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Date : 20170106


Dossier : IMM-2968-16

Référence : 2017 CF 24

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

YVONNE NIWAHERE JELE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle, le 10 juin 2016, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, au sens respectivement des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

Contexte de l’affaire

[2]               La demanderesse est de citoyenneté ougandaise. Elle affirme avoir, de 1999 à 2013, entretenu avec une certaine « Immy » une relation lesbienne. Lorsque, en 2008, sa famille a pris connaissance de cette liaison, son père l’a gravement malmenée, puis l’a contrainte à épouser Patrick Jele, qui l’a maltraitée, tant physiquement que sexuellement. Elle a poursuivi sa relation lesbienne en cachette, mais en 2013 son mari l’a prise en train d’embrasser Immy. Il a appelé la police, qui a arrêté la demanderesse et l’a détenue pendant trois jours, au cours desquels elle a été torturée et violée. Remise en liberté, elle a de nouveau, aux mains de son mari, subi des violences physiques et sexuelles.

[3]               En 2016, la demanderesse a obtenu un visa d’affaires l’autorisant à se rendre aux États‑Unis, ce qu’elle a fait en mars 2016. Puis, le 13 avril 2013, elle a présenté, à un point d’entrée au Canada, une demande d’asile au titre de l’exception à l’Entente sur les tiers pays sûrs, son frère vivant au Canada.

[4]               La demanderesse affirme craindre la persécution du fait de son homosexualité et de la violence de son mari.

Décision faisant l’objet du contrôle

[5]               Selon la SPR, la question déterminante est la crédibilité de la demanderesse. De l’avis de la SPR, les documents produits à l’appui de la demande d’asile comportent des incohérences et des contradictions qui n’ont pas été expliquées raisonnablement, et le témoignage livré par la demanderesse au sujet du contact entretenu dans le passé avec son amante est incohérent. La SPR a également tiré une conclusion défavorable du fait que son frère, présent à l’audience, n’a pas souhaité témoigner.

[6]               Précisons que, selon le témoignage de la demanderesse, dès sa remise en liberté par la police, elle s’est rendue à pied à un hôpital proche, pour s’y faire traiter. Elle a produit, à l’appui de ses dires, une fiche que lui aurait délivrée l’hôpital (fiche médicale). D’après cette fiche, elle souffrait d’hypothermie, et le personnel de l’hôpital l’a traitée en conséquence, lui pratiquant en outre une réanimation cardio-pulmonaire. Il est, selon la SPR, tout à fait invraisemblable que la demanderesse ait, comme elle l’affirme, été gravement battue, violée et torturée dans les locaux de la police, mais qu’elle ait pu, malgré tout, se rendre à pied à l’hôpital, alors qu’il a fallu lui pratiquer une réanimation cardio-pulmonaire.

[7]               Selon la SPR, l’affidavit fourni par Mable, une cousine, ne cadre pas avec des aspects importants du témoignage de la demanderesse. Au dire de Mable, en 2014, le mari de la demanderesse a découvert la relation que la demanderesse entretenait avec une femme, et la demanderesse a été violée dans les locaux de la police, alors que, selon le témoignage de la demanderesse, tout cela se serait produit en 2013. La demanderesse affirme que Mable s’est trompée sur l’année, mais la SPR a jugé qu’il était, de la part de la demanderesse, déraisonnable de ne pas assumer les déclarations qu’elle avait elle-même faites à l’appui de sa demande d’asile. Mable a déclaré que la demanderesse se serait réfugiée chez elle, car la police était allée à sa recherche au domicile que la demanderesse partageait avec son mari. Or, la demanderesse a déclaré ne pas avoir su, à l’époque, que la police était à sa recherche.

[8]               Aux yeux de la SPR, ces contradictions entachent la crédibilité de l’affidavit de Mable. C’est pour cette raison que le témoignage de la demanderesse, selon qui ce serait Mable qui a obtenu la fiche médicale, est, lui aussi, dénué de crédibilité. Ajoutons à cela, l’absence de preuves touchant l’obtention de la fiche médicale, ou expliquant pourquoi cette fiche porte la date de 2013, alors qu’elle aurait été délivrée en 2016. La SPR n’a accordé aucun poids à ces documents censés corroborer la relation avec Immy et les sévices infligés à la demanderesse dans les locaux de la police.

[9]               La SPR a également estimé que la demanderesse avait fait des déclarations contradictoires et modifié ce qu’elle avait précédemment dit de son dernier contact avec Immy. La demanderesse avait, à l’origine, déclaré qu’à part une lettre du 10 mai 2014, elle n’avait, après avoir été arrêtée en juillet 2013, plus eu de contacts avec Immy. Or, ce n’est que lorsqu’on lui a fait remarquer que, d’après la lettre en question, Immy ne l’avait pas vue depuis cinq mois, que la demanderesse a fait état de conversations par Skype. Elle a expliqué le fait de ne pas avoir révélé avant cela ce détail à la SPR en disant qu’elle a agi par peur. La demanderesse n’a pu fournir aucun détail concernant le compte Skype, disant simplement qu’elle a tout effacé avant de quitter l’Ouganda. La SPR a conclu qu’elle ne pouvait accorder aucun poids à cette lettre censée confirmer l’existence d’une relation avec une personne du même sexe, étant donné que la demanderesse a changé continuellement son témoignage.

