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Date : 20161130


Dossier : IMM-2671-16

Référence : 2016 CF 1326

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ARTUR MRYAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) à l’encontre d’une décision par laquelle un commissaire de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 27 mai 2016, avait rejeté l’appel et confirmé que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen d’Arménie et de Russie âgé de 41 ans. Il est né en Arménie et a vécu plusieurs années en Russie. Il a été naturalisé Russe en 1991. Son épouse et ses deux enfants (âgés de 10 ans et de 3 ans) vivent en Arménie. Son père vit en Russie.

[3]               Le demandeur a travaillé au Canada de novembre 2014 à mai 2015, moment où il est retourné en Arménie. Toujours en possession d’un visa valide, il est revenu au Canada le 19 juillet 2015 et a demandé l’asile à son arrivée.

[4]               Le demandeur a joint les rangs du mouvement politique arménien « Founding Parliament » (FP) au début de 2014. Après avoir pris part à des manifestations du FP en mai et en juin 2015, il a reçu des menaces anonymes et a été intimidé par la police arménienne à plusieurs occasions.

[5]               Le 4 juillet 2015, le demandeur a été arrêté par la police et détenu à l’extérieur d’Erevan pendant 12 heures. Pendant sa détention, il a été battu et menacé, et s’est vu refuser le droit d’appeler un avocat ou sa famille. Après sa libération, il a décidé de cacher son épouse et ses enfants et de s’enfuir au Canada.

[6]               Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), le demandeur a mis l’accent sur sa crainte de persécution en Arménie, mais n’a donné aucun détail sur le risque de persécution en Russie.

III.             Décision

A.                Décision de la SPR, le 28 octobre 2015

[7]               Le 28 octobre 2015, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur déterminant qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La SPR s’est concentrée sur la crainte du demandeur de retourner en Russie, en se fondant sur sa nationalité arménienne et son ethnicité.

[8]               Lors de l’évaluation de sa crainte subjective, la SPR a conclu que l’omission par le demandeur de fournir tout détail au sujet de la Russie dans son formulaire FDA soulevait des doutes en matière de crédibilité. Bien que la SPR ait accepté que la majorité des événements décrits se soient déroulés et que son avocat ne lui ait pas conseillé d’inclure ses craintes liées à la Russie dans son formulaire FDA, cette explication n’a été acceptée qu’en partie. La SPR a conclu que l’omission de fournir tout détail dans son formulaire FDA indiquait que sa crainte de retourner en Russie n’était pas apparente pour le demandeur lorsqu’il a rempli le formulaire. De plus, la SPR a pris en compte que le demandeur a vécu et travaillé pendant de longues périodes en Russie et que sa famille y possède de l’immobilier. Finalement, la SPR a trouvé que la discrimination et le harcèlement vécus par le demandeur en Russie ne constituaient pas de la persécution.

[9]               À l’égard de la documentation fournie, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve personnelle au sujet du demandeur, mais elle a tout de même accordé une plus grande importance au Cartable national de documentation objective, lequel fait mention que la xénophobie, le nationalisme, le racisme, la violence et les attaques contre les minorités ethniques constituaient des problèmes graves en Russie. Néanmoins, la SPR a conclu que le demandeur n’a pas réussi à établir plus qu’une faible possibilité de persécution.

B.                 Décision de la SAR, le 27 mai 2016

[10]           Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAR, en faisant valoir que la SPR a commis des erreurs en : i) concluant que le demandeur n’éprouvait pas de crainte subjective puisqu’il a omis d’inclure les incidents discriminatoires qui se sont déroulés en Russie dans le formulaire FDA; ii) concluant que la discrimination vécue par le demandeur ne constituait pas de la persécution;, iii) concluant que le demandeur ne sera confronté qu’à une faible possibilité de persécution à son retour en Russie.

[11]           Le 27 mai 2016, en appliquant la norme de contrôle de la décision correcte, la SAR a maintenu la décision de la SPR et l’appel du demandeur a été rejeté.

[12]           La SAR a conclu que la question centrale de l’appel du demandeur de la décision du SPR était de savoir si la SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il serait confronté à un risque grave de persécution s’il devait retourner en Russie pour y vivre.

[13]           La SAR a jugé que le fait que le demandeur ait la citoyenneté russe et qu’il ait choisi de demander l’asile au Canada plutôt que de se rendre en Russie était un enjeu clair. La SAR a conclu que l’absence de référence au risque en Russie dans le formulaire FDA initial a démontré une absence de crainte subjective de retourner en Russie.

[14]           Finalement, la SAR a également conclu que le témoignage du demandeur était vague, qu’il manquait de détails et qu’il fallait poser beaucoup de questions.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[15]           La présente affaire soulève la question suivante : Est-ce que la SAR a commis une erreur en confirmant la décision de la SPR?

[16]           La décision de la SAR devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35).

V.                Dispositions pertinentes

[17]           Lors de l’examen de la décision de la SAR, les articles 96, 97 et 111 de la LIPR s’appliquent :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Décision

Decision

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

[En blanc/Blank]

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

[En blanc/Blank]

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

[En blanc/Blank]

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

VI.             Observations des parties

A.                Observations du demandeur

[18]           Le demandeur allègue que la SAR n’a pas appliqué les principes de droit, n’a pas analysé l’affaire adéquatement et n’a pas examiné ni tenu compte des arguments et des questions soulevées dans l’appel. Selon le demandeur, la SAR a commis une erreur dans ses conclusions au sujet de sa crainte subjective en Russie, puisqu’elle n’a pas fourni une analyse claire ou ses motifs. Il prétend également qu’il a été trouvé généralement crédible lors de son témoignage au sujet des incidents de persécution en Russie, ce qui ne peut pas mener à une conclusion de manque de crainte subjective. Il mentionne que le harcèlement cumulatif enduré pendant les années qu’il a passées en Russie équivaut à de la persécution.

