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Date : 20161216


Dossier : IMM-2786-16

Référence : 2016 CF 1386

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SYYED ALTAF HUSYN,

ANU ALTAF,

SYYED OMER HUSYN OMAR

ET SYYED ASRAR HUSYN ONIM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 8 juin 2012, par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

Le contexte

[2]               Les demandeurs, citoyens du Bangladesh, sont M. Syyed Altaf Husyn, le demandeur principal, ainsi que son épouse et leurs deux fils. Leurs demandes ont été entendues conjointement par la SPR, et le demandeur principal a témoigné pour le compte de tous les membres de la famille.

[3]               Le demandeur principal allègue qu’il était un membre local actif du Parti national du Bangladesh (le PNB). Le 1er décembre 2013, des hommes de main armés appartenant à la Ligue Awami (la LA), qui étaient à sa recherche, se sont présentés à son domicile. Il était absent à ce moment-là, mais ils ont saccagé les lieux, harcelé les membres de sa famille, menacé de tuer ou d’enlever ses fils, exigé de l’argent et coupé l’approvisionnement en eau du domicile durant trois jours pour tenter d’obliger le demandeur principal à se rendre. Il allègue que, le 26 décembre 2013, une bande armée de la LA a menacé par téléphone d’enlever ses fils et de les tuer ou d’exiger une rançon d’un montant considérable. On lui a dit que, s’il demandait l’aide de la police, il s’exposerait à de graves conséquences.

[4]               En raison de ces menaces, le 1er janvier 2014, le demandeur principal est allé se cacher pendant trois jours chez un ami, sans sa famille. Il a aussi décidé de quitter le pays. Des visas pour les États-Unis avaient été obtenus le 15 décembre 2013, mais la famille n’est pas partie sur‑le‑champ, car, allèguent les demandeurs, la LA, qui était au pouvoir, la police et le service d’immigration n’auraient pas permis à des dirigeants ou à des activistes du PNB ou d’un autre parti d’opposition de quitter le pays. Ils cherchaient donc une personne influente qui pouvait les aider à trouver un moyen de passage sécuritaire. Avec le concours d’un parent qui travaillait à l’aéroport, les demandeurs ont quitté le pays; ils sont arrivés aux États-Unis le 1er février 2014 et sont entrés au Canada le 20 février 2014, date à laquelle ils ont demandé l’asile. La SPR a entendu leurs demandes et les a rejetées.

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[5]               La SPR a conclu que la question déterminante était la crédibilité. À cet égard, le témoignage qu’a fait le demandeur principal à l’audience à propos du moment de son adhésion au PNB était nettement contradictoire avec, à la fois, son formulaire intitulé « Fondement de la demande d’asile » (formulaire FDA) et une lettre datée du 20 avril 2016 de son avocat au Bangladesh (la lettre de l’avocat) que les demandeurs avaient déposés en preuve à l’appui de leur demande. La SPR n’a pas souscrit à l’explication du demandeur principal selon laquelle il ne se souvenait pas de l’année de son adhésion au PNB. Elle a conclu qu’il s’agissait là d’une incohérence importante, car le profil politique du demandeur principal constituait le fondement de sa demande d’asile, et elle a tiré une inférence défavorable quant à sa crédibilité, relativement à son allégation selon laquelle il était un membre actif du PNB. La SPR a également accordé peu de valeur probante à une lettre d’appui émanant du secrétaire adjoint du PNB, parce qu’il ne s’agissait pas d’un document original. En l’absence d’une preuve corroborante crédible, et eu égard au grand nombre de membres du PNB qui prenaient part à des réunions et à des activités locales, elle a conclu que le demandeur principal n’avait pas le profil d’une personne que des hommes de main de la LA prendraient pour cible.