[10]           La demanderesse a également produit une lettre dans laquelle son frère, qui vit au Canada, corrobore son récit et exprime la volonté de l’aider. Le frère de la demanderesse était présent à l’audience, mais il n’a pas témoigné. La SPR n’a accordé aucun poids à la lettre en question, et tiré une conclusion défavorable du fait que le frère n’a pas souhaité témoigner au sujet de la lettre qu’il avait écrite.

[11]           Selon le témoignage de la demanderesse, elle aurait été, à de multiples reprises, violée et maltraitée par son mari, et aurait fait plusieurs fois l’objet d’un viol collectif qu’il avait lui‑même incité. La SPR lui a demandé pourquoi, dans le formulaire Fondement de la demande d’asile, elle avait à peine évoqué le type de sévices qu’elle avait subis, jugeant peu raisonnable l’explication de la demanderesse qui a dit avoir « simplement oublié ». Citant les nombreux doutes qu’elle éprouvait concernant la crédibilité du témoignage de la demanderesse et des documents présentés à l’appui, la SPR a jugé peu crédible son témoignage au sujet de son mariage forcé et des brutalités dont elle aurait fait l’objet.

[12]           La demanderesse a également produit une copie du mandat d’arrestation lancé à son encontre, et un courriel de son avocat expliquant comment il avait réussi à l’obtenir. La SPR n’a accordé aucun poids à l’un ou l’autre de ces documents, précisant que, vu les témoignages et les divers éléments de preuve pris dans leur ensemble, ces deux documents ne permettaient pas de surmonter les nombreuses conclusions défavorables auxquelles elle était parvenue quant à la crédibilité de la demanderesse.

Questions en litige

[13]           Selon moi, cette affaire soulève les questions suivantes :

1.      L’affidavit d’expert produit par la demanderesse est‑il admissible en preuve?

2.      Les conclusions auxquelles est parvenue la SPR au sujet de la crédibilité de la demanderesse sont-elles raisonnables?

Norme de contrôle

[14]           La demanderesse ne soulève pas la question de la norme de contrôle applicable, mais, selon le défendeur, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’espèce. Le défendeur fait valoir que la Cour ne doit pas intervenir si elle peut trouver dans la preuve un fondement raisonnable aux conclusions de la SPR touchant la crédibilité de la demanderesse (Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 aux paragraphes 41 à 46 [Rahal]; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1379 au paragraphe 34 [Kaur]).

[15]           Selon un principe bien établi, la Cour, appelée à se prononcer sur les conclusions auxquelles la SPR est parvenue sur la question de la crédibilité, applique la norme de la décision raisonnable, accordant à la SPR un degré élevé de déférence (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 316 au paragraphe 4 (C.A.F.); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, 2009 CSC 12 au paragraphe 46; Rahal aux paragraphes 22 et 60; Rezmuves c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 973 au paragraphe 33). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable de la décision en cause tient principalement à sa justification, sa transparence, l’intelligibilité du processus décisionnel, et son appartenance aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9 au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

Question n1 :      L’affidavit d’expert produit par la demanderesse est‑il admissible en preuve?

[16]           La demanderesse souhaite produire à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, l’affidavit de Dre Rouhani, daté 7 août 2016, (Affidavit de Rouhani). La Dre Rouhani se présente comme médecin urgentologue attachée, à Boston, au Brigham and Women’s Hospital, et coprésidente du Département des urgences à l’Hôpital Universitaire de Mirebalais, à Haïti. Elle fait état d’une longue expérience en matière de médecine d’urgence dans les pays en développement.

[17]           Dans son affidavit, la Dre Rouhani affirme, en tant que spécialiste, que la décision de la SPR n’est pas raisonnable et que la SPR n’avait ni les renseignements médicaux nécessaires, ni la connaissance voulue des conditions dans lesquelles la médecine d’urgence se pratique en Ouganda, pays où il est assez commun de voir la réanimation cardio-pulmonaire administrée à tort dans des cas où une telle intervention ne s’impose aucunement. Selon la Dre Rouhani, les motifs exposés par la SPR reposent sur l’hypothèse que la demanderesse avait subi un arrêt cardiaque qui exigeait une réanimation cardio-pulmonaire, ce qui, selon la SPR, a paru invraisemblable. Selon elle, le raisonnement de la SPR comporte une [traduction] « faille fondamentale » puisqu’il suppose que la demanderesse avait effectivement eu besoin de réanimation cardio-pulmonaire. Elle affirme entre autres qu’il était déraisonnable de discréditer le récit de la demanderesse simplement parce que la fiche médicale faisait état d’une réanimation cardio-pulmonaire.

