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Date : 20161229


Dossier : T -156-16

Référence : 2016 CF 1414

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 décembre 2016

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

JOEL EDWARD MOUSSEAU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA REPRÉSENTANT LES FORCES ARMÉES CANADIENNES ET LE COMITÉ DES GRIEFS DES FORCES ARMÉES CANADIENNES

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le caporal demandeur, Joel Mousseau (retraité) [Cpl Mousseau], conteste la décision du 29 octobre 2015 par laquelle le Directeur général ‒ Autorité des griefs des Forces canadiennes [DGAGFC] a confirmé son retour du grade de caporal-chef [Cplc] à celui de caporal [Cpl].

II.                Le contexte

[2]               En 2001, le Cpl Mousseau s’est enrôlé volontairement dans les Forces armées canadiennes; en 2014, il avait à son actif douze années de service, et notamment deux périodes de service en Afghanistan. Il prévoyait prendre sa retraite au terme d’une carrière entière dans l’armée, mais il a reçu un diagnostic d’état de stress post-traumatique [ESPT] et a été libéré pour des raisons médicales. Le Cpl Mousseau indique que ses attaques de panique inopinées et l’ESPT se sont aggravés depuis ce qu’il appelle [traduction] « la rétrogradation injustifiée ». Il a été libéré de l’armée non pas avec le rang de Cplc, mais avec celui de Cpl, décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[3]               La dernière affectation du Cpl Mousseau était l’UISP (Unité interarmées de soutien du personnel) Dét. Edmonton; il avait été transféré de la BFC Wainwright (5 juillet 2010) le 29 février 2012, en raison de contraintes à l’emploi pour raisons médicales [CERM], en vue d’un suivi et d’un traitement médical. La BFC Wainwright était sa première affectation après ses deux périodes de service consécutives à Kandahar (Afghanistan), du 5 novembre 2006 au 6 mars 2007, et du 29 février au 28 septembre 2008.

[4]               Le 10 mai 2010, il a été nommé Caporal-chef intérimaire (qualification insuffisante). Le retour à un grade inférieur, ou la rétrogradation comme il l’appelle, tenait au fait que le Caporal Mousseau ne détenait pas les qualifications requises – Cours de chef d’équipage de reconnaissance de l’Arme blindée, appelé maintenant Cours de commandant d’équipage de blindés [CÉRAB ou CÉB] – pour obtenir le grade effectif de Cplc avant de prendre sa retraite.

[5]               Le commandant du Cpl Mousseau à la BFC Wainwright l’a observé et lui a recommandé d’obtenir un diagnostic et un traitement pour un trouble dont il a été établi qu’il s’agissait d’un ESPT lié à ses périodes de service en Afghanistan. Le Cpl Mousseau a reçu un diagnostic d’ESPT d’intensité élevée à extrême. Entre 2008 et 2011, personne, pas même lui, n’avait identifié la nature de ses problèmes, jusqu’à ce que son Commandant le fasse. Le 25 octobre 2011, le Cpl Mousseau a été visé par des CERM temporaires qui l’ont empêché de suivre et de compléter le cours obligatoire CÉRAB. Les CERM ont été prolongées en juin et en décembre 2012.

[6]               Le Cpl Mousseau faisait très bien son travail et se méritait des éloges, notamment au chapitre de l’instruction des soldats, mais il n’a pas pu suivre le cours CÉRAB à cause de son ESPT. En règle générale, les cours CÉRAB/CÉB sont donnés tous les six mois ou selon les besoins.

[7]               Le 21 octobre 2013, un médecin militaire a recommandé que le Cpl Mousseau se voie attribuer une catégorie médicale permanente, ce qu’a approuvé le directeur – Politique de santé, le 5 mars 2014.

[8]               Le 10 mai 2014, le Cpl Mousseau a appris qu’il devait renoncer à son rang de Cplc intérimaire (qualification insuffisante) pour être libéré des Forces canadiennes comme Cpl après avoir servi quatre ans comme Cplc.

[9]               Le 30 mai 2014, le gestionnaire des carrières du Cpl Mousseau a procédé à un examen administratif de son grade, car, durant ses quatre années de service comme Cplc intérimaire (qualification insuffisante), il n’avait pas complété le CÉRAB. Le gestionnaire a recommandé un retour au grade effectif de Cpl.

