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Date : 20161216


Dossier : IMM-4589-15

Référence : 2016 CF 1387

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2016

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

RAHEL YARED BELAY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, une citoyenne de l’Éthiopie, demande un contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) datée du 23 septembre 2015. La Section de la protection des réfugiés a entendu l’affaire durant deux jours, les 29 juillet 2015 et 9 septembre 2015, par vidéoconférence à Vancouver et Calgary. Dans la décision datée du 15 septembre 2015 (la décision), la Section de la protection des réfugiés a conclu que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, puisqu’elle ne craint pas avec raison d’être persécutée en Éthiopie pour un motif prévu à la Convention. La Section de la protection des réfugiés a également jugé que la demanderesse n’était pas une personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). De plus, le tribunal a conclu que la demande était manifestement infondée aux termes de l’article 170.1 de la LIPR et qu’elle était dépourvue d’un minimum de fondement. Par conséquent, la demanderesse ne pouvait interjeter appel devant la Section d’appel des réfugiés.

[2]  Avant l’audience, le ministre est intervenu en raison de graves doutes concernant la crédibilité de la demanderesse et le bien-fondé de sa demande. L’avocat du ministre a pris part à l’audience, tout comme le consultant en immigration qui conseillait la demanderesse.

[3]  L’audience devant la Section de la protection des réfugiés s’est déroulée par vidéoconférence entre Calgary et Vancouver. Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés était à Vancouver alors que la demanderesse ainsi que les deux avocats étaient à Calgary. Un interprète était en lien avec Vancouver et Calgary par téléphone.

[4]  La demanderesse prétend qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale à deux occasions au cours de l’audience. En premier lieu, l’interprétation n’était pas adéquate lors de la première journée d’audience. Ensuite, à la deuxième journée d’audience, la Section de la protection des réfugiés a rejeté une demande présentée par le conseil de la demanderesse pour que l’affaire soit entendue de nouveau en raison des problèmes d’interprétation antérieurs. Le conseil de la demanderesse affirme également qu’il était injuste que la Section de la protection des réfugiés ne retienne pas et n’examine pas les observations écrites présentées par le conseil deux jours après la conclusion de l’audience. Finalement, la demanderesse prétend que la décision est déraisonnable.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans cette affaire et que la décision est raisonnable. La demande est en conséquence rejetée.

[6]  Les articles de loi mentionnés figurent à l’annexe A pour en faciliter la consultation.

II.  Exposé des faits

[7]  La demanderesse prétend être persécutée par son ancien ami de cœur qui, selon ce qu’elle affirme, occupe un poste de pouvoir et d’influence au sein du gouvernement éthiopien.

[8]  Après avoir achevé un programme au St. Mary’s University College avec un diplôme d’une année d’études en droit en 2007, la demanderesse a déménagé à Dubaï. Elle a travaillé à Dubaï chez Juice Junky pendant trois ans et ensuite dans une autre entreprise en tant qu’associée aux ventes pendant trois ans. En mai 2014, la demanderesse est retournée en Éthiopie, car la santé de son père se détériorait. À cette époque, elle a mis fin à une relation amoureuse avec un homme qui, selon ce qu’elle affirme, occupait un poste de pouvoir et d’influence au sein de l’organe du gouvernement responsable de la sécurité et du renseignement à Addis-Abeba. En conséquence, il a ordonné son arrestation le 6 mai 2014, et elle a été amenée à la prison de Maekelawi où elle est restée quatre jours. Pendant son séjour en prison, elle a été battue et on lui a fait des avances sexuelles. Au cours de la deuxième journée d’audience devant la Section de la protection des réfugiés, elle a affirmé avoir été violée en prison, mais cette information ne figurait pas sur son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). La demanderesse affirme qu’elle a aussi été accusée de recueillir des fonds pour le parti de l’opposition et la milice qui luttaient contre le gouvernement. Elle prétend que, pour être relâchée, elle a été forcée de signer un document dans lequel elle admettait sa participation à ces activités.

[9]  À sa sortie de prison, la demanderesse s’est rendue à l’hôpital le10 mai 2014 et elle y a passé la nuit en observation. Elle a présenté à la Section de la protection des réfugiés un certificat médical daté du 11 mai 2014 qui indiquait qu’elle souffrait de déshydratation grave, de faiblesse corporelle généralisée et de graves crampes abdominales. Le 12 mai 2014, un pot-de-vin a été versé à l’aéroport en son nom et elle a quitté l’Éthiopie en utilisant son propre passeport pour retourner à Dubaï.

[10]  La demanderesse est arrivée au Canada pour la première fois le 21 juillet 2014 avec un visa de travail qui était valide jusqu’au 14 août 2015. Plus tard, lorsqu’elle a parlé avec son père, il lui a dit que des agents de sécurité et des policiers le harcelaient, ainsi que ses frères et sœurs. Il lui a également dit que son frère et sa sœur étaient devenus de fervents militants politiques. Les deux avaient été arrêtés et relâchés. Elle prétend que son frère aurait été emprisonné pendant un certain temps, pour ensuite être relâché et emprisonné de nouveau à plusieurs reprises. Avant l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, la demanderesse a présenté des mandats d’arrêt contre elle datés du 12 mai 2014 et du 18 mai 2015, ainsi qu’une citation à comparaître devant la police datée du 5 mai 2014. Tous ces documents provenaient de la commission de la police gouvernementale d’Addis-Abeba.

