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Date : 20161223


Dossier : T-1979-15

Référence : 2016 CF 1410

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2016

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

GEOFFREY AGOSTI

demandeur

et

LE MINISTRE DES TRANSPORTS

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               À Transports Canada, une déléguée du ministre a rejeté la demande d’habilitation de sécurité en matière de transport de Geoffrey Agosti en raison de sa [traduction] « propension à la violence », ainsi que de la conclusion selon laquelle il était une personne [traduction] « mêlée ou soupçonnée d’être mêlée à des actes de violence graves commis contre les personnes ou les biens ».

[2]               Je suis consciente que la décision de la déléguée du ministre aura de sérieuses répercussions sur sa carrière dans le secteur de l’aviation, mais M. Agosti ne m’a pas persuadée qu’on l’a traité de manière inéquitable dans la façon dont on a géré sa demande d’habilitation de sécurité en matière de transport, pas plus que la décision de la déléguée du ministre est déraisonnable. Sa demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

I.                   Le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport

[3]               La Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, et le Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318, prévoient qu’une personne ne peut entrer ou demeurer dans une zone réglementée d’un aéroport que si une carte d’identité de zones réglementées (« CIZR ») lui a été délivrée. Avant d’avoir droit à une CIZR, une personne doit tout d’abord obtenir une habilitation de sécurité en matière de transport. Le ministre des Transports ou son délégué a le pouvoir discrétionnaire d’accorder, de refuser ou d’annuler cette habilitation.

[4]               Les personnes qui présentent une demande d’habilitation de sécurité en matière de transport sont assujetties à une vérification exhaustive de leurs antécédents, notamment à une vérification du casier judiciaire à partir d’empreintes digitales et à un examen des dossiers d’organismes d’application de la loi pertinents, y compris les renseignements recueillis aux fins de l’application de la loi.

[5]               Un objectif particulier du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport est de prévenir l’entrée non contrôlée, dans les zones réglementées d’un aéroport, des personnes qui, comme le ministre l’estime raisonnablement, peuvent être sujettes ou incitées à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile.

[6]               Si l’on doute de l’aptitude à recevoir une habilitation de sécurité du demandeur, le directeur des programmes de filtrage de sécurité convoque l’Organisme consultatif. Ce dernier est présidé par le directeur et formé de personnes qui connaissent bien les objectifs du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport.

[7]               L’Organisme consultatif étudie ensuite la demande en question et recommande au ministre ou à son délégué s’il y a lieu d’accorder, de refuser ou d’annuler l’habilitation de sécurité en matière de transport de la personne.

[8]               Avant d’examiner une demande d’habilitation de sécurité en matière de transport, le directeur fournit au demandeur des renseignements sur le ou les points qui suscitent des préoccupations. Il l’encourage à formuler des observations écrites sur les points soulevés, ainsi qu’à fournir des explications ou des renseignements pertinents, ou les circonstances atténuantes, le cas échéant, qu’il souhaite que l’Organisme consultatif prenne en considération.

[9]               S’il décide que la présence du demandeur dans une zone réglementée d’un aéroport ne s’inscrit pas dans les objectifs du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, l’Organisme consultatif peut recommander au ministre ou à son délégué de refuser la demande. La demande d’habilitation de sécurité en matière de transport peut être refusée si le décideur a des motifs raisonnables de croire, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne peut être sujette ou incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile.

II.                La demande d’habilitation de sécurité en matière de transport de M. Agosti

[10]           M. Agosti a présenté une demande d’habilitation de sécurité en matière de transport en février 2014. Une vérification ultérieure de ses antécédents auprès des autorités policières a révélé qu’entre 2004 et 2013, M. Agosti avait été impliqué dans les quatre incidents suivants :

1.                  En octobre 2004, une victime a communiqué avec le Service de police de Port Moody pour signaler que son véhicule de travail, stationné devant son domicile, avait été endommagé à la suite d’un accident avec délit de fuite. La police s’est entretenue avec le propriétaire du véhicule suspect et a découvert que ce véhicule avait été prêté à M. Agosti. Après un certain nombre de tentatives, la police a finalement pu entrer en contact avec lui; il a alors admis qu’il était au volant du véhicule qui avait causé l’accident. Il s’est vu infliger une amende pour infraction aux règles de la circulation de la province pour avoir quitté les lieux de l’accident.