[10]           Le 17 juillet 2014, le directeur intérimaire des Carrières militaires a révoqué le grade de Cplc intérimaire (qualification insuffisante) du Cpl Mousseau; cette décision devait prendre effet le 7 août suivant. Le chef d’état-major de la défense a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de lui octroyer le grade de Cplc en le dispensant de l’obligation de terminer le cours CÉRAB. Le 5 août 2014, le Cpl Mousseau a déposé un grief aux termes de l’article 29 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5, afin de retrouver son grade.

[11]           L’abréviation LdSH (RC), utilisée entre autres par le Cpl Mousseau dans tout le dossier certifié du Tribunal [DCT], désigne le Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians), un régiment blindé des Forces canadiennes; l’abréviation UISP désigne l’Unité interarmées de soutien du personnel.

[12]           Le 11 décembre 2014, en réponse aux documents à communiquer aux fins de son dossier de grief, le Cpl Mousseau a déclaré : [traduction] « […] J’ai l’impression que mon régiment (LdSH(RC)) m’a abandonné dès que je ne servais plus à rien et qu’on “s’est débarrassé de moi pour de bon”, alors que j’étais en affectation temporaire à l’UISP en attendant mon affectation permanente. J’ai été officiellement rétrogradé le vendredi avant d’être affecté à l’UISP dét. Edm, et j’ai dû aller en visite médicale après une attaque de panique provoquée par cette affaire, et le lundi suivant, j’étais rétrogradé, mais pas dans mon régiment. Je n’ai PAS été rétrogradé au LdSH(RC), j’ai été rétrogradé à l’UISP, puisque cela avait déjà été décidé. […] J’estime que la rétrogradation était injuste et injustifiée pour un soldat “brisé”, et qui l’a été en faisant son devoir. Tout ce que je demande est d’être libéré des Forces canadiennes comme Cplc et de partir dans la dignité » (DCT 178).

[13]           Dans la décision initiale de l’Autorité des griefs datée du 3 février 2015, le Directeur général ‒ Carrières militaires à Edmonton a confirmé le retour à un rang inférieur. Le 9 septembre suivant, le Comité externe d’examen des griefs militaires [le Comité des griefs] a rejeté le grief.

[14]           Le 29 octobre 2015, le DGAGFC a conclu, après avoir examiné le grief du Cpl Mousseau, qu’il avait été traité équitablement et que son retour au grade de Cpl devait être maintenu. Le Comité des griefs est un organe de renvoi discrétionnaire créé en vertu de la Loi sur la défense nationale et dont la mission est d’examiner les griefs militaires qui lui sont soumis et de formuler des conclusions et des recommandations impartiales.

[15]           Le 9 septembre 2015, les conclusions du Comité des griefs ont été transmises au DGAGFC et au Cpl Mousseau afin que ce dernier puisse répondre aux questions soulevées par le Comité. Le 5 octobre 2015, le Cpl Mousseau a répondu par écrit aux conclusions du Comité des griefs, et ses arguments ont été communiqués au DGAGFC.

[16]           Après avoir examiné le contexte factuel applicable, le DGAGFC a entrepris d’évaluer de novo le dossier du Cpl Mousseau et a rendu une décision en se fondant sur les recommandations du Comité des griefs. Le DGAGFC a souligné que la branche du Cpl Mousseau aurait pu révoquer son grade intérimaire dès lors que les contraintes à l’emploi pour raisons médicales l’empêchaient de suivre le CÉRAB obligatoire, mais ne l’a pas fait (Ordonnance administrative des Forces canadiennes 49-4, alinéa 14c, [OAFC 49‑4 ]). Au lieu de cela, ils l’ont autorisé à rester Cplc intérimaire (qualification insuffisante) pendant un total de quatre ans à compter du premier jour de sa désignation.

[17]           Le DGAGFC a rejeté l’argument du Cpl Mousseau voulant que d’autres militaires actifs aient été autorisés à conserver leur grade malgré leur libération pour des raisons médicales, en indiquant que chaque affaire administrative doit être tranchée au cas par cas. Le directeur général a souscrit aux conclusions du Comité des griefs et a fait retourner le Cpl Mousseau à son grade inférieur.