[11]  En janvier 2015, la demanderesse a voyagé en Europe, aux Pays-Bas et en Italie, et est revenue au Canada le 18 janvier 2015. Elle a renouvelé son passeport éthiopien en février 2015 et a rempli un formulaire FDA le 26 mai 2015. Elle a ensuite présenté sa demande d’asile le 1er juin 2015, près d’un an après son arrivée au Canada. Elle a affirmé craindre son ancien ami de cœur et des membres du parti au pouvoir. Elle soutient que la violence faite aux femmes est souvent justifiée en guise de punition pour les femmes qui n’écoutent pas leur mari ou ne s’y soumettent pas. La demanderesse affirme que, si elle retourne en Éthiopie, elle sera jetée en prison et sera battue et torturée en raison de la position de son ancien ami de cœur au sein du gouvernement.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[12]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que la question déterminante était la crédibilité. Reconnaissant qu’il existait une présomption selon laquelle le témoignage de la demanderesse est véridique, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter, la Section de la protection des réfugiés a fait état des préoccupations significatives suivantes en matière de crédibilité :

i.  son témoignage sur les conditions en prison ne correspondait pas aux descriptions de la prison de l’élément de preuve documentaire, en particulier concernant l’emplacement des toilettes et l’accès à de l’air frais;

ii.  elle n’a fourni aucun élément de preuve quant au lien allégué de son ancien ami de cœur avec le gouvernement éthiopien, malgré une demande écrite de la Section de la protection des réfugiés environ huit semaines avant l’audience; de plus, elle n’a fourni aucun élément de preuve démontrant les efforts qu’elle a déployés pour étayer ses allégations;

iii.  durant son témoignage, elle ne s’est pas exprimée de manière franche ou fluide et n’a pas répondu directement aux diverses questions qui lui ont été posées;

iv.  elle n’a pas réussi à expliquer de façon satisfaisante comment elle a pu renouveler son passeport éthiopien alors qu’il y avait un mandat d’arrêt actif à son nom;

v.  elle n’a pas fait état dans son formulaire FDA du mandat d’arrêt contre elle lancé le 5 mai 2014;

vi.  ses explications à propos de la raison pour laquelle elle a attendu plus d’un an pour présenter une demande d’asile ne correspondaient pas à ses déclarations sur sa crainte d’être persécutée et à la déclaration dans son formulaire FDA selon laquelle elle était effrayée lorsqu’elle a quitté l’Éthiopie et qu’elle a versé un pot-de-vin à l’aéroport;

vii.  les citations à comparaître incluses dans les documents propres à sa demande d’asile, lesquels ont été communiqués tardivement, portaient une date de comparution qui ne correspondait pas à celle indiquée dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA;

viii.  lors de la deuxième journée d’audience, elle a mentionné pour la première fois avoir été violée pendant son séjour en prison et quand on lui a demandé pourquoi elle ne l’avait pas précisé à la première journée d’audience ou dans son formulaire FDA, la réponse qu’elle a donnée ne suffisait pas : elle a expliqué qu’elle ne voulait pas le dire à son conseil parce qu’il était un homme, mais elle n’a pas demandé un tribunal composé d’une femme et n’a pas modifié le contenu de son formulaire FDA entre la première journée et la deuxième journée d’audience;

ix.  bien qu’elle n’ait pas avancé la question du genre comme fondement à sa demande d’asile, elle a déclaré, après que son conseil l’eut interrogée pour la deuxième fois, que les femmes n’étaient pas perçues comme des humains en Éthiopie; cette déclaration ne figurait pas dans son formulaire FDA et elle n’a pas soulevé ce point lorsqu’on lui a posé des questions la première fois sur les conditions en Éthiopie, ou au cours de la première journée d’audience.

[13]  Après avoir pris ces éléments en considération, la Section de la protection des réfugiés a conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible. Les documents à l’appui qu’elle a fournis (l’avis de comparution, les deux citations à comparaître et un certificat médical) soulevaient des préoccupations quant à leur propre crédibilité concernant ses allégations de crainte fondée de persécution en Éthiopie : une citation à comparaître portait une date qui ne correspondait pas à ce qui figurait dans son formulaire FDA et le mandat d’arrestation n’a jamais été mentionné dans son formulaire FDA. De plus, la demanderesse n’a pas été en mesure d’expliquer de façon satisfaisante pourquoi les documents étaient suffisamment importants pour que son père les conserve pendant une année, sans toutefois informer la demanderesse de leur existence durant tout ce temps. Aucun poids n’a été accordé aux documents à l’appui. Le tribunal a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution, y compris au risque d’être soumise à la torture, si elle était renvoyée en Éthiopie.

[14]  La Section de la protection des réfugiés a jugé que les incohérences dans l’histoire de la demanderesse ne portaient pas uniquement sur l’absence d’une crainte subjective d’être persécutée; elles portaient également atteinte à sa crédibilité dans une telle mesure que le tribunal n’a pas cru son histoire. Par conséquent, le tribunal a également estimé qu’elle n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle serait personnellement exposée à une menace à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, aux termes de l’article 97 de la LIPR, si elle était renvoyée en Éthiopie.

[15]  En raison des préoccupations graves et importantes en matière de crédibilité, la Section de la protection des réfugiés semble avoir estimé que la demande était manifestement infondée aux termes du paragraphe 107.1 de la LIPR et qu’elle était dépourvue d’un minimum de fondement aux termes du paragraphe 102(2). Même si l’avis de décision émis par le greffier de la Section de la protection des réfugiés et le premier paragraphe des motifs indiquent uniquement que la demande est manifestement infondée, le dernier paragraphe des motifs indique que la demande est manifestement infondée et qu’elle est dépourvue d’un minimum de fondement. La Section de la protection des réfugiés applique également les critères pour les deux conclusions, affirmant qu’on ne lui a présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel la Section de la protection des réfugiés aurait pu fonder une décision favorable, et que la demande est clairement frauduleuse.

