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Date : 20161214


Dossier : IMM-2374-16

Référence : 2016 CF 1372

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

UDAYA NISHAN ARUNA KUMARA WATTORUTHANRIGE FERNANDO, SULAKSHANA LAKSHANI JAYARATHNA HEWAGE, MANETH LOSATH FERNANDO WHATTORUTHY ANRIGE ET NELITH LOHITH W. FERNANDO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Résumé

[1]               M. Fernando, sa femme et son fils aîné (les demandeurs) sont des citoyens du Sri Lanka. Le benjamin de la famille est un citoyen canadien. M. Fernando est arrivé au Canada en mai 2013. La femme de M. Fernando est arrivée au Canada en décembre 2014. Tous les deux étaient titulaires d’un permis de travail valide jusqu’en janvier 2016.

[2]               Invoquant des motifs d’ordre humanitaire – leur établissement au Canada et l’intérêt supérieur de leurs enfants –, les demandeurs ont soumis une demande en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) (la LIPR) pour obtenir une dispense qui leur permettrait de présenter une demande de résidence permanente au Canada.

[3]               Après avoir examiné la demande, un agent d’immigration supérieur (l’agent) a conclu que les circonstances et les facteurs invoqués par les demandeurs ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demande a été refusée.

[4]               Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent, au motif que celui-ci est parvenu à une décision déraisonnable à l’égard de l’argument de l’intérêt supérieur des enfants. Les demandeurs font valoir par surcroît que le traitement par l’agent n’a pas traité de manière satisfaisante la question de leur établissement au Canada.

[5]               L’unique question soulevée dans la présente demande a trait au caractère raisonnable de la décision de l’agent.

[6]               Je suis d’avis que l’agent s’est prononcé après avoir dûment tenu compte des facteurs relevés dans la demande, de même que de l’intérêt supérieur des enfants au vu des arguments et des éléments de preuve présentés. L’agent a rendu une décision raisonnable. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.                 La norme de contrôle applicable

[7]               Dans leur plaidoirie, les demandeurs ont fait référence à la norme de la décision correcte, mais ils ont fait valoir par ailleurs que la décision est déraisonnable. La jurisprudence établit sans équivoque que la norme de la décision raisonnable s’applique si l’objet d’un contrôle est le caractère raisonnable global d’une décision discrétionnaire (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 50; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 44).

III.               La preuve extrinsèque

[8]               Le défendeur souligne que le décideur ne disposait pas des éléments de preuve figurant aux pages 118 à 136 du dossier des demandeurs. Dans sa plaidoirie, l’avocat des demandeurs a admis que les éléments de preuve en question n’avaient pas été soumis au décideur, mais il a rappelé néanmoins qu’ils étaient tirés en partie du Cartable national de documentation (CND) du Sri Lanka.

[9]               Le défendeur ajoute que l’agent n’avait pas en main la pièce B de l’affidavit souscrit par M. Fernando le 5 juillet 2016, ni aucune des pièces jointes à un autre affidavit souscrit par M. Fernando le 11 octobre 2016. Lesdits éléments de preuve concernent la vente d’une résidence au Sri Lanka et le transfert depuis le Canada de fonds à des membres de la famille des demandeurs au Sri Lanka. Le défendeur estime que ces éléments de preuve devraient être écartés, ou que la Cour ne devrait pas en tenir compte.

[10]           Sous réserve d’exceptions précises – qui ne sont pas présentes en l’espèce –, le contrôle judiciaire doit se restreindre aux documents dont disposait le décideur initial (Rafieyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 727, au paragraphe 20). Les demandeurs ont fait valoir que les pages 118 à 136 de leur dossier de preuve contenaient des extraits du CND, mais ils ont omis de préciser de quelles pages ils provenaient au juste.

[11]           J’ai lu les pages 118 à 136 du dossier des demandeurs, qui renferment divers articles sur la dengue au Sri Lanka, des extraits d’un rapport sur la traite des personnes publié en 2015 par le Département d’État des États-Unis, des extraits d’un rapport sur la situation du pays publié en 2015 par l’organisme Human Rights Watch, ainsi qu’un document de deux pages de source non identifiée sur les risques auxquels sont exposés les enfants au Sri Lanka. Cette preuve documentaire est de nature générique. Les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi ces éléments de preuve n’ont pas été soumis à l’agent, et ils ne proposent aucun argument qui justifierait que la Cour les prenne en considération au stade du contrôle judiciaire. Je n’ai pas tenu compte des éléments de preuve figurant aux pages 118 à 136 du dossier des demandeurs, de la pièce B de l’affidavit souscrit par M. Fernando le 5 juillet 2016, ni des pièces jointes à un autre affidavit qu’il a souscrit le 11 octobre 2016.