Observations de la demanderesse

[18]           La demanderesse fait valoir que si, normalement, la Cour n’admet pas de nouveaux éléments de preuve, dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright]) l’affidavit de Rouhani est en l’espèce le seul moyen de démontrer qu’en concluant à l’invraisemblance du récit de la demanderesse, la SPR s’est livrée à de simples conjectures basées sur une méconnaissance des faits. D’après la demanderesse, la SPR n’a, à l’audience, émis aucun doute sur ce point et ne lui a pas fourni l’occasion de produire des éléments de preuve à cet égard.

[19]           Par exception à la règle interdisant de produire, dans le cadre du contrôle judiciaire, de nouveaux éléments de preuve, des preuves extrinsèques peuvent être invoquées pour démontrer que, sur un point précis, le décideur s’est prononcé en l’absence de preuve (Re Keeprite Workers’ Independent Union et al. and Keeprite Products Ltd. (1980), 29 O.R. (2d) 513 (C.A. Ont.) [Keeprite]; Access Copyright). La demanderesse soutient que l’affidavit de Rouhani relève nettement de l’exception dégagée par l’arrêt Keeprite, car il démontre que la décision de la SPR est basée sur une analyse erronée des faits.

[20]           La demanderesse fait subsidiairement valoir que même si l’affidavit de Rouhani ne relève pas de l’exception en question, il devrait néanmoins être admis par la Cour. Pour réfuter la présomption de véracité qui se rattache à l’affidavit, la SPR a appliqué des connaissances médicales hautement spécialisées. Le recours à de telles « connaissances spécialisées » sans en préciser l’origine constitue un manquement à l’équité procédurale. En tout état de cause, pour conclure à l’invraisemblance du récit de la demanderesse, la SPR a joué au docteur et s’est prononcée en l’absence de preuves.

Observations du défendeur

[21]           Le défendeur fait valoir, pour sa part, que la cour de révision ne devrait admettre des éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur que dans les situations où l’admission n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif. (Access Copyright au paragraphe 19). L’affidavit de Rouhani vise à « réviser » la conclusion de la SPR qui n’est pas « raisonnable ». Mais c’est là une fonction qui appartient à la Cour, et non à un expert. De plus, l’exception dégagée dans l’arrêt Keeprite ne s’applique que lorsqu’une absence totale d’éléments de preuve est constitutive d’une erreur de compétence, cette exception ne devant pas permettre de remettre en cause les faits retenus par la SPR (Keeprite, à la page 521).

[22]           Même si l’affidavit de Rouhani pouvait être admis en tant que nouvelle preuve, il avance des arguments et tente d’interpréter les éléments de preuve pris en compte par la SPR et d’en tirer des conclusions de droit. Or, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, un affidavit ne peut pas servir à cela (Société Canadian Tire Ltée c. Canadian Bicycle Manufacturers Association, 2006 CAF 56, au paragraphe 10).

Analyse

[23]           J’estime que l’affidavit de Rouhani n’est pas admissible en preuve.

[24]           La règle veut que les éléments de preuve qui auraient pu être présentés au décideur administratif, en l’occurrence la SPR, sont irrecevables devant la cour de révision (Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 au paragraphe 13 [Bernard]; Connolly c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 294 au paragraphe 7; Access Copyright au paragraphe 19).

[25]           Dans l’arrêt Bernard, la Cour d’appel fédérale a récemment eu l’occasion de se pencher à nouveau sur les trois exceptions dégagées dans l’arrêt Access Copyright et sur les principes qui les sous-tendent, le plus important étant la différence de rôle entre la Cour et le décideur administratif. La demanderesse fait valoir en l’espèce qu’elle se fonde sur la deuxième exception. Elle invoque accessoirement, cependant, un argument fondé sur la troisième exception. Je reproduis ci‑dessous ce que la Cour d’appel fédérale a dit au sujet des deux :

[26]           [24]      La deuxième exception reconnue n’est en réalité qu’une forme particulière de la première. Quelquefois, une partie déposera un affidavit faisant état de l’absence totale de preuve sur une certaine question. En d’autres termes, l’affidavit dit au juge de révision non pas ce qui figure au dossier — objet de la première exception —, mais plutôt ce qui n’y figure pas. Voir à ce sujet Keeprite Workers’ Independent Union v. Keeprite Products Ltd. (1980), 1980 CanLII 1877 (ON CA), 29 O.R. (2d) 513 (C.A. Ont.), et Access Copyright, précité, au paragraphe 20. Cela peut être utile quand une partie allègue qu’une décision administrative est déraisonnable parce que reposant sur une conclusion de fait essentielle en toute absence de preuve. Là encore, cela s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement, pour les motifs énoncés au paragraphe précédent.