[16]  Pour pouvoir formuler une conclusion selon laquelle une demande est dépourvue d’un minimum de fondement ou est manifestement infondée, la Section de la protection des réfugiés est uniquement tenue, selon la LIPR, de préciser cette conclusion dans ses motifs. Il n’est pas nécessaire que la conclusion soit répétée dans l’avis de décision de la Section de la protection des réfugiés. De plus, le libellé du paragraphe 107(2) et de l’article 107.1 de la LIPR a force obligatoire : si la Section de la protection des réfugiés estime qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, elle doit faire état de l’absence de minimum de fondement de la demande. En outre, si la Section de la protection des réfugiés est d’avis qu’une demande est clairement frauduleuse, elle doit indiquer que la demande est manifestement infondée. Par conséquent, il va de soi que, si la Section de la protection des réfugiés est d’avis qu’on ne lui a présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une opinion favorable et que la demande est clairement frauduleuse, elle doit indiquer que la demande est dépourvue d’un minimum de fondement et qu’elle est manifestement infondée. Il semble que c’est ce que la Section de la protection des réfugiés a fait en l’espèce.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE ET NORME DE CONTRÔLE

A.  Questions en litige

[17]  Le défendeur soulève une question préliminaire selon laquelle certains paragraphes qui figurent dans l’affidavit de la demanderesse et trois paragraphes de l’affidavit de son conseil, y compris une pièce jointe contenant ses observations après l’audience, devraient être radiés ou invalidés car il s’agit d’une preuve par ouï-dire ou d’un élément de preuve dont ne disposait pas le tribunal au moment de l’audience.

[18]  En ce qui concerne le bien-fondé de la demande, la demanderesse a soulevé deux questions relatives à un manquement à l’équité procédurale :

[traduction]

1)  le refus d’ordonner une audience de novo le deuxième jour en raison de problèmes de traduction survenus le premier jour;

2)  le refus d’accepter les observations postérieures à l’audience du conseil de la demanderesse.

[19]  De plus, la demanderesse tente de faire annuler les conclusions en matière de crédibilité formulées par le tribunal, sous prétexte qu’elles sont déraisonnables, en particulier la conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée.

B.  Norme de contrôle

[20]  Il semble que le motif pour demander une audience de novo est lié au fait que les services de traduction offerts lors de la première journée d’audience étaient inadéquats. La question de savoir si les services d’interprétation à l’audience étaient adéquats ou non est une question d’équité procédurale, susceptible de révision selon la norme de la décision correcte : Goltsberg c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 886, au paragraphe 16.

[21]  La norme de contrôle pour les questions touchant la crédibilité, qui dépendent des faits, est celle de la décision raisonnable. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, toutefois, la Cour doit aussi se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 et 51.

[22]  Les évaluations de la crédibilité dépendent des faits et sont menées au cas par cas à partir des éléments de preuve dont disposent le décideur. La Section de la protection des réfugiés est la mieux positionnée pour évaluer les éléments de preuve, juger la crédibilité d’un compte rendu, et tirer les conclusions nécessaires. Tant que les conclusions tirées par la Section de la protection des réfugiés ne sont pas déraisonnables au point de justifier l’intervention de la Cour, ses conclusions ne sont pas ouvertes au contrôle judiciaire : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, à la page 316 (CAF). Puisque la demanderesse a témoigné à l’audience, la Section de la protection des réfugiés a eu l’avantage de l’entendre. Par conséquent, la Cour ne devrait pas substituer son point de vue à celui de la Section de la protection des réfugiés au sujet de la crédibilité, à moins qu’elle ne soit convaincue que la Section de la protection des réfugiés a fondé ses conclusions sur des considérations dénuées de pertinence ou qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants : Thach c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 658, au paragraphe 19 [Thach].

V.  Discussion

A.  Certaines parties des affidavits devraient-elles être radiées ou devrait-on n’y accorder aucun poids?

[23]  La demanderesse et le conseil qui la représentait devant la Section de la protection des réfugiés ont présenté des affidavits en lien avec la présente demande. L’avocat du défendeur s’oppose à divers paragraphes dans chacun des affidavits, sous prétexte qu’un ou plusieurs d’entre eux sont argumentatifs, constituent du ouï-dire ou n’avaient pas été présentés au décideur initial. En particulier, le défendeur s’oppose aux observations postérieures à l’audience présentées par la demanderesse à la Section de la protection des réfugiés, au motif qu’elles n’avaient pas été acceptées et que, par conséquent, elles n’avaient pas été présentées au décideur initial.

[24]  En ce qui concerne les paragraphes contestés dans l’affidavit de la demanderesse, c’est-à-dire les paragraphes 22 à 24, ils ont trait à l’évaluation par la demanderesse de ce que le commissaire pensait, ou prétendent établir l’état d’esprit de la demanderesse au cours de la première journée d’audience. Par conséquent, ils ne sont pas admissibles et ne seront pas pris en considération.

[25]  Les paragraphes contestés de l’affidavit du conseil, c’est-à-dire les paragraphes 5, 14 et 15 sont tout aussi problématiques. Une partie du paragraphe 5 porte supposément sur ce que le commissaire pensait et, par conséquent, cette partie n’est pas admissible et ne sera pas prise en considération. Une autre partie du paragraphe 5 porte sur le nombre d’objections présentées par le conseil en ce qui concerne l’interprétation. Puisque ces objections figurent au dossier dans la transcription, je n’invaliderai pas cette partie. Cependant, mon examen de la transcription ne concorde pas avec l’affirmation du conseil, selon laquelle il s’est opposé de 15 à 17 fois à l’interprétation. Selon mon calcul, bien que le conseil ait provoqué de nombreuses interruptions pour diverses raisons, il s’est opposé quatre ou cinq fois à la traduction. Par conséquent, l’affirmation qui figure dans l’affidavit du conseil n’a aucun poids.

[26]  Les paragraphes 14 et 15 de l’affidavit du conseil portent sur les observations postérieures à l’audience qui figurent à l’annexe D de son affidavit. Comme le refus de la Section de la protection des réfugiés d’accepter ces observations constitue le fondement de l’un des arguments de la demanderesse à l’égard d’un manquement à l’équité procédurale, je les ai examinées pour cette raison. Sur cet aspect limité, elles seront abordées dans l’analyse des plaintes liées à l’équité procédurale soulevées par la demanderesse.