III.             La question à trancher

[18]           La question à trancher est de savoir si la décision du DGAGFC de faire retourner le Cpl Mousseau au grade de Cpl était déraisonnable.

IV.             La norme de contrôle

[19]           La Cour d’appel fédérale a déclaré que les décisions finales des Forces armées canadiennes concernant un grief doivent être examinées suivant la norme de la raisonnabilité (Zimmerman c Canada (Procureur général), 2011 CAF 43, au paragraphe 21).

[20]           Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9). Cette décision n’est pas raisonnable et je fais droit au contrôle judiciaire pour les motifs suivants.

V.                Analyse

[21]           Le Cpl Mousseau, se représentant lui-même, a fait valoir en cours d’audience un certain nombre d’arguments, notamment le fait que les exigences liées au grade de Cplc intérimaire (qualification insuffisante) énoncées dans le mémoire du gestionnaire des carrières 2014-2015 ont changé alors qu’il occupait cette fonction, de sorte que le cours CÉRAB n’était plus une condition nécessaire pour conserver le grade de Cplc.

[22]           Selon le Cpl Mousseau, la politique de retour à un grade inférieur du DCM Corps blindé prévoyait jusqu’en 2013 que les membres pouvaient être promus à un grade intérimaire (qualification insuffisante) après leur QEL-AT, après quoi ils avaient quatre ans pour terminer leur CÉB et obtenir un grade effectif. Le Cpl Mousseau a indiqué que dans l’ancien système présenté à la fiche 5 de la page cinq (5) du mémoire du gestionnaire des carrières, il fallait réussir la QEL pour obtenir une promotion, puis le CÉRAB pour la conserver. Mais dans le nouveau système valable pour 2014-2015, seule la QEL-AT (qualification de leadership) est nécessaire pour être Cplc, et le CÉRAB n’est requis que si l’intéressé souhaite monter en grade. Le Cpl Mousseau estime qu’il relève du nouveau système, puisqu’il s’est vu attribuer une catégorie médicale permanente en 2014, et qu’il n’avait donc même pas besoin du CÉRAB pour conserver son grade de Cplc lorsqu’il a cessé son service.

[23]           Il s’agissait également de savoir si le directeur général a véritablement examiné l’affaire de novo comme il l’a annoncé, ou s’il a approuvé sans discussion les décisions des instances inférieures de traitement des griefs. Enfin, le Cpl Mousseau a fait valoir que sa rétrogradation portait atteinte à la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6, pour cause de discrimination fondée sur son invalidité.

[24]           Le Cpl Mousseau a soutenu qu’il s’agissait d’une nomination fondée sur le mérite, et qu’il avait été rétrogradé en vertu de l’ancien système basé sur le nombre de places disponibles pour ce grade. Le défendeur conteste absolument l’affirmation selon laquelle le Cpl Mousseau a été rétrogradé, puisqu’il est simplement retourné à son grade antérieur pour n’avoir pas terminé le cours CÉRAB, qui constituait l’une des exigences liées au grade de Cplc.

[25]           La question décisive est de savoir si le pouvoir discrétionnaire du chef d’état-major de la défense prévu à l’article 11.02 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [ORFC] a été exercé de manière raisonnable. C’est pourquoi je limiterai mes motifs à cette seule question.

[26]           Aux termes du paragraphe 29(14) de la Loi sur la défense nationale, le chef d’état-major de la défense délègue au DGAGFC ses attributions à titre d’autorité de dernière instance en matière de grief.

[27]           La disposition pertinente des ORFC prévoit ce qui suit :

Dans des cas particuliers ou dans des circonstances données, le chef d’état-major de la défense peut ordonner qu’il soit passé outre à la nécessité de satisfaire à une norme de promotion.

[28]           Une fois que le Comité des griefs soumet ses recommandations et conclusions à son examen, le DGAGFC doit rendre une décision de novo. En l’espèce, le Comité des griefs avait recommandé que le grief soit rejeté.

