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Date : 20161219


Dossier : IMM-2235-16

Référence : 2016 CF 1390

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

KAM FA WONG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada a rejeté, le 9 mai 2016, la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que la demanderesse a présentée depuis le Canada au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]               Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, la présente demande est rejetée, car la décision de l’agent est raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits de l’espèce.

II.                Contexte

[3]               La demanderesse, Kam Fa Wong, est citoyenne de Hong Kong. Elle est arrivée au Canada en 2008 et a fait la connaissance de M. Chi Heng Anthony Chin, un citoyen canadien, qu’elle a ensuite épousé en mars 2010; elle vivait avec lui depuis septembre 2009. En novembre 2010, Mme Wong a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux au Canada. M. Chin est décédé en septembre 2014, à la suite de quoi Mme Wong a demandé que sa demande de parrainage d’un époux soit convertie en demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[4]               En prenant la décision de rejeter la demande de Mme Wong, l’agent n’était pas convaincu que la demande faisait état de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier une dispense des exigences législatives applicables, de façon à permettre que sa demande de résidence permanente soit traitée depuis le Canada. L’agent a reconnu que Mme Wong vivait au Canada depuis 2008 et que c’était sa volonté, ainsi que celle de son défunt mari, qu’elle vive au Canada de façon permanente. L’agent a également noté que le mari de Mme Wong est enterré à Toronto, qu’elle souhaite continuer à le visiter, que Mme Wong a beaucoup d’amis au Canada qui sont prêts à l’aider financièrement ou autrement, et que Mme Wong se considère chez elle au Canada et est convaincue de pouvoir y trouver un emploi une fois qu’elle aura obtenu un permis de travail. L’agent a reconnu que Mme Wong a bénéficié d’un soutien financier grâce à la police d’assurance‑vie de son défunt mari et qu’elle semble être en mesure de subvenir à ses propres besoins.

[5]               Par contre, l’agent a conclu que Mme Wong n’avait pas démontré qu’elle était établie au Canada à tel point que le fait de retourner à Hong Kong pour demander le statut de résident permanent lui causerait des difficultés. L’agent a noté que, depuis son arrivée au Canada en 2008, Mme Wong était retournée à Hong Kong environ tous les quatre à six mois, qu’elle n’a jamais occupé d’emploi au Canada ni fait de bénévolat ni amélioré ses compétences, et qu’elle n’a pas de liens familiaux au Canada. En ce qui concerne les relations familiales, l’agent a accordé plus de poids aux relations de Mme Wong à Hong Kong, notant qu’elle a une fille âgée de 23 ans avec laquelle elle a vécu avant son plus récent retour au Canada, que ses parents sont nés en Chine, et que rien n’indiquait qu’ils étaient décédés.

[6]               Enfin, l’agent a noté que Mme Wong avait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité criminelle à Hong Kong, le 13 août 1997, et a affirmé que, bien que les déclarations de culpabilité datent de presque 20 ans, le fait d’avoir un casier judiciaire ne jouait pas en sa faveur.

[7]               L’agent a mentionné avoir tenu compte de l’établissement de Mme Wong, de son désir de rester près de son défunt mari, de sa famille à Hong Kong et de son casier judiciaire. Cependant, l’agent n’était pas convaincu que Mme Wong avait présenté des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier une dispense.

III.             Question en litige et norme de contrôle

[8]               La question que soulèvent les arguments des parties est de savoir si la décision de l’agent est raisonnable, ce qui comporte l’examen de la suffisance des motifs de l’agent.

[9]               La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait tirées par un agent dans le cadre de l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (voir Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), au paragraphe 44; Taylor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 21, au paragraphe 16). La suffisance des motifs doit également être appréciée selon la norme de la décision raisonnable, car l’insuffisance des motifs ne donne pas à elle seule ouverture au contrôle judiciaire. Les motifs doivent plutôt être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles (voir Newfoundland and Labrador Nurses Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (CT), 2011 CSC 62, au paragraphe 14).