B.  Était-il inéquitable, sur le plan procédural, de refuser de tenir une audience de novo le deuxième jour?

[27]  La demanderesse allègue que la traduction fournie par l’interprète lors de la première journée d’audience était inadéquate et inéquitable pour elle sur le plan procédural.

[28]  Selon la jurisprudence portant sur la qualité de la traduction à laquelle un demandeur a droit, elle doit être continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente. Il n’est pas nécessaire de fournir une preuve d’un préjudice réel subi par un demandeur. La traduction parfaite n’est pas exigée, car la traduction est une activité fondamentalement humaine qui s’exerce rarement dans des circonstances idéales. Le but est la compréhension linguistique : Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, aux paragraphes 4 et 6.

[29]  Comme je l’ai souligné précédemment, le conseil a juré, dans son affidavit, qu’il s’était opposé de 15 à 17 fois à la qualité de l’interprétation. Mon examen de la transcription indique le contraire, tout comme l’examen mené par le défendeur. Il semblerait que le conseil s’est réellement opposé à l’interprétation quatre ou cinq fois tout au plus. À la reprise de l’audience quelques semaines plus tard, il a demandé une audience de novo en s’appuyant sur les résultats d’une vérification de l’interprétation effectuée par la Section de la protection des réfugiés.

[30]  Selon les résultats de la vérification de l’interprétation :

i.  à deux reprises, l’interprète a ajouté une interprétation qui n’avait pas été prononcée par la demanderesse;

ii.  l’interprète comprenait très bien l’anglais et avait une excellente maîtrise de l’amharique;

iii.  l’on a relevé des erreurs d’interprétation mineures, mais elles n’étaient pas suffisamment graves pour modifier la décision.

[31]  Dans la section des commentaires généraux du rapport de vérification, l’analyste a souligné que les incohérences mineures formulées par l’interprète étaient attribuables aux longues réponses de la demanderesse aux questions. Le vérificateur a indiqué qu’à son avis, les inexactitudes ou erreurs légères n’étaient pas suffisamment graves pour modifier la décision.

[32]  L’interprète a ajouté, à deux reprises, des mots qui n’avaient pas été prononcés par la demanderesse :

Interprétation exacte

Version de l’interprète

[traduction]

J’étais en paix et je continuais à faire mon travail.

Puisque je travaillais en toute légalité.

Je continue de faire mon travail et de vivre ma vie.

Oui, je sais où je suis.

[33]  Selon les observations présentées par le conseil à la Section de la protection des réfugiés, il y a eu négation du droit de la demanderesse d’être entendue, parce que l’interprète a ajouté des renseignements qui n’ont pas été prononcés. Il affirme également qu’il y a eu [traduction] « de nombreuses incohérences » et [traduction] « de nombreuses erreurs », qui n’étaient pas justes pour la demanderesse et auraient pu entraîner une erreur dans l’administration des lois du Canada sur l’immigration. Aucun exemple précis des erreurs alléguées n’a été fourni, même si chaque partie a reçu un CD de l’audience, en plus des résultats de la vérification.

[34]  Les observations présentées par le défendeur étaient simples : la vérification indiquait que l’interprétation était jugée acceptable par l’analyste et que, étant donné que les incohérences mineures étaient attribuables aux longues réponses de la demanderesse, le témoignage fourni lors de la première journée d’audience était exact et admissible.

[35]  En rejetant la demande visant une audience de novo, la Section de la protection des réfugiés a conclu que les commentaires de la demanderesse ne cadraient pas avec les résultats de la vérification. La Section de la protection des réfugiés a conclu que les problèmes révélés par la vérification n’étaient pas suffisamment graves pour avoir des répercussions sur le droit de la demanderesse d’obtenir une audience équitable et que le conseil n’a fourni aucun fondement précis pour les commentaires qu’il a formulés en réponse à la vérification ou à l’appui de sa demande en vue d’obtenir une nouvelle audience. La Section de la protection des réfugiés avait souligné à l’audience que l’interprète avait un excellent bilan en tant qu’interprète dans la région de l’Ouest et qu’il était très apprécié. Il semble que la conclusion de l’analyste lors de la vérification appuie ce commentaire. Les deux erreurs d’interprétation découvertes lors de la vérification ne sont pas suffisamment graves pour nuire à la compréhension linguistique.

[36]  Dans le cadre de la présente demande, la demanderesse a déclaré que la Section de la protection des réfugiés avait [traduction] « de sérieux problèmes avec l’interprétation » et a tenté de faire remplacer l’interprète. Un examen des transcriptions révèle que la commissaire a mentionné, vers la fin de la première journée, qu’elle voulait changer d’interprète parce que [traduction] « l’ambiance à l’audience est devenue trop contradictoire et litigieuse pour que l’audience se poursuive de cette façon ». Elle a expressément affirmé que [traduction] « il ne s’agit pas d’un commentaire concernant le niveau d’interprétation fourni par [l’interprète] ». Même si un deuxième interprète a été trouvé et qu’il a joint l’audience par téléphone, ses services n’ont pas été requis, puisque la demanderesse devait quitter pour aller travailler et que l’audience a donc été suspendue.

