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Date : 20161207


Dossier : T-80-16

Référence : 2016 CF 1340

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2016

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

LOREN MURRAY PEARSON

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

I.                   Introduction

[1]               En juin 2011, Loren Murray Pearson avait le grade de capitaine de corvette [capc] dans les Forces armées canadiennes [FAC]. À cette époque, lors d’un déploiement dans le Pacifique Sud à bord du Navire canadien de Sa Majesté [NCSM] OTTAWA, M. Pearson a été accusé d’avoir agressé sexuellement une subordonnée. Il a été renvoyé immédiatement au Canada pour faire face à des accusations devant une cour martiale permanente [CMP]. M. Pearson a plaidé coupable à une accusation de voies de fait portée en vertu du Code criminel, LRC, 1985, c. C-46 [Code criminel]. Il a également plaidé coupable à une accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline au sein des FAC portée en vertu de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c. N-5 [LDN]. En raison de l’agression sexuelle commise en juin 2011, M. Pearson a été libéré des FAC le 25 octobre 2012.

[2]               À la suite de cet incident, des procédures administratives ont été entreprises dans les FAC. M. Pearson s’est prévalu de divers examens et griefs de nature administrative. Dans les FAC, le dernier palier de réexamen était le chef d’état-major de la défense [CEMD], agissant à titre d’autorité de dernière instance [ADI]. Le 1er décembre 2015, l’ADI a rejeté les griefs de M. Pearson concernant la CMP et sa libération des FAC. Il est question ici du contrôle de la décision de l’ADI.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de l’ADI est raisonnable. S’il y a eu un manquement quelconque aux droits de M. Pearson à l’équité procédurale, on y a remédié par l’examen complet que l’ADI a mené. M. Pearson prétend qu’il y a eu atteinte aux droits que lui confère l’article 7 de la Charte, mais il n’y a aucune preuve à l’appui de cet argument. Enfin, la demande de conversion de la présente demande en une action est rejetée.

II.                Le contexte

[4]               M. Pearson, qui se représente lui-même dans la présente instance, soulève des questions à l’égard de la quasi-totalité des processus qui ont été suivis et de toutes les mesures qui ont été prises dans les FAC à la suite de son inconduite sexuelle, survenue en juin 2011. Il soutient que la totalité des mesures qui ont été prises contre lui sont viciées et sans fondement juridique parce qu’on lui a communiqué tardivement une lettre de présentation écrite par le Commandant J.C. Allsopp le 31 août 2011 [la lettre d’Allsopp].

[5]               Parallèlement, M. Pearson dit qu’il a plaidé coupable par erreur devant la CMP parce que la lettre d’Allsopp ne lui avait pas été communiquée plus tôt. M. Pearson avait en main la lettre d’Allsopp avant la date prévue de son audition devant la Cour d’appel de la cour martiale [CACM], mais il a décidé de renoncer à son appel. Il soutient maintenant que cette décision devrait être elle aussi réexaminée dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[6]               Le présent contrôle judiciaire n’a trait qu’à la décision de l’ADI et, de ce fait, les observations et les arguments de M. Pearson à propos des instances engagées devant la CMP et la CACM ne seront pris en compte que dans la mesure où l’ADI en a traité. À part cela, ses divers arguments et observations au sujet de son plaidoyer de culpabilité devant la CMP n’ont aucun rapport avec la présente instance.

[7]               La lettre d’Allsopp est l’élément de preuve fondamental sur lequel s’appuie M. Pearson pour faire valoir que la totalité des mesures qui ont été prises contre lui, jusqu’à sa libération des FAC inclusivement, sont viciées. Pour situer le contexte, cette lettre a été envoyée le 29 juin 2011 par le directeur – Administration (Carrières militaires) [DACM] en vue d’informer le directeur – Soutien aux navires [DSN], à l’endroit où travaillait M. Pearson, des problèmes de rendement de ce dernier. Cela a été fait à son propre insu.