[6]               De plus, le demandeur principal avait déclaré que, depuis son arrivée au Canada, il avait appris par son frère que les hommes de main de la LA rendaient visite à sa famille une ou deux fois par mois, disant qu’ils étaient à sa recherche et laissant des messages de menaces, mais cette information ne figurait pas dans son formulaire FDA. La SPR n’a pas souscrit à son explication, à savoir qu’il avait déposé un courriel de son frère qui confirmait cette affirmation. Elle a conclu qu’il s’agissait là d’une omission importante, elle a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur principal et elle a jugé que les hommes de main de la LA ne continuaient pas à chercher le demandeur principal au Bangladesh. Elle a conclu que la prétention du demandeur principal, à savoir que les hommes de main de la LA le ciblaient à cause de son appui actif envers le PNB, n’était pas crédible.

[7]               Quant à la preuve corroborante, la SPR a accordé peu de poids au courriel du frère du demandeur principal, puisqu’il ne s’agissait pas d’une déclaration ou d’un affidavit sous serment, et elle avait déjà conclu que les allégations du demandeur principal n’étaient pas crédibles. Elle a aussi accordé peu de poids à la lettre de l’avocat, parce que, bien que celui‑ci ait déclaré savoir que les hommes de main de la LA étaient toujours à la recherche des demandeurs et être au courant que la police, le Bataillon d’action rapide (le BAR) et d’autres membres des services secrets étaient à la recherche du demandeur principal en vue de l’arrêter, il n’a pas dit comment il le savait. De plus, le demandeur n’avait pas non plus soutenu dans son formulaire FDA que la police ou le BAR cherchait à l’arrêter. En outre, la conclusion de l’avocat, selon laquelle le demandeur principal, s’il revenait au Bangladesh, serait détenu par la police et que ses enfants seraient enlevés, était de nature conjecturale.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[8]               À mon avis, la présente affaire soulève deux questions :

1.         La Cour doit-elle refuser d’entendre la demande de contrôle judiciaire sur le fond, parce que les demandeurs ne se présentent pas à elle les mains propres? Sinon,

2.         La décision est-elle raisonnable?

[9]               Les parties soutiennent – et je suis d’accord – que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et que la Cour se doit d’y apporter un degré de retenue considérable (Aguebor c Canada (Emploi et Immigration), [1993] ACF no 732 (CA), au paragraphe 4; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 22; Rezmuves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 973, au paragraphe 33). De plus, la norme de la décision raisonnable exige que la Cour prenne en compte la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et qu’elle détermine si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

Question no 1 :  La Cour doit-elle refuser d’entendre la demande de contrôle judiciaire sur le fond, parce que les demandeurs ne se présentent pas à elle les mains propres?

[10]           Le défendeur renvoie à l’affidavit que Tom Heinze, parajuriste au ministère de la Justice, a établi sous serment le 28 octobre 2016, dans lequel il est déclaré que les demandeurs se sont vu signifier, le 24 août 2016, une convocation aux fins de renvoi, mais ils ont omis de se présenter en vue de leur départ du Canada prévu le 15 septembre 2016. Un mandat d’arrestation a été délivré à leur endroit le 16 septembre 2016, et il n’a toujours pas été exécuté. Le défendeur a soutenu que, de ce fait, les demandeurs étaient des fugitifs aux yeux de la loi et que la Cour se devait d’exercer son pouvoir discrétionnaire (Homex Realty and Development Co c Wyoming (Village), [1980] 2 RCS 1011; Basu c R, [1992] 2 RCF 38 (CF 1re inst), au paragraphe 9) et de refuser d’entendre leur demande de contrôle judiciaire sur le fond, car ils ne se présentaient pas à la Cour les mains propres (Wong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 569).

[11]           Lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat des demandeurs a fait savoir que ses clients, après le dépôt des observations du défendeur, étaient entrés en contact avec l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et qu’ils avaient pris rendez-vous pour se présenter à un bureau de l’ASFC le lendemain de l’audition de la demande de contrôle judiciaire.

[12]           En fin de compte, l’avocat des demandeurs et l’avocate du défendeur ont convenu qu’il n’était pas nécessaire que la Cour traite de la question préliminaire des mains propres, sauf si, avant qu’elle rende sa décision, le défendeur l’informait que les demandeurs ne s’étaient pas présentés à la rencontre prévue avec l’ASFC ou, par ailleurs, avaient manqué à l’obligation de se présenter en vue de leur renvoi ou omis de s’acquitter d’une autre obligation. La Cour n’ayant pas été avisée d’un tel manquement avant de rendre la présente décision, la question préliminaire n’a pas été analysée.