[37]  J’ai examiné l’ensemble de la transcription pour les deux journées d’audience. Il est clair que la première journée d’audience a été difficile pour plusieurs raisons. Quelques difficultés d’interprétation relativement mineures ont été constatées et corrigées immédiatement par la demanderesse ou par le conseil qui parlait couramment l’amharique. Par exemple, lorsque la demanderesse a quitté la prison et s’est rendue à l’hôpital, il a d’abord été interprété qu’elle avait [traduction] « été envoyée » à l’hôpital, mais elle comprenait suffisamment l’anglais parce qu’elle semble avoir corrigé l’interprète, qui a ensuite dit [traduction] « D’accord, je reconnais mon erreur. Ce qu’elle dit, c’est [traduction] “Je crois que vous avez mal interprété mon [...] personne ne m’a envoyée. J’ai moi-même décidé d’aller à cet hôpital.” » Environ huit pages plus loin dans la transcription, le conseil s’oppose aux [traduction] « nombreuses incohérences » dans la traduction. Lorsqu’on lui demande un exemple, il mentionne seulement que la demanderesse s’est rendue elle-même à l’hôpital et que personne ne l’a envoyée là. Puisque cette erreur avait été corrigée immédiatement par la demanderesse et l’interprète, à mon avis, cela n’a entraîné aucune répercussion sur la compréhension linguistique de la demanderesse. En fait, cela confirme que son anglais était suffisamment bon pour qu’elle comprenne cette erreur en particulier. À un autre moment, le conseil se plaint d’une erreur d’interprétation présumée en ce qui touche la raison pour laquelle la demanderesse n’a pas [traduction] « rendu » son passeport. La véritable question posée était pourquoi elle n’avait pas [traduction] « renoncé » à son passeport. L’interprète a souligné que c’est ce qu’il avait traduit, mot pour mot. Il semble que le conseil ait mal entendu la question.

[38]  Au cours de la première journée d’audience, le tribunal a fait quelques remontrances à la demanderesse, lui demandant de raccourcir ses réponses. L’interprète s’est plaint à quelques reprises que la demanderesse ne répondait pas à la question posée ou que ses réponses étaient trop longues et difficiles à traduire. Lorsque cela se produisait, l’interprète soulevait la question auprès de la Section de la protection des réfugiés afin que la question et la réponse soient répétées et traduites. À une autre occasion au cours de l’audience, la demanderesse a continué à parler en même temps que l’interprète et le tribunal a été obligé de lui demander de laisser l’interprète finir, sinon on n’entendrait ni la demanderesse ni l’interprète.

[39]  Je souligne également que, dans sa demande de permis de travail, la demanderesse a indiqué qu’elle parlait couramment l’anglais. Chose certaine, au cours de l’audience, le conseil a demandé plusieurs fois à la demanderesse de s’expliquer en anglais. La Section de la protection des réfugiés a également souligné au cours de l’audience que la question soulevée par la demanderesse était que, même si l’interprète parlait l’amharique, il s’agissait d’un dialecte différent de celui de la demanderesse qui parlait ce qu’elle et son conseil ont appelé [traduction] « l’amharique profond ». Cependant, dans son formulaire FDA, la demanderesse n’a pas précisé qu’elle parlait un dialecte en particulier. Elle a indiqué que son dialecte était l’amharique.

[40]  Compte tenu de la transcription et des résultats de la vérification, et pour les raisons données précédemment, je ne constate aucune erreur de la part de la Section de la protection des réfugiés quand elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire de tenir une nouvelle audience et que l’interprétation n’était pas inéquitable sur le plan procédural pour la demanderesse. Un interprète différent était présent le deuxième jour d’audience et aucun problème d’interprétation n’a été soulevé.

C.  Refus d’accepter les observations postérieures à l’audience

[41]  Le conseil de la demanderesse conteste le refus de la Section de la protection des réfugiés d’accepter les observations postérieures à l’audience qui ont été présentées par le conseil deux jours après la conclusion de l’audience. Il affirme que, bien qu’aucune demande officielle n’ait été déposée en application de l’article 43 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles de la Section de la protection des réfugiés), afin d’être autorisé à déposer les observations, tous les éléments exigés par la règle sont présents. Il soutient que la valeur probante et la pertinence des observations sont évidentes. Les observations ont été déposées à la suite des longs arguments du défendeur et du volume considérable de documents divulgués. Il affirme également que le tribunal aurait pu appliquer l’article 70 des Règles afin de prolonger le délai pour accepter les observations.

[42]  Il n’y a aucun fondement à l’argument de la demanderesse selon lequel il était inéquitable sur le plan procédural de ne pas accepter les observations postérieures à l’audience. Plusieurs raisons justifient le rejet des arguments. L’article 43 des Règles ne s’applique pas. Cette disposition établit une procédure pour le dépôt d’éléments de preuve après une audience, et non pour le dépôt d’observations. Même si l’article 70 des Règles permet à la Section de la protection des réfugiés de prolonger le délai pour le dépôt de documents, les observations n’étaient pas vraiment en retard, puisque le conseil avait déjà présenté des observations écrites après la première journée d’audience et avait présenté des observations de vive voix à la conclusion de l’audience. L’objectif des observations postérieures à l’audience était de répondre aux arguments du défendeur. Le conseil avait déjà répondu oralement aux observations présentées de vive voix par le défendeur, à la fin de l’audience, avant les siennes. En ce qui concerne les observations écrites en général, le paragraphe 10(7) des Règles de la Section de la protection des réfugiés prévoit que les représentations doivent être faites de vive voix à la fin de l’audience, à moins qu’il n’en soit ordonné autrement. Soit dit en passant, je constate en examinant les observations qu’elles répètent essentiellement les observations écrites et les observations présentées de vive voix au tribunal.

D.  La décision ou la conclusion selon laquelle la demande est manifestement infondée est-elle déraisonnable?

[43]  La demanderesse fait état de trois plaintes liées au caractère raisonnable de la décision. Elle prétend que le tribunal a effectué une dissection microscopique des éléments de preuve sur son séjour en prison. Elle affirme également que, même si l’on présume que le tribunal a pris en considération l’ensemble des éléments de preuve qu’il a reçus, il n’a pas fait référence aux quatre documents importants et très pertinents qui ont été présentés (et désignés globalement comme la pièce 8), soit les citations à comparaître de la police, le certificat médical et les deux mandats de la police. Elle soutient également que la Section de la protection des réfugiés n’a ni mentionné ni pris en considération les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives sur la persécution fondée sur le sexe), et que le traitement de la preuve montre un manque de compréhension, de sympathie et de perspicacité à l’égard des dangers auxquels les femmes sont exposées en Éthiopie.

