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Date : 20161229


Dossier : T-450-16

Référence : 2016 CF 1413

Fredericton (Nouveau Brunswick) le 29 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

(ci-après l’« Administration »)

demanderesse

et

CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

(ci-après la « Corporation »)

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la sentence arbitrale de l’honorable Pierre A. Michaud [l’Arbitre], datant du 17 février 2016, dans laquelle il a choisi l’offre finale de la Corporation quant au renouvellent d’un contrat de service. L’Arbitre a exercé le pouvoir qui lui a été octroyé par l’article 15.2 de la Loi sur le pilotage, LRC 1985, c P-14 [la Loi].

[2]               Pour les raisons qui suivent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire.

II.                Contexte

[3]               L’Administration est une société fédérale régie par la Loi et chargée d’administrer et de fournir des services de pilotage dans la région des Laurentides, notamment dans les eaux du Fleuve Saint-Laurent. Afin de remplir son mandat d’assurer une navigation sécuritaire et efficace des navires, l’Administration retient les services de la Corporation par l’entremise d’un contrat de service pour le louage des services de pilotes brevetés et la formation d’apprentis-pilotes.

[4]               La Corporation, pour sa part, est une personne morale de droit privé qui offre des services de pilotage maritime dans la circonscription comprise entre le port de Québec et le port de Montréal. Les objets de la Corporation sont précisés dans le contrat de service intervenu avec l’Administration :

[…] la Corporation a pour objets, entre autres, de négocier les meilleurs avantages monétaires de le meilleur contrat de louage de service pour les services de pilotes brevetés, de promouvoir l’avancement de la profession de pilote maritime et de s’assurer de la navigation sécuritaire dans les circonscriptions […]

[5]               La Corporation se dote d’un monopole sur les services de pilotage dans sa circonscription.

[6]               La Loi met en place l’objet et les pouvoirs de l’Administration, aux articles 18 et 20 respectivement, comme suit :

18. Une Administration a pour mission de mettre sur pied, de faire fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace dans la région décrite à l'annexe au regard de cette Administration.

20. (1) Une Administration peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, prendre les règlements généraux nécessaires à l'exécution de sa mission et, notamment :

[…]

d) fixer, le cas échéant, le préavis que doit donner un navire de son heure d’arrivée prévue dans une zone de pilotage obligatoire ou de son heure de départ prévue d’un endroit situé dans une zone de pilotage obligatoire, ainsi que la forme du préavis.

[7]               Par conséquent, avec l’approbation du Gouverneur en conseil, l’Administration peut mettre en place des règlements généraux pour assurer l’exécution de sa mission.

[8]               Le contrat de service arrivant à échéance, l’Administration et la Corporation ont tenu environ 29 séances de négociation entre mars 2015 et octobre 2015 afin de renouveler le contrat entre les parties. Les parties ont convenu de prolonger le contrat existant pour un autre cinq ans (jusqu’au 30 juin 2020) à l’exception de certaines questions litigieuses qui ont été soumises à l’Arbitre).

[9]               En vertu de l’article 15.2(1), l’Arbitre devait choisir l’une ou l’autre des offres finales dans leur intégralité. Pour les raisons énoncées dans la sentence arbitrale, l’Arbitre a choisi celle de la Corporation. L’offre finale de la Corporation est donc devenue définitive et obligatoire.

III.             La décision arbitrale

[10]           L’Arbitre a examiné les six aspects contestés du nouveau contrat. Je ne mentionnerai que le premier et le sixième aspect faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Ceux-ci se résument comme suit :

1.                  Les articles 11.02 de l’Annexe D et 9.02 de l’Annexe C, qui traitent de la reprise du navire par le capitaine de celui-ci;

2.                  La lettre d’entente no 13 sur le préavis de départ de nuit.

[11]           L’Arbitre a correctement précisé que tous les éléments de l’offre de l’une ou l’autre des parties doivent être valides et légaux pour être raisonnables, sans quoi la décision de l’arbitre serait elle-même invalide.

[12]           Devant l’Arbitre, l’Administration a plaidé que l’offre finale de la Corporation était ultra vires, puisque les dispositions traitant des deux aspects ci-dessus avaient pour effet d’usurper le pouvoir réglementaire de l’Administration et du gouverneur en Conseil, ce pouvoir provenant du Règlement de l’Administration de pilotage des Laurentides, CRC, ch 1268 [Règlement].