Question no 2 :  La décision est-elle raisonnable?

L’adhésion au PNB

[13]           À mon avis, la SPR a tiré avec raison une inférence défavorable de la preuve incohérente du demandeur principal au sujet du moment où il était devenu membre du PNB. À l’audience, le demandeur principal a déclaré qu’il avait été membre de ce parti pendant trois ou quatre ans. On lui a fait remarquer que la lettre du secrétaire adjoint du PNB disait qu’il s’était joint à ce parti le 15 janvier 2007, ce qui dénotait qu’il en avait été membre pendant huit ans. Quand on lui a demandé d’expliquer la différence, il a répondu qu’il ne se souvenait pas du moment où il avait adhéré au PNB et il a contesté le fait d’avoir déclaré qu’il en avait été membre pendant trois ou quatre ans, affirmant plutôt qu’il avait dit que c’était cinq ans. Cependant, comme le confirment les notes sténographiques, le demandeur principal avait déclaré ne pas se souvenir de la date à laquelle il était devenu membre du parti. Et, quand on lui a alors demandé d’indiquer une date approximative, il a en fait déclaré qu’il s’agissait d’au moins trois ou quatre ans. Il a aussi dit qu’il pouvait y avoir une erreur quelque part, mais sans donner d’explication au sujet de l’erreur en question.

[14]           Je signale que le demandeur principal a prétendu que des hommes de main de la LA le ciblaient du fait de son adhésion au PNB. En fait, l’adhésion du demandeur principal à ce parti est l’élément fondamental des demandes de la famille. Je conviens avec le défendeur qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur principal puisse au moins dire avec exactitude à quel moment il s’était joint officiellement au parti. Dans ces circonstances, il était loisible à la SPR de tirer une inférence défavorable du défaut du demandeur principal d’expliquer de manière raisonnable la différence de quatre ou cinq ans, qu’il attribuait simplement à un trou de mémoire. La présence d’incohérences ou d’omissions dans la preuve d’un demandeur est un motif bien admis pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 20; Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 911, au paragraphe 25).

[15]           Quant à l’argument des demandeurs selon lequel la SPR a embrouillé le demandeur principal en confondant son adhésion et son soutien, je n’y souscris pas. Juste avant l’échange susmentionné, la SPR a demandé à quel moment le demandeur principal s’était joint au PNB. Il a déclaré qu’il avait soutenu le parti durant ses études collégiales. On lui a ensuite demandé s’il s’était joint officiellement au parti durant ces études. Il a répondu que non. Cela a été suivi de l’échange portant sur son incapacité à se souvenir de la date à laquelle il s’était joint au parti ainsi que de l’incohérence relevée avec la lettre du secrétaire adjoint. Les notes sténographiques n’étayent pas l’argument qu’invoque le demandeur, à savoir qu’il n’a pas bien compris la distinction entre le fait d’être membre du parti et celui de le soutenir.

[16]           Les demandeurs font également valoir qu’il ressort des motifs de la SPR qu’une méprise a été commise à l’égard de cette distinction. Cependant, bien qu’elle ait déclaré que « [l]’incohérence est importante puisqu’elle porte sur la période de temps pendant laquelle le demandeur d’asile a appuyé le PNB », la SPR explique ensuite qu’« [e]ntre une adhésion au PNB en 2007 et une adhésion plus récente remontant à trois ou quatre ans, il y a un écart important et il serait raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur d’asile eût été capable de se souvenir de la date de son adhésion sans y être incité par le tribunal ». Je ne conviens pas que cela confirme l’existence d’une méprise.

[17]           Je ne souscris pas non plus à l’argument des demandeurs selon lequel il s’agissait là d’un examen excessif et microscopique de la contradiction. Il y avait une nette différence entre le temps – de quatre à cinq ans – pendant lequel le demandeur principal disait avoir été membre du PNB et le temps indiqué dans la lettre du secrétaire adjoint du PNB. L’incohérence était réelle et importante et, ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, l’adhésion du demandeur principal était l’élément fondamental des demandes d’asile des demandeurs.