1)  Y a-t-il eu une analyse microscopique du séjour en prison de la demanderesse?

[44]  La demanderesse s’oppose à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle son témoignage au sujet de l’emplacement des toilettes dans la prison et de son accès à de l’air frais était contredit par l’élément de preuve documentaire figurant dans le cartable national de documentation (CND). La demanderesse soutient qu’il s’agissait là d’une analyse microscopique. Au contraire, les questions ont clairement été posées par la Section de la protection des réfugiés afin de vérifier si la demanderesse avait bien été détenue à la prison. Sa réponse à l’audience était que la toilette se trouvait dans la cellule avec les prisonnières. Le CND indiquait que les toilettes et les douches se trouvaient à côté des cellules des femmes, et non dans les cellules. De même, le CND indiquait que les cellules des femmes sont ouvertes pendant la journée pour qu’elles puissent avoir de l’air frais et qu’il y a une petite cour dans laquelle les détenues sont amenées pour prendre l’air. Dans son témoignage, la demanderesse a affirmé que la seule source d’air frais était une petite fenêtre dans la cellule. Durant l’audience, les contradictions ont été présentées à la demanderesse, et elle a répondu que la toilette était à l’intérieur de la pièce, mais dans un coin séparé, et que même s’il est possible qu’il y ait eu une zone pour prendre l’air, tout ce qu’elle a vu est la pièce dans laquelle elle a été emprisonnée.

[45]  La Section de la protection des réfugiés a privilégié les éléments de preuve contenus dans le CND, qui compte 76 pages et traite uniquement des conditions de détention à la prison de Maekelawi, parce qu’il a été rédigé à partir de sources variées, en fonction d’une méthodologie de recherche sérieuse et sans lien avec l’issue de la présente demande d’asile. Il s’agit là d’une conclusion raisonnable. À mon avis, l’importance accordée aux éléments de preuve sur l’aménagement physique de la prison ne constituait pas un examen microscopique de la preuve; ils étaient essentiels pour déterminer si la demanderesse pouvait décrire l’établissement correctionnel dans lequel elle prétend avoir été détenue.

2)  A-t-on écarté des éléments de preuve pertinents?

[46]  La demanderesse s’appuie sur la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35, au paragraphe 17, pour affirmer que les éléments de preuve importants consignés à la pièce 8 n’ont pas été pris en considération. La Cour peut donc en conclure que la Section de la protection des réfugiés a tiré une conclusion de fait erronée sans égard aux éléments de preuve.

[47]  J’admets que cet argument me laisse perplexe. La demanderesse dit que la Section de la protection des réfugiés n’a pas consulté les documents, mais aux paragraphes 14 et 16 à 20 inclusivement, le tribunal traite précisément des documents, sur deux pleines pages de sa décision, sous le titre « Communication de documents propres à la demandeure d’asile ». Le tribunal souligne que, même si les documents ont été mentionnés dans le formulaire FDA en tant que documents à fournir, et même si la Section de la protection des réfugiés a expressément demandé le 10 juin 2015 qu’ils soient divulgués, les documents n’ont été déposés que le 22 juillet 2015, c’est-à-dire après la date limite pour le dépôt des documents. Les documents sont tous datés de mai 2014. À l’audience, et conformément à ce qui est souligné dans la décision, la demanderesse a été interrogée au sujet des documents. Elle n’a pas réussi à donner une réponse satisfaisante quand on lui a demandé pourquoi il lui a fallu autant de temps pour produire les documents. L’on soulignait dans la décision que les citations à comparaître n’avaient pas été mentionnées dans le formulaire FDA de la demanderesse, et qu’elle n’avait pu expliquer pourquoi un des documents ne faisait pas état de son défaut de se présenter aux autorités le 12 mai 2014, après avoir été mise en liberté. La conclusion de la Section de la protection des réfugiés était la suivante :

Dans l’ensemble, je considère que les documents contenus à la pièce 8 soulèvent diverses préoccupations quant à la crédibilité en ce qui a trait au délai et à la concordance avec les allégations consignées dans le formulaire FDA, ou aux omissions dans le formulaire FDA, ainsi qu’à la valeur probante des documents eux-mêmes. Je n’accorde pas de poids aux documents, compte tenu de l’incapacité de la demandeure d’asile de dissiper de manière raisonnable les préoccupations quant à la crédibilité soulevées par les documents.

[48]  Conformément à ce qui précède, il n’y a absolument aucun fondement à l’allégation de la demanderesse selon laquelle la Section de la protection des réfugiés a fait abstraction d’éléments de preuve importants et n’a fait qu’une déclaration générale indiquant que l’ensemble des éléments de preuve ont été pris en considération.

3)  La Section de la protection des réfugiés a-t-elle fait fi des Directives sur la persécution fondée sur le sexe?