[13]           Dans son analyse sur la légalité de l’offre finale de la Corporation, l’Arbitre a invoqué la décision Pilotes du Saint-Laurent Central Inc c Administration de pilotage des Laurentides, 2002 CFPI 846, [2002] ACF no 1118 [Pilotes 2002], où cette Cour a analysé l'effet de la convention régissant la relation entre ces mêmes parties. À mon avis, l’Arbitre a erronément retenu de celle-ci qu’il n’existe pas de hiérarchie du pouvoir règlementaire de l’Administration sur ses obligations contractuelles. Même si je considère qu’il y a une hiérarchie et que les règlements doivent toujours être respectés lors de négociations, je suis d’accord avec l’Arbitre et le juge Pelletier, alors juge de la Cour fédérale, dans Pilotes 2002 à l’effet que l’Administration peut accomplir sa mission par règlement, par négociation ou par une combinaison des deux.

[14]           L’Arbitre a conclu en disant qu’il retenait l’offre de la Corporation dans son intégralité, pour des raisons qui seront discutées plus tard.

IV.             Questions en litige

[15]           Les questions devant cette Cour sont les suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable ?

2.                  Est-ce que l’offre retenue par l’Arbitre, en l’espèce celle de la Corporation, est ultra vires de la législation, et, par conséquent, déraisonnable ?

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[16]           L’Administration soutient que, compte tenu de la nature des motifs de contestation de la sentence arbitrale, il n’y a pas lieu d’appliquer une norme de contrôle. Je ne puis appuyer cette proposition. Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 SCC 9 au para 62, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] établit que cette Cour doit vérifier si la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante le degré de déférence approprié. Dans la présente affaire, les parties n’ont pas renvoyé la Cour à des décisions où la norme de contrôle a été déterminée dans le contexte de décisions arbitrales tombant sous le coup de l’article 15.2 de la Loi; il faut donc entreprendre cette analyse.

[17]           Selon Dunsmuir, précité, il faut considérer plusieurs facteurs : une clause privative, un régime administratif particulier dans lequel le décideur a une expertise, et la nature et l’importance de la question de droit. La présence de ces facteurs milite en faveur de la déférence et de la norme de raisonnabilité.

[18]           Pour ce qui a trait au premier facteur, la Corporation soutient que la Loi contient l’équivalent d’une clause privative, au paragraphe 15.2(3), qui se lit comme suit :

(3) La dernière offre choisie par l’arbitre est définitive et obligatoire et est incorporée au contrat de louage de services renouvelé, lequel prend effet à la date d’expiration du contrat précédent.

[19]           Elle s’appuie sur la décision National Gypsum (Canada) LTD c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 CF 869 au para 49, [2014] ACF no 1293 [National Gypsum], où la juge Strickland a trouvé qu’une disposition de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10, en vertu de laquelle l'arbitre était tenu de choisir l’offre finale d’une des deux parties, ressemblait à une clause privative. Je suis d’avis qu’il en est de même pour le paragraphe 15.2(3) de la Loi.

[20]           Pour ce deuxième facteur, l’Administration soutient que l’Arbitre n’a pas d’expertise relativement à l’application de la Loi, et que la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Or, l’Arbitre a été choisi par consensus entre les deux parties. Bien que je reconnaisse que l’Arbitre n’exerce pas le même niveau d’expertise dans l’application de la Loi qu’un véritable décideur administratif devant sa loi habilitante, j’appuie la position que « si un arbitre a été choisi […] et s’il s’acquitte du mandat que prévoit ce régime, il faut donc présumer qu’il a acquis une expertise spéciale » (National Gypsum, précité, au para 48). De plus, c’est généralement la norme de la décision raisonnable qui s'applique à l’interprétation « d’une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (Dunsmuir, précité, au para 54). Par conséquent, je suis d’avis que l’Arbitre est doté d’une expertise qui milite en faveur de la norme de contrôle de raisonnabilité.

[21]           Finalement, cette question ne revêt pas d’une grande importance pour le système juridique. Elle concerne l’Administration et la Corporation. Ayant conclu en la présence des deux premiers éléments et en l’absence d’une question de droit de portée générale, je conclus que les questions en litige attirent la norme de contrôle de la décision raisonnable.

B.                 Est-ce que l’offre de la Corporation est ultra vires?

[22]           L’Administration revendique deux aspects de l’offre finale de la Corporation, soit la relève du pilote par le capitaine du navire, et le préavis du départ de nuit.

