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Date : 20170124


Dossier : T-785-12

Référence : 2017 CF 85

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 janvier 2017

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

CATHY MORAND

demanderesse

et

BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE, FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE BANQUE SCOTIA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

I.  INTRODUCTION

[1]  Mme Cathy Morand (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), en date du 16 mars 2012, dans laquelle elle a rejeté sa plainte de discrimination à l’encontre de son employeur, la Banque de Nouvelle-Écosse, faisant affaire sous le nom de Banque Scotia (la défenderesse). La Commission a rejeté la plainte aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6 (la Loi).

[2]  La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et une ordonnance exigeant de celle-ci qu’elle demande au Tribunal canadien des droits de la personne d’instruire la plainte aux termes de l’article 49 de la Loi. La demanderesse a sollicité les dépens dans son avis de demande; elle a toutefois soutenu dans son mémoire des faits et du droit qu’il serait inéquitable d’adjuger des dépens dans la présente demande, indépendamment de l’issue.

II.  HISTORIQUE PROCÉDURAL

[3]  La demanderesse a déposé son avis de demande le 16 avril 2012. Sa requête en prorogation de délai afin de produire un affidavit de documents conformément à l’article 306 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), a été accueillie dans une ordonnance datée du 14 juin 2012.

[4]  Dans une ordonnance datée du 9 novembre 2012, la présente procédure s’est poursuivie en tant qu’instance à gestion spéciale. Cette ordonnance exigeait aussi de la demanderesse qu’elle signifie et produise un échéancier proposé dans les 20 jours suivants.

[5]  Aucune autre mesure n’a été prise dans le cadre de la présente instance avant le 9 décembre 2014, lorsque la demanderesse a présenté un affidavit de signification confirmant la signification de son affidavit et l’échéancier proposé à la défenderesse.

[6]  Le 28 juillet 2015, une conférence de gestion de l’instance a eu lieu.

[7]  Comme il en sera question ci-dessous, la défenderesse demande, dans son mémoire des faits et du droit, une ordonnance rejetant la présente demande de contrôle judiciaire pour retard injustifié, conformément à l’article 167 des Règles.

[8]  Après l’audience, la défenderesse a présenté une lettre datée du 1er avril 2016 où elle expliquait pourquoi elle avait demandé le rejet pour retard injustifié à l’audience. À cette lettre étaient joints des courriels échangés entre les avocats des parties et le personnel du greffe de la Cour fédérale, y compris les courriels qui suivent :

  • - Un courriel envoyé par M. Shaun Nelson, agent du greffe de l’équipe de gestion de l’instance, aux avocats de la demanderesse et de la défenderesse en date du 20 novembre 2014;

  • - Un courriel envoyé par M. Nelson aux avocats de la demanderesse et de la défenderesse en date du 4 juin 2015;

  • - Un courriel envoyé par l’avocat de la défenderesse à M. Nelson en date du 15 juin 2015;

  • - Un courriel envoyé par M. Nelson à l’avocat de la défenderesse en date du 16 juin 2015;

  • - Un courriel envoyé par l’avocat de la défenderesse à M. Nelson en date du 16 juin 2015;

  • - Un courriel envoyé par l’avocat de la demanderesse à M. Nelson et à l’avocat de la défenderesse en date du 30 septembre 2015;

  • - Un courriel envoyé par M. Nelson aux avocats de la demanderesse et de la défenderesse en date du 1er octobre 2015;

  • - Un courriel envoyé par l’avocat de la défenderesse à M. Nelson, en copie conforme à l’avocat de la demanderesse, en date du 6 octobre 2015;

  • - Un courriel envoyé par l’adjoint de l’avocat de la défenderesse à M. Nelson, en copie conforme à l’avocat de la demanderesse, en date du 26 novembre 2015;

  • - Un courriel envoyé par M. Nelson aux avocats des parties en date du 1er décembre 2015.

[9]  Dans la lettre du 1er avril 2016, la défenderesse a affirmé que le greffe l’avait informée qu’elle pourrait soulever la question du rejet pour retard injustifié à l’audition de la demande.

[10]  La demanderesse a répondu dans une lettre datée du 12 avril 2016, dans laquelle elle demandait à obtenir des directives afin de savoir si elle devait formuler des observations supplémentaires sur cette question.

[11]  Une directive a été émise le 14 avril 2016, où les parties étaient invitées à faire part de leur disponibilité pour présenter des observations orales supplémentaires sur cette question.

[12]  L’audition de la demande a repris le 19 juillet 2016 par vidéoconférence, où les parties ont présenté des observations supplémentaires sur la question du retard.

III.  PREUVE

[13]  La preuve dans la présente demande comprend le dossier certifié du tribunal, l’affidavit de documents de la demanderesse assermenté le 30 mai 2012 et l’affidavit de Mme Frances Fitzgerald, conseillère juridique principale de la défenderesse, assermenté le 13 juillet 2012.

IV.  RÉSUMÉ DES FAITS

[14]  Les faits exposés ci-après sont tirés de la preuve.

[15]  La demanderesse a présenté une plainte devant la Commission le 14 octobre 2009. Elle alléguait, dans cette plainte, avoir subi un traitement défavorable, ce qui va à l’encontre de l’article 7 de la Loi, au motif d’une invalidité, soit un syndrome de la douleur chronique, la fibromyalgie, un disque hernié au cou, de l’anxiété généralisée et une discopathie dégénérative. Elle a soutenu, dans sa plainte, craindre des représailles en raison du dépôt de sa plainte et être victime de harcèlement de la part d’autres employés.

[16]  La demanderesse a été embauchée par la défenderesse le 25 janvier 2005 en tant que représentante du service à la clientèle à temps partiel afin de travailler à la succursale Tecumseh, près de Windsor (Ontario). Elle travaillait habituellement des quarts en après-midi, de 13 h 45 à 16 h 45 ou 19 h, du lundi au vendredi, pour un total de 16 heures par semaine.

[17]  De mai 2007 jusqu’au 3 décembre 2007, la demanderesse se trouvait en congé médical en raison d’un disque hernié. La demanderesse a présenté un billet de médecin daté du 27 novembre 2007, qui présentait ses restrictions, qui, selon le rapport de l’enquêteur, comprenaient qu’elle s’acquitte de ses [traduction] « tâches régulières des quarts d’après‑midi » et qu’[traduction] « il s’agit du nombre maximal d’heures qu’elle peut travailler ». En prévision de son retour, la défenderesse a mené une évaluation ergonomique du milieu de travail.

[18]  En mars 2008, la défenderesse a cherché à modifier les quarts de travail de la demanderesse afin qu’elle travaille le matin.