2.                  En juillet 2007, à Dawson City (Yukon), la GRC est intervenue à la suite d’une agression survenue lors d’un festival de musique local. On a informé les agents de police que M. Agosti avait asséné deux coups de poing au visage d’un gardien de sécurité après que celui-ci lui avait demandé de présenter une pièce d’identité avant d’être autorisé à entrer dans une tente où l’on servait de la bière. M. Agosti a été appréhendé; il s’est montré peu coopératif et a manifesté un comportement violent pendant toute sa période d’arrestation et de détention. Une accusation portée contre M. Agosti a été suspendue en août 2008 après qu’il a accepté de présenter des excuses au gardien de sécurité, de présenter des excuses écrites au gardien de prison et d’effectuer quinze heures de travail communautaire.

3.                  En avril 2009, le Service de police de Toronto a remarqué qu’une femme se faisait agresser par deux individus, dont l’un était M. Agosti. Les agents ont vu deux individus frapper et bousculer la victime. Lorsque les policiers se sont approchés, les deux individus ont pris la fuite, mais ils ont plus tard été appréhendés et accusés de voies de fait. En septembre 2009, l’accusation de voies de fait contre M. Agosti a été retirée.

4.                  En janvier 2013, la police de West Vancouver a intercepté un véhicule que M. Agosti conduisait à vive allure, doublant tous les autres véhicules qui circulaient sur la voie. M. Agosti s’est montré agressif et peu coopératif avec la police et n’a manifesté aucun remords pour ses gestes. Une amende pour infraction aux règles de la circulation lui a été infligée et son véhicule a été remorqué à la fourrière.

[11]           En février 2015, le chef des programmes de filtrage de sécurité a envoyé une lettre à M. Agosti l’informant que Transports Canada avait été mis au courant de ces incidents et que ceux-ci suscitaient des doutes quant à la pertinence de lui accorder une habilitation de sécurité en matière de transport. La lettre encourageait M. Agosti à fournir des renseignements supplémentaires sur les circonstances entourant les incidents en question, ainsi que toute autre information ou explication pertinente (y compris les circonstances atténuantes) qu’il souhaitait que Transports Canada prenne en considération au moment de se prononcer sur sa demande.

[12]           M. Agosti a envoyé une réponse écrite dans laquelle il a reconnu que les quatre incidents avaient eu lieu et affirmé qu’il assumait l’entière responsabilité de son rôle dans les incidents en question. Il a indiqué qu’à l’adolescence, il était aux prises avec un stress émotionnel dû au divorce de ses parents, qui était survenu à l’époque où il était âgé de 17 ans. De plus, il a longuement expliqué sa version du contexte dans lequel chacun des quatre incidents était survenu, de même que les circonstances connexes.

[13]           Pour ce qui est de l’accident avec délit de fuite survenu en octobre 2004, M. Agosti a déclaré qu’il était âgé de 20 ans à l’époque. Il a admis les faits et a reconnu ne pas avoir répondu [traduction] « rapidement » aux appels de la police de Port Moody à propos de l’accident, expliquant qu’il ne savait pas comment composer avec la situation. Il a soutenu qu’un agent de police lui avait dit qu’il n’y aurait aucune conséquence à son geste, hormis la contravention qu’on lui infligeait. M. Agosti a reconnu dans sa lettre à Transports Canada que, en rétrospective, il était conscient d’avoir très mal réagi.