(1)               La relève du pilote par le capitaine du navire

[23]           L’article 26 de la Loi prévoit certaines instances où le capitaine d’un navire peut relever le pilote de ses fonctions :

26 (1) Malgré les autres dispositions de la présente partie, le capitaine d’un navire qui a des motifs raisonnables de croire que les actes d’un pilote breveté ou du titulaire d’un certificat de pilotage qui se trouvent à bord du navire mettent, de quelque façon que ce soit, le navire en danger peut, pour la sécurité du navire, en assurer la conduite à la place du pilote ou du titulaire ou relever le pilote de ses fonctions à bord du navire.

[Je souligne.]

[24]           Il s’agit là de la seule disposition permettant au capitaine d’assurer la conduite du navire lorsque celui-ci est en danger. Or, au cours de l’arbitrage, la preuve a démontré que les capitaines et/ou armateurs ont abusé de ce pouvoir. En effet, quatre compagnies avaient une politique systématique où, pendant l’appareillage et l’accostage du navire, les capitaines assuraient la conduite du navire même si celui-ci n’était pas en danger. D’ailleurs, ces politiques sont restées en vigueur même après que l’Administration en ait pris connaissance et celle-ci n’a entrepris aucune mesure pour pallier à cette supposée contravention de la Loi. C’est pour cette raison que la Corporation a mis en place dans son offre finale l’ajout de l’article suivant (qui se trouve aux articles 11.02 de l’Annexe B et 9.02 de l’Annexe C) :

Lorsque l’Administration est informée qu’un capitaine a relevé un pilote pour des motifs autres que ceux prévus à l’article 26(1) de la Loi, elle prend, le cas échéant, les mesures nécessaires pour que cesse immédiatement cette pratique et pour éviter une récidive de la part du capitaine et/ou de l’armateur.

[25]           L’Administration soutient que cette disposition porte illégalement atteinte à son pouvoir discrétionnaire de faire respecter la Loi, en lui usurpant les pouvoirs suivants : (i) déterminer s’il y a eu une violation de l’article 26 de la Loi; et (ii) choisir le moyen pour assurer le respect de la Loi. En somme, l’Administration est d’avis que cette disposition l’oblige à imposer des sanctions dans des cas qui, à son avis, ne le justifieraient pas. Sur ce point, la Corporation précise que le fait d’informer l’Administration d’un bris de la Loi ne lui impose pas forcément l’obligation d’agir. À l’appui de sa prétention, la Corporation note la présence des mots « le cas échéant » dans le texte de son offre.

[26]           L’Administration jouit d’un grand pouvoir discrétionnaire pour faire respecter la Loi. De plus, l’article 48 de la Loi permet à n’importe quel individu de porter plainte aux autorités civiles, y compris la Corporation. En effet, cet article prévoit des sanctions en cas de contravention à la Loi. Je suis d’avis que personne, y inclus l’Administration, ne peut et ne devrait être obligé de déposer une plainte aux autorités ou de prendre une quelconque action à l’encontre d’un individu. De mon point de vue, cette liberté de porter plainte ou non, constitue une partie intégrale de notre société. Si la Corporation est d’avis qu’un capitaine, armateur ou autre personne enfreint la Loi, celle-ci n’est pas interdite de porter plaintes aux autorités.

[27]           Si l’Administration doit répondre aux demandes de la Corporation en prenant des mesures contre un armateur ou capitaine qui aurait contrevenu à l’article 26, le pouvoir discrétionnaire de l’Administration est en pratique délégué en premier lieu aux pilotes. D’autre part, si l’Administration refuse de « prendre les mesures nécessaires pour que cesse immédiatement cette pratique et pour éviter une récidive de la part du capitaine et/ou de l’armateur » (n’ayant donc d’autre choix que de prendre action contre un présumé contrevenant), et ce refus est contesté par voie d’un grief, le pouvoir discrétionnaire de l’Administration est délégué à un arbitre.

[28]           L’affaire Happy Adventure Sea Products (1991) Ltd v Newfoundland and Labrador (Minister of Fisheries and Aquaculture), 2006 NLCA 61 au para 24, 260 Nfld & PEIR 344 a traité de la question à savoir si une autorité publique peut conclure des contrats qui limitent son pouvoir discrétionnaire conféré par la loi. En appliquant cette affaire au cas en l’espèce, j’en conclus qu’il revient à l’Administration d’exercer son pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures afin d’assurer le respect de l’article 26 de la Loi. L’ajout de la clause contestée usurpe le pouvoir discrétionnaire de l’Administration et, par conséquent, la décision de l’Arbitre sur ce point n’est pas raisonnable.