L’intérêt constant des agents de persécution

[18]           Selon la SPR, le demandeur principal a déclaré dans son témoignage que, depuis son arrivée au Canada en 2014, il avait appris par ses frères que les hommes de main de la LA étaient encore à sa recherche, qu’ils rendaient visite à sa famille une ou deux fois par mois et qu’ils laissaient des messages dans lesquels ils menaçaient de lui faire du mal ou de le tuer. La SPR a signalé que cette information ne figurait pas dans le formulaire FDA ou dans la version modifiée de ce dernier, et elle a demandé au demandeur d’expliquer cette omission. Il a déclaré avoir déposé un courriel de son frère. La SPR a rejeté son explication et a conclu que l’omission était importante, puisqu’elle avait trait à l’intérêt constant, fréquent et persistant que manifestaient les agents de persécution. La prétention selon laquelle les hommes de main de la LA avaient continué de rendre visite à la famille du demandeur principal une ou deux fois par mois depuis 2014 était importante pour le récit des demandeurs, et il ne s’agissait pas d’un détail secondaire. La SPR a également signalé que les demandeurs étaient représentés par un conseil compétent et qu’ils avaient confirmé au début de l’audience que le formulaire FDA était complet, véridique et exact. La SPR a tiré une inférence défavorable quant à a crédibilité des demandeurs et elle a conclu que les hommes de main de la LA ne continuaient pas à rechercher le demandeur principal au Bangladesh.

[19]           Les demandeurs soutiennent que des renseignements qui deviennent connus après le dépôt du formulaire FDA peuvent être attestés à l’audience et qu’il n’est généralement pas obligatoire de modifier la teneur d’un formulaire FDA qui a été déposé. À cet égard, ils ont fourni à la SPR le 9 avril 2014 une copie d’un courriel, daté du 27 mars 2014 et émanant du frère du demandeur principal, au sujet de l’intérêt constant des agents de persécution. Compte tenu de cette communication faite en temps opportun, il était déraisonnable que la SPR rejette l’explication du demandeur principal quant au fait de ne pas avoir modifié son formulaire de FDA et qu’elle tire une inférence défavorable.

[20]           Le défendeur souligne que l’article 9 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, autorise à apporter des modifications au formulaire FDA jusqu’à dix jours avant la date de l’audience. Dans le cas présent, le courriel était daté du 27 mars 2014 et l’audience a eu lieu plus de deux ans plus tard, ce qui laissait amplement de temps pour modifier le formulaire. De plus, les demandeurs étaient représentés par un conseil et ils avaient, en fait, déposé un formulaire FDA modifié le 6 mai 2016 et étaient donc au courant du processus, comme l’a signalé la SPR. Et bien que les demandeurs n’aient peut-être pas l’« obligation générale » d’apporter des modifications, ils sont tenus de convaincre la SPR du bien-fondé de leur demande.

[21]           À mon avis, il est tout d’abord nécessaire de faire remarquer que le formulaire FDA du demandeur principal porte la date du 6 mars 2014. Le courriel de son frère est daté du 27 mars 2014. Il y est indiqué qu’au domicile du demandeur principal la situation n’est pas bonne, parce que les hommes de main de la LA sont encore à sa recherche et qu’ils se sont présentés la veille à son domicile en s’exprimant de manière grossière, en cassant du mobilier et en menaçant de tuer le demandeur principal. Le courriel traite donc d’un fait qui est survenu peu après que le formulaire FDA a été établi.

