions et [demandait] tant de mesures de redressement que [...] il serait presque impossible à la Cour de régler l’instruction ». Autrement dit, la déclaration constituait un abus de procédure (Baird CF, au paragraphe 12).

[29]  En l’espèce, la déclaration du demandeur est-elle viciée au point « qu’il ne peut pas être remédié à ses défauts », comme c’était le cas dans l’affaire Baird CF? Je ne crois pas. Le pouvoir de radiation devant être exercé avec prudence (Imperial Tobacco, au paragraphe 21), il me semble indiqué de donner la possibilité au demandeur de remédier aux défauts de son acte de procédure en le modifiant, et de présenter la nouvelle version dans les 40 jours suivant la date de la présente ordonnance, y compris la période des vacances judiciaires de Noël telle qu’elle est définie à l’article 2 des Règles. Toutefois, je mets en garde le demandeur, comme l’a fait la Cour d’appel dans l’arrêt Simon, que s’il choisit de soumettre un nouvel acte de procédure, il devra s’assurer de sa conformité aux règles applicables pour éviter une nouvelle radiation. La Cour d’appel fédérale donne l’explication suivante dans son arrêt :

[18]  L’exigence selon laquelle l’acte de procédure doit contenir un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde est une exigence technique ayant un sens précis en droit. Chaque élément constitutif d’une cause d’action doit être invoqué avec suffisamment de détails. Un récit des faits et du moment où ces faits se sont déroulés risque de ne pas remplir les exigences des Règles. […]

[30]  Je tiens aussi à rappeler au demandeur la très faible probabilité qu’il soit fait droit à des allégations de violation d’une loi comme fondement d’une demande de dommages-intérêts à l’encontre de la Couronne fédérale puisque « [l]e droit ne reconnaît pas, à l’heure actuelle, l’action pour manquement par négligence à une obligation légale » (Holland c Saskatchewan, précité, au paragraphe 9).

[31]  Compte tenu de l’issue de la présente requête, les dépens sont adjugés à la défenderesse.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. La requête est accueillie en partie.

  2. La déclaration est radiée avec autorisation de la modifier dans un délai de 40 jours à compter de la date de la présente ordonnance, y compris les vacances judiciaires de Noël.

  3. Les dépens de la requête sont adjugés à la défenderesse.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-431-16

 

INTITULÉ :

DAN PELLETIER c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Henry Juroviesky

 

Pour le demandeur

 

Cynthia Koller

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Henry Juroviesky

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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