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Date : 20161223


Dossier : IMM-1445-16

Référence : 2016 CF 1411

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

SYLVIA JILL SABIITI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Aperçu général

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision du 22 mars 2016 qu’a rendue la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, dans laquelle la SPR a déclaré que la demanderesse n’était pas réfugiée au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), ni une personne à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR. La demanderesse, Mme Sylvia Jill Sabiiti, citoyenne de l’Ouganda, demandait l’asile pour être protégée de la violence conjugale exercée contre elle par son mari et sa deuxième épouse.

[2]               Il est fait droit à la présente demande. La SPR a conclu que Mme Sabiiti n’était pas un témoin crédible ou fiable et que sa demande d’asile ne reposait pas sur un fondement crédible. Ces conclusions ont été sensiblement influencées par l’analyse des preuves qu’a effectuée la SPR concernant le certificat de mariage de Mme Sabiiti ainsi que la demande de visa de résident temporaire (VRT) canadien qu’elle a présentée en décembre 2014. Pour les motifs exposés plus en détail ci‑dessous, j’estime que l’analyse des preuves à laquelle a procédé la SPR et, partant, sa décision de rejeter la demande d’asile de Mme Sabiiti, sont déraisonnables.

II.                 Contexte

[3]               Mme Sabiiti affirme qu’elle et M. Emmanuel Kwihangana se sont épousés au cours d’une cérémonie traditionnelle tenue le 16 février 2008, et qu’ils se sont ensuite mariés à l’église le 15 novembre 2008. Mme Sabiiti allègue que, vers la fin de leur première année de mariage, M. Kwihangana a adopté un comportement violent et contrôlant et qu’il l’a agressée physiquement et sexuellement, qu’il l’a violée à plusieurs reprises et lui a causé des blessures qui ont nécessité des soins médicaux.

[4]               D’après Mme Sabiiti, M. Kwihangana a ramené à la maison une autre femme en octobre 2013 et a déclaré à Mme Sabiiti que cette femme serait maintenant sa coépouse. Elle allègue qu’elle a continué à faire l’objet de mauvais traitements, tant de la part de son mari que de sa deuxième femme.

[5]               Mme Sabiiti allègue avoir demandé à plusieurs reprises l’aide de la police locale et celle d’autres autorités, mais qu’elle n’a reçu aucune assistance. En septembre 2015, Mme Sabiiti a reçu l’assistance de membres de sa famille et d’amis qui lui ont acheté un billet pour le Canada pendant que son mari et sa deuxième femme étaient absents. Elle est arrivée au Canada et a demandé l’asile peu après. Sa demande d’asile a été entendue le 29 février 2016 et une décision défavorable a été rendue par la SPR le 10 mars 2016. La question déterminante pour la SPR était la crédibilité, ce qui a amené la SPR à constater, selon le paragraphe 107(2) de la LIPR, une absence de minimum de fondement de la demande.

III.               Analyse

[6]               Mme Sabiiti a soulevé un certain nombre de questions dans sa demande de contrôle judiciaire, mais ma décision porte sur l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR et qui a poussé cette dernière à tirer ses principales conclusions en matière de crédibilité. Il est bien établi que les conclusions fondées sur l’appréciation de la preuve et l’examen de la crédibilité sont contrôlées suivant la norme de la raisonnabilité (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 46; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595, au paragraphe 4; Mukamuganga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 566, au paragraphe 35; Pepaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 938, au paragraphe 13).

[7]               Je note au départ que je souscris à l’affirmation de Mme Sabiiti selon laquelle la décision finale de la SPR a été fortement influencée par ses conclusions selon lesquelles elle n’était pas un témoin crédible et que son témoignage n’était pas fiable. La preuve soumise à la SPR comprenait des documents provenant apparemment de la police ougandaise, des autorités municipales, d’hôpitaux ougandais, d’un foyer de Toronto, de membres de la famille et d’un voisin, ce qui, d’après Mme Sabiiti, corroborait ses allégations de menaces et de violence conjugale. La SPR a examiné ces éléments de preuve, mais ne leur a accordé aucune force probante, en partie parce qu’ils ne dissipaient pas les préoccupations en matière de crédibilité que soulevait le propre témoignage de Mme Sabiiti. Ces préoccupations en matière de crédibilité constituent donc un aspect essentiel de la décision finale de la SPR.