[22]           À l’audience tenue devant la SPR, soit le 12 mai 2016, on a demandé au demandeur principal s’il savait si les hommes de main étaient toujours à sa recherche. Il a répondu qu’il avait appris par ses frères que, deux mois après le départ de la famille, les hommes de main de la LA avaient saccagé sa maison. Quand on lui a demandé s’ils étaient toujours à sa recherche, le demandeur principal a déclaré que ces hommes se présentaient à son domicile une ou deux fois par mois depuis 2014 et qu’ils menaçaient de le tuer s’il revenait au pays. Quand on lui a demandé pourquoi cette information n’avait pas été incluse dans la version modifiée du formulaire FDA, déposée une semaine environ avant la date de l’audience, le demandeur principal a répondu qu’il avait déposé le courriel de son frère.

[23]           À mon avis, le dépôt du courriel n’était pas une réponse à cette question, parce que ce document ne traitait pas de l’intérêt constant que manifestaient les hommes de main de la LA et dont le demandeur principal prétendait avoir pris connaissance après le dépôt du courriel, plus de deux ans plus tôt. L’omission importante que la SPR a relevée était les visites constantes qui avaient lieu une ou deux fois par mois au domicile du demandeur principal depuis 2014.

[24]           Je signale également qu’au début de l’audience, la SPR a indiqué qu’elle avait devant elle les formulaires FDA versés au dossier, ainsi qu’un formulaire FDA modifié qu’elle avait récemment reçu. Elle a noté la présence des signatures des demandeurs sur les formulaires FDA ainsi que sur le document modificatif et elle a demandé que l’on confirme que ces documents étaient complets, véridiques et exacts. Les demandeurs ont convenu que c’était le cas et ils n’ont pas fait état d’agissements de la part des hommes de main de la LA qui dataient d’après l’incident décrit dans le courriel du 27 mars 2014.

[25]           La Cour a conclu qu’il est raisonnable que la SPR tire des conclusions défavorables quant à la crédibilité à cause de l’omission d’aspects importants d’une demande d’asile dans un formulaire FDA (Hamidi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 243, au paragraphe 28; Esteban Zeferino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 456, aux paragraphes 31 et 32; Aragon c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 CF 144, au paragraphe 21). Dans ces circonstances, il était loisible à la SPR de tirer une inférence défavorable de cette omission, surtout en l’absence de toute explication, à part le fait que le courriel avait été déposé, et au vu du fait qu’un formulaire FDA modifié avait été déposé peu avant l’audience.

[26]           Je conviens avec les demandeurs qu’ils n’étaient pas tenus de déposer un formulaire FDA modifié en vue de traiter de la menace constante, mais, dans ces circonstances, l’omission de le faire étayait l’inférence défavorable que la SPR a tirée.

L’utilisation de la lettre du secrétaire adjoint du PNB

[27]           Les demandeurs soutiennent également que la décision est déraisonnable, parce que la SPR, s’étant servie de la lettre du secrétaire adjoint du PNB pour contester la crédibilité du demandeur principal, y a ensuite accordé peu de valeur probante parce qu’il s’agissait d’une copie, et non de la version originale. Aux dires des demandeurs, si la lettre n’était pas vraisemblable, on ne pouvait donc pas s’en servir pour contester la crédibilité du demandeur principal. Il était également déraisonnable d’en faire abstraction juste parce qu’il s’agissait d’une copie.

[28]           À l’audience devant la SPR, on a demandé au demandeur principal s’il avait en main la version originale; il a répondu qu’il n’arrivait pas à la trouver. L’omission de fournir le document original ainsi qu’une explication moins que convaincante pour cela ont permis à la SPR, comme elle l’a fait, d’accorder peu de poids à ce document. Contrairement à l’argument des demandeurs, la SPR n’a pas conclu que la lettre n’était pas crédible, elle n’a pas fait abstraction de ce document ou elle n’a pas conclu que celui-ci n’était pas authentique. Elle n’était pas non plus tenue d’indiquer de quelle façon elle aurait déterminé la véracité du document original, car ce document n’avait pas été présenté. Et, indépendamment de la valeur attribuée à la lettre du secrétaire adjoint du PNB, celle-ci a été déposée par les demandeurs au soutien de leur demande d’asile. De ce fait, il était loisible à la SPR de dire que la teneur de ce document ne concordait pas avec le témoignage du demandeur principal.