IV.             Analyse

[10]           Mme Wong affirme que la question de l’établissement est un élément essentiel de sa demande. Son avocat la décrit comme une [traduction] « femme au foyer », et explique qu’elle s’est établie au Canada sur la base de sa relation avec son mari. Il subvenait à ses besoins avant son décès, et depuis, elle vit de l’assurance‑vie en résultant. Elle n’a donc pas eu besoin de chercher un emploi rémunéré ou d’améliorer ses compétences linguistiques. Mme Wong soutient que l’établissement, pour une personne dans sa situation, prend une autre couleur que dans le cas d’un demandeur dont l’établissement s’appuie sur son intégration dans l’économie canadienne, et que l’agent était tenu d’examiner sa demande sous cet angle.

[11]           Je souscris à l’argument de Mme Wong selon lequel le paragraphe 25(1) de la LIPR est censé répondre avec souplesse aux objectifs d’équité qui le sous‑tendent et que les agents d’immigration ont la faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes (voir Kanthasamy, au paragraphe 33). Ainsi, il n’est assurément pas impossible pour un demandeur d’obtenir gain de cause dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire parce qu’il n’occupe pas un emploi rémunéré. Chaque demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dépend plutôt de la situation particulière du demandeur et de la prise en compte par l’agent d’immigration de divers facteurs, notamment l’établissement au Canada et les autres facteurs que la Cour suprême du Canada a énoncés au paragraphe 27 de l’arrêt Kanthasamy.

[12]           En l’espèce, la demande de Mme Wong était fondée sur son établissement et son désir de rester au Canada. Elle n’a toutefois pas convaincu l’agent que sa situation particulière démontrait un degré d’établissement suffisant pour justifier une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. J’ai examiné les différents arguments que Mme Wong a soulevés dans le cadre de sa contestation de la décision de l’agent, mais je ne crois pas que l’examen que l’agent a fait de sa demande soit déraisonnable. Cet examen ne s’est pas limité au fait que Mme Wong n’occupait pas un emploi rémunéré. Il a également tenu compte du fait qu’elle n’avait jamais fait de bénévolat ni amélioré ses compétences depuis son arrivée au Canada, ainsi que du fait qu’elle n’a pas de liens familiaux au Canada. Comme l’a souligné le défendeur, la jurisprudence établit que, même lorsque le demandeur occupe un emploi et s’est intégré à la collectivité, cela ne constitue pas nécessairement un degré d’établissement exceptionnellement élevé au point de justifier l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (voir Persaud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1133, au paragraphe 45).

[13]           Mme Wong fait état de la conclusion de l’agent selon laquelle il ne serait pas difficile pour elle de présenter une demande de résidence permanente depuis Hong Kong. Elle soutient qu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’elle retourne à Hong Kong pour présenter sa demande, d’autant plus qu’on ne sait pas exactement sur quel fondement elle serait alors admissible. Je conviens avec le défendeur que le fait qu’il soit possible que la demande de résidence permanente présentée à l’étranger soit rejetée ne rend pas une telle analyse déraisonnable (voir Lionel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 236, au paragraphe 21).

[14]           Mme Wong attire également l’attention de la Cour sur les erreurs de fait que l’agent a commises dans sa décision. L’agent a indiqué que Mme Wong était retournée à Hong Kong environ tous les quatre à six mois depuis 2008, et qu’elle y avait séjourné pour la dernière fois de décembre 2014 à avril 2015. En réalité, Mme Wong n’est retournée que deux fois à Hong Kong depuis son arrivée en 2008, la deuxième fois dans le cadre du séjour de décembre 2014 à avril 2015, au cours duquel sa mère a été malade et est finalement décédée. Cette décision dit également que rien n’indique que les parents de Mme Wong sont décédés, alors qu’en réalité, sa mère est décédée en 2015.

[15]           Le défendeur reconnaît ces erreurs de l’agent mais soutient qu’elles n’ont pas eu un effet déterminant sur la décision. Mme Wong renvoie la Cour à la décision B’Ghiel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM‑2545‑97, le 8 juillet 1998 (C.F. 1re inst.) (B’Ghiel), dans laquelle le juge Hugessen a cerné les facteurs qui avaient été examinés de façon non appropriée dans la décision d’un agent des visas et annulé la décision parce qu’il lui était impossible de connaître le poids que l’agent avait attribué à chacun de ces facteurs.