[29]           Le chef d’état-major n’est pas lié par la recommandation (article 29.13) du Comité des griefs, mais il doit fournir des motifs en cas de désaccord. Le DGAGFC a souligné dans ses motifs qu’il acceptait les conclusions du Comité des griefs [traduction] « comme si elles étaient miennes ». Les motifs du DGAGFC reprennent fidèlement les motifs et l’analyse du Comité.

[30]           Dans sa recommandation, le Comité des griefs a indiqué que le chef d’état-major de la défense qui exerce son pouvoir discrétionnaire et ordonne qu’il soit passé outre à la nécessité de satisfaire à une norme de promotion, doit avoir des motifs exceptionnels et impérieux de le faire, de manière à ce que tous les pairs soient traités équitablement.

[31]           À l’audience, le défendeur a repris cet argument et avancé qu’il fallait des raisons [traduction] « exceptionnelles et impérieuses » pour accorder le grade sans que l’intéressé n’ait suivi le cours d’artillerie (CÉRAB/CÉB), afin que les militaires ne soient pas traités différemment les uns des autres. Le défendeur ajoute que le demandeur a subi sa blessure dans l’année suivant sa nomination au poste intérimaire, et que le DGAGFC a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en ne le dispensant pas de l’exigence de passer le cours et en le faisant retourner au grade de Cpl.

[32]           Pour les motifs qui suivent, j’estime que la décision de ne pas accorder de redressement discrétionnaire est déraisonnable.

[33]           Le Cpl Mousseau a confirmé que le diagnostic d’ESPT a mis un terme à son service, attendu qu’il ne remplissait plus les critères minimaux d’efficacité opérationnelle liés à l’universalité du service (article 33.1), mais il ajoute que ce retour au grade inférieur, après avoir occupé le poste intérimaire pendant quatre ans, était déraisonnable et assurément blessant comme manœuvre.

[34]           Le paragraphe 11.02(2) des ORFC autorise l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question dans des cas particuliers ou des circonstances données. Contrairement à ce qu’affirme le défendeur, cette disposition ne précise pas que ces circonstances doivent être exceptionnelles et impérieuses pour justifier la dispense. Dans ses motifs, le Comité des griefs indique que le chef d’état-major de la défense a déterminé, dans d’autres affaires, que les circonstances devaient être exceptionnelles et impérieuses pour ordonner qu’il soit passé outre à la nécessité de satisfaire à certaines normes de promotion. En l’espèce, cette distinction importe peu puisque la décision est déraisonnable, que le pouvoir discrétionnaire ait été exercé dans un cas particulier, tel qu’énoncé dans les ORFC, ou alors seulement parce qu’il existait des circonstances exceptionnelles et impérieuses, conformément au critère proposé par le défendeur.

[35]           Pour parvenir au grade de Cplc, le soldat doit obtenir la Qualification élémentaire en leadership (QEL), ainsi que les qualifications professionnelles et propres à l’armée d’appartenance. Le cours CÉRAB relève des qualifications professionnelles. C’est ce cours que le Cpl Mousseau n’a pas pu terminer; il a donc demandé au chef d’état-major de l’en dispenser, comme le prévoient les ORFC en pareil cas.

[36]           Le cours CÉB implique nécessairement de [traduction] « fortes détonations », puisqu’il est entendu qu’il s’agit d’artillerie. Les documents relatifs aux CERM pour les années 2009-2011 (DCT 125-127) indiquent que le Cpl Mousseau peut être employé sous réserve de certaines contraintes. Ce dernier précise que l’une de ces contraintes est qu’il ne peut pas se trouver dans le voisinage de fortes détonations, et d’autres documents signalent qu’il ne peut pas utiliser efficacement ou manipuler de façon sécuritaire des armes personnelles. Compte tenu du diagnostic d’ESPT d’intensité élevée à extrême, il est évident qu’il ne pouvait pas suivre de cours qui suppose de [traduction] « fortes détonations », mais son rendement professionnel indique qu’il était un excellent instructeur et soldat.

[37]           C’est créer, il me semble, une situation inextricable que d’exiger d’un soldat visé par des CERM à cause d’un ESPT qu’il s’expose à cela même qui déclenche l’ESPT, même s’il a entraîné de manière exemplaire d’autres soldats sans avoir suivi le cours d’artillerie (CÉRAB). Le défaut d’avoir complété ce cours a exacerbé l’anxiété, puisque l’université l’a ensuite rétrogradé.