Le courriel du frère

[29]           La SPR a accordé peu de poids au courriel du frère du demandeur principal, expliquant que c’était parce qu’il ne s’agissait pas d’une déclaration ou d’un affidavit sous serment et qu’elle avait conclu plus tôt que le demandeur principal n’était pas digne de foi au sujet de ce qu’il alléguait. Il est loisible à la SPR d’accorder moins de poids à la preuve documentaire quand elle apprécie de manière généralement défavorable la crédibilité d’un demandeur (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 288, au paragraphe 21; Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1062, au paragraphe 4; Jai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 422, au paragraphe 19). En outre, le poids qu’il convient d’accorder à la preuve est une question qui relève de la compétence et du pouvoir discrétionnaire de la SPR (Exantus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1118, au paragraphe 23; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1235, au paragraphe 70).

La lettre de l’avocat

[30]           En examinant la lettre de l’avocat, la SPR a fait remarquer que le demandeur principal n’avait pas mentionné dans son formulaire FDA que la police ou le BAR cherchait à l’arrêter, chose que l’avocat avait affirmée, mais sans dire comment il le savait. Les demandeurs soutiennent que, en tirant une inférence défavorable du fait que le demandeur principal n’avait pas précisé que la police et le BAR cherchaient à l’arrêter, la SPR a fait abstraction de son témoignage dans lequel il avait expliqué que ces deux services faisaient partie de la LA et qu’il n’avait donc pas fait de distinction entre les deux. Selon les demandeurs, la décision est déraisonnable, parce que la SPR n’a pas tenu compte de cette explication raisonnable.

[31]           Je signale que la SPR a fait ce commentaire dans le contexte de l’examen de la lettre de l’avocat en tant que preuve corroborante, et qu’elle a simplement souligné que ce que disait l’avocat – la police, le BAR et d’autres membres des services secrets sont à la recherche du demandeur principal en vue de l’arrêter – n’était pas une information qui figurait dans le formulaire FDA. Je ne suis pas persuadée que la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur principal pour ce motif-là; elle n’a rien affirmé à cet effet, comme elle l’a fait pour toutes ses autres conclusions défavorables quant à la crédibilité, et elle avait déjà résumé ses conclusions avant d’examiner la preuve corroborante. Quoi qu’il en soit, le formulaire FDA traite exclusivement de la persécution exercée par une bande armée de la LA; il n’y est pas fait mention d’une partie qui chercherait à arrêter le demandeur principal. Par ailleurs, l’énoncé général que l’on peut lire dans le formulaire FDA du demandeur principal, soit que [traduction] « [c]e sont surtout les membres de l’alliance de 18 partis dirigée par le PNB qui sont les victimes d’actes de torture et d’autres sévices de la part de la police, du BAR, de l’armée et des services de renseignement », n’aide pas non plus la cause des demandeurs à cet égard. De plus, aux yeux de la SPR, la lettre suscitait d’autres préoccupations, comme le fait que l’avocat ne disait pas comment il savait que la police et le BAR cherchaient à arrêter le demandeur principal, et les conclusions de l’avocat selon lesquelles le demandeur principal serait mis en détention et qu’on enlèverait ses enfants étaient de nature conjecturale.

Le profil

[32]           Enfin, le demandeur principal soutient que la SPR a tiré des conclusions déraisonnables à l’égard de la vraisemblance de son profil en tant que cible de la LA, et il cite une abondante jurisprudence où l’on décrit la manière de tirer des conclusions de cette nature. Il soutient que les conclusions de la SPR au sujet de la crédibilité du demandeur principal n’étaient pas étayées par la preuve, mais qu’elles reposaient sur des conjectures. Plus précisément, sa conclusion selon laquelle, compte tenu du nombre de membres du PNB et des personnes présentes aux activités, il était peu vraisemblable que le demandeur principal avait un profil tel que la LA le prenait pour cible. Le demandeur soutient que la SPR ne fait état d’aucune preuve documentaire à l’appui de ses conclusions quant à la vraisemblance, c’est-à-dire que seuls les hauts dirigeants du PNB ont un profil qui les expose à des risques.