[14]           M. Agosti n’a pas contesté non plus les faits liés à l’agression commise en juillet 2007 à l’endroit du gardien de sécurité au festival de musique. Il a expliqué qu’il était âgé de 23 ans à l’époque et qu’il travaillait comme [traduction] « pilote de brousse » au Yukon. Il a relaté en détail un drame qu’il avait vécu le mois précédant l’incident, où un ami avait perdu la vie dans un écrasement d’avion. Il était présent sur les lieux de l’écrasement, et le traumatisme causé par cet incident avait contribué à ce qu’il a qualifié d’[traduction] « explosion émotionnelle », juste avant l’altercation au festival de musique. Il a déclaré qu’il était en colère contre les circonstances dans lesquelles son ami avait perdu la vie, et qu’il avait extériorisé ce sentiment contre le gardien de sécurité.

[15]           M. Agosti a reconnu dans sa réponse écrite qu’il s’était mal comporté. Il a déclaré qu’il avait participé par la suite à un cercle de discussion avec l’organisme d’application de la loi en cause et qu’il avait présenté des excuses au gardien de sécurité ainsi qu’au préposé au poste de police. Il a indiqué que, collectivement, ils avaient trouvé un [traduction] « compromis », dans le cadre duquel il avait convenu d’occuper un poste lié à la sécurité au festival de musique l’année suivante.

[16]           Pour ce qui est de l’incident survenu en avril 2009, celui de la présumée agression d’une femme, la description que M. Agosti a faite de cet incident diffère du sommaire que Transports Canada a fourni. Selon M. Agosti, ses amis et lui avaient été impliqués dans une altercation dans un club de nuit. Lorsque, plus tard dans la soirée, ils sont tombés par hasard sur deux des personnes impliquées dans l’altercation, l’homme et la femme en question se sont montrés agressifs; l’homme avait même tenté de s’en prendre à l’un de ses amis. Selon M. Agosti, les cinq personnes impliquées se bousculaient.

[17]           Lorsque les agents de police se sont présentés sur les lieux, M. Agosti et son ami se sont enfuis en courant. Dans sa réponse, M. Agosti a déclaré que son ami et lui [traduction] « n’avaient aucune idée de la gravité de l’altercation » et qu’ils [traduction] « croyaient sur le coup qu’il s’agissait d’une blague ». Il a reconnu qu’il avait agi avec manque de maturité, ajoutant que les agents de police avaient eux aussi mal géré la situation, comme la déposition donnée par la femme présente sur les lieux a ultérieurement été jugée non crédible.

[18]           Enfin, en ce qui concerne l’infraction d’excès de vitesse commise en janvier 2013, bien qu’il ait admis avoir roulé à 133 km/h, M. Agosti a dit de cet incident qu’il était [traduction] « des plus bénins et une sorte de non-événement qui avait été consigné de manière inexacte ». Selon lui, l’agent de police qui l’avait intercepté pour excès de vitesse était agressif, et lui avait dit qu’il envoyait le véhicule à la fourrière. M. Agosti avait laissé le véhicule entre les mains de l’agent. Il avait plus tard contesté la contravention devant un juge, devant un tribunal de la circulation routière. Sa lettre laissait entendre que l’affaire avait finalement été réglée à l’amiable, car le juge [traduction] « avait fait preuve de pondération ».

[19]           M. Agosti a déclaré également qu’au cours des années qui ont suivi sa dernière infraction, il s’est repris en main. Il pratique maintenant le yoga, mange sainement et a un bon groupe d’amis à Vancouver. Il dit aussi avoir suivi une thérapie pour le choc qu’il a subi à la suite du décès de son ami dans l’écrasement d’avion. Il a déclaré en outre qu’il a travaillé comme bénévole auprès d’une fondation axée sur les jeunes à risque et qu’il a fait des efforts pour créer une fondation de bienfaisance. Il a également produit son curriculum vitæ, des références personnelles et une lettre qu’il a transmis à une société aux États-Unis.