IV.              Analyse

A.                 La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[12]           Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas examiné et apprécié l’argument de l’intérêt supérieur des enfants. Plus particulièrement, les demandeurs reprochent à l’agent de ne pas avoir pris en considération le risque que les enfants soient exposés à de la violence physique et sexuelle au Sri Lanka, y compris le risque de recrutement par des groupes armés. L’agent a conclu de manière déraisonnable que les éléments de preuve relatifs au risque de préjudice sont insuffisants. Les demandeurs estiment qu’ils ont fourni amplement d’exemples de préjudices que pourraient subir les enfants si la famille devait retourner vivre au Sri Lanka. Ils ajoutent qu’ils sont établis au Canada, qu’ils entretiennent très peu de liens avec le Sri Lanka, qu’ils ne pourront y trouver un emploi et qu’ils seront condamnés à une vie d’indigence. Selon eux, l’agent a commis une erreur en concluant que la preuve relative aux préjudices est insuffisante pour justifier une dispense. Je ne suis pas d’accord.

[13]           Au sens du paragraphe 25(1) de la LIPR, tel que le rappelle le juge John Maxwell Evans au nom d’une Cour d’appel fédérale unanime, « [...] le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires » (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5). L’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] de la Cour suprême ne modifie pas ce principe (D’Aguiar-Juman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 6, au paragraphe 9).

[14]           Un décideur doit se montrer réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur d’un enfant, et accorder tout le poids qu’il mérite à ce facteur. Cela étant dit, cet intérêt ne l’emporte pas forcément sur les autres considérations (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75). Comme le fait remarquer la juge Justice Rosalie Abella, « [l]’application du principe de l’”intérêt supérieur de l’enfant [...] dépen[d] fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant”. […] Elle doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité. [...] Le degré de développement de l’enfant déterminera l’application précise du principe dans les circonstances particulières du cas sous étude. » (Kanthasamy, au paragraphe 35).

[15]           En l’espèce, l’agent a pris en considération les circonstances touchant les enfants en cause : 1) il a déterminé leur âge; 2) il a évalué leur degré d’établissement au Canada; 3) il a examiné leurs liens avec le Sri Lanka; 4) il a tenu compte des conditions au Sri Lanka, et notamment de leurs répercussions possibles sur les enfants; 5) il a déterminé si des problèmes de santé ou des besoins particuliers devaient entrer en ligne de compte, et 6) il a soupesé les répercussions d’un retour au Sri Lanka sur leur éducation. 

[16]           Après avoir admis que les normes en matière d’éducation étaient sans doute plus élevées au Canada, l’agent a souligné qu’en raison de leur âge, les enfants ne tireraient pas de bénéfice appréciable du système d’éducation canadien. Il fait remarquer en outre que peu d’éléments de preuve précis, voire aucun, étayent l’argument voulant que l’accès à l’éducation soit difficile au Sri Lanka. Pour ce qui concerne les soins de santé, l’agent convient que le système canadien peut également être supérieur à celui du Sri Lanka, mais que rien dans le dossier de preuve ne permet de penser que l’un des enfants souffre de problèmes de santé importants ou que leur santé se détériorera s’ils retournent au Sri Lanka avec leurs parents. L’agent a aussi envisagé les conséquences d’une séparation d’avec les amis et les voisins, mais il a estimé qu’elles seraient tempérées par la présence des parents et de la famille élargie au Sri Lanka. L’exposé des préoccupations à l’égard de la situation des droits de la personne et de son incidence pour les enfants a été jugé [traduction] « sommaire, abstrait et insuffisamment détaillé ». Ayant pris tous ces éléments en considération, l’agent a conclu que les demandeurs n’ont pas rempli leur charge de produire une preuve suffisante.

[17]           Il a de plus examiné les éléments de preuve soumis par les demandeurs pour démontrer leur établissement au Canada (possession d’une voiture, acquittement des impôts, activités de bénévolat et dossier d’emploi, qui indique que M. Fernando est au chômage). L’agent a jugé que la preuve insuffisante ne lui permettait pas de conclure que les compétences et l’expérience des demandeurs ne pourraient pas être mises à contribution au Sri Lanka. Il ajoute que les demandeurs entretiennent des liens soutenus avec leur famille au Sri Lanka et que le dossier de preuve donne peu de raisons de croire que celle-ci ne les aidera pas à se réinstaller dans leur pays. À nouveau, l’agent conclut que la preuve insuffisante ne justifie pas d’accueillir la demande fondée sur des motifs humanitaires.

[18]           Les demandeurs ne sont pas d’accord avec l’agent, mais la contestation d’une décision ne lui confère pas d’office un caractère déraisonnable. L’agent a procédé à un examen rigoureux des éléments de preuve et des facteurs invoqués à l’appui de la demande. Il a pris en compte l’intérêt supérieur des enfants et le degré d’établissement des demandeurs au Canada, et il est parvenu à la conclusion qu’ils ne s’étaient pas acquittés de la charge de prouver le risque de préjudice.

[19]           La décision satisfait aux exigences relatives à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.                 Conclusion

[20]           La demande est rejetée. Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2374-16

 

INTITULÉ :

UDAYA NISHAN ARUNA KUMARA WATTORUTHANRIGE FERNANDO, SULAKSHANA LAKSHANI JAYARATHNA HEWAGE, MANETH LOSATH FERNANDO WHATTORUTHY ANRIGE ET NELITH LOHITH W. FERNANDO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Manjit Malia

 

Pour les demandeurs

 

Galina Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Walia Law Office

Avocats et notaires

Calgary (Alberta)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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