[33]           Je ne suis pas convaincue que la SPR a tiré à cet égard une conclusion relative à la vraisemblance. Le demandeur principal a déclaré qu’il était un membre local du PNB à Shamoli. Il n’était pas un membre élu, mais il assistait à des réunions locales. Il a estimé qu’il y avait dans sa localité entre quatre ou cinq mille partisans du PNB et qu’un ou deux milliers d’entre eux assistaient aux réunions et aux activités. Quand on lui a demandé pourquoi la LA s’intéresserait à lui du fait qu’il prenait part à des réunions et à des activités du PNB, il a répondu qu’il avait été surpris de savoir qu’il était pris pour cible, et que de nombreux autres membres l’avaient été eux aussi. Plus tard, quand on lui a demandé s’il considérait qu’il avait le profil d’un activiste politique à qui les autorités pouvaient interdire de quitter le Bangladesh, il a répondu : [traduction] « …ils avaient toujours… ils craignaient qu’un jour je devienne un membre important, un dirigeant important. C’est peut-être pour ça qu’ils m’ont ciblé pour, vous savez, me faire du mal, faire du mal à ma famille, exiger ou… de l’argent de moi ».

[34]           Le demandeur principal a déclaré qu’il ne travaillait pas pour le PNB, qu’il était simplement membre de ce parti. Quand on lui a demandé s’il pensait qu’à cause de son profil la police ne le laisserait pas quitter l’aéroport, il a répondu : [traduction] « […] Mais dans la Ligue Awami les gens avaient beaucoup d’hommes de main qui travaillaient pour eux, car ils avaient peut-être peur ou ils soupçonnaient que, vous savez, si on travaillait pour le PNB un jour on pouvait devenir un activiste et les priver de leur pouvoir. C’est pour ça qu’ils nous ciblaient. » Quand le conseil lui a demandé pourquoi lui, plutôt que d’autres, serait pris pour cible, il a déclaré : [traduction] « Il est possible qu’ils avaient peur que, vous savez, qu’ils pensaient que je… qu’un jour je deviendrais un dirigeant important. Je… Je…Je suis instruit, j’ai un bon emploi. Ils vont… Ils vont exiger de l’argent et c’est… et c’est ce qu’ils ont l’intention de faire. Ce sont les… les gens du gouvernement et les… avec les hommes de main, c’est ce qu’ils font contre les partis d’opposition. »

[35]           La SPR a conclu qu’en raison des nombreux membres du PNB et du grand nombre d’entre eux qui prenaient part à des réunions et à des activités locales, le demandeur principal ne présentait pas le profil d’une personne que des hommes de main de la LA prendraient pour cible. Il n’avait fourni aucune preuve crédible ou fiable au sujet de la raison pour laquelle son profil de partisan du PNB était de nature telle qu’il serait visé de manière particulière au sein d’une foule de mille à deux mille personnes et pris pour cible pour son soutien actif.

[36]           Au vu de la preuve dont disposait la SPR, je ne relève aucune erreur dans cette conclusion. Le demandeur principal a déclaré qu’il n’était qu’un simple membre du PNB, un parmi des milliers d’autres, qu’il ne travaillait pas pour le PNB ni n’occupait une charge au sein de ce dernier, et il a simplement émis l’hypothèse qu’on le ciblait du fait qu’on craignait peut‑être qu’il devienne un jour un dirigeant important.

[37]           En définitive, les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient à mon avis raisonnables, tout comme la manière dont elle a traité la preuve corroborante. Il n’y a donc pas de raison pour que la Cour intervienne dans la décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune ordonnance ne sera rendue quant aux dépens.

3.      Aucune question de portée générale n’a été proposée ou ne se pose en vue de la certification.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2786-16

 

INTITULÉ :

SYYED ALTAF HUSYN, ANU ALTAF, SYYED OMER HUSYN OMAM ET SYYED ASRAR HUSYN ONIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 Décembre 2016

 

Jugement et MOTIFS :

la juge STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 16 Décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

pour les demandeurs

 

Eleanor Elstub

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demandeurS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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