III.             La décision faisant l’objet du contrôle

[20]           Après avoir passé en revue les observations de M. Agosti, l’Organisme consultatif a recommandé que le ministre rejette sa demande d’habilitation de sécurité en matière de transport. L’Organisme consultatif a conclu que M. Agosti avait réagi de manière [traduction] « désinvolte » à l’égard des quatre incidents et qu’il [traduction] « n’assumait aucune responsabilité personnelle en plus de minimiser chaque situation ». Il a déterminé de plus que M. Agosti manifestait une [traduction] « propension à la violence ». Il a donc conclu qu’il avait des [traduction] « raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était sujet ou susceptible d’être incité à commettre, ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre, un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile ».

[21]           Le 13 octobre 2015, la déléguée du ministre a ultimement décidé de refuser la demande d’habilitation de sécurité en matière de transport de M. Agosti. Faisant référence à l’implication de ce dernier dans les quatre incidents susmentionnés, elle a déclaré que ces incidents la portaient à croire qu’il manifestait une [traduction] « propension à la violence » et qu’il n’avait pas démontré qu’il assumait une responsabilité quelconque à l’égard de ceux-ci. Un examen de son dossier avait amené de plus la déléguée à conclure que M. Agosti était [traduction] « mêlé ou soupçonné d’être mêlé dans des activités relatives à une menace ou à des actes de violence graves commis contre les personnes ou les biens » et que les renseignements qu’il avait fournis n’étaient pas suffisants pour dissiper ses doutes. La demande d’habilitation de sécurité en matière de transport de M. Agosti était donc rejetée.

[22]           M. Agosti a demandé par la suite que l’on réexamine cette décision à l’interne, requête qui, d’après ce que j’ai compris, a été refusée. Cependant, la présente demande de contrôle judiciaire ne porte que sur la décision que la déléguée du ministre a rendue le 13 octobre 2015, ce qui fait qu’il n’y a rien dans le dossier certifié du tribunal qui soit lié à la demande de réexamen de M. Agosti.

IV.             Les questions en litige

[23]           Si j’ai bien compris, l’argument principal qu’invoque M. Agosti est qu’il a été traité de manière inéquitable dans le cadre du processus de demande, car Transports Canada lui a donné de mauvais conseils et a omis de lui expliquer convenablement quelle était la meilleure façon de répondre aux préoccupations que suscitaient les quatre incidents dans lesquels il avait été impliqué. Il soutient qu’il ignorait ce qu’il devait faire pour apaiser les doutes de Transports Canada, car cela ne lui a pas été expliqué comme il se doit. Il ajoute qu’à la suite d’entretiens téléphoniques avec des employés de Transports Canada, on l’a amené à croire qu’il pouvait fournir des renseignements supplémentaires à l’appui de sa demande et que ces renseignements permettraient de réexaminer la décision de rejeter sa demande.

V.                Analyse

[24]           L’argument invoqué par M. Agosti soulève une question d’équité procédurale. Lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, la tâche de la Cour consiste à déterminer si le processus suivi par le décideur a satisfait au niveau d’équité requis dans toutes les circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 SCC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 R.C.S. 339.

[25]           Même s’il est vrai que le contrôle judiciaire est généralement effectué sur la foi du dossier qui était à la disposition du décideur dont la décision fait l’objet de la révision, le dossier peut être complété lorsque, comme en l’espèce, il est allégué qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale : Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, au paragraphe 30, [2003] 1 C.F. 331.

[26]           Cependant, malgré les trois prorogations de délai qui lui ont été accordées, M. Agosti n’a pas déposé d’affidavit à l’appui de sa demande. Il a cependant inclus dans son mémoire des faits et du droit les documents qu’il avait fournis à Transports Canada à l’appui de sa demande de réexamen.