[27]           [25]      La troisième exception reconnue porte sur la preuve sur une question de justice naturelle, d’équité procédurale, de but illégitime ou de fraude dont le décideur administratif n’aurait pas pu être saisi et qui n’intervient pas dans le rôle du décideur administratif comme juge du fond; voir Keeprite et Access Copyright, précités, ainsi que Mr. Shredding Waste Management Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Ministre de l’Environnement et des Gouvernements locaux), 2004 NBCA 69, 274 N.B.R. (2nd) 340 (but illégitime), et St. John’s Transportation Commission v. Amalgamated Transit Union, Local 1662, 1998 CanLII 18670 (NL SCTD), 1998 CanLII 18670, 161 Nfld. & P.E.I.R. 199 (fraude). En guise d’illustration, supposons que, après qu’une décision administrative a été prise et que le décideur a été dessaisi, une partie découvre que la décision a été amenée par un pot‑de‑vin. Supposons également que l’avis de demande de cette partie invoque une atteinte à la justice naturelle à cause de ce pot‑de‑vin. La preuve du pot‑de‑vin est recevable par voie d’affidavit déposé auprès du juge de révision.

[28]           Dans le contexte de la deuxième exception, il peut être loisible, au titre de l’exception dégagée dans l’arrêt Keeprite, de laisser le demandeur verser au dossier un affidavit faisant valoir que la SPR n’avait en main aucun élément de preuve touchant la probabilité qu’une réanimation cardio-pulmonaire serait nécessaire, ou administrée, à une personne se trouvant dans l’état dans lequel la demanderesse affirme s’être trouvée. Mais ce n’est pas sur cela que porte l’affidavit de Rouhani. Il introduit en fait des éléments de preuve entièrement nouveaux qui n’avaient pas été produits devant la SPR, afin de démontrer que, dans les pays en développement, il est fréquent que l’on pratique la réanimation pulmonaire même lorsque ce n’est pas nécessaire. La demanderesse semble partir de l’idée que même si, comme la SPR semble l’avoir pensé, il est invraisemblable qu’une personne, se trouvant dans l’état dans lequel elle affirme s’être trouvée, ait pu se rendre à pied jusqu’à l’hôpital, alors qu’elle avait besoin de réanimation cardio-pulmonaire, il se peut que ce traitement lui ait été administré à tort. L’affidavit de Rouhani ne démontre aucunement que la conclusion retenue par la SPR reposait sur une absence de preuve, mais demande en fait à la Cour de conclure, au vu de nouveaux éléments de preuve, que la SPR est parvenue à une conclusion inexacte. Or, cela va, selon moi, bien au‑delà de ce que prévoit la deuxième exception à la règle, et en admettant l’affidavit, la Cour se mettrait en situation de rendre une décision sur le fond, ce qu’il ne lui appartient pas de faire (Bernard au paragraphe 17; Access Copyright aux paragraphes 17 à 19; Connolly au paragraphe 7; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 aux paragraphes 41 et 42).

[29]           Je ne suis pas convaincue non plus que l’on puisse invoquer en l’espèce, la troisième exception. Il appartenait à la demanderesse d’établir le bien-fondé de sa demande. Elle a, à cette fin, produit une fiche médicale indiquant qu’elle a fait l’objet d’une réanimation cardio‑pulmonaire. Il était raisonnablement à prévoir que, ainsi qu’elle l’a effectivement fait, la SPR l’interrogerait au sujet de la fiche médicale et du récit qu’elle avait fait des circonstances entourant la délivrance de cette fiche, puisqu’elle affirmait s’être rendue à pied du poste de police à l’hôpital où il a fallu pratiquer sur elle une réanimation cardio-pulmonaire. La demanderesse avait donc toute latitude pour fournir à la SPR un affidavit d’expert expliquant soit pourquoi il a fallu pratiquer sur elle une réanimation cardio-pulmonaire, soit pourquoi, comme elle le fait maintenant entendre, c’est par erreur que cette réanimation a été pratiquée.

[30]           Voilà pourquoi j’estime que l’affidavit de Rouhani ne s’inscrit pas dans le cadre des exceptions actuellement prévues, la demanderesse ne faisant pas valoir que les circonstances de la présente affaire créent une nouvelle catégorie d’exceptions.

Question no 2 :     Les conclusions auxquelles est parvenue la SPR au sujet de la crédibilité de la demanderesse sont-elles raisonnables?

