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Date : 20161230


Dossier : IMM-1545-16

Référence : 2016 CF 1419

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

HUBI MOHAMED

HAMZE YUSUF

KHALID MAHBUUB

HUDAYFI AHMED

AHLAM AHMED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Hubi Mohammed, la demanderesse principale, est la mère de quatre enfants mineurs, les autres demandeurs nommés dans la présente demande. Mme Mohamed affirme qu’elle est membre du clan Mahdiban et citoyenne de la Somalie, et qu’elle a fui son pays par crainte du groupe terroriste Al Chabaab.

[2]               La Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande de protection des demandeurs au motif qu’ils n’avaient pas établi leur identité personnelle et leur nationalité. Les demandeurs ont porté la décision défavorable en appel devant la Section d’appel des réfugiés [SAR] et voulu déposer de nouveaux éléments de preuve devant la SAR pour établir leur identité. La SAR a déterminé que les nouveaux éléments de preuve proposés ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, [LIPR] et qu’ils n’étaient donc pas admissibles. La SAR a également refusé la demande d’audience et rejeté l’appel.

[3]               Les demandeurs souhaitent obtenir l’annulation de la décision de la SAR et demandent à la Cour de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision. Dans leurs observations écrites, les demandeurs affirment que la SAR a commis des erreurs : 1) en omettant d’examiner et de traiter les erreurs que la SPR aurait commises selon eux dans l’examen de leur demande, ce qui était contraire à son obligation de faire une nouvelle évaluation de leur demande; 2) en s’en remettant aux conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR; et 3) en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve des demandeurs.

[4]               La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

A.       La décision de la SAR de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve était‑elle déraisonnable?

B.       Était‑il déraisonnable pour la SAR de s’en remettre aux conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR et de ne pas traiter chacun des points soulevés en appel?

[5]               À mon avis, la décision rendue par la SAR était raisonnable. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci‑dessous.

II.                Norme de contrôle

[6]               Les demandeurs se fondent sur la décision Chamberlain c Canada (Procureur général), 2012 CF 1027, [Chamberlain] pour soutenir que la retenue n’est pas de mise envers la SAR relativement à son omission de traiter les erreurs alléguées soulevées en appel. Je ne suis pas d’accord. Dans la décision Chamberlain, qui concerne l’examen d’une décision rendue par un arbitre conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LC 2003, c 22, article 2), il était allégué que l’arbitre avait omis de trancher une question soulevée dans un grief. Dans cette affaire‑là, la demanderesse affirmait que la norme de contrôle de la décision correcte s’appliquait. Après avoir fait l’examen détaillé du cadre législatif applicable et de la jurisprudence pertinente, la juge Mary Gleason a conclu que la norme applicable était celle de la décision raisonnable (Chamberlain, aux paragraphes 45 et 46).

[7]               Le cadre législatif applicable dans la décision Chamberlain ne s’applique pas en l’espèce. Toutefois, la conclusion selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable cadre avec la jurisprudence portant sur l’examen des décisions rendues par la SAR. Les décisions rendues par la SAR en ce qui concerne les questions touchant l’admission de nouveaux éléments de preuve, les conclusions sur l’identité et la crédibilité, et l’application d’un critère ou d’une norme juridique sont susceptibles de contrôle selon la norme du caractère raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh CAF], au paragraphe 29; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

III.             Analyse

A.                La décision de la SAR de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve était‑elle déraisonnable?

[8]               Les demandeurs soutiennent qu’en examinant les nouveaux éléments de preuve, la SAR n’a pas tenu compte des explications données par Mme Mohamed, laquelle croyait avoir produit suffisamment d’éléments de preuve pour établir son identité devant la SPR. Les demandeurs affirment que la SAR n’a examiné que la disponibilité des éléments de preuve, de sorte que sa décision était déraisonnable. Je ne suis pas d’accord.

[9]               La SAR a passé en revue le paragraphe 110(4) de la LIPR et la jurisprudence lorsqu’elle a examiné les nouveaux éléments de preuve. La SAR a noté que, aux termes du paragraphe 110(4), seuls pouvaient être admis les nouveaux éléments de preuve 1) survenus depuis le rejet de la demande; 2) qui n’étaient pas normalement accessibles au demandeur; ou 3) s’ils étaient normalement accessibles au demandeur, que le demandeur n’aurait normalement pas présentés dans les circonstances. La SAR a ajouté que, pour être admissibles, les nouveaux éléments de preuve devaient être crédibles, importants et pertinents. Bien que la SAR n’ait pu s’appuyer sur le récent arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Singh, les principes qui guident son analyse en l’espèce concordent avec cet arrêt (Singh CAF, aux paragraphes 54 et 65).