[8]               Comme cette lettre se situe au cœur des observations de M. Pearson, j’en reproduis ici quelques passages :

[traduction]
2. En tant qu’OGSC à bord de l’OTTAWA, le Ltv Pearson a fait preuve d’un rendement à la fois solide dans certains secteurs et très faible dans d’autres. Ses connaissances techniques étaient très bonnes, et s’appuyaient sur plusieurs années d’expérience acquise à titre de technicien avant d’être commissionné. Cependant, ses aptitudes à la communication et sa capacité de comprendre l’intention du commandement étaient faibles. Ses courriels et ses breffages au commandement étaient exagérément verbeux, ce qui faisait qu’il était difficile de déterminer le point central de ses exposés. Son manque de concentration sur les priorités du commandement et sa constante micro-gestion de problèmes que son chef aurait pu facilement régler ont eu un effet négatif sur la manière dont il gérait le service et sur sa capacité de produire les résultats voulus dans le délai prescrit. Il faisait montre d’un manque apparent de confiance à l’égard de la capacité des membres supérieurs de son service d’accomplir leurs tâches.

3. Ses problèmes de rendement ont réellement commencé à ressortir avant et pendant des essais de disponibilité opérationnelle qui ont eu lieu en avril 2011. Avant cela, il avait connu un excellent départ et avait obtenu un RAP immédiat à la suite de la courte période de quelques mois d’observation qui avait précédé l’apparition des problèmes susmentionnés. Pendant toutes les étapes de préparation et d’exécution des essais de disponibilité opérationnelle, son manque de volonté a entravé les relations entre les services, qui sont un élément de succès indispensable. L’Entraînement maritime (Pacifique) avait des doutes au sujet de son aptitude en tant qu’OGSC et de son manque de soutien envers le commandement, mais il a encouragé l’équipe de commandement à continuer de l’encadrer afin qu’il corrige ses lacunes.

4. Pendant toute la durée de l’opération WESTPLOY, ainsi que celle du programme de formation des marins de l’OTTAWA mené pour le commandant des FMAR(P), le Ltv Pearson a continué d’être un obstacle aux progrès et a sans cesse hésité à souscrire à la mission et aux résultats d’entraînement fixés par le COMCANFLTPAC. Toutefois, ce problème général de rendement n’est qu’une des variables soulevées dans la présente lettre, la seconde étant l’incident survenu à Pago Pago le 21 juin 2011 et à la suite duquel il a été accusé d’inconduite sexuelle à l’égard de sa propre [...], dans le carré du navire. Les allégations ont été traitées sans délai, car il a été amené à terre dans les heures qui ont suivi l’incident et renvoyé ensuite par avion à Esquimalt. Le SNE a pris en charge l’enquête et l’on s’attend à ce que des accusations soient portées sous peu.

5. En conclusion, le Ltv Pearson était un OGSC de piètre qualité pour les raisons susmentionnées, et il s’expose à de très sérieuses conséquences sur le plan de sa carrière, en attendant l’issue de l’enquête du SNE. En général, je suis d’avis que son potentiel d’avancement et de promotion est négligeable. Le DACM a été avisé de l’incident, et son gestionnaire de cas est le Capitaine Remi Munger pour ce qui est de l’examen administratif qui sera mené en lien avec l’incident, car l’alcool a été un facteur. Donc, en résumé, des accusations n’ont pas encore été portées mais on s’attend à ce qu’il y en ait et le DACM a ouvert un dossier sur le Ltv Pearson, mais aucune directive ou aucun document n’ont encore été fournis à l’OTTAWA ou au militaire. Je prévois que tout cela aura lieu pendant qu’il se trouve sous la responsabilité du DSN [...].

[9]               Comme il a été indiqué plus tôt, la lettre d’Allsopp n’a pas été communiquée à M. Pearson avant la tenue de la CMP. Il l’a reçue le 4 juin 2012, dans le cadre du processus de communication de documents lié à l’examen administratif [EA]. Il l’avait toutefois reçue avant l’audition prévue devant la CACM.