[27]           À l’audience, M. Agosti a également tenté, lors de sa plaidoirie, de fournir des éléments de preuve sur les événements qui ont suivi le rejet de sa demande. Il a également donné sa version des faits au sujet des quatre incidents qui avaient suscité les doutes de Transports Canada, expliquant comment il avait changé de vie depuis lors. Il a également parlé des efforts qu’il avait déployés pour répondre à la lettre d’équité procédurale de Transports Canada, et mentionné qu’il s’était soi-disant fié aux propos allégués de divers employés de Transports Canada.

[28]           L’avocate du défendeur s’est opposée aux observations de M. Agosti au motif que ce dernier témoignait essentiellement au sujet de questions qui ne figuraient pas au dossier. J’ai fait savoir aux parties que j’autoriserais M. Agosti à terminer ses observations, mais que j’étais consciente de la distinction entre un témoignage et une plaidoirie et que je ne me fonderais pas sur des éléments de preuve qui ne figuraient pas au dossier.

[29]           À la conclusion des observations de M. Agosti, et à la suite de discussions avec l’avocate du défendeur, il a été convenu qu’on donnerait à M. Agosti une dernière chance de produire un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, même si cette approche est peu orthodoxe. En conséquence, avec le consentement des parties, l’audience a été ajournée sine die et M. Agosti a obtenu un délai de 45 jours pour signifier et déposer un ou plusieurs affidavits à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. L’importance d’un affidavit, de même que sa nécessité, lui ont été expliquées, et je lui ai indiqué de plus qu’une bonne partie des renseignements qu’il invoquait à l’appui de son argument relatif à l’équité procédurale ne m’avaient pas été dûment soumis.

[30]           Mon ordonnance du 27 octobre 2016 prévoyait de plus que si M. Agosti ne déposait pas un affidavit dans le délai imparti, je trancherais sa demande de contrôle judiciaire en me basant sur les observations écrites, de même que sur ses observations orales (dans la mesure où ses observations écrites et orales ne constitueraient pas un témoignage non assermenté). Le défendeur s’est dit satisfait que l’affaire procède ainsi.

[31]           M. Agosti aurait pu profiter de cette indulgence exceptionnelle, mais il n’a pas déposé d’affidavit dans le délai prévu dans mon ordonnance du 27 octobre 2016. Je n’ai donc en main aucune preuve dûment déposée sur ce que l’on a pu dire à M. Agosti lors des diverses conversations qu’il a eues avec des employés de Transports Canada. Je ne dispose pas non plus d’information concernant sa demande de réexamen. Par ailleurs, les renseignements que M. Agosti affirme qu’il aurait fournis à Transports Canada s’il avait bien compris ce que l’on exigeait de lui ne font pas non plus partie des éléments de preuve présentés en l’espèce.

[32]           En ce qui a trait à l’argument d’équité procédurale de M. Agosti, il ressort de la jurisprudence que le degré d’équité procédurale que l’on doit à une personne qui cherche à obtenir une première habilitation de sécurité en matière de transport est minime : Pouliot c. Canada (Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2012 CF 347, au paragraphe 9, [2012] ACF no 427; Motta c. Canada (Procureur Général) (2000), 180 FTR 292, au paragraphe 13, [2000] ACF no 27 (C.F. 1re inst.). Cela s’explique par le fait que l’obtention d’une telle habilitation de sécurité en matière de transport n’est pas un droit et que la personne ne peut donc pas s’attendre légitimement à ce qu’on lui en accorde une.

[33]           L’obligation d’équité procédurale est respectée si l’on informe le demandeur d’une habilitation de sécurité en matière de transport des faits qui lui sont reprochés et s’il a l’occasion de formuler des observations sur ces faits et sur la pertinence de la lui accorder : Pouliot, précité, au paragraphe 11.