[19]  La demanderesse a présenté un billet de son médecin, le Dr Makinde, daté du 18 mars 2008. Ce billet indiquait que la demanderesse souffrait du syndrome de la douleur chronique, une invalidité permanente, et le médecin recommandait qu’elle travaille toujours pendant les quarts de travail d’après-midi. Les heures de travail de la demanderesse demeuraient les mêmes à ce moment.

[20]  La demanderesse est retournée d’un congé lié au stress le 4 juin 2009. La durée de ce congé n’est pas indiquée clairement dans le dossier.

[21]  Le 9 juin 2009, Mme Diane Sinclair, directrice du service à la clientèle pour la défenderesse, a informé la demanderesse qu’un comité formé de ses collègues avait revu les quarts de travail à la succursale. On demandait à la demanderesse de travailler deux journées complètes par semaine. Elle a répondu qu’elle tenterait de travailler selon cet horaire proposé, mais elle ne croyait pas que son médecin approuverait ce changement d’heures. Dans la plainte qu’elle a présentée devant la Commission, la demanderesse a affirmé que Mme Sinclair avait exercé des pressions à son égard et qu’elle l’avait manipulée pour qu’elle accepte le changement des quarts de travail.

[22]  Le 12 juin 2009, la demanderesse a reçu une lettre dans laquelle on l’informait qu’à compter du 13 juillet 2009, ses heures de travail seraient désormais le mardi de 8 h 30 à 17 h et le jeudi de 9 h 15 à 17 h 15.

[23]  En réponse à cette lettre, la demanderesse a présenté à la défenderesse un autre billet du Dr Makinde, daté du 17 juin 2009, qui indiquait que la demanderesse souffre du syndrome de la douleur chronique. Le Dr Makinde indiquait que la demanderesse pouvait travailler deux journées complètes à titre d’essai et qu’il fallait assurer une surveillance étroite puisque ce changement pouvait provoquer des poussées de ses symptômes.

[24]  Le 18 juin 2009, Mme Sinclair a informé la demanderesse que les changements apportés à son horaire de travail étaient permanents. La demanderesse affirme que Mme Sinclair lui a dit qu’elle devrait communiquer avec Santé Scotia et prendre un congé de maladie si elle ne pouvait pas travailler pendant ces quarts.

[25]  La demanderesse a envoyé un courriel à Mme Sinclair le 22 juin 2009 en indiquant qu’elle n’était pas à l’aise avec le changement de quart.

[26]  Mme Sinclair a demandé à la demanderesse de travailler un quart de plus le vendredi 31 juillet 2009 de 11 h à 14 h. La demanderesse a accepté, tout en affirmant qu’on avait exercé des pressions pour qu’elle accepte.

[27]  Le 19 août 2009, la demanderesse a reçu une réprimande par courriel de Mme Sinclair puisqu’elle avait causé un déséquilibre des liquidités. La demanderesse affirme qu’elle a été la seule employée réprimandée, malgré le fait que tous les membres de l’équipe sont responsables d’assurer l’équilibre des liquidités.

[28]  Dans sa plainte, la demanderesse a indiqué avoir envoyé un courriel à Mme Sinclair et à M. Marc Bissonnette, le directeur de la succursale, le 8 septembre 2009, dans lequel elle affirmait éprouver des difficultés et elle demandait à organiser une réunion pour discuter de la révision de ses quarts de travail.

[29]  Le 10 septembre 2009, la demanderesse a informé M. Bissonnette et Mme Sinclair qu’elle éprouvait des difficultés à travailler pendant les quarts qui lui étaient attribués parce que les matinées étaient difficiles pour elle. La demanderesse affirme que M. Bissonnette lui a demandé pourquoi elle ne prenait tout simplement pas des médicaments contre la douleur. Il nie avoir posé cette question, mais il avoue qu’il pourrait lui avoir demandé si des médicaments contre la douleur pourraient l’aider.

[30]  À la réunion du 10 septembre 2009, M. Bissonnette a refusé de modifier l’horaire. Mme Sinclair a suggéré à la demanderesse de devenir une employée occasionnelle, ce qu’elle a refusé.

[31]  M. Bissonnette a indiqué qu’il appartenait à la Great West Life et au service Relations avec les employés de prendre des décisions sur les demandes de mesures d’adaptation. La demanderesse prétend que M. Bissonnette a indiqué qu’il n’y avait aucun poste pour elle à la succursale Tecumseh, qu’aucun poste ne serait créé pour elle et que l’horaire de travail ne faisait pas partie de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. M. Bissonnette se souvient d’avoir dit à la demanderesse qu’il ne pouvait pas créer un poste pour elle.

[32]  Le même jour, la demanderesse a reçu une réprimande écrite de Mme Sinclair parce qu’elle possédait la somme de 2 000 $ dans sa « boîte pour les voleurs ». La demanderesse reconnaît que cela va à l’encontre de la politique sur la sécurité; elle affirme toutefois que cette politique n’est pas appliquée uniformément. Elle a indiqué qu’elle sentait que son emploi était menacé et qu’on l’intimidait et la punissait afin de la pousser à démissionner.

[33]  Dans sa plainte, la demanderesse a indiqué que le 15 septembre 2009, elle a envoyé un courriel à M. Bissonnette, Mme Sinclair et M. Tom Geikie, le vice-président de district, en indiquant qu’on exerçait des pressions à son égard, qu’on l’intimidait et que son emploi dépendait de sa capacité à travailler aux nouvelles heures.

[34]  La demanderesse a également envoyé un deuxième courriel à M. Geikie dans lequel elle affirmait avoir été réprimandée pour ne pas avoir respecté une politique sur la sécurité qui n’était pas appliquée systématiquement.

[35]  La demanderesse a été convoquée dans le bureau de Mme Sinclair le 15 septembre 2009, où elle a affirmé que M. Bissonnette lui a crié après parce qu’elle avait envoyé un courriel à M. Geikie. Elle a indiqué que Mme Sinclair a dit d’une voix forte à M. Bissonnette que la demanderesse était désobéissante. La demanderesse a quitté le bureau et a téléphoné à la Commission canadienne des droits de la personne. Elle a indiqué avoir été humiliée puisque tous ces collègues ont entendu la dispute.

[36]  Plus tard, le 15 septembre 2009, M. Bissonnette s’est excusé auprès de la demanderesse. La demanderesse prétend que M. Bissonnette et Mme Sinclair ont affirmé ne rien avoir à lui reprocher.

[37]  La demanderesse a parlé à Mme Lori Mansfield, directrice du service Relations avec les employés, le 16 septembre 2009. Mme Mansfield a proposé la solution de faire deux quarts de quatre heures à la succursale Tecumseh et deux autres quarts de quatre heures dans une autre succursale. À ce moment, Mme Mansfield a indiqué que la demanderesse n’aurait probablement qu’à travailler les deux journées complètes suivantes.

[38]  Dans une lettre datée du 17 septembre 2009, M. Bissonnette a présenté à la demanderesse un questionnaire à remplir par son médecin.