[10]           Le 26 avril 2012, devant la CMP, M. Pearson a plaidé coupable à une accusation de voies de fait portée en vertu de l’article 266 du Code criminel, ainsi qu’à une accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline portée en vertu de l’article 129 de la LDN, ce qui contrevient aux Directives et ordonnances administratives de la défense [DOAD] portant le numéro 5012‑0 (Prévention et résolution du harcèlement). M. Pearson a été condamné à une réprimande sévère ainsi qu’à une amende de 8 000 $.

[11]           Outre la CMP, un processus d’EA a été entrepris, ce qui est une mesure obligatoire pour tous les incidents d’inconduite sexuelle commis par un membre des FAC qui sont signalés.

[12]           Le 21 septembre 2013, le décideur chargé de l’EA a conclu que les actes de M. Pearson correspondaient [traduction] « selon toute probabilité » à la définition d’une inconduite sexuelle que l’on trouve dans les DOAD 5019-5 (Inconduite sexuelle). Les facteurs qui avaient été pris en compte pour arriver à cette décision comprenaient les suivants : le fait que M. Pearson n’avait pas de contraintes à l’emploi pour raisons médicales [CERM], l’impact subi par la victime, qui avait demandé une aide médicale, de même que trois lettres de l’équipe de commandement de M. Pearson, qui indiquaient qu’on ne pouvait plus lui faire confiance dans un poste de leadership. Le DACM a décidé que M. Pearson serait libéré des FAC le 21 octobre 2012 au plus tard, conformément au numéro 5(f) du chapitre 15.01 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [ORFC].

[13]           En réponse à cette décision du DACM, M. Pearson a déposé un grief concernant sa libération.

[14]           Il a aussi déposé deux griefs et une plainte de harcèlement à l’encontre de l’analyste du DACM pour la manière dont l’EA avait été dirigé. L’autorité de première instance [API] a rejeté les deux griefs. En réponse à la plainte de harcèlement, et ce, même s’il a été conclu dans un rapport d’enquête final daté du 30 octobre 2012 que l’analyste n’avait pas harcelé M. Pearson, l’analyste du DACM en question a été écarté de l’EA.

[15]           Pendant tout le processus de règlement des griefs, il y a eu de nombreux échanges de documents entre M. Pearson et l’API.

III.             La décision de l’autorité de dernière instance

[16]           M. Pearson a déposé un grief au sujet des décisions de l’API auprès de l’ADI. Pour ce grief, c’était le CEMD, le général J. H. Vance, qui était l’ADI. Avant qu’une ADI puisse procéder à son examen, le grief fait l’objet d’un renvoi obligatoire au Comité externe d’examen des griefs militaires [le Comité]. Le Comité, un organisme juridique externe et indépendant, est mandaté en vertu de la LDN pour faire enquête sur les griefs et rendre compte de ses constatations et recommandations au CEMD et, en l’occurrence, à M. Pearson. Le grief de ce dernier a aussi été soumis au directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes [DGAGFC], qui aide le CEMD en présentant une analyse du grief ainsi que des recommandations non exécutoires au Comité. Dans le cas présent, tant le Comité que le DGAGFC ont recommandé que le grief soit rejeté.

[17]           Le 1er décembre 2015, l’ADI a rendu sa décision, soit le rejet de la demande de redressement de M. Pearson. Elle a conclu que la décision de libérer M. Pearson était justifiée et que celui-ci avait été traité de manière équitable et conforme aux règles, aux règlements et aux politiques applicables. Elle a conclu également que la libération respectait la politique des FAC et qu’il s’agissait d’une mesure raisonnable du fait de la perte de confiance envers les capacités de leadership de M. Pearson, de son plaidoyer de culpabilité à l’accusation de voies de fait, de la preuve d’inconduite sexuelle, ainsi que de l’absence de preuves quant à un problème de santé mentale avant le mois de juin 2011.

[18]           L’ADI a également conclu que l’on avait respecté les principes de l’équité procédurale pendant tout le processus d’EA. Elle a de plus signalé qu’elle avait remédié à tout présumé manquement à l’équité procédurale par le nouvel examen qu’elle avait fait, examen dans le cadre duquel tant le Comité que le DGAGFC avaient communiqué à M. Pearson la totalité des documents qu’ils détenaient et s’étaient assurés que celui-ci avait une possibilité d’y répondre.