[31]           Pour ce qui est de la conclusion à laquelle la SPR est parvenue quant à la crédibilité du récit de la demanderesse touchant les événements qui se sont déroulés après que la police l’a remise en liberté, je précise que, pour la SPR, il s’agissait de décider si ce récit était crédible ou non :

[32]           [traduction]
[12]      Pour corroborer ce qu’elle affirmait au sujet de cet incident, la demandeure d’asile a produit une fiche médicale délivrée par l’hôpital. On lui a posé plusieurs questions au sujet des soins qui lui avaient été prodigués. On lui a notamment demandé quels avaient été les symptômes justifiant le traitement, comment elle était parvenue à se rendre à pied à l’hôpital, et dans quelles conditions la fiche médicale en question lui avait été délivrée. La demandeure d’asile fait de l’incident en cause un récit déraisonnable. Elle prétend qu’elle « saignait » et lorsqu’on lui a demandé quels étaient les soins qu’on lui a prodigués, elle a répondu très sommairement, se contentant de dire qu’elle avait froid et que l’hôpital lui avait donné une injection pour lui permettre de « dormir ». Elle n’avait aucun souvenir des autres soins qui auraient pu lui avoir été prodigués. D’après la fiche médicale, on lui aurait administré un traitement contre l’hypothermie, et on aurait pratiqué sur elle une réanimation cardio-pulmonaire, parmi d’autres soins inscrits sur la fiche, mais difficiles à déchiffrer. Interrogée de manière précise au sujet de la réanimation cardio-pulmonaire, la demandeure d’asile n’a pu livrer aucune explication. Lorsqu’on lui a demandé comment elle avait pu se rendre à pied à l’hôpital, alors que son état justifiait une réanimation cardio-pulmonaire, elle n’a pu donner aucune explication. Lorsqu’on lui a dit que la réanimation cardio‑pulmonaire est une procédure médicale d’urgence employée pour ressusciter une personne ayant subi un arrêt cardiaque, elle n’a pas pu expliquer quand ou comment ce traitement lui a été administré. Elle affirme avoir été endormie et que, lorsqu’elle s’est réveillée, les médecins ne lui ont rien dit du traitement qu’elle avait subi, car ils étaient très occupés. Le tribunal estime hautement invraisemblable que la demandeure d’asile ait été, comme elle l’affirme, gravement battue, violée et torturée dans les locaux de la police, et qu’elle ait, néanmoins, pu se rendre à pied à l’hôpital, alors qu’il a fallu pratiquer sur elle une réanimation cardio‑pulmonaire.

[33]           [Notes de bas de page omises.]

[34]           La SPR ne devrait conclure à l’invraisemblance d’un témoignage que dans « les cas les plus évidents » (Valtchev c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7 [Valtchev]).

[35]           Ce qui me préoccupe en l’occurrence, c’est que la demanderesse a expliqué pourquoi elle n’était pas en mesure de donner de détails quant au moment ou à la manière dont on avait pratiqué sur elle une réanimation cardio-pulmonaire. Elle affirme qu’on lui avait donné une injection afin de l’endormir. La SPR ne rejette pas explicitement le témoignage de la demanderesse sur ce point, mais il lui paraît invraisemblable que quiconque ayant été aussi maltraité, et se retrouvant dans l’état dans lequel la demanderesse affirme s’être trouvée, état qui a exigé une réanimation cardio-pulmonaire, ait pu se rendre à pied à l’hôpital. Cela dit, la SPR n’a pas, en médecine, de connaissances spécialisées. Elle estime simplement qu’il est invraisemblable qu’une personne ayant subi de telles blessures ait pu se rendre à pied jusqu’à l’hôpital. Cette conclusion quant à la vraisemblance du récit ne découle d’aucun des éléments de preuve produits devant elle. Je considère que cette conclusion défavorable quant à la vraisemblance de la version des faits livrée par la demanderesse est, par conséquent, déraisonnable.

[36]           La SPR avait d’autres moyens de vérifier le récit de la demanderesse. Elle aurait notamment pu lui demander comment il se pouvait qu’elle ait pu, en Ouganda au mois d’août, souffrir d’hypothermie, ou pourquoi elle avait déclaré que si elle ne s’était pas entretenue avec un médecin, avant de quitter l’hôpital, pour l’interroger au sujet de la réanimation cardio‑pulmonaire pratiquée sur elle, c’est parce qu’elle se trouvait, à l’hôpital, dans un service de soins gratuits assurés à l’ensemble de la population, où l’on n’a que peu de contact avec les médecins ou les infirmières. Or, la fiche médicale a été délivrée par le [traduction] « Régime privé de soins aux patients », du complexe hospitalier Mulago.