[39]  Un billet daté du 22 septembre 2009 écrit par le Dr Makinde a été envoyé à la demanderesse le 22 septembre 2009. On y indiquait que la demanderesse avait aggravé ses symptômes de douleur et de fatigue en s’efforçant de faire des quarts de travail de huit heures.

[40]  Le Dr Makinde a précisé que la demanderesse a de la difficulté à fonctionner en début de matinée. Il a recommandé que la demanderesse ne travaille que pendant des quarts de travail de quatre heures en après-midi, quatre jours par semaine. Au moment où la demanderesse a présenté le billet, M. Bissonnette l’a informée que la décision relative aux mesures d’adaptation ne pourrait être prise qu’après que son médecin aura rempli le questionnaire joint à la lettre du 17 septembre.

[41]  La demanderesse a présenté un autre billet, tiré d’un carnet de prescription, du Dr Makinde, daté du 28 septembre 2009, qui indiquait que la demanderesse devait [traduction] « commencer à travailler quatre heures par jour, en après-midi, à compter du 29 septembre 2009 ».

[42]  Le même jour, la demanderesse a informé la défenderesse qu’elle ne continuerait pas à travailler aux heures qui lui étaient attribuées, conformément à son billet de médecin daté du 28 septembre 2009. La demanderesse a continué de travailler toutes les heures en après-midi des quarts qui lui étaient attribués. Au départ, la demanderesse utilisait des journées de maladie afin de couvrir ses heures non travaillées en matinée.

[43]  La défenderesse n’a pas modifié les heures de travail de la demanderesse, selon M. Bissonnette, parce qu’aucune autre n’était disponible.

[44]  Le Dr Makinde a rempli le questionnaire envoyé par M. Bissonnette. La défenderesse l’a reçu le 13 octobre 2009.

[45]  La défenderesse a examiné ce questionnaire et a déterminé que les renseignements médicaux indiqués (soit que la demanderesse avait une restriction médicale qui l’empêchait de travailler avant midi) ne suffisaient pas à établir un fondement à la demande de mesures d’adaptation.

[46]  La demanderesse a déposé sa plainte devant la Commission le 14 octobre 2009.

[47]  La défenderesse a demandé au Dr Makinde de fournir plus de renseignements dans des lettres datées du 27 novembre 2009 et du 14 janvier 2010.

[48]  La demanderesse a subi une évaluation des capacités fonctionnelle le 12 mai 2010. L’évaluateur a recommandé à la demanderesse de limiter les périodes en position assise, debout ou de marche à 30 minutes à la fois, de doser ses efforts et de prendre des répits adéquats tout au long de la journée. L’évaluateur n’a formulé aucun commentaire sur les [traduction] « moments exacts » où la demanderesse pourrait marcher puisqu’ils se situaient hors de la portée de l’évaluation.

[49]  Mme Franklyn, une psychologue, a indiqué dans une lettre datée du 18 mai 2010 qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’une personne souffrant de fibromyalgie et de douleur chronique puisse travailler des quarts de huit heures par jour. Elle s’est dite d’avis que l’état de la demanderesse est permanent et que les demandes à répétition de « preuve » de son besoin continu de mesures d’adaptation avaient aggravé ses symptômes. Elle a conclu en recommandant de redonner à la demanderesse son horaire de travail original.

[50]  À la demande de la défenderesse, la demanderesse a subi un examen médical indépendant le 14 juillet 2010. Dans un rapport daté du 28 juillet 2010, le Dr John Heitzner a conclu que la demanderesse ne souffrait d’aucune restriction médicale ou musculosquelettique qui l’empêcherait de retourner au travail pendant des journées complètes. Il a souligné que la demanderesse avait un niveau élevé d’invalidité perçue et un comportement témoignant d’une douleur légère.

[51]  En date du 7 décembre 2010, la défenderesse a indemnisé la demanderesse pour toutes les journées de maladies utilisées pour couvrir la perte de ses heures de travail en matinée et ne lui a pas demandé d’utiliser ses heures de maladie à cette fin. Ses absences matinales étaient indiquées comme des absences non payées.

[52]  Au cours de la période allant du 14 octobre 2009 au 31 juillet 2012, la demanderesse s’est vu offrir d’autres quarts de travail à deux reprises. Elle n’a toutefois pas accepté ces offres parce qu’elles comprenaient toutes deux des quarts qui commençaient avant midi.

V.  LE RAPPORT D’ENQUÊTE

[53]  Conformément aux articles 43 et 44 de la Loi, la Commission a nommé un enquêteur afin d’enquêter sur la plainte et de présenter un rapport sur ses conclusions. Dans le cadre de l’enquête, l’enquêteur a examiné la plainte, la réponse de la demanderesse, la réponse de la défenderesse et d’autres documents présentés par la défenderesse. L’enquêteur a aussi mené des entrevues téléphoniques avec Mme Sinclair, M. Bissonnette et Mme Mansfield.

[54]  Au paragraphe 130 de son rapport, l’enquêteur a formulé la recommandation qui suit :

[traduction]

Il est recommandé, aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission rejette la plainte puisque, compte tenu de la preuve :

-  La plaignante n’a pas donné à l’intimée suffisamment de temps pour évaluer ses exigences relatives aux mesures d’adaptation étant donné qu’elle n’avait pas présenté suffisamment de documents médicaux objectifs lorsqu’elle a signé la plainte, le 16 octobre 2009;

-  Au moment où la plainte a été déposée, l’intimée avait effectivement acquiescé à la demande de la plaignante de faire uniquement des quarts d’après-midi;

-  Vu la preuve dans son ensemble, il ne semble pas justifié pour le Tribunal canadien des droits de la personne de procéder à une autre enquête.

[55]  L’enquêteur a conclu que l’exigence de travailler deux journées complètes imposait un fardeau à la demanderesse et que l’incidence défavorable de cette exigence était liée à l’invalidité de la demanderesse.

[56]  L’enquêteur s’est ensuite demandé si la demanderesse avait besoin de mesures d’adaptation pour des raisons liées à un motif de discrimination illicite. Il a renvoyé aux deux billets de médecin présentés par la demanderesse, datés du 27 novembre 2007 et du 18 mars 2008, qui recommandaient de ne lui donner que des quarts d’après-midi.

[57]  L’enquêteur a précisé que toutes les nouvelles affectations de quarts comprenaient au moins un quart en matinée. L’enquêteur a aussi conclu que, dans sa demande d’emploi originale, la demanderesse n’avait fait part d’aucune préférence à travailler en après-midi, même si elle avait reçu un diagnostic de fibromyalgie et de syndrome de la douleur chronique avant de poser sa candidature pour ce poste.