IV.             Les questions en litige

[19]           Les questions en litige sont les suivantes :

a)      L’examen qu’a effectué l’ADI au sujet de la libération de M. Pearson des FAC est-il raisonnable, compte tenu des points suivants :

                                i.            La communication tardive de la lettre d’Allsopp.

                              ii.            Y a-t-il eu une preuve quelconque de problèmes de santé mentale avant le mois de juin 2011?

                            iii.            La libération de M. Pearson des FAC a-t-elle été prononcée avec les pouvoirs nécessaires?

b)      A-t-on respecté les droits à l’équité procédurale de M. Pearson pendant toute la durée du processus de l’ADI?

c)      Y a-t-il lieu de transformer la présente demande en une action?

d)     A-t-on porté atteinte aux droits que confère l’article 7 de la Charte à M. Pearson?

V.                La norme de contrôle applicable

[20]           Selon la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Walsh c Canada (Procureur général), 2016 CAF 157, au paragraphe 21, le rôle que joue la Cour fédérale dans le cadre du contrôle de la décision d’une ADI [traduction] « se limite à examiner la légalité de la décision, conformément aux principes applicables qui sont énoncés dans la jurisprudence ».

[21]           Il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue à l’endroit du CEMD, compte tenu de son degré d’autonomie et de son expertise dans le cadre d’un processus hautement spécialisé et au sein d’une organisation unique (Higgins c Canada (Procureur général), 2016 CF 32, au paragraphe 77).

[22]           Les allégations relatives à l’équité procédurale seront contrôlées selon la norme de la décision correcte (Moodie c Canada (Procureur général), 2015 CAF 87, au paragraphe 50; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

VI.             L’analyse

a)                  L’examen qu’a effectué l’ADI au sujet de la libération de M. Pearson des FAC est-il raisonnable, compte tenu des points suivants :

                    i.                        La communication tardive de la lettre d’Allsopp.

[23]           M. Pearson fait valoir, principalement, que sa libération des FAC en application du numéro 5(f) du chapitre 15.01 des ORFC était une mesure prématurée, qui n’a pas été approuvée de manière appropriée. L’autorité approbatrice, soutient-il, s’est fondée à tort sur les conclusions de la CMP ainsi que sur les trois lettres de sa chaîne de commandement comme preuve de sa culpabilité. Il ajoute que sa chaîne de commandement a agi de manière inéquitable et injuste à l’égard de l’utilisation des informations et des procédures concernant les allégations d’inconduite sexuelle. Une bonne part de cet argument est liée à sa prétention selon laquelle la communication tardive de la lettre d’Allsopp a été préjudiciable au processus tout entier.

[24]           Pour ce qui est de la lettre d’Allsopp, l’ADI a conclu que ce document ne fournissait pas de nouvelles informations que l’on n’aurait pas pu trouver dans d’autres documents, comme des notes divisionnaires, qui avaient été communiqués à M. Pearson.

[25]           M. Pearson allègue que cette lettre aurait eu une incidence sur la défense qu’il aurait pu opposer aux accusations qui lui étaient reprochées devant la CMP. Ces accusations étaient liées à sa conduite envers une subordonnée à bord du NCSM OTTAWA en juin 2011. M. Pearson semble tenter de faire valoir, après coup, que sa conduite sur le navire était attribuable à son état d’esprit altéré. Il dit que la lettre d’Allsopp prouve qu’il souffrait d’une maladie mentale au moment où l’inconduite sexuelle a été commise. Cependant, ce n’est pas la conclusion qui se dégage d’une lecture des mots et des phrases que contient cette lettre. Pour pouvoir souscrire à l’argument de M. Pearson, il faudrait trouver dans cette lettre un sens et des indications qui ne s’y trouvent tout simplement pas. Cet argument est sans fondement.