[38]           Il est entendu que les Forces armées ont récemment accompli de rapides progrès dans la compréhension de l’ESPT. Pour être juste envers le décideur, il est possible que ce dernier n’ait pas bénéficié de la preuve et des procédures dont nous disposons aujourd’hui pour aborder l’ESPT.

[39]           Le Cpl Mousseau n’a pas engagé les services d’un avocat externe ni obtenu de l’aide durant la procédure alors qu’il souffrait d’un ESPT d’intensité élevée à extrême, et il est possible qu’il n’ait pas été son meilleur représentant, compte tenu de son affection médicale. Le directeur intérimaire de l’administration (Carrières militaires) reconnaît plus ou moins la difficulté de la présente situation dans sa décision du 21 août 2014 (DCT 109) dans laquelle il a déclaré ce qui suit : [traduction] « En vertu de la nouvelle politique de soutien à la transition de carrières, les services de santé des F[orces] c[anadiennes] ont conclu, après une évaluation des besoins, que vous étiez gravement malade ou blessé et que vos besoins à l’étape de transition étaient complexes ». Il a déclaré ce qui précède après avoir souligné que le Cpl n’avait soumis aucune observation en réponse à cette communication précise. Il est très difficile pour quiconque, et encore plus pour quelqu’un d’aussi malade, de prendre ce genre de décisions concernant sa propre vie, de s’engager dans les différents paliers de griefs des Forces canadiennes, et de se représenter devant la Cour fédérale.

[40]           La preuve regardant le rendement du Cpl Mousseau lorsqu’il était Cplc intérimaire (qualification insuffisante) figure dans ses rapports annuels d’évaluation du personnel versés dans le DCT et couvrant la période allant du 25 juin 2007 au 26 mai 2014. Ces rapports d’évaluation du personnel donnent l’impression générale de quelqu’un qui fait très bien son travail. Le rapport de 2009 et de 2010 indique que ses [traduction] « perspectives de promotion au rang de Cplc sont remarquables » sous la rubrique Perspectives de promotion au grade suivant – Section 5 et 6 – 25 mai 2010 : [traduction] « Le Cpl Mousseau est un soldat exceptionnellement dévoué, professionnel et compétent, dont la performance est supérieure à celle de ses pairs. C’est un leader né et il s’est classé dans le tiers supérieur des Cpl dans le cours LdSH (RC). Le Cpl Mousseau devrait être promu au grade de Cplc et être employé comme sous‑officier lorsqu’il aura complété sa QEL Mod 6 ».

[41]           Le DGAGFC disposait de tous ces rapports de rendement lorsqu’il a effectué son examen de novo, mis il n’en a cité aucun dans ses motifs, alors même qu’il devait déterminer si la situation du Cpl Mousseau offrait des raisons [traduction] « exceptionnelles ou impérieuses » de le dispenser du cours. Il était déraisonnable d’entreprendre un examen de novo pour décider s’il fallait qu’il soit passé outre à une exigence, sans chercher à savoir si le Cpl Mousseau s’était bien acquitté des fonctions liées au grade qu’il détenait avant d’être visé par les CERM.

[42]           Le Cpl Mousseau ne comprend pas que l’armée prétexte à présent qu’il n’était pas qualifié pour entraîner des soldats, alors que les militaires qu’il a entraînés sont montés en grade et en ont entraîné d’autres à leur tour; dans ce cas, la décision de le faire retourner au grade inférieur devrait s’appliquer aussi aux soldats qu’il a instruits et à ceux que ces derniers ont eux-mêmes entraînés.

[43]           Il était déraisonnable de ne pas lui accorder de dispense parce qu’il ne pouvait pas satisfaire au dernier critère exigible du fait de son ESPT, à savoir suivre un cours d’artillerie impliquant de [traduction] « fortes détonations », alors qu’il a continué à honorer les fonctions associées à ce grade en satisfaisant aux normes d’exercice, sans avoir suivi le cours dans l’année qui a précédé le diagnostic de son ESPT et l’imposition des CERM.