[58]  L’enquêteur a conclu qu’au moment où la demanderesse a déposé sa plainte, aucun élément de preuve médical objectif n’indiquait qu’elle devait faire l’objet de mesures d’adaptation. Il s’est appuyé sur des notes du médecin au dossier, qui indiquaient que des quarts de travail de huit heures et en matinée [traduction] « pourraient » causer une poussée des symptômes.

[59]  L’enquêteur a conclu que, même si la preuve indiquait que la défenderesse savait que la demanderesse pourrait devoir faire l’objet de mesures d’adaptation, elle a demandé à obtenir des renseignements médicaux supplémentaires pour établir si les mesures d’adaptation étaient appropriées.

[60]  Enfin, l’enquêteur a conclu que la défenderesse avait effectivement pris des mesures d’adaptation à l’égard de la demanderesse en lui permettant de ne travailler que les heures d’après-midi de ses quarts dans l’attente d’autres documents médicaux. Il a conclu que la demanderesse n’avait pas accordé à la défenderesse suffisamment de temps pour évaluer sa demande de mesures d’adaptation avant de déposer sa plainte, le 16 octobre 2009.

[61]  La demanderesse et la défenderesse ont eu la possibilité de présenter des observations à la Commission sur le rapport d’enquête. La demanderesse a déposé des observations le 6 janvier 2012. La défenderesse a déposé ses observations le 16 janvier 2012. La défenderesse a déposé des observations supplémentaires en date du 7 février 2012 en réponse aux observations de la demanderesse.

A.  Décision faisant l’objet du contrôle

[62]  Dans sa décision datée du 16 mars 2012, la Commission a décidé de rejeter la plainte conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i).

[63]  La Commission a rejeté la plainte pour les mêmes motifs que ceux indiqués dans le rapport d’enquête, soit que la demanderesse n’avait pas donné suffisamment de temps à la défenderesse pour évaluer ses exigences en matière de mesures d’adaptation puisqu’elle ne lui avait pas présenté des éléments de preuve médicaux objectifs avant de déposer sa plainte; au moment où la plainte a été déposée, la défenderesse avait acquiescé à la demande de la demanderesse de ne travailler qu’en après-midi; et il n’était pas justifié pour le Tribunal canadien des droits de la personne de mener une autre enquête.

VI.  QUESTIONS EN LITIGE

[64]  Les parties soulèvent les questions en litige suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La présente demande devrait-elle être rejetée pour retard injustifié?

  3. La Commission a-t-elle commis une erreur en invoquant le caractère prématuré en tant que motif de rejet de la plainte?

  4. La Commission a-t-elle commis une erreur en déterminant que la demanderesse avait fait l’objet de mesures d’adaptation?

  5. L’enquêteur a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas été victime de harcèlement?

  6. L’enquêteur a-t-il commis une erreur en concluant que les éléments de preuve médicaux objectifs ne suffisaient pas à appuyer la demande de mesure d’adaptation de la demanderesse?

  7. L’enquêteur a-t-il commis une erreur en limitant la période visée par la plainte de juin 2009 au 14 octobre 2009?

VII.  OBSERVATIONS

A.  Observations de la demanderesse

[65]  La demanderesse soutient que la décision de la Commission doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable; voir le jugement rendu dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190.

[66]  La demanderesse soutient que sa demande de contrôle judiciaire ne devrait pas être rejetée pour cause de retard. Elle s’appuie sur les articles 56 et 58 des Règles.

[67]  La demanderesse fait valoir que l’article 58 des Règles exige de la défenderesse qu’elle présente une requête pour contester l’inobservation des Règles. Vu que la défenderesse n’a présenté aucune requête, sa demande en vue de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire ne devrait pas être accueillie.

[68]  La demanderesse a reconnu qu’elle est responsable de la majeure partie du retard dans la présente instance. Elle soutient toutefois que la défenderesse n’a pas agi avant l’automne 2015 afin de faire avancer l’instance.

[69]  En réponse aux observations de la défenderesse selon lesquelles elle s’est appuyée sur les conseils du personnel du greffe de la Cour fédérale, qui l’a informée qu’elle pourrait demander le rejet de la procédure pour cause de retard à l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse soutient qu’il n’y a aucune preuve des conversations téléphoniques entre son avocat et le personnel du greffe.

[70]  La demanderesse soutient que la défenderesse a demandé un examen du statut afin de soulever la question du retard et qu’elle devrait être liée à son choix de procédure.

[71]  En abordant le bien-fondé de la présente demande, la demanderesse soutient que le premier motif invoqué pour le rejet de sa plainte, soit que la défenderesse n’a pas eu suffisamment de temps pour évaluer ses exigences en matière de mesures d’adaptation, ne correspond à aucune des dispositions de la Loi.

[72]  La demanderesse s’appuie sur le paragraphe 41(1) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[73]  La demanderesse soutient que sa plainte ne correspond à aucune des exceptions indiquées au paragraphe 41(1). Elle fait aussi valoir que la Commission a commis une erreur en rejetant sa plainte aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[74]  Le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi dispose ce qui suit :

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

[75]  La demanderesse soutient que la défenderesse avait suffisamment de temps pour évaluer sa demande de mesures d’adaptation.

[76]  La demanderesse renvoie au fait que la défenderesse avait au dossier des renseignements datant de 2007 qui portaient sur son besoin de mesures d’adaptation en ne travaillant que les quarts de travail d’après-midi.

[77]  Qui plus est, au début du mois de juin 2009, la demanderesse a informé Mme Sinclair qu’elle éprouverait probablement des difficultés avec le nouvel horaire. La demanderesse soutient avoir présenté des documents médicaux qui abordaient les questions, ainsi que l’échéancier révisé trois semaines avant de déposer la plainte.

[78]  La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que l’on avait pris des mesures d’adaptation à son égard. Elle fait valoir que cette conclusion est illogique puisque sa plainte se fondait sur l’exigence de la défenderesse selon laquelle elle devait travailler au-delà des restrictions liées à son invalidité ou être privée de la moitié des heures qu’elle travaillait auparavant. La demanderesse soutient que cette conclusion va à l’encontre de l’objet de la Loi.

[79]  La Loi exige d’un employeur qu’il prenne des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé tant qu’il n’en résulte pas pour lui une contrainte excessive. La demanderesse soutient que l’enquêteur n’a pas abordé les questions visant à savoir si d’autres mesures d’adaptation devaient être prises et, le cas échéant, si celles-ci constituent une contrainte excessive pour la défenderesse.

[80]  La demanderesse fait valoir que la défenderesse ne subirait pas une contrainte excessive en répondant à ses besoins. Elle affirme que l’enquêteur ne disposait d’aucun élément de preuve sur cette question. Elle prétend que les mesures d’adaptation demandées ne constitueraient qu’un léger inconvénient administratif, sans plus.