[37]           Cela dit, et malgré la conclusion déraisonnable à laquelle elle est parvenue quant à l’invraisemblance du témoignage de la demanderesse, la SPR a, toujours sur la question de la crédibilité, tiré des conclusions que la demanderesse ne conteste pas. Celles-ci concernent notamment les contradictions entre le témoignage de la demanderesse et la teneur de l’affidavit de sa cousine Mable, contradictions qui ont empêché la SPR d’accorder le moindre poids à cet affidavit. Il y a, en outre, dans le témoignage de la demanderesse, des contradictions quant à l’époque de son dernier contact avec Immy. En raison de ces contradictions, la SPR n’a accordé aucun poids à une lettre attestant la relation entre les deux femmes. La SPR a par ailleurs relevé l’absence de preuve du mariage de la demanderesse et de Patrick Jele, et le fait que cette dernière, dans le formulaire Fondement de la demande d’asile qu’elle a rempli, n’a rien dit des viols collectifs que son mari aurait, selon elle, incités. Compte tenu des doutes que la SPR entretenait au sujet du témoignage de la demanderesse et des documents qu’elle avait soumis à l’appui, la SPR a estimé que le témoignage livré par la demanderesse au sujet de son mariage forcé et des sévices qu’elle aurait subis par la suite manquait de crédibilité. La SPR entretenait également des doutes quant à l’origine de la fiche médicale. La demanderesse ne savait pas, personnellement, dans quelles conditions cette fiche avait été obtenue. D’après son témoignage, c’est Mable qui lui aurait remise, mais l’affidavit de cette dernière ne dit rien de cela et la SPR a estimé que l’affidavit manquait lui‑même de crédibilité. Compte tenu des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la SPR pouvait, selon moi, raisonnablement parvenir à ces conclusions défavorables quant à la crédibilité de ce qu’avançait la demanderesse.

[38]           La Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer que, malgré le caractère déraisonnable d’une des conclusions ayant porté la SPR à juger non crédibles certaines affirmations, la Cour devrait néanmoins confirmer la décision en cause si l’appréciation portée par la SPR est suffisamment étayée par d’autres conclusions qui, elles, résistent au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (Santillan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1297 au paragraphe 51; Agbon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1573 au paragraphe 10; voir également Kaur aux paragraphes 14 à 18). Ajoutons qu’en matière de crédibilité, les conclusions non contestées doivent être présumées véridiques (Liu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 207 au paragraphe 28 [Liu]). Je considère que ses conclusions non contestées sur les incohérences, contradictions et omissions relevées dans les propos de la demanderesse permettaient raisonnablement à la SPR de juger celle‑ci non crédible (Rahal au paragraphe 60; Kaur au paragraphe 38).

[39]           Quant au fait que son frère n’ait pas voulu témoigner, la demanderesse soutient que s’il était loisible à la SPR de n’accorder que peu de poids à la lettre du frère, étant donné que celui‑ci ne voulait pas témoigner pour confirmer ce qu’il avait écrit, il était, de la part de la SPR, déraisonnable d’en tirer une conclusion défavorable envers la demanderesse. Le défendeur fait pour sa part valoir que le témoignage sous serment est un élément important de la recherche de la vérité du processus décisionnel. Le fait qu’un témoin affirme quelque chose qu’il refuse de répéter sous serment justifie amplement une conclusion défavorable (Nguyen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 587 au paragraphe 31).

[40]           La demanderesse affirme qu’elle avait demandé à son frère de témoigner, mais que celui‑ci a refusé de le faire. C’est, d’après elle, parce que son frère est un [traduction] « chrétien régénéré et […] il estime qu’il est contraire à sa foi de prêter serment ». Lorsqu’on a demandé à la demanderesse pourquoi son frère ne voulait pas témoigner, alors qu’il acceptait de la soutenir dans sa demande d’asile, elle a répondu que [traduction] « Il est… je ne sais pas, mais il…, il dit qu’il m’a aidée autant qu’il le pouvait, mais il ne veut pas faire…, il choisit de ne pas faire de déclaration ».

[41]           Dans sa lettre, le frère de la demanderesse affirme avoir, en 2008, appris que sa sœur est lesbienne. Lorsqu’elle l’a appelé des États-Unis, il a accepté de l’aider, sachant qu’elle avait fui une situation peu enviable et qu’il serait hors de danger s’il l’aidait alors. Lorsqu’elle est arrivée au Canada, elle lui a raconté tout ce qui lui était arrivé et il a accepté de l’aider à refaire sa vie, car elle devait être libre de choisir d’elle-même au lieu d’être contrainte à une existence dont elle ne voulait pas.

[42]           J’estime qu’il était loisible à la SPR de n’accorder aucun poids à la lettre écrite par le frère de la demanderesse, étant donné que celui‑ci était présent à l’audience et qu’il aurait pu témoigner sur le contenu de sa lettre. Il a simplement refusé de le faire. La SPR pouvait également, à bon droit, rejeter l’explication de la demanderesse quant aux raisons ayant porté son frère à refuser de témoigner, et conclure qu’il refusait de répéter sous serment ce qu’il avait dit précédemment ou de répondre aux questions qui lui seraient posées. La SPR pouvait effectivement en tirer des conclusions défavorables envers la demanderesse. Lorsqu’une partie omet de présenter au tribunal un élément de preuve qu’elle est à même de fournir, il est possible d’en inférer que cet élément ne lui aurait pas été favorable (Lévesque c. Comeau et al., [1970] R.C.S. 1010 aux pages 1012 et 1013; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Malik, [1997] ACF no 378, 128 FTR 309 au paragraphe 4 [Malik]; Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 509 aux paragraphes 1 à 7; Shen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 70 au paragraphe 37).