[26]           De plus, il est raisonnable de présumer que si la lettre d’Allsopp était à ce point cruciale pour les accusations criminelles portées contre M. Pearson, celui-ci l’aurait invoquée comme moyen de défense dans son appel devant la CACM. Cependant, le jour de l’audition prévue devant la CACM, soit le 5 avril 2013, il a retiré son appel. Si la lettre d’Allsopp était à ce point révélatrice de son état d’esprit à l’époque, M. Pearson aurait pu évoquer ces questions devant la CACM, mais il a décidé de ne pas le faire. Il ne peut pas maintenant revenir sur cette décision.

[27]           M. Pearson avait bel et bien droit à ce qu’on lui communique en temps opportun des informations pertinentes. La lettre d’Allsopp aurait dû lui être communiquée à la première occasion au cours du processus d’EA. Toutefois, M. Pearson n’a pas établi en quoi la communication tardive de cette lettre, le 4 juin 2012, avait eu une incidence sur sa capacité de répondre au processus d’EA.

[28]           On a accordé à M. Pearson du temps supplémentaire pour fournir des observations à la suite de la communication des documents du DACM. En fait, il a eu presque trois mois pour présenter ses observations à la suite de la première et de la deuxième communication de documents du DACM. Selon la politique en matière d’EA qui est décrite dans les DOAD 5019-2, les observations écrites doivent être envoyées dans les 15 jours ouvrables, au plus tard, qui suivent la réception de la documentation. Bien que cette autre demande de temps supplémentaire ait été refusée, M. Pearson a eu amplement le temps nécessaire pour faire part de ses observations.

[29]           M. Pearson n’a pas montré en quoi la communication tardive l’avait empêché de préparer ses observations. On ne peut donc pas dire que M. Pearson n’a pas été convenablement informé de ce qui lui était reproché. De plus, pour ce qui est de la décision de l’ADI qui fait l’objet du présent contrôle, M. Pearson a reçu la lettre d’Allsopp bien avant le début du processus de règlement de grief concernant l’ADI.

                  ii.                        Y a-t-il eu une preuve quelconque de problèmes de santé mentale avant le mois de juin 2011?

[30]           M. Pearson a soutenu, lors du processus d’EA, que les actes qu’il avait commis le 22 et le 23 juin 2011 étaient attribuables à une maladie mentale non dévoilée. Aucun document médical n’a été présenté à l’appui de ces prétentions et, d’après les documents internes des FAC, il n’avait pas de CERM.

[31]           M. Pearson a invoqué cet argument pendant tout le processus de règlement des griefs. Dans sa décision, l’ADI l’a pris en considération et a conclu qu’à l’époque de l’inconduite sexuelle commise en juin 2011 le statut de M. Pearson ne comportait aucune CERM et qu’un médecin avait conclu à la suite d’une évaluation que M. Pearson ne souffrait d’aucune affection médicale ou psychologique avant l’incident.

[32]           M. Pearson allègue qu’il souffrait de problèmes de santé mentale depuis 2009, mais la preuve médicale ne fait état d’aucun problème de santé mentale déclaré avant la survenue de l’inconduite. Même s’il dit qu’il souffrait de stress dû à des problèmes conjugaux, financiers et d’alcool avant l’incident de juin 2011, une opinion médicale professionnelle a confirmé que M. Pearson ne souffrait d’aucune affection documentée, pas plus qu’une CERM n’était mentionnée dans son dossier. Avant cet incident, il était donc jugé apte au service.

[33]           Cet argument est sans fondement.

                iii.                        La libération de M. Pearson des FAC a-t-elle été prononcée avec les pouvoirs nécessaires?

[34]           M. Pearson soutient que sa libération des FAC n’est pas valide parce que cette mesure a été prise avant que le gouverneur général l’approuve officiellement, comme l’exige le numéro 3(a) du chapitre 15.01 des ORFC, ce qui n’a pas été fait avant le 23 mai 2013.

[35]           Un élément central de ces observations est la position de M. Pearson selon laquelle il a droit à sa solde et à ses avantages sociaux pour la période qui s’étend entre la date de libération du 25 octobre 2012 et le 23 mai 2013, la date de l’approbation donnée par le gouverneur général. Cette question a été analysée dans une demande de contrôle judiciaire distincte que M. Pearson a déposée et qui est publiée sous la référence Pearson c Canada (Procureur général), 2016 CF 679 [Pearson]. Cette question ne sera donc pas analysée dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

b)                  A-t-on respecté les droits à l’équité procédurale de M. Pearson pendant toute la durée du processus de l’ADI?