[81]  La demanderesse soutient que l’enquêteur a commis une erreur en concluant que l’incident de représailles survenu le 15 septembre 2009 ne correspondait pas à la définition de harcèlement. Elle soutient que l’enquêteur n’a pas tenu compte de l’incident survenu le 10 septembre 2009.

[82]  La demanderesse soutient aussi que l’enquêteur a commis une erreur en s’appuyant sur le jugement rendu dans la décision London c New Brunswick Aboriginal Peoples Council, 2008 TCDP 49 [London], qui aborde uniquement le harcèlement, et pas les représailles. Elle soutient aussi que la répétition n’est que l’un des critères d’évaluation du harcèlement; il faut aussi tenir compte de la gravité de l’incident; voir la décision London, précitée, aux paragraphes 92 à 94.

[83]  La demanderesse soutient que la conclusion sur le caractère adéquat et l’objectivité des éléments de preuve médicaux correspond à une erreur de droit. Elle fait valoir que ce n’est pas son invalidité qui était contestée. Les documents médicaux étaient complets et il est impossible de mesurer de façon objective les caractéristiques principales de l’invalidité de la demanderesse, soit la douleur, la fatigue et l’anxiété dont elle souffrait.

[84]  La demanderesse soutient que la Loi n’exige pas de fournir des renseignements médicaux [traduction] « objectifs ». Elle soutient que l’enquêteur n’a aucunement justifié la raison pour laquelle il a accepté les rapports du 12 mai 2010 et du 28 juillet 2010 en tant que rapports [traduction] « objectifs », mais pas les notes du médecin ou le questionnaire rempli par le Dr Makinde, présenté plus tôt. En s’appuyant sur des facteurs non pertinents, la Commission a commis une erreur susceptible de révision.

[85]  La demanderesse soutient aussi que l’enquêteur n’a pas défini correctement ses incapacités; il a exclu l’anxiété généralisée et la discopathie dégénérative.

[86]  Enfin, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en limitant la période visée par la plainte de juin 2009 au 14 octobre 2009, soit la date où elle a déposé sa plainte auprès de la Commission. Les gestes visés par la plainte, soit la discrimination sous la forme d’heures de travail réduites, se sont poursuivis jusqu’au 27 octobre 2014. En ignorant des éléments de preuve externes à la période définie pour la plainte, la Commission a commis une erreur.

B.  Observations de la défenderesse

[87]  La décision de la Commission visant à déterminer si elle devait renvoyer une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable; voir le jugement rendu dans l’arrêt Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), [2012] 1 RCS 364, aux paragraphes 17, 27, 40 et 44.

[88]  La défenderesse soutient que le retard injustifié constitue un motif de rejet d’une demande de contrôle judiciaire, selon l’article 167 des Règles.

[89]  L’avis d’appel relatif à la présente instance a été déposé le 16 avril 2012. La demanderesse n’a pas présenté son dossier de demande avant le 27 août 2012, comme l’exigent les Règles. Dans une ordonnance en date du 9 novembre 2012, la demanderesse devait signifier et présenter un échéancier dans les 20 jours suivants. Ce n’est qu’en décembre 2014 que la demanderesse a pris des mesures supplémentaires.

[90]  La défenderesse soutient que des retards de quatre mois à peine ont constitué des motifs de rejet d’une instance; voir les jugements rendus dans les décisions Bellefeuille c Commercial Transport (Northern) Ltd., [1995] 1 CF 237 (CF 1re inst.), au paragraphe 22, et Bahrami c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 149 FTR 133. La défenderesse soutient que la demanderesse n’a présenté aucun motif pour le retard de trois ans à déposer la présente demande.

[91]  La défenderesse soutient aussi que le retard de la demanderesse lui porte préjudice, puisque si la plainte était renvoyée à la Commission, il faut supposer que les souvenirs des témoins sont moins clairs.

[92]  À l’audience tenue le 19 juillet 2016, la défenderesse a réitéré sa thèse selon laquelle elle a présenté sa requête pour faire rejeter l’instance pour cause de retard selon les conseils formulés par le greffe de la Cour fédérale.

[93]  En réponse aux observations de la demanderesse selon lesquelles la Commission a commis une erreur en rejetant sa plainte, la défenderesse soutient que le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi accorde à la Commission un pouvoir discrétionnaire étendu qui lui permet de rejeter une plainte lorsqu’une enquête n’est pas justifiée compte tenu de toutes les circonstances. Elle soutient que le caractère prématuré de la plainte est une considération valide aux termes de ce sous-alinéa.

[94]  La défenderesse soutient que la conclusion de caractère prématuré est liée à celle selon laquelle la demanderesse ne lui a pas présenté d’éléments de preuve médicaux objectifs, qui établissaient qu’elle devait uniquement travailler l’après-midi. Elle soutient que cette conclusion était raisonnable puisque les billets du médecin datés du 27 novembre 2007, du 18 mars 2008, du 17 juin 2009 et du 22 septembre 2009, ainsi que le questionnaire médical n’indiquent pas que la demanderesse est incapable de travailler avant midi.

[95]  La défenderesse soutient que la loi exige uniquement de prendre une mesure d’adaptation qui répond aux restrictions médicales de la demanderesse, et non à la forme de mesures d’adaptation qu’elle préfère; voir le jugement rendu dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c Renaud, [1992] 2 RCS 970, au paragraphe 44. La défenderesse indique qu’elle était en droit de demander d’obtenir des renseignements médicaux en vue de confirmer que le besoin de travailler uniquement l’après-midi était un besoin médical.

[96]  La défenderesse soutient que la Commission a conclu à juste titre que la demanderesse ne lui a pas accordé suffisamment de temps pour participer au processus de mesures d’adaptation.

[97]  La défenderesse soutient qu’elle s’est acquittée de son obligation de prendre des mesures d’adaptation en permettant à la demanderesse de ne travailler que l’après-midi pendant ses quarts de travail. Elle soutient qu’elle n’était pas tenue de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la demanderesse en lui donnant du travail redondant ou non productif; voir le jugement rendu dans les décisions Croteau c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 TCDP 16, au paragraphe 44, et Smith, J. c Les chemins de fer nationaux du Canada, 2008 TCDP 15, au paragraphe 166.

[98]  La défenderesse soutient que le simple fait de donner à la demanderesse des heures supplémentaires en après-midi ne répondrait pas à ses besoins opérationnels.

[99]  La défenderesse soutient que l’enquêteur a déterminé [traduction] « à juste titre » que l’incident survenu le 15 septembre 2012 ne correspondait pas à la définition de harcèlement. Contrairement aux allégations de la demanderesse, l’enquêteur a reconnu qu’un seul incident pouvait constituer du harcèlement; il a toutefois déterminé que cet incident ne correspondait pas à la définition de harcèlement.