[8]               Il ressort clairement de la décision et du compte rendu de l’interrogatoire de Mme Sabiiti, que la SPR a effectué à l’audience, qu’une grande importance a été accordée à la preuve touchant son certificat de mariage. La preuve documentaire comprenait deux copies d’un document portant le titre « Marriage Certificate » (certificat de mariage) sous l’intitulé « St.Francis Chapel Makerere University » (Chapelle St.Francis, Université Makerere), qui attestait, selon Mme Sabiiti, son mariage avec M. Kwihangana célébré le 15 novembre 2008. Une de ces copies portait le tampon du Registraire adjoint des mariages daté du 15 septembre 2015, établissant que le document était une copie certifiée conforme.

[9]               La SPR a conclu qu’aucune des copies du certificat de mariage n’était un document fiable ou digne de foi et qu’il n’existait donc aucune preuve fiable et digne de foi émanant de sources gouvernementales appropriées établissant que Mme Sabiiti ait été mariée. La SPR a donc conclu que la crédibilité de Mme Sabiiti était compromise et que cette dernière n’était pas un témoin crédible.

[10]           La conclusion selon laquelle les copies du certificat de mariage n’étaient pas fiables était fondée sur l’examen de la preuve documentaire qu’a effectué la SPR concernant la délivrance des certificats de mariage en Ouganda. La SPR a noté que cette preuve indiquait que les documents de mariage sont délivrés par le gouvernement ougandais et qu’aucune autre preuve n’établissait que les certificats officiels de mariage ou les copies certifiées des certificats de mariage sont délivrés par les églises en Ouganda. La SPR a également fait remarquer que Mme Sabiiti avait déclaré que la copie certifiée de son certificat de mariage avait été délivrée par l’église où elle s’est mariée.

[11]           Il semble que la SPR soit arrivée à sa conclusion sur cette question parce qu’elle a mal apprécié la preuve présentée. Je note tout d’abord que la décision ne fait aucunement référence au fait que la copie certifiée du certificat de mariage avait été délivrée par le [traduction] « Registraire adjoint des mariages ». De plus, la SPR ne mentionne pas le témoignage qu’a livré Mme Sabiiti à l’audience sur la façon dont elle avait obtenu la copie certifiée. Celle-ci a expliqué qu’elle s’était rendue au bureau du registraire pour faire certifier son certificat de mariage. Le registraire a vérifié les dossiers et a constaté que son mariage n’avait pas été enregistré dans ce bureau. Il lui a alors été demandé d’obtenir une lettre de son église confirmant son mariage. Elle a obtenu cette lettre, dont une copie a été remise à la SPR, et elle a présenté cette lettre au bureau du registraire, qui a ensuite certifié le certificat de mariage.

[12]           Dans sa décision, la SPR ne mentionne aucunement ces éléments de preuve. Elle semble s’en être remise uniquement à l’échange qu’elle a eu avec Mme Sabiiti à la fin de son témoignage, dans lequel Mme Sabiiti a confirmé qu’elle n’avait jamais obtenu un certificat de son mariage coutumier et que les deux copies du certificat de mariage émanaient de l’église où elle s’est mariée, Mme Sabiiti mentionnant que la copie certifiée portait simplement une estampille sur le côté. La demanderesse a soulevé un argument crédible selon lequel les éléments de preuve démontraient que, bien que le certificat de mariage lui-même ait été préparé par l’église, la certification avait été effectuée par un représentant du gouvernement, le Registraire adjoint des mariages. Je reconnais que l’explication qu’a fournie Mme Sabiiti au sujet du processus qui lui a permis d’obtenir la copie certifiée était quelque peu confuse et qu’il n’existait pas de preuve démontrant clairement quel était le statut officiel du Registraire adjoint des mariages. J’estime toutefois que l’omission de la part de la SPR de prendre en compte la preuve apportée par Mme Sabiiti au sujet du processus de certification, ainsi que le fait que la certification ait été apparemment exécutée dans le bureau du « Registraire adjoint des mariages », constitue une erreur susceptible de révision. En omettant de prendre ces éléments en considération, il était déraisonnable que la SPR conclue que le certificat de mariage n’était pas fiable ou digne de foi et affirme que, par conséquent, Mme Sabiiti n’était pas un témoin fiable.