[34]           Il ressort clairement des renseignements figurant dans le dossier que M. Agosti a été mis au courant de la nature des doutes de Transports Canada quant à la pertinence de lui accorder une habilitation de sécurité en matière de transport. En fait, la lettre du 6 février 2015 qui a été envoyée à M. Agosti fait clairement état des renseignements que Transports Canada avait reçus au sujet des quatre incidents dont il a été question plus tôt. En outre, cette lettre indique expressément que ces renseignements avaient suscité des doutes à Transports Canada quant à la pertinence de lui accorder une habilitation de sécurité en matière de transport. La nature du processus suivi par l’Organisme consultatif lui a aussi été expliquée dans cette lettre, et on l’a orienté vers le site Web de Transports Canada pour obtenir de plus amples renseignements à cet égard.

[35]           Par ailleurs, la lettre du 6 février 2015 encourageait M. Agosti à [traduction] « fournir des renseignements supplémentaires, à décrire les circonstances entourant les accusations criminelles et les incidents susmentionnés, et à fournir toute autre information ou explication pertinente, y compris les circonstances atténuantes ». On lui a également fait savoir que les renseignements qu’il fournirait seraient examinés attentivement au moment où l’on se prononcerait sur sa demande d’habilitation de sécurité en matière de transport.

[36]           Compte tenu de cela, je suis convaincue que l’on a satisfait aux exigences de l’équité procédurale en l’espèce et que M. Agosti n’a pas été traité de manière inéquitable dans le cadre du processus d’attribution d’une habilitation de sécurité en matière de transport.

[37]           Les conclusions de fond que tire un délégué du ministre en lien avec une demande d’habilitation de sécurité en matière de transport doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité : Lorenzen c. Canada (Transports), 2014 CF 273, au paragraphe 12, [2014] ACF no 299; Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 41, [2014] ACF no 1327.

[38]           M. Agosti n’a pas contesté explicitement la raisonnabilité de la décision de rejeter sa demande d’habilitation de sécurité en matière de transport, mais je signalerais néanmoins que la décision dont il est question en l’espèce explique clairement pourquoi la déléguée du ministre a conclu qu’il faisait preuve d’une [traduction] « propension à la violence ». La conclusion selon laquelle M. Agosti n’a pas assumé la responsabilité personnelle des incidents en question est également étayée par les éléments de preuve figurant dans le dossier, tout comme la conclusion voulant qu’il soit [traduction] « mêlé ou soupçonné d’être mêlé à des activités relatives à des actes de violence graves commis contre les personnes ou les biens ».

[39]           La conclusion selon laquelle les gestes passés de M. Agosti justifiaient le rejet de sa demande d’habilitation de sécurité en matière de transport est, par ailleurs, justifiée, transparente et intelligible, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il s’agit donc là d’une conclusion raisonnable : voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190, et Khosa, précité, au paragraphe 59.

VI.             Conclusion

[40]           Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, [2014] ACF no 227, une évaluation de risque « implique la formulation d’éventualités ainsi qu’une analyse prospective »; elle n’est pas une affaire de « calculs scientifiques exacts, mais suppos[e] l’exercice du jugement et le recours à des nuances » : au paragraphe 94. La jurisprudence établit par ailleurs qu’il est loisible aux délégués d’un ministre de pêcher par excès de prudence, en accordant préséance à la sécurité du public plutôt qu’aux intérêts des personnes qui souhaitent obtenir un emploi dans le domaine de l’aviation : Wu c. Canada (Procureur général), 2016 CF 722 et Brown, précité, au paragraphe 71.

[41]           Je suis consciente que la décision de rejeter la demande d’habilitation de sécurité en matière de transport de M. Agosti aura d’importantes répercussions négatives sur son rêve de faire carrière dans le secteur aéronautique canadien. On ne m’a toutefois pas convaincue qu’il a été traité de manière inéquitable dans le cadre du processus de demande, pas plus que la décision de lui refuser une habilitation de sécurité en matière de transport était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire de M. Agosti est donc rejetée, avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1979-15

 

INTITULÉ :

GEOFFREY AGOSTI c. LE MINISTRE DES TRANSPORTS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Geoffrey Agosti

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Michele Charles

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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