[43]           Alors que l’on ne doit rien inférer de défavorable à une partie qui fournit une explication raisonnable du fait qu’elle n’a pas appelé un témoin (Malik, au paragraphe 4), la SPR a estimé que l’explication qu’a donnée la demanderesse – qui est peu claire, mais qui semble être que la foi à laquelle son frère adhère empêchait celui‑ci de confirmer, par un témoignage livré sous serment, l’orientation sexuelle de sa sœur – était déraisonnable. J’estime qu’il était loisible à la SPR de parvenir à cette conclusion. Dans sa lettre, le frère de la demanderesse affirme qu’après le mariage à laquelle sa sœur avait été contrainte, leur père a averti la famille de ne plus avoir de contact avec elle, et il ne voulait pas avoir de difficultés avec la police ou la justice. Dans sa lettre, le frère ne dit aucunement que sa religion le portait à s’opposer à l’orientation sexuelle de sa sœur. La SPR pouvait donc à bon droit conclure que si le frère refusait de témoigner, c’est parce que son témoignage aurait été défavorable à sa sœur. Faisons par ailleurs remarquer que si le frère, à supposer qu’il ait témoigné, avait émis certaines réserves et dit, par exemple, que sa foi l’empêchait d’admettre l’orientation sexuelle de sa sœur, cela n’aurait aucunement contrarié les faits dont il faisait état dans sa lettre, c’est‑à‑dire que sa sœur est lesbienne et que leur père l’a contrainte à un mariage forcé.

[44]           Et enfin, en ce qui concerne le mandat d’arrestation, la demanderesse affirme qu’il s’agit d’un élément de preuve d’une importance critique, puisqu’il démontre que la police cherchait effectivement à l’appréhender pour s’être livrée, avec une autre femme, des actes interdits. Selon la demanderesse, il était, de la part de la SPR, déraisonnable de n’accorder aucun poids à ce mandat, sous prétexte qu’il ne portait pas d’en‑tête, et que le document manquait de caractéristiques de sécurité. D’après elle, rien ne permet d’affirmer que le mandat aurait dû être imprimé sur du papier à en‑tête, et la SPR n’a pas précisé les caractéristiques de sécurité que, selon elle, le document aurait dû posséder. Les documents étrangers censés avoir été émis par un fonctionnaire public compétent devraient être admis à titre de preuve à moins que la SPR ait de bonnes raisons de douter de leur authenticité (Rasheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587 au paragraphe 19 [Rasheed]). C’est par ailleurs à tort, selon la demanderesse, que la SPR a dit n’avoir aucun moyen de vérifier si l’individu qui, dans un courriel, se présente comme l’avocat de la demanderesse et comme celui qui a obtenu le mandat, l’était effectivement. La SPR n’a pas motivé les doutes qu’elle éprouvait à cet égard. La demanderesse s’est dite surprise de la conclusion à laquelle la SPR est parvenue sur ce point, faisant valoir que si la SPR lui en avait fait part, elle aurait fourni des éléments corroborants (Rojas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 849 au paragraphe 6).

[45]           Le défendeur fait pour sa part valoir que le mandat a été transmis en tant que fichier joint à un courriel envoyé d’une adresse « yahoo.com », et que rien ne permettait de savoir si l’auteur du courriel appartenait effectivement à un cabinet d’avocats ou était lui‑même avocat. Le mandat n’est revêtu d’aucun sceau ou mention officielle, et la signature est illisible. Selon le défendeur, la SPR peut tirer des conclusions négatives à partir des irrégularités manifestes au vu d’un document (Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1254 au paragraphe 36 [Cao]). Étant donné le manque de crédibilité de la demanderesse, et l’absence, tant dans le courriel que dans le mandat, de tout indice de fiabilité, la SPR a conclu que ce document n’était pas concluant.

[46]           Un mandat est, il est vrai, un document important. S’il en est ainsi, c’est parce que, à supposer que la SPR ait considéré en l’occurrence que le mandat d’arrestation pouvait être tenu par une attestation crédible de son contenu, le document aurait effectivement démontré que les autorités de son pays la persécutaient en raison de son orientation sexuelle.