[36]           M. Pearson soutient que la communication tardive de la lettre d’Allsopp a causé un manquement à ses droits à l’équité procédurale. Il ajoute que le refus de lui accorder les diverses prolongations de délai qu’il avait demandées a aussi porté atteinte à ses droits.

[37]           Même s’il y avait eu manquement aux droits à l’équité procédurale de M. Pearson à un moment quelconque au cours des procédures liées à l’EA ou à l’API, la nouvelle audience de l’ADI, à l’issue de laquelle une nouvelle décision a été rendue, y a remédié. La décision de l’ADI a été fondée sur un nouvel examen du dossier tout entier de M. Pearson, ce qui inclut ses observations, de pair avec les recommandations non exécutoires du Comité, à savoir qu’il y avait lieu de rejeter les griefs. La jurisprudence établit qu’une nouvelle audience peut remédier à un manquement à l’équité procédurale (McBride c Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181, aux paragraphes 26, 43 et 45).

[38]           En l’espèce, je suis convaincue que même s’il y avait eu manquement, l’examen exhaustif qu’a mené l’ADI y a remédié.

c)                  Y a-t-il lieu de transformer la présente demande en une action?

[39]           À l’audience, M. Pearson a laissé entendre qu’il fallait instruire sa demande sous la forme d’une action afin qu’il puisse obtenir une réparation pécuniaire pour sa libération injustifiée de l’armée. Les Règles des Cours fédérales autorisent une telle conversion, le cas échéant, dans le but d’éviter une multiplicité d’instances. Toutefois, il est question ici du contrôle judiciaire d’une décision de l’ADI. Cette dernière n’a pas été saisie d’une demande de dommages-intérêts pécuniaires pour cause de libération injustifiée. M. Pearson avait présenté une demande de remboursement de l’amende de 8 000 $ que la CMP avait imposée, mais il l’avait retirée et l’ADI ne l’a pas prise en considération. De plus, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire distincte, M. Pearson a présenté une demande dans laquelle il a exigé une solde, une pension et des avantages sociaux additionnels (voir la décision Pearson, aux paragraphes 1, 10 et 29).

[40]           Il n’est donc pas justifié de transformer la présente demande en une action, et la demande à cet effet est rejetée.

d)                 A-t-on porté atteinte aux droits que confère l’article 7 de la Charte à M. Pearson?

[41]           M. Pearson soutient que l’ADI n’a pas respecté les droits que lui confère l’article 7 de la Charte. Cependant, dans ses observations écrites ou orales, il n’a donné aucun détail quant à la manière dont il y a eu atteinte à ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Comme il a été précisé plus tôt, ses observations ont porté principalement sur la communication tardive de la lettre d’Allsopp. Dans le meilleur des cas, M. Pearson pouvait invoquer un argument de manquement à l’équité procédurale à propos du moment où cette lettre lui avait été communiquée. Cette question a toutefois été analysée à diverses étapes du processus d’EA, en accordant à M. Pearson un délai de réponse supplémentaire. Par ailleurs, on a remédié en fin de compte à tout manquement de cette nature dans le cadre de l’examen de l’ADI.

[42]           M. Pearson n’a pas plaidé de faits suffisants ou importants pour étayer un argument fondé sur la Charte (Shebib c Canada, 2016 CF 539, au paragraphe 21 et Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227, au paragraphe 21).

[43]           L’argument d’une atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte est donc sans fondement.

VII.          Conclusion

[44]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le procureur général a droit à des dépens,  que je fixe à 2 000 $, débours inclus.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, et les dépens sont fixés à 2 000 $, débours inclus.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-80-16

INTITULÉ :

LOREN MURRAY PEARSON c (CANADA) PROCUREUR GÉNÉRAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SeptembRe 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

LE 7 DÉCEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Loren Murray Pearson

LE DEMANDEUR

 

Elizabeth Kikuchi

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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