[49]  Bien que la demanderesse n’ait pas soulevé la question traitant des Directives sur la persécution fondée sur le sexe, ni à l’audience ni dans ses observations écrites ou orales, elle soutient que la Section de la protection des réfugiés n’a pas fait mention de ces directives et ne les a pas appliquées. Le défendeur affirme que selon le formulaire FDA, il n’y avait aucune raison de considérer que la demande d’asile de la demanderesse avait un lien avec la persécution fondée sur le sexe. Alors qu’au deuxième jour d’audience la demanderesse a bel et bien prétendu avoir été violée en prison, elle a expliqué qu’elle n’avait pas fait cette révélation dans son formulaire FDA ou lors de la première journée d’audience parce qu’elle n’avait pas voulu dévoiler cette information à son conseil qui était un homme

[50]  La Section de la protection des réfugiés s’est penchée dans une certaine mesure sur l’allégation de viol, soulignant que l’explication selon laquelle elle ne pouvait divulguer l’allégation parce que son conseil était un homme ne suffisait pas pour justifier le fait qu’elle n’avait pas fait allusion au viol dans son formulaire FDA, n’avait pas demandé un tribunal composé d’une femme avant l’audience, n’avait pas modifié son formulaire FDA afin de tenir compte de cette allégation et ne l’avait pas ajoutée à son témoignage lors de la première journée d’audience. La Section de la protection des réfugiés a souligné qu’en réponse aux questions posées par son conseil à la deuxième journée d’audience, la demanderesse a fait quelques déclarations selon lesquelles les femmes ne sont pas perçues comme des humains en Éthiopie, mais elle n’a pas étoffé ses déclarations. La Section de la protection des réfugiés a jugé que la demanderesse n’avait pas avancé la question du genre comme fondement à sa demande d’asile, et qu’elle n’avait pas présenté d’allégations crédibles fondées sur son genre.

[51]  Les Directives sur la persécution fondée sur le sexe ont été prises en considération dans la décision Correa Juarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 890, alors que le juge Kelen a examiné les principes et déterminé au paragraphe 12 que la question de savoir si les Directives sur la persécution fondée sur le sexe ont été appliquées est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. L’application des Directives sur la persécution fondée sur le sexe a été prise en considération dans un certain nombre d’affaires, à la suite desquelles différents principes ont fait surface, les plus pertinents pour la présente affaire étant les suivants :

i.  Il ne semble pas y avoir de mécanisme objectif précis qui déclenche l’application des directives. Par conséquent, il faut examiner la nature et les motifs de la persécution que craint de subir une revendicatrice pour établir s’il convient de tenir compte des directives dans le contexte d’une demande donnée : Higbogun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 445, aux paragraphes 55 et 56.

ii.  Les lignes directrices sont un outil dont le tribunal de la Section de la protection des réfugiés peut se servir pour évaluer les éléments de preuve présentés par les femmes qui affirment avoir été victimes de persécution fondée sur le sexe. Les lignes directrices ne créent pas de nouveaux motifs permettant de conclure qu’une personne est victime de persécution : Newton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 182 FTR 294, au paragraphe 17.

iii.  Les Directives ne sont cependant pas conçues en elles-mêmes pour corriger toutes les lacunes que comportent la demande ou la preuve de la demanderesse : Karanja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 574, au paragraphe 5.

iv.  Les Directives ne peuvent pas être invoquées afin de compenser toutes omissions : Khurram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1358, au paragraphe 9.

v.  Cependant, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe existent, en partie, pour s’assurer que les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses ne contrecarrent pas l’évaluation appropriée de la crédibilité d’un demandeur : Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450, au paragraphe 33.

vi.  La Commission n’a aucune obligation de mentionner les directives dans sa décision, tant que les motifs montrent le degré de connaissance, de compréhension et de sensibilité commandé par les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe : Allinagogo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 545, au paragraphe 14.

[52]  La Section de la protection des réfugiés a donné de nombreuses raisons pour appuyer sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible. La Section de la protection des réfugiés avait des doutes concernant des contradictions entre le formulaire FDA et le témoignage de la demanderesse, les dates données, son témoignage au sujet du poste de police, l’utilisation de son passeport alors qu’un mandat d’arrêt pesait contre elle, ainsi que sa preuve documentaire. Le tribunal a évalué directement les allégations de viol de la demanderesse et a déterminé qu’elles n’étaient pas crédibles pour diverses raisons, notamment parce qu’elle n’a pas modifié son formulaire FDA ou ajouté les allégations à son témoignage à la fin de la première journée d’audience, alors qu’elle a demandé à ajouter d’autres éléments. La Section de la protection des réfugiés a conclu que sa déclaration selon laquelle les femmes « ne sont pas perçues comme des humains en Éthiopie », qui peut ressembler à une allégation fondée sur le sexe, n’a été soulevée à aucun autre moment comme fondement pour affirmer une crainte d’être persécutée.

[53]  Les Directives sur la persécution fondée sur le sexe n’ont pas été mentionnées devant la Section de la protection des réfugiés, et la demanderesse n’a présenté aucune allégation fondée sur le sexe avant d’affirmer très tardivement qu’elle avait été violée en prison. Son affidavit postérieur à l’audience, déposé avec sa demande, ne fait aucunement allusion au fait qu’elle a été violée en prison; il indique qu’elle a été battue et accusée de recueillir des fonds pour l’opposition et la milice. Le certificat médical contenu à la pièce 8 ne fait état d’aucune agression qui serait survenue; il indique que la demanderesse était déshydratée et souffrait d’une faiblesse corporelle généralisée. Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, je suis d’avis que la Section de la protection des réfugiés a pris en compte l’allégation fondée sur le sexe formulée par la demanderesse, mais qu’en bout de ligne, elle n’était pas convaincue qu’elle était crédible, compte tenu des éléments de preuve. Rien dans la transcription de l’audience ou dans la décision ne permet de conclure que la Section de la protection des réfugiés a omis de tenir compte et d’évaluer de façon appropriée l’allégation de la demanderesse.

VI.  Conclusion

[54]  Comme le juge l’a affirmé dans la décision Thach, la Cour ne devrait pas substituer son point de vue à celui de la Section de la protection des réfugiés au sujet de la crédibilité, à moins qu’elle ne soit convaincue que la décision est fondée sur des considérations dénuées de pertinence ou que des éléments de preuve importants ont été écartés. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Bien que la demanderesse soit en désaccord avec la décision, elle est étoffée et bien motivée. Les conclusions, y compris celle selon laquelle il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pouvant soutenir une décision favorable, étaient étayées par la preuve.