[16]           J’estime que la préoccupation qu’a exprimée le juge Hugessen dans la décision B’Ghiel ne s’applique pas en l’espèce. L’agent a conclu que Mme Wong n’avait pas démontré qu’elle était établie à tel point que le fait de retourner à Hong Kong pour présenter une demande de résidence permanente lui causerait des difficultés. En tirant cette conclusion, l’agent a fait état des séjours que Mme Wong a effectués à Hong Kong, du fait qu’elle n’avait jamais occupé d’emploi au Canada ni fait de bénévolat ni amélioré ses compétences, et qu’elle n’avait pas de liens familiaux au Canada. Mme Wong a bel et bien effectué des séjours à Hong Kong pendant les périodes où elle a vécu au Canada. Dans le contexte de la décision de l’agent dans son ensemble, compte tenu de plusieurs facteurs, je ne puis conclure que l’erreur de l’agent quant au nombre de séjours à Hong Kong a eu un effet déterminant sur la décision.

[17]           De la même façon, en ce qui concerne les parents de Mme Wong, l’agent a accordé du poids à ses relations familiales à Hong Kong. Bien qu’un seul de ses parents soit encore vivant, ce parent et sa fille adulte vivent à Hong Kong, et elle n’a aucune famille au Canada. Encore une fois, je ne puis conclure que cette erreur de fait a eu un effet déterminant sur la décision de l’agent.

[18]           Mme Wong soutient également que l’agent a commis une erreur dans l’appréciation des déclarations de culpabilité prononcées en 1997 à Hong Kong. Elle a été déclarée coupable de conduite d’un véhicule à moteur avec une alcoolémie supérieure aux limites prescrites et de conduite imprudente. Elle soutient que la déclaration de culpabilité pour conduite imprudente équivaut à une infraction relative à la circulation routière provinciale, et non à une infraction criminelle, et que, bien que l’autre déclaration de culpabilité corresponde à une déclaration de culpabilité criminelle canadienne, elle est présumée réadaptée selon le paragraphe 18(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR), car l’infraction a été commise il y a plus de dix ans.

[19]           Le paragraphe 18(2) du RIPR a pour effet d’éliminer l’interdiction de territoire au Canada prévue par l’article 36 de la LIPR. Or, Mme Wong n’a cité aucune décision à l’appui de la thèse voulant que la réadaptation présumée fasse également en sorte que l’agent d’immigration commette une erreur en tenant compte des déclarations de culpabilité dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Je souligne également la façon particulière dont l’agent a apprécié les déclarations de culpabilité en l’espèce, en affirmant que, bien que les déclarations de culpabilité datent de presque 20 ans, le fait d’avoir un casier judiciaire ne jouait pas en faveur de Mme Wong. L’agent a reconnu à quand remontaient les déclarations de culpabilité, et je ne puis conclure que l’agent a commis une erreur en concluant que cette partie des antécédents de Mme Wong ne constituait pas un facteur jouant en sa faveur dans le cadre de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[20]           Enfin, je ne vois aucun fondement à l’argument voulant que les motifs de l’agent soient insuffisants. L’agent a tenu compte de la preuve et des observations de Mme Wong, a relaté les facteurs qui jouaient en faveur et contre sa demande, a accordé un poids particulier à ses relations familiales qui se trouvaient à Hong Kong plutôt qu’au Canada, et a conclu qu’elle n’avait pas démontré qu’elle était suffisamment établie ou qu’elle subirait des difficultés suffisantes pour justifier une dispense. Les motifs sont intelligibles et l’issue appartient aux issues possibles, ce qui rend la décision raisonnable et ne permet aucunement à la Cour de la modifier.

[21]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2235-16

INTITULÉ :

KAM FA WONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 DÉCEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 19 DÉCEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Marvin Moses

POUR LA DEMANDERESSE

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses

Moses Law Office

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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