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Date : 20161219


Dossier : IMM-2660-16

Référence : 2016 CF 1392

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

SHEIKH KASHIF MEHMOOD

IRUM KASHIF

SHEIKH MUHAMMAD ABDULLAH

SHEIKH MUHAMMAD ALI

ISHMAL KASHIF

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre de la décision du 19 mai 2016 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’ont pas la qualité de personnes à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

II.                Faits

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Pakistan. Le demandeur principal est âgé de 48 ans. Il est accompagné de son épouse, âgée de 36 ans, ainsi que de leurs trois enfants âgés de 13, 11 et 9 ans. Ils ont quitté le Pakistan le 5 novembre 2015 et sont arrivés au Canada via les États-Unis le 26 novembre 2015, demandant immédiatement l’asile.

[3]               Le demandeur principal exploitait deux commerces informatiques dans la ville de Rawalpindi. En août 2015, il aurait été victime d’extorsion et de menaces de la part d’un groupe taliban pakistanais, Tahrik-a-Taliban. S’il ne remettait pas la somme demandée, on kidnapperait ses enfants et on les tuerait son épouse et lui. Par crainte et sous la menace, il n’a pas porté plainte aux autorités policières. N’ayant pas amassé le montant dans les délais requis, le demandeur a été enlevé par un groupe taliban en septembre 2015 et a subi des agressions physiques et verbales (Décision de la SPR, au para 10). Ses agresseurs lui ont donné une journée supplémentaire pour amasser les fonds manquants. C’est alors que le demandeur principal et sa famille ont quitté le Pakistan.

III.             Décision

[4]               L’audience devant la SPR s’est tenue le 5 mai 2016. La SPR a souligné que la demande d’asile des demandeurs était exclusivement basée sur l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. La SPR a reconnu que le demandeur principal avait subi de l’extorsion, mais a estimé que ce risque était partagé par l’ensemble de la population, ou du moins par l’ensemble des commerçants pakistanais. Après analyse de l’ensemble de la preuve, la SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le risque auquel il était exposé se distinguait du reste de la population. Le 19 mai 2016, la SPR a donc rejeté la demande d’asile des demandeurs, qui n’avaient pas démontré être des personnes à protéger au sens de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

IV.             Observations des parties

[5]               Les demandeurs font valoir qu’ils ont été ciblés personnellement par le groupe taliban pakistanais et qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure que le risque encouru par les demandeurs était généralisé parmi les commerçants pakistanais (Correa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 252 au para 46 [Correa]; Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678).

[6]               À l’inverse, le défendeur argue qu’il était loisible à la SPR de conclure qu’une grande partie de la population du Pakistan – en l’occurrence, les commerçants – est exposée aux mêmes risques que le demandeur principal. La décision de la SPR, appuyée sur la preuve documentaire objective, serait donc raisonnable (Correa, ci-dessus, au para 82).

V.                Question en litige

[7]               La question en litige dans la présente cause est de savoir si la SPR a erré en fait et en droit, en concluant que les demandeurs faisaient face à un risque généralisé au Pakistan, ce qui les excluait de la catégorie des personnes à protéger selon l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. Cette décision de la SPR est soumise à la norme de la décision raisonnable (Correa, ci-dessus, au para 19).

VI.             Dispositions pertinentes

[8]               La disposition trouvant application dans la présente cause est l’alinéa 97(1)b) de la LIPR :

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

[…]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

VII.          Analyse

[9]               À la lumière des faits présentés, la Cour conclut que la SPR a erré en fait et en droit, lorsqu’elle a considéré que les demandeurs n’étaient pas soumis à un risque personnalisé ou à un risque de subir des traitements cruels et inusités. En effet, la SPR n’a pas remis en doute la crédibilité des demandeurs et a accepté que le demandeur principal avait été victime de menaces, puis, qu’il avait été enlevé et battu. Ainsi, le risque généralisé auquel il était soumis, comme tous les commerçants, s’est matérialisé; sa famille et lui sont devenus personnellement ciblés par le groupe taliban pakistanais. Tel que l’observe le juge James Russell de notre Cour dans la décision Correa, ci-dessus, au para 46 :

Bien qu’un consensus ne se soit pas encore dégagé, j’estime que, suivant la jurisprudence dominante de notre Cour, le fait d’avoir personnellement été pris pour cible permet, du moins dans de nombreux cas, de dégager l’existence d’un risque individualisé plutôt qu’un risque généralisé, donnant lieu à la protection prévue à l’alinéa 97(1)b). Étant donné que « pris personnellement pour cible » est une notion qui demeure imprécise et que chaque cas est un cas d’espèce, il est encore possible que « dans certains cas, il y [ait] lieu d’accorder une protection lorsque quelqu’un est pris pour cible, dans d’autres, non » (Rodriguez, précitée, cité avec approbation dans la décision Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1543 [Pineda (2012)]. Toutefois, à mon avis, il existe un consensus de plus en plus généralisé voulant qu’il ne soit pas permis d’écarter le cas où le demandeur a été pris personnellement pour cible au motif qu’il s’agit du « simple prolongement », d’une « composante implicite », ou d’un « préjudice résultant » d’un risque généralisé. C’est la principale erreur qu’a commise la SPR dans le cas qui nous occupe et cette erreur rend sa décision déraisonnable.

[10]           Par conséquent, la décision de la SPR ne satisfait pas la norme de la décision raisonnable.

VIII.       Conclusion

[11]           La demande de contrôle judiciaire est accordée et la décision de la SPR rendue le 19 mai 2016 est annulée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que le dossier soit retourné à la SPR, devant un panel différemment constitué, pour que le dossier soit étudié de nouveau. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2660-16

 

INTITULÉ :

SHEIKH KASHIF MEHMOOD, IRUM KASHIF, SHEIKH MUHAMMAD ABDULLAH, SHEIKH MUHAMMAD ALI, ISHMAL KASHIF c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

 

Pour la partie demanderesse

 

Pavol Janura

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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