[55]  À l’heure actuelle, l’analyse menée par la Cour concernant le seuil auquel la Section de la protection des réfugiés pourrait estimer raisonnablement qu’une demande est « clairement frauduleuse » et, par conséquent, manifestement infondée aux termes de l’article 107.1 de la LIPR est très limitée. Il n’est pas nécessaire de déterminer si le seuil a été franchi en l’espèce, puisqu’en plus de conclure que la demande était manifestement infondée, la Section de la protection des réfugiés a également jugé qu’on ne lui avait présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, et que la demande était dépourvue d’un minimum de fondement. Comme une conclusion d’absence de minimum de fondement a le même effet qu’une conclusion selon laquelle une demande est manifestement infondée, si cette conclusion était raisonnable, la décision dans son ensemble l’est aussi.

[56]  Il est clair que la Section de la protection des réfugiés a tiré les conclusions nécessaires pour appuyer sa détermination concernant l’absence de minimum de fondement. Si le seul élément de preuve à l’appui d’une demande est le témoignage du demandeur, une conclusion selon laquelle le demandeur n’est pas crédible est suffisante pour conclure à l’absence de minimum de fondement de la demande : Sheikh v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1990] 3 FCR 238 (CA). Cependant, en présence d’éléments de preuve indépendants et crédibles pouvant étayer une reconnaissance du statut de réfugié, la Section de la protection des réfugiés ne peut conclure à l’absence de minimum de fondement, même si le manque de crédibilité d’un demandeur l’emporte sur ces éléments de preuve : Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89.

[57]  En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés n’a pas simplement conclu que la preuve documentaire présentée par la demanderesse ne pouvait contrebalancer son manque de crédibilité. Elle a plutôt déterminé que les incohérences et les invraisemblances entourant la manière avec laquelle les éléments de preuve ont été obtenus signifiaient qu’il ne fallait pas se fier aux documents eux-mêmes. La Section de la protection des réfugiés n’a accordé aucun poids aux documents à la pièce 8 et a clairement indiqué que les incohérences avaient nui à « la valeur probante des documents eux-mêmes ». La Section de la protection des réfugiés n’a accordé aucun poids aux autres documents fournis par la demanderesse en raison de son manque de crédibilité. Essentiellement, la Section de la protection des réfugiés a conclu soit que les documents fournis par la demanderesse n’étaient pas crédibles (dans le cas des documents à la pièce 8), soit qu’ils n’étaient pas sans lien avec demanderesse (dans le cas des autres documents). La Section de la protection des réfugiés a conclu de façon raisonnable que le témoignage de la demanderesse, ainsi que chacun des éléments de preuve indépendants, n’étaient pas crédibles; ces conclusions relatives à la preuve appuyaient de façon intelligible sa conclusion selon laquelle la demande était dépourvue d’un minimum de fondement.

[58]  En conclusion, le processus décisionnel de la Section de la protection des réfugiés était équitable sur le plan procédural et la décision est raisonnable. Elle appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir. Il ne subsiste aucun doute quant à la raison pour laquelle la Section de la protection des réfugiés en est venue aux conclusions qu’elle a tirées. Conformément à ce que l’on a affirmé dans l’arrêt Khosa, tant le processus que le résultat correspondent aisément aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[59]  La demande est rejetée. En ce qui concerne ces faits, il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de mai 2020

Lionbridge


ANNEXE « A »

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27)

Immigration and Refugee Protection Act (S.C. 2001, c. 27)

Définition de réfugié

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Convention refugee

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

Demande manifestement infondée

107.1 La Section de la protection des réfugiés fait état dans sa décision du fait que la demande est manifestement infondée si elle estime que celle-ci est clairement frauduleuse.

Manifestly unfounded

107.1 If the Refugee Protection Division rejects a claim for refugee protection, it must state in its reasons for the decision that the claim is manifestly unfounded if it is of the opinion that the claim is clearly fraudulent.

Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256)

Refugee Protection Division Rules (SOR/2012-256)

Observations faites oralement

10 (7) Les observations se font oralement à la fin d’une audience, à moins d’une décision contraire de la Section.

Oral representations

10 (7) Representations must be made orally at the end of a hearing unless the Division orders otherwise.

Documents après l’audience

43 (1) La partie qui souhaite transmettre à la Section après l’audience, mais avant qu’une décision prenne effet, un document à admettre en preuve, lui présente une demande à cet effet.

Demande

(2) La partie joint une copie du document à la demande, faite conformément à la règle 50, mais elle n’est pas tenue d’y joindre un affidavit ou une déclaration solennelle.

Éléments à considérer

(3) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

a) la pertinence et la valeur probante du document;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte aux procédures;

c) la possibilité qu’aurait eue la partie, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document aux termes de la règle 34.

Documents after hearing

43 (1) A party who wants to provide a document as evidence after a hearing but before a decision takes effect must make an application to the Division.

Application

(2) The party must attach a copy of the document to the application that must be made in accordance with rule 50, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration.

Factors

(3) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

(a) the document’s relevance and probative value;

(b) any new evidence the document brings to the proceedings; and

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 34.

Pouvoirs de la Section

70 La Section peut, si elle en avise au préalable les parties et leur donne la possibilité de s’opposer :

a) agir de sa propre initiative sans qu’une partie ait à lui présenter une demande;

b) modifier l’exigence d’une règle;

c) permettre à une personne de ne pas suivre une règle;

d) proroger un délai avant ou après son expiration ou l’abréger avant son expiration.

Powers of Division

70 The Division may, after giving the parties notice and an opportunity to object,

(a) act on its own initiative, without a party having to make an application or request to the Division;

(b) change a requirement of a rule;

(c) excuse a person from a requirement of a rule; and

(d) extend a time limit, before or after the time limit has expired, or shorten it if the time limit has not expired.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4589-15

 

 

INTITULÉ :

RAHEL YARED BELAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Nico G. J. Breed

 

Pour la demanderesse

 

Galina M. Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nota Bene Law Group Inc.

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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