[47]           S’agissant du poids qu’il convenait d’accorder au mandat et à la lettre en question, la SPR a relevé que le mandat ne comportait guère de caractéristiques de sécurité, qu’il ne portait aucun en‑tête et qu’il n’y avait aucun moyen de vérifier l’identité de l’individu qui se présentait comme l’avocat de la demanderesse. De fait, le mandat en question n’est revêtu d’aucun cachet officiel; c’est un simple document dactylographié ne comportant, semble‑t‑il, aucune caractéristique de sécurité. Devant la Cour, l’avocat du défendeur a relevé les erreurs qui s’y trouvaient. Le titre « In the Chief Magistate’s Court of Nakawa at Nakawa », comporte, en effet, une faute d’orthographe au mot « Magistate ». Cela est exact, mais ce n’est pas pour cela que la SPR n’a accordé aucun poids au mandat. La décision Cao n’est pour le défendeur d’aucun secours en l’espèce. En effet, dans cette autre affaire, la SPR a rejeté en tant que preuve un mandat d’arrestation, car les signes d’encre qui se trouvaient sur le sceau indiquaient que le document avait été signé après l’apposition du sceau. Cela portait à penser que le document était un faux, la SPR pouvant alors raisonnablement réfuter la présomption d’authenticité. En l’espèce, la SPR n’a pas mis en doute l’authenticité du document.

[48]           Ajoutons que dans Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133, le juge Zinn a estimé que la présomption d’authenticité s’applique en l’absence de tout élément de preuve quant aux caractéristiques de sécurité que devrait posséder le document en cause, et que la SPR ne peut pas simplement écarter l’authenticité d’un document au motif que la demanderesse aurait facilement pu se procurer des faux (paragraphes 10 et 11).

[49]           Il aurait, de la part de la SPR, été déraisonnable en l’espèce de rejeter le mandat uniquement parce qu’il ne comportait pas de caractéristiques de sécurité. La SPR ne peut pas en effet écarter l’authenticité d’un document en l’absence d’éléments de preuve indiquant qu’il s’agit d’un faux, tels que des irrégularités qui apparaissent à la face même du document (Jacques c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 423 au paragraphe 16), ou parce que le document a une apparence autre que celle qu’on attend d’un document authentique (Liu aux paragraphes 22 à 24).

[50]           Cela dit, il est loisible à la SPR de n’accorder que peu de poids à des documents corroborant une allégation qu’elle ne juge pas crédible, sans pour cela se prononcer de manière explicite sur leur authenticité (Rasheed au paragraphe 24; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 333 aux paragraphes 43 à 45; Lawal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558 au paragraphe 23; Berhane c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 510 aux paragraphes 33 et 34; Liu au paragraphe 30).

[51]           En l’espèce, alors que sa décision n’est pas formulée aussi clairement qu’elle pourrait l’être, je ne suis pas convaincue que si la SPR a écarté le mandat d’arrestation, c’est en raison du manque de caractéristiques de sécurité, étant donné que, dans le paragraphe reproduit ci‑dessous, elle fait valoir que :

[52]           [traduction]
[25]      Considérant les éléments de preuve dans leur ensemble, le tribunal estime que ces deux documents ne l’emportent pas sur les problèmes de crédibilité qui se posent en l’espèce. Le mandat d’arrestation visant la demandeure d’asile est dénué de crédibilité, car les circonstances étant censées avoir abouti à son arrestation manquent elles-mêmes de crédibilité.

[53]           Si le mandat ne s’est vu accorder aucun poids, ce n’est pas, semble‑t‑il, à cause du manque de caractéristiques de sécurité – la SPR ne s’est en effet pas prononcée sur son authenticité – mais parce que ce document ne l’emportait pas sur les autres conclusions défavorables auxquelles la SPR était parvenue quant à la crédibilité de la demanderesse. Autrement dit, la SPR a, en l’occurrence, examiné le témoignage de la demanderesse et décidé que, compte tenu des contradictions, incohérences, omissions et autres motifs de doute, elle ne pouvait accorder aucune valeur probante à cet élément de preuve documentaire.

[54]           Comme le déclare la juge Gleason dans la décision Rahal :

[55]           [60]      Aucun de ces points ne justifie l’intervention de la Cour. J’estime que la Cour ne doit pas intervenir pour infirmer des conclusions relatives à la crédibilité et à l’identité si la décision de la Commission s’appuie sur des éléments de preuve, si les motifs invoqués par la SPR pour justifier ses conclusions (qui ne sont pas manifestement spécieuses) ne sont pas des généralisations et s’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier. Il importe peu que les motifs de la SPR ne soient pas parfaits ou même que la Cour soit en accord avec la conclusion, ou encore avec chaque étape du processus d’analyse de la crédibilité suivi par la SPR. La jurisprudence établit que l’appréciation de la crédibilité se situe au cœur même des attributions que le législateur a conférées à la SPR.

[56]           À prendre la décision dans son ensemble, la conclusion à laquelle la SPR est parvenue quant à l’invraisemblance du récit que la demanderesse a livré des événements postérieurs à sa sortie de prison, était déraisonnable, mais les autres incohérences, contradictions et omissions qu’elle a relevées autorisaient la SPR à en tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité de la demanderesse. En conséquence, la décision se situe parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et la demande est, par conséquent, rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale à certifier, et l’affaire n’en soulève pas.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2968‑16

INTITULÉ :

YVONNE NIWAHERE JELE c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 DÉCEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

POUR La demanderesse

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aadil Mangalji

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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