[13]           J’éprouve une préoccupation semblable à l’égard de la façon dont la SPR a traité la demande de VRT présentée par Mme Sabiiti en décembre 2014. La SPR a noté que, dans sa demande, Mme Sabiiti avait déclaré qu’elle était célibataire et reconnu avoir soumis sciemment des renseignements frauduleux à des fonctionnaires de l’ambassade du Canada. La SPR a conclu que les actions de Mme Sabiiti démontraient qu’elle n’était pas un témoin fiable ou digne de foi, qu’elle n’était donc pas crédible et qu’on ne pouvait pas se fier à ses déclarations, puisqu’elle avait déjà reconnu avoir sciemment menti à des fonctionnaires canadiens.

[14]           La SPR a également conclu que Mme Sabiiti n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour son affirmation selon laquelle elle avait mentionné être célibataire dans sa demande de VRT de 2014. Elle a noté que, dans une demande de VRT antérieure soumise par Mme Sabiiti en mars 2013, celle‑ci avait déclaré être mariée et qu’on ne lui avait pas demandé de présenter une lettre de son mari. La SPR a également fait remarquer qu’il n’existait pas de preuve indiquant que les demandeurs de VRT mariés étaient tenus de présenter une lettre de leur conjoint. La transcription de l’audience établit cependant que Mme Sabiiti a fourni à la SPR une explication plus détaillée que celle qui figure dans la décision. Elle a déclaré que, lorsqu’elle a présenté sa première demande canadienne de VRT, dans laquelle elle avait déclaré être mariée, sa demande a été refusée. À la suite de conversations qu’elle avait eues avec d’autres demandeurs de visa, elle a pensé que son visa avait peut-être été refusé parce qu’elle avait déclaré être mariée et n’avait pas présenté une lettre d’appui de son époux. Elle a également expliqué qu’entre les deux demandes canadiennes de VRT, elle avait présenté une demande de visa pour les États-Unis, dans laquelle elle avait déclaré être célibataire, et que ce visa lui avait été accordé. Lorsqu’elle a présenté une deuxième demande canadienne de VRT, elle a donc également indiqué être célibataire.

[15]           Mme Sabiiti se fonde sur la jurisprudence établissant que les réfugiés sont souvent obligés de s’enfuir de leur pays d’origine en utilisant de faux documents, de mentir aux fonctionnaires à leur arrivée, et qu’il faut donc faire preuve de prudence avant de faire des inférences défavorables en matière de crédibilité en se fondant sur ces circonstances (voir p. ex. Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4, aux paragraphes 41 à 44). Cette décision ne correspond pas parfaitement à la présente affaire, étant donné que Mme Sabiiti ne voyageait pas avec de faux documents. J’estime toutefois que le raisonnement à la base de cette décision s’applique et qu’il n’y a pas lieu de juger trop durement la fiabilité générale d’un réfugié parce que celui‑ci a fait de fausses déclarations pour fuir la persécution. Il était bien sûr loisible à la SPR de ne pas croire l’explication qu’a donnée Mme Sabiiti du fait qu’elle avait fourni de faux renseignements aux représentants de l’ambassade du Canada au sujet de son état matrimonial. Cependant, compte tenu de la nécessité de faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit de faire des inférences défavorables en matière de crédibilité dans de telles circonstances, il incombait à la SPR d’examiner toutes les explications fournies par Mme Sabiiti concernant ses actions. Comme la décision n’indique pas que cela a été fait, j’estime que les conclusions négatives en matière de crédibilité découlant du fait qu’elle avait fourni de faux renseignements à des fonctionnaires canadiens sont déraisonnables.

[16]           Comme je l’ai noté ci‑dessus, il ressort de la décision que les conclusions défavorables de la SPR pour ce qui est de la crédibilité de Mme Sabiiti ont influencé l’examen des autres éléments de preuve qu’elle avait présentés. Comme j’ai conclu que ces conclusions en matière de crédibilité étaient déraisonnables, la décision est annulée et la demande d’asile de Mme Sabiiti renvoyée à la SPR pour nouvel examen par un autre commissaire.

[17]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’a été formulée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE qu’il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire et que le dossier est renvoyé à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1445‑16

INTITULÉ :

SYLVIA JILL SABIITI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 23 DÉCEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

POUR La demanderesse

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adela Crossley

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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