[100]  La défenderesse soutient que l’enquêteur a conclu à juste titre que les éléments de preuve médicaux postérieurs à la plainte n’étaient pas déterminants quant au bien-fondé de l’allégation de discrimination dans la plainte. Elle soutient que, quoi qu’il en soit, les éléments de preuve présentés après le 14 octobre 2009 soutiennent sa position selon laquelle la demanderesse est en mesure de travailler le matin.

VIII.  ANALYSE

[101]  J’ai présenté ci-dessus les questions cernées et abordées par les parties. Il est toutefois possible, à mon avis, de les préciser afin de cerner les questions véritables qui font l’objet de contentieux entre les parties :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La présente demande devrait-elle être rejetée pour retard injustifié?

  3. Quel est le délai prescrit pour la plainte? S’agit-il d’une plainte « fixe » ou d’une plainte « continue »?

  4. La Commission a-t-elle commis une erreur en acceptant la conclusion de l’enquêteur selon laquelle les éléments de preuve médicaux objectifs ne suffisaient pas à appuyer la demande de mesures d’adaptation de la demanderesse?

  5. La Commission a-t-elle commis une erreur en déterminant que la demanderesse avait fait l’objet de mesures d’adaptation?

  6. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas été victime de harcèlement?

[102]  Selon la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), [2006] 3 RCF 392 (CAF), aux paragraphes 36 et 37, la Commission peut accepter la recommandation de l’enquêteur comme étant ses propres motifs. Il est possible de déterminer la légitimité de la décision rendue par la Commission en renvoyant au rapport d’enquête et aux éléments de preuve présentés à l’enquêteur.

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[103]  La décision de la Commission de ne pas renvoyer une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne est discrétionnaire et assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable; voir le jugement rendu dans l’arrêt Halifax, précité, au paragraphe 17.

[104]  La norme de la décision raisonnable commande que celle-ci soit justifiable, transparente et intelligible, et qu’elle fasse partie des issues possibles acceptables; voir la décision Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

B.  La présente demande devrait-elle être rejetée pour retard injustifié?

[105]  La défenderesse soulève une contestation relative à la procédure à l’égard de la présente demande de contrôle judiciaire et soutient qu’elle doit être rejetée pour cause de retard injustifié. Elle invoque l’article 167 des Règles, qui est rédigé ainsi :

167 La Cour peut, sur requête d’une partie qui n’est pas en défaut aux termes des présentes règles, rejeter l’instance ou imposer toute autre sanction au motif que la poursuite de l’instance par le demandeur ou l’appelant accuse un retard injustifié.

167 The Court may, at any time, on the motion of a party who is not in default of any requirement of these Rules, dismiss a proceeding or impose other sanctions on the ground that there has been undue delay by a plaintiff, applicant or appellant in prosecuting the proceeding.

[106]  Cette question est soulevée uniquement dans la présente demande de contrôle judiciaire; elle n’est pas assujettie à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle dans le cadre de la présente demande.

[107]  La demanderesse soutient que la demande de rejet de la présente demande pour retard injustifié déposée par la défenderesse n’a pas été dûment présentée devant la Cour, puisqu’aux termes de l’article 58 des Règles, une partie doit présenter une requête. Je mentionne que l’article 167 des Règles exige d’une partie qui demande le rejet d’une procédure pour cause de retard injustifié de présenter une requête.

[108]  Malgré le fait qu’aucune requête n’a été présentée, la question du rejet pour retard a été invoquée pendant les audiences tenues le 1er avril 2016 et le 19 juillet 2016. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je me pencherai sur le bien-fondé de la demande présentée par la défenderesse.

[109]  Le pouvoir de rejeter une action pour cause de retard est une décision discrétionnaire; voir le jugement rendu dans l’arrêt Canada c Yellowhead, (2012), 434 NR 63 (CAF), au paragraphe 2.

[110]  Vu l’ensemble du dossier, y compris le répertoire des inscriptions enregistrées, je souscris à l’opinion de la demanderesse selon laquelle il serait injuste et inéquitable, à l’heure actuelle, de rejeter la présente de demande de contrôle judiciaire pour cause de retard.

[111]  Je suis d’avis que le répertoire des inscriptions enregistrées fait partie du dossier de la Cour. L’article 23 des Règles prévoit que le greffe tient un dossier dans lequel sont classés tous les documents déposés. Le répertoire des inscriptions enregistrées fait partie du dossier où sont consignés les documents déposés, les ordonnances et la correspondance entre les parties et le greffe, ainsi que tout autre document lié à une instance.

[112]  Selon le répertoire des inscriptions enregistrées, les parties ont pris les mesures qui suivent entre le 16 avril 2012 et le 7 décembre 2015 :

  • - Le 16 avril 2012 : avis de demande présenté;

    • - Le 4 juin 2012 : la demanderesse présente un avis de requête afin de proroger le délai pour déposer un affidavit de documents;

    • - Le 14 juin 2012 : une ordonnance rendue par le protonotaire Aalto proroge le délai de signification de l’affidavit de documents;

    • - Le 16 juillet 2012 : l’affidavit de signification a été présenté au nom de la défenderesse afin de confirmer la signification de son affidavit à la demanderesse;

    • - Le 9 novembre 2012 : une ordonnance rendue par le juge en chef Crampton indique que l’instance se poursuit en tant qu’instance à gestion spéciale et la demanderesse a signifié et présenté l’échéancier proposé afin d’exécuter les mesures requises pour faire progresser la présente instance;

    • - Le 9 décembre 2014 : un affidavit de signification a été présenté au nom de la demanderesse afin de confirmer la signification de son affidavit à la Commission;

    • - Le 10 juin 2015 : un affidavit de signification a été présenté au nom de la demanderesse afin de confirmer la signification de son affidavit à la défenderesse;

    • - Le 21 juillet 2015 : le protonotaire Aalto a émis des directives verbales selon lesquelles une conférence sur la gestion de l’instance serait tenue afin d’obtenir une mise à jour sur l’état de l’instance;

    • - Le 28 juillet 2015 : une conférence de gestion de l’instance a eu lieu;

    • - Le 22 octobre 2015 : la demanderesse a présenté son dossier de demande;

    • - Le 6 novembre 2015 : toutes les parties consentent à une prorogation du délai pour la présentation du dossier de la défenderesse;

    • - Le 25 novembre 2015 : la défenderesse a présenté son dossier;

    • - Le 7 décembre 2015 : la demanderesse a présenté sa demande d’audience.

[113]  J’ai examiné la correspondance présentée par la défenderesse sur la question du retard. Je me reporte à la lettre du 1er avril 2016, où la thèse suivante est exposée :

[traduction]

Je vous saurais gré de présenter une copie du courriel ci-joint à la juge Heneghan en réponse à la question qu’elle a soulevée pendant l’audience tenue hier dans l’affaire susmentionnée, afin de savoir pourquoi la défenderesse avait présenté sa requête en rejet pour cause de retard à l’audience tenue hier plutôt que de présenter une requête distincte.