(2)               Les préavis de départ de nuit

[29]           L’article 8 du Règlement prévoit certains délais pour les préavis requis lorsqu’un navire a besoin d’un pilote :

8 Le propriétaire, le capitaine ou l’agent d’un navire qui doit quitter un poste dans la zone de pilotage obligatoire pour une raison quelconque, sauf pour effectuer un déplacement, doit, en appelant un centre d’affectation des pilotes,

a) donner un premier préavis de 12 heures de l’heure prévue du départ du navire; et

b) donner un dernier préavis d’au moins quatre heures pour confirmer ou corriger l’heure de départ prévue.

[30]           L’article 10 traite des délais à respecter lorsque le propriétaire, le capitaine, ou l’agent du navire veulent corriger l’heure de départ.

[31]           À titre de rappel, le Règlement a été mis en place par l’Administration en vertu de l’article 20 de la Loi, qui lui donne le pouvoir de mettre en place des règlements pour fixer, entre autres, le préavis que doit donner un navire de son heure d’arrivée prévue dans une zone de pilotage obligatoire ou de son heure de départ prévu.

[32]           La Corporation soutient que la lettre d’entente no 13 prévoit des normes plus restrictives que celles dans le Règlement, voire incompatibles. Elle soutient que l’Administration ne peut pas contracter aux fins de limiter ses pouvoirs règlementaires ou s’engager à l’avance de « fournir des services qui sont de nature à limiter sa discrétion en matière règlementaire ».  À l’appui de ses prétentions, l’Administration note qu’elle requiert l’approbation du Gouverneur en conseil pour adopter ses règlements. La Corporation s’oppose à ces propositions et cite l’article 15 de la Loi. Cette disposition dicte la démarche à suivre dans le cas où l’Administration et la Corporation ne s’entendent pas quant au renouvellement du contrat de service pour l’affectation des pilotes. Je souligne ce dernier terme puisqu’il deviendra important pour la position de la Corporation.

[33]           Tel que mentionné précédemment, l’article 15.2 permet à un arbitre, lorsque le processus de négociation du renouvellement de contrat soulève des questions litigieuses de choisir l’offre finale d’une des deux parties, laquelle sera « définitive et obligatoire et [sera] incorporée au contrat de louage de services renouvelé ». À cet effet, je souligne premièrement que l’Administration connaissait d’emblée le sort possible de l’arbitrage, et  que celle-ci a tenté de négocier les délais de préavis existants.

[34]           Les parties ont même créé un comité avec deux représentants de chaque partie et un président choisi par les deux parties pour faire des recommandations au sujet du préavis de départ dans la nuit. L’Arbitre a rappelé dans sa sentence arbitrale que, tel qu’établi par les parties, il devait tenir compte des recommandations du comité dans son analyse des offres finales. L’Arbitre a conclu que « les questions analysées à l’étude de risque sur la durée sécuritaire d’un transit lorsqu’effectué par un seul pilote par Innovation Maritime et à celles du comité de suivi de l’étude se rapprochent davantage des offres de la Corporation […] ».

[35]           De plus, l’Administration peut légalement exercer sa mission par règlement ou par contrat (voir la décision Pilotes 2002, précité). Dans cette affaire, qui opposait les mêmes parties, le juge Pelletier, alors juge de la Cour fédérale, s’est penché sur l’intention du législateur pour résoudre cette même question :

38 L'article 20 de la Loi sur le pilotage ne limite pas la marge de manœuvre de l'Administration. Elle lui confère le pouvoir d'agir par règlement dans certains cas, sans l'obliger de le faire […]

46 La Loi n'impose aucune limite aux conditions que pourraient négocier une Administration et une représentante des pilotes. Même, elle oblige l'arbitre à choisir entre la dernière offre déposée par chacune des parties. Cet exemple ne sert pas à démontrer que tout terme d'un contrat de louage de services est à l'abri de révision judiciaire pour excès de compétence, mais il sert plutôt à signaler que la question de sécurité de la navigation se pose dans un contexte où les relations contractuelles établies avec la représentante des pilotes sont, elles aussi, visées par la Loi.