[10]           La SAR a ensuite examiné chacun des nouveaux éléments de preuve. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la SAR a pris acte de l’explication selon laquelle les demandeurs croyaient qu’il était suffisant de présenter un témoin pour attester leur identité devant la SPR, mais a rejeté cette explication, la jugeant simplement déraisonnable.

[11]           Il va de soi qu’il incombe au demandeur d’établir son identité selon la prépondérance des probabilités (Keita c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 187, au paragraphe 3). La SAR a constaté que les demandeurs étaient représentés par un conseil chevronné et que certains des nouveaux éléments de preuve leur étaient facilement accessibles. La SAR a également mis en doute l’importance et la pertinence du nouvel élément de preuve produit par la mère de Mme Mohamed.

[12]           Les nouveaux éléments de preuve ne sont pas admis en vue « de compléter une preuve déficiente devant la SPR » (Singh CAF, au paragraphe 54). Ils doivent satisfaire aux exigences de la nouveauté énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR. En l’espèce, la SAR n’a pas négligé d’examiner l’explication fournie, mais a plutôt déterminé que les nouveaux éléments de preuve ne satisfaisaient pas aux exigences énoncées dans la LIPR et n’étaient donc pas admissibles. Cette conclusion reposait sur une appréciation détaillée des éléments de preuve et sur des motifs clairement exposés. La SAR pouvait raisonnablement rendre cette décision.

B.                 Était‑il déraisonnable pour la SAR de s’en remettre aux conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR et de ne pas traiter chacun des points soulevés en appel?

[13]           Les demandeurs s’appuient sur la décision Chamberlain pour affirmer que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des arguments qu’ils avaient soulevés. Je suis une fois de plus en désaccord avec eux.

[14]           La SAR a rejeté la demande parce que Mme Mohamed n’avait pas établi qui elle était ni d’où elle venait. Comme la Cour l’a indiqué ci‑dessus, il incombe au demandeur d’établir son identité. La SPR et la SAR ont toutes deux pris note de ce fardeau. La SPR et la SAR étaient sensibles au fait qu’il est difficile d’obtenir des documents d’identité de la Somalie et ont évalué les éléments de preuve que les demandeurs avaient présentés à la SPR pour établir leur identité. La SAR a reconnu qu’elle avait pour rôle de procéder à sa propre appréciation des éléments de preuve, mais qu’elle pouvait reconnaître et respecter les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR lorsque la SPR avait un avantage particulier pour tirer de telles conclusions. Cette approche concorde avec la façon dont la SAR doit instruire un appel, exposée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 9.

[15]           La SAR n’a pas commis d’erreur en jugeant que les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR étaient étayées par la preuve et commandaient la retenue.

[16]           En ce qui a trait aux questions soulevées en appel, il est évident que la SAR a examiné la preuve d’identité et les problèmes de crédibilité relevés par la SPR. La SAR n’était pas tenue d’aborder la totalité des arguments avancés et des questions soulevées en appel (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[17]           Selon les demandeurs, la SAR a mal qualifié ou mal compris les éléments de preuve lorsqu’elle a dit que le témoignage du témoin qui avait comparu pour prouver l’identité de Mme Mohamed n’était « pas cohérent » avec le témoignage de celle‑ci. Selon le témoignage de Mme Mohamed, le témoin l’avait reconnue. Cependant, ce n’est pas ce qu’a dit le témoin. Le témoin a plutôt affirmé qu’il n’avait pas reconnu Mme Mohamed lorsqu’il l’avait vue en Éthiopie. Le témoignage n’était pas cohérent, et il était raisonnable pour la SAR de le décrire comme elle l’a fait dans sa décision.

[18]           Ayant procédé à son propre examen de la preuve d’identité produite devant la SPR, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi leur identité selon la prépondérance des probabilités. Après avoir tiré cette conclusion, la SAR n’avait pas l’obligation d’examiner les arguments qui ne se rapportaient pas à la preuve d’identité (Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 47, et Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 184, au paragraphe 7).

[19]           La SAR a examiné les arguments des demandeurs qui concernaient les éléments censés établir leur identité et a fait preuve d’une retenue raisonnable envers les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR.

IV.             Conclusion

[20]           Je suis d’avis que la décision de la SAR démontre les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. Elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[21]           Les parties n’ont pas proposé de question d’importance générale, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1545-16

 

INTITULÉ :

HUBI MOHAMED, HAMZE YUSUF, KHALID MAHBUUB, HUDAYFI AHMED, AHLAM AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 SEPTEMBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 DÉCEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Tamrat Gebeyehu

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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