Comme les copies de courriels ci-joints le prouvent, nous avons eu plusieurs discussions et échanges de courriels avec l’agent du greffe de l’équipe de gestion de l’instance de la Cour sur la procédure à suivre afin d’aborder le retard de la demanderesse à poursuivre l’instance. J’ai demandé précisément quelle était la meilleure façon de présenter à la Cour la requête en rejet de la défenderesse – par un examen de l’état de l’instance ou par requête. En réponse, l’agent de la Cour a indiqué que le protonotaire Aalto ne croyait pas qu’il était nécessaire de mener un examen de l’état de l’instance et il a confirmé que cette question pourrait être soulevée à l’audition de la demande, ce que l’on nous a indiqué de vive voix de faire également. C’est pourquoi la défenderesse a présenté la demande de rejet à l’audience tenue hier plutôt que de présenter une requête distincte.

[114]  La lettre du 1er avril 2016 renvoie à un certain échange de courriels entre les avocats des parties et le personnel du greffe de la Cour, qui a eu lieu entre le 20 novembre 2014 et le 1er décembre 2015.

[115]  Dans le courriel du 4 juin 2015, un employé du greffe a demandé de présenter une mise à jour sur l’état de l’instance au nom du juge chargé de la gestion de l’instance.

[116]  En réponse, dans un courriel daté du 15 juin 2015, l’avocat de la défenderesse a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Je vous ai laissé un message vocal la semaine dernière, auquel vous n’avez toujours pas répondu. J’aimerais discuter de la procédure de la demanderesse jusqu’à présent et planifier une audience sur l’état de l’instance. Je suis au bureau jusqu’à jeudi; je serai ensuite absent pendant deux semaines. Veuillez m’indiquer si un moment vous convient cette semaine.

[117]  Dans un courriel daté du 6 octobre 2015, l’avocat de la défenderesse a renvoyé au retard de la demanderesse à poursuivre la présente demande de la façon suivante :

[traduction]

Notre cliente ne consent pas à l’échéancier proposé par la demanderesse. Nous sommes d’avis que cet échéancier n’aborde pas le retard inexcusable de la demanderesse à faire progresser cette demande :

·  L’avis de demande a été émis le 16 avril 2012. L’affidavit de la demanderesse a été présenté après une requête sur consentement pour proroger le délai pour qu’elle puisse le faire. La défenderesse a ensuite présenté son affidavit le 16 juillet 2012. Il s’agit de la dernière mesure prise relativement à la présente instance.

·  La demanderesse devait présenter son dossier le 27 août 2012. Elle n’a pris aucune mesure au cours des deux années précédentes.

·  Nous constatons, dans le dossier de la Cour, qu’un examen de l’état de l’instance a presque été ordonné le 19 octobre 2012, mais que la Cour a plutôt poursuivi la demande en tant qu’instance à gestion spéciale. Le 9 novembre 2012, la Cour a ordonné à la demanderesse de signifier et de présenter un échéancier dans les 20 jours suivants. Cependant, elle ne l’a pas fait.

·  Rien ne s’est passé dans la présente affaire jusqu’à ce que deux ans plus tard, la demanderesse signifie à tort un autre affidavit directement à notre cliente. Elle n’a pris aucune autre mesure avant le mois de juin 2015 environ, quand vous avez téléphoné aux parties afin de connaître l’état de l’instance.

Vu ce retard inexcusable, notre cliente demande à la Cour, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 385(2) des Règles, d’ordonner un examen de l’état de l’instance. Nous sommes d’avis qu’un examen de l’état de l’instance donnera lieu à une utilisation plus efficace des ressources de la Cour que la présentation d’une requête par la demanderesse afin de proroger le délai de signification de son dossier ou que la présentation par la défenderesse d’une requête en rejet pour cause de retard.

[Souligné dans l’original.]

[118]  L’avocat de la défenderesse a envoyé un autre courriel, daté du 26 novembre 2015, dans lequel il demandait à ce que l’on réponde à son courriel daté du 6 octobre 2015.

[119]  Dans un courriel daté du 1er décembre 2015, un membre du personnel du greffe de Toronto a répondu ainsi :

[traduction]

Ce dossier semble bien progresser. Le protonotaire Aalto ne croit pas qu’il soit nécessaire de mener un examen de l’état de l’instance. Une fois la demande d’audience présentée, une date d’audience sera fixée peu de temps après.

[120]  La défenderesse soutient qu’elle a suivi les conseils du personnel du greffe en décidant d’attendre jusqu’à l’audition de la présente demande pour aborder la question du retard; elle a soulevé cette affaire dans son mémoire des faits et du droit.

[121]  Je suis consciente que le processus de gestion des instances accorde une souplesse pour les échéances liées à l’achèvement des étapes préalables au procès. C’est toutefois la partie qui a la responsabilité finale d’exécuter ces étapes, et non un juge chargé de la gestion de l’instance ou le personnel du greffe. Les étapes préalables au procès en l’espèce auraient pu comprendre une requête en radiation pour cause de retard.

[122]  Je suis d’avis qu’il serait injuste de rejeter la présente demande pour cause de retard. Je refuse de le faire, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire.

C.  Quel est le délai prescrit pour la plainte? S’agit-il d’une plainte « fixe » ou d’une plainte « continue »?

[123]  Je m’emploierai d’abord à déterminer quels sont les indicateurs d’une plainte « fixe » et d’une plainte « continue ». La plainte n’emploie pas les termes « continue » ou « en cours ». La demanderesse a formulé l’allégation suivante : [traduction] « Je crois qu’il [le nouvel horaire] constituait de toute évidence un acte discriminatoire et une omission de prendre des mesures d’adaptation, puisque l’on me faisait travailler pendant un quart qui suscitait de véritables inquiétudes, ce dont témoignent les billets de médecin au dossier et je crois que mes patrons souhaitaient que j’échoue. »

[124]  Selon le formulaire « Résumé de la plainte » dans le dossier certifié du tribunal, il est indiqué que la date de la discrimination alléguée est du [traduction] « 9 juin 2009 au 14 octobre 2009 ». La demanderesse demandait à titre de mesure d’adaptation de retourner à ses quarts de travail en après-midi, quatre jours par semaine. Il s’agissait aussi d’un aspect de la réparation qu’elle avait demandée à la Commission. Dans les observations qu’elle a formulées à la Commission, la demanderesse a soutenu que la discrimination était en cours.

[125]  Dans Casler c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (2012), 433 NR 253 (CAF), malgré le fait que la Commission avait limité la période de la plainte à la date du licenciement de la plaignante, l’enquêteur a étudié les observations sur des événements survenus à l’extérieur de la période. La Cour a conclu qu’il pourrait être raisonnable de prendre en considération des événements survenus à l’extérieur de la période, s’ils aident à comprendre des événements survenus pendant la période visée par la plainte ou si l’employeur a allégué qu’un événement survenu à l’extérieur de la période constituait une mesure d’adaptation raisonnable.