B.                 Observations du défendeur

[19]           Le défendeur affirme que la SAR a évalué adéquatement l’appel du demandeur au sujet de la décision de la SPR. La SAR a écouté le témoignage du demandeur et a examiné la décision de la SPR, et elle a conclu que le tribunal n’a pas commis d’erreur en évaluant sa crainte subjective en Russie.

VII.          Analyse

[20]           Notre Cour conclut que la SAR a rendu une décision déraisonnable.

[21]           La SAR n’a pas donné de motifs clairs justifiant pourquoi l’omission du demandeur de mentionner ses craintes dans son formulaire FDA indiquerait un manque de crainte subjective. La SAR n’a pas évalué l’effet cumulatif des incidents de discrimination subis par le demandeur, bien que la SPR ait conclu que la majorité des incidents ont bel et bien eu lieu. La Cour conclut que la discrimination et le harcèlement dont le demandeur et sa famille ont été victime en Russie, de façon cumulative, ont atteint un degré qui peut être qualifié de persécution. Finalement, la conclusion de la SAR, laquelle est fondée sur la documentation nationale sur la Russie, qui stipule que la discrimination subie par le demandeur ne constitue pas de la persécution est déraisonnable. Cette conclusion n’est pas motivée par la SAR et ne tient pas compte de la situation documentée relativement aux minorités ethniques en Russie.

[traduction] La loi interdit la discrimination fondée sur la nationalité, mais les autorités gouvernementales ont fait subir de plus en plus de discrimination aux minorités. Il y a une montée significative de violence et de discrimination sociétales xénophobes contre les minorités, surtout les personnes provenant du Caucase et de l’Asie centrale, les personnes à la peau sombre, les Roms et certains étrangers. Selon la SOVA, en décembre la violence raciale s’est traduite par la mort d’au moins 20 personnes, alors que 173 autres ont été blessées et neuf ont reçu des menaces de mort. Des incidents ont été signalés dans 32 régions. La violence était concentrée à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Le nombre de crimes haineux déclarés contre les groupes religieux minoritaires a augmenté pendant l’année, et les groupes de têtes rasées et autres organisations nationalistes extrémistes ont planifié de la violence à caractère raciale. La propagande raciste est demeurée problématique, bien que les tribunaux continuent à condamner les personnes qui ont recours à la propagande pour inciter à la haine ethnique.

Le Centre d’étude des conflits ethniques (ZINC), un groupe de réflexion indépendant, a publié un rapport exposant en détail la tension ethnique de septembre 2013 à mars 2014. Le rapport a indiqué que les régions ayant le niveau de tension ethnique le plus élevé étaient Daguestan, Moscou, Saint-Pétersbourg, Stavropol Kraï et Tatarstan. Pendant la période couverte par le rapport, le centre a noté 570 actes haineux à motivation ethnique d’intensité variable (de l’affichage de contenu xénophobe sur Internet à des affrontements violents avec des armes qui se traduisent par de la mortalité) à l’échelle du pays.

La violence de groupes de têtes rasées a continué d’être un problème grave. Les groupes de têtes rasées ciblaient surtout les étrangers, notamment les Asiatiques et les personnes provenant du Caucase, de même que des personnes qu’ils identifiaient comme provenant de l’Ukraine.

(Cartable national de documentation, Russie, 17 juillet 2015)

[22]           De plus, les activités du demandeur en Arménie et la façon dont elles seraient perçues par la Russie sont importantes comme il est précisé ci-dessous (référence au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés), aux paragraphes 66 et 67 :

66. Pour être considérée comme réfugié, une personne doit démontrer qu’elle craint avec raison d’être persécutée pour l’un des motifs énumérés ci-dessus. Peu importe que ce soit pour un seul ou pour plusieurs de ces motifs. Souvent, la personne qui demande la reconnaissance du statut de réfugié peut n’avoir pas, elle-même, véritablement conscience des motifs pour lesquels elle craint d’être persécutée. Elle n’est cependant pas tenue d’analyser son cas au point de pouvoir identifier ces motifs de façon très précise.

67. C’est à l’examinateur qu’il appartient, lorsqu’il cherche à établir les faits de la cause, de déterminer le ou les motifs pour lesquels l’intéressé craint d’être victime de persécutions et de décider s’il satisfait à cet égard aux conditions énoncées dans la définition de la Convention de 1951. Il est évident que souvent les motifs de persécution se recouvriront partiellement. Généralement, plusieurs éléments seront présents chez une même personne. Par exemple, il s’agira d’un opposant politique qui appartient en outre à un groupe religieux ou national ou à un groupe présentant à la fois ces deux caractères, et le fait qu’il cumule plusieurs motifs possibles peut présenter un intérêt pour l’évaluation du bien-fondé de ses craintes.

(Guide du Haut-Commissariat des Nations Unies, puisque les paragraphes ont été cités par les Cours examinant les décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sur la façon dont la Convention sur les réfugiés doit être interprétée.)

VIII.       Conclusion

[23]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie puisque la décision de la SAR est déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire. L’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés pour être examinée à nouveau. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2671-16

 

INTITULÉ :

ARTUR MRYAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 novembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Claudette Menghile

 

Pour le demandeur

 

Thi My Dong Tran

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claudette Menghile, avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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