49 Il est accepté dans la jurisprudence et la doctrine qu'une autorité publique a la capacité de satisfaire sa mission par contrat, sous réserve des dispositions de la loi qui la régit. […] Association des juristes de l'État c. Gil Rémillard, [1994] R.J.Q. 2909, aux pages 2915 et 2917 : […]

[36]           L’Administration prétend que l’article contesté est en conflit avec le préavis qui se trouve à l’article 8 du Règlement et crée des attentes différentes pour les capitaines des navires. De plus, l’Administration prétend que les capitaines devraient avoir une certitude en ce qui concerne leurs heures de départ. Pour appuyer sa position, elle se réfère aux coûts qui s’accumulent lorsqu’un navire est au quai. Pour sa part, la Corporation a énuméré, devant l’Arbitre et devant cette Cour, des articles du contrat actuel pouvant contenir des contradictions dans le Règlement et le contrat en ce qui concerne les attentes des capitaines. Par exemple, l’article 6.06, négocié en 1994, se lit ainsi :

Un départ d’un navire, à quai, au mouillage, ou à l’écluse, ne peut avoir lieu après la quatrième heure avant le crépuscule et avant l’aube le jour suivant, le crépuscule et l’aube étant déterminés selon article 15.

[37]           Il est évident que cet article du contrat peut limiter le départ d’un navire même si le capitaine respecte les préavis prévus à l’article 8 du Règlement.

[38]           Pour citer un autre exemple, dans le contrat signé en 2012, les parties se sont entendues sur la clause suivante :

Pour les navires-citernes de plus de 25 000 TPL, les navires de plus de 245 m de longueur et les navires dont le tirant d’eau est supérieur à 10,3 m pour les porte-conteneurs et 10 m pour les autres navires, le pilote est affecté selon l’horaire mentionné aux articles 8.15 et 8.16 s’ils partent en descendant la nuit.

[39]           L’horaire prévu pour ces navires ne garantit pas aux capitaines qu’ils peuvent partir des quais à l’heure prévue même s’ils/elles donnent le préavis mentionné à l’article 8 du Règlement.

[40]           Il s’ensuit que les conditions d’affectation des pilotes n’usurpent pas les pouvoirs de l’Administration de mettre en place des règlements et ne sont pas ultra vires. De plus, étant donné que l’offre finale de la Corporation quant au préavis de départ de nuit ne contrevient pas au Règlement (étant seulement plus restrictif), il était raisonnable pour l’Arbitre de conclure que cette partie de l’offre finale de la Corporation était légale.

VI.             Conclusion

[41]           En résumé, l’Administration revendiquait devant cette Cour deux éléments inclus dans l’offre finale de la Corporation : (i) les articles 11.02 de l’Annexe D et 9.02 de l’Annexe C, qui traitent de la reprise du navire par le son capitaine; et (ii) la lettre d’entente no 13 sur le préavis de départ de nuit. Pour les raisons énoncées ci-dessus, je suis d’avis que les articles 11.02 de l’Annexe D et 9.02 de l’Annexe C sont ultra vires car elles usurpent les pouvoirs discrétionnaires de l’Administration qui lui sont conférés par la Loi. Ce n’est toutefois pas le cas pour la lettre d’entente no 13. En raison de l’article 15.2 de la Loi, je retournerais l’affaire à l’arbitre avec instructions pour qu’il retienne l’une des deux offres finales légales : celle de l’Administration ou celle de la Corporation. Cette dernière offre devra être modifiée pour éliminer les articles jugés ultra vires.

[42]           En conclusion, je note que la Corporation a demandé à la Cour de se prononcer sur la légalité d’une clause  proposée par l’Administration, c’est-à-dire, la validité de son offre de recommander certaines modifications au Gouverneur en conseil sur la question des préavis de départ. Vu que l’arbitre ne s’est pas prononcé sur cette question, je ne la traiterai pas.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. Les articles 11.02 de l’Annexe D et 9.02 de l’Annexe C sont déclarés ultra vires. Par conséquent, la sentence arbitrale de l’Arbitre du 17 février 2016 est annulée et l’affaire est renvoyée devant l’Arbitre pour qu’il choisisse soit l’offre finale de l’Administration, soit l’offre finale de la Corporation, cette dernière devant être modifiée pour éliminer les articles 11.02 de l’Annexe D et 9.02 de l’Annexe C. Puisque les parties ont revendiqué deux questions devant cette Cour, et que l’Administration a eu gain de cause sur l’une et la Corporation, sur l’autre, je considère approprié de ne pas adjuger de dépens. La requête est accueillie sur les termes notés ci-dessus, sans dépens.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-450-16

INTITULÉ :

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES, (ci-après l’« Administration ») c CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC., (ci-après la « Corporation »)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 DÉCEMBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 DÉCEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Patrick Girard

Mario St-Pierre

Patrick Desalliers

 

pour le demandeur

 

André Baril

Cristina Toteda

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman Elliott

Avocats

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

 

McCarthy Tétrault

Avocats

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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