[126]  Je souscris à l’opinion de la défenderesse quand elle affirme que le silence du paragraphe 44(3) de la Loi sur le caractère prématuré d’une plainte ne signifie pas pour autant que ce facteur constitue un motif invalide pour rejeter une plainte. Le sous-alinéa 44(3)b)(i) prévoit le rejet d’une plainte si la Commission conclut que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié. Le moment où la plainte est présentée fait partie des circonstances qui y sont reliées.

[127]  Je suis d’avis qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse n’avait pas donné suffisamment de temps à la défenderesse pour étudier sa demande avant de présenter la plainte. La défenderesse avait été informée dès le mois de juin 2009 qu’elle devrait peut-être prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la demanderesse.

[128]  Le paragraphe 41(1) de la Loi permet à un individu de déposer une plainte s’il a des « motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire ». Les mots « a commis » sous-entendent que l’acte discriminatoire peut être en cours et se poursuivre après le dépôt de la plainte. Même si la plainte en soi a été déposée seulement un mois après la première demande de mesure d’adaptation, la demanderesse a continué de travailler aux mêmes heures jusqu’en octobre 2014.

[129]  Je suis d’avis que l’enquêteur n’aurait pas dû limiter la période visée par la plainte du mois de juin 2009 au 14 octobre 2009. Il aurait dû considérer la plainte comme une plainte continue.

[130]  Je suis aussi d’avis que la demanderesse avait eu une possibilité suffisante de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la demanderesse avant que la Commission ne rende sa décision en mars 2012.

[131]  Comme il est indiqué ci-dessus, je souscris à l’opinion de la demanderesse selon laquelle l’enquêteur a agi de manière déraisonnable en limitant l’étude de la plainte à la période allant du mois de juin 2009 au mois d’octobre 2009. Je conclus donc que l’enquêteur a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve médicaux postérieurs au dépôt de la plainte.

D.  La Commission a-t-elle commis une erreur en acceptant la conclusion de l’enquêteur selon laquelle les éléments de preuve médicaux objectifs ne suffisaient pas à appuyer la demande de mesures d’adaptation de la demanderesse?

[132]  Le 17 septembre 2009, la défenderesse a envoyé un questionnaire au médecin de la demanderesse. Le médecin a renvoyé le questionnaire rempli le 13 octobre 2009.

[133]  Le 27 novembre 2010, la défenderesse a envoyé une lettre au médecin de la demanderesse afin d’obtenir des renseignements supplémentaires et a indiqué qu’elle mènerait un examen médical indépendant.

[134]  Le 14 janvier 2010, la défenderesse a envoyé une lettre au médecin de la demanderesse afin d’obtenir des renseignements supplémentaires. Le médecin de la demanderesse a répondu dans une lettre datée du 16 février 2010.

[135]  La demanderesse a subi un examen médical indépendant à la demande de la défenderesse le 14 juillet 2010.

[136]  Au paragraphe 60 du rapport, l’enquêteur a indiqué ce qui suit : [traduction] « [...] il semblerait n’y avoir aucun élément de preuve médical au dossier qui confirme que la plaignante devait faire l’objet de mesures d’adaptation pour ces heures de travail. »

[137]  L’enquêteur a reconnu d’autres renseignements. Il a examiné l’évaluation des capacités fonctionnelles du 12 mai 2010, tout en indiquant qu’elle se situait à l’extérieur du délai prescrit pour la plainte. Il a aussi examiné le rapport du 18 mai 2010 de Mme Franklyn et fait remarquer qu’il se situait à l’extérieur du délai prescrit pour la plainte. Il s’est également penché sur l’examen médical indépendant mené le 14 juillet 2010, tout en indiquant qu’il se situait à l’extérieur du délai prescrit pour la plainte.

[138]  Vu ma conclusion selon laquelle la plainte est continue, l’enquêteur a commis une erreur en ne prenant pas dûment en considération les documents médicaux présentés après le dépôt de la plainte.

E.  La Commission a-t-elle commis une erreur en déterminant que la demanderesse avait fait l’objet de mesures d’adaptation?

[139]  Au paragraphe 124 du rapport, l’enquêteur a indiqué ce qui suit :

[traduction]

[...] l’intimée a effectivement pris des mesures d’adaptation à l’égard de la plaignante, en lui permettant de travailler uniquement en après-midi pour les quarts de travail qui lui étaient attribués en l’attente de documents médicaux supplémentaires et elle a étudié de nouveau sa demande de mesures d’adaptation.

[140]  Au paragraphe 130 du rapport, l’enquêteur a conclu que [traduction] « au moment où la plainte a été déposée, l’intimée avait effectivement acquiescé à la demande de la plaignante de faire uniquement des quarts de travail en après-midi ».

[141]  Le 29 septembre 2009, la défenderesse avait permis à la demanderesse de s’absenter de ses quarts de travail en matinée et d’utiliser ses congés de maladie pour compenser la perte de revenus. Entre les mois d’octobre 2009 et de juillet 2012, la défenderesse a offert deux quarts de travail de rechange, mais les deux nouveaux horaires comprenaient des quarts qui commençaient avant midi.

[142]  La défenderesse soutient qu’elle n’est pas tenue, aux termes de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, de donner du travail improductif ou redondant. Elle soutient s’être acquittée de son obligation de prendre des mesures d’adaptation en permettant à la demanderesse d’éviter de travailler les heures en matinée des quarts de travail qui lui étaient attribués.

[143]  Je suis d’avis qu’il n’était pas raisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse avait fait l’objet de mesures d’adaptation. Les heures de travail de la demanderesse ont été réduites de moitié, ce qui l’a contrainte à utiliser ses congés de maladie pour compenser la perte de revenus. Je suis consciente que la défenderesse a indemnisé la demanderesse plus tard pour la perte de ses congés de maladie. Toutefois, malgré ce rajustement, la demanderesse gagnait toujours la moitié de son salaire antérieur.

[144]  La présente affaire est semblable à l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536.

[145]  Dans cet arrêt, une employée de Simpson-Sears était devenue membre de l’Église Adventiste du Septième Jour et ne pouvait plus travailler le samedi. L’employeur avait refusé de permettre à l’employée de travailler à temps plein sans travailler le samedi. L’employée a été contrainte de remettre sa démission et d’accepter un poste à temps partiel, ainsi qu’une baisse de salaire.

[146]  La Cour suprême du Canada a conclu que l’employeur avait omis de prendre des mesures d’adaptation afin de respecter la foi de l’employée et elle lui a ordonné de payer la différence entre le montant qu’elle aurait gagné