[44]           Le Cpl Mousseau a soutenu qu’il était déraisonnable que d’autres soldats qui se trouvaient dans la même situation lorsqu’ils ont cessé leur service aient été dispensés des exigences liées à l’obtention d’une promotion au grade effectif de Cplc, ce que le DGAGFC a refusé de lui accorder. Les renseignements spécifiques concernant d’autres membres de son régiment autorisés à conserver leur grade en vertu du pouvoir discrétionnaire lorsqu’ils ont pris leur retraite, ont été fournis par le Cpl Mousseau en réponse au mémoire des gestionnaires de carrière.

[45]           En réponse à l’argument du Cpl Mousseau suivant lequel il devait être traité pareillement, le DGAGFC a indiqué dans ses motifs, au sujet du traitement réservé aux autres membres, que chaque cas est apprécié sur une base individuelle et il a déclaré ce qui suit [traduction] « [Cela] ne peut que m’engager à conclure que vous avez été traité équitablement et conformément aux règles et règlements ».

[46]           Bien entendu, chaque affaire est tranchée au cas par cas, mais l’égalité de traitement doit entrer en ligne de compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Comme le Cpl Mousseau a fourni des exemples spécifiques, je me serais attendu à ce que le DGAGFC explique plus longuement en quoi son traitement était identique. Il est évident que la vie privée des autres soldats doit être respectée, mais aucun argument réel ne précise pourquoi il a été traité d’une autre manière que les autres soldats placés dans une situation analogue. Ceci est particulièrement important compte tenu de son état de santé et du fait que sa rétrogradation l’a manifestement aggravé. Dans le cas présent, il est essentiel que le DGAGFC explique convenablement pourquoi d’autres membres ont conservé leur grade après leur libération pour des raisons médicales, et pourquoi le Cpl Mousseau n’a pas bénéficié du même traitement. Se contenter de répondre [traduction] « [cela] ne peut que m’engager à conclure » manque de la transparence et de la clarté nécessaires au caractère raisonnable d’une décision.

VI.             Conclusion

[47]           Le cours obligatoire (sans égard à la question périphérique de savoir à quel moment exactement il constituait ou non une exigence) concernait des véhicules blindés et des explosifs, et avait donc un rapport direct avec le diagnostic d’ESPT lié aux périodes de service du Cpl Mousseau en Afghanistan. Ses évaluations de rendement indiquent qu’il faisait très bien son travail lorsqu’il entraînait des soldats à titre intérimaire, et il a déclaré qu’il en avait entraîné d’autres par la suite. La décision en cause est déraisonnable, compte tenu de la preuve touchant la situation particulière du Cpl. Mousseau et de l’absence de transparence quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas été traité comme les autres soldats dont le cas était analogue et qui ont pris leur retraite sans avoir suivi le cours ni subi de retour à un grade inférieur.

[48]           Le contrôle judiciaire est accueilli, de nouveaux éléments de preuve doivent être déposés devant un nouveau décideur, compte tenu des progrès liés à la compréhension de cette affection médicale, puisque l’affaire doit être tranchée de novo.

[49]           Divers redressements ont été sollicités dans les observations écrites; certains d’entre eux, comme les dommages-intérêts ou le rétablissement du grade, ne peuvent pas être accordés dans le cadre d’un contrôle judiciaire et je ne suis pas disposé à les accorder à titre de mesures de réparation.

[50]           Le défendeur a demandé les dépens selon la fourchette inférieure et suivant l’issue de la cause. En l’espèce, le Cpl Mousseau se représentait lui-même; questionné à ce sujet à l’audience, il m’a demandé de ne pas adjuger de dépens contre lui, car ce serait un fardeau financier. Le défendeur n’a pas eu gain de cause et comme le Cpl Mousseau se représentait lui-même, je n’adjugerai pas de dépens et chaque partie devra assumer ses frais en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il la réexamine; le demandeur pourra déposer de nouveaux éléments de preuve;

2.      aucuns dépens ne sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T -156-16

INTITULÉ :

JOEL EDWARD MOUSSEAU c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA REPRÉSENTANT LES FORCES ARMÉES CANADIENNES ET LE COMITÉ DES GRIEFS DES FORCES ARMÉES CANADIENNES

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 SEPTEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 29 DÉCEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Joel E. Mousseau

Le demandeur

 

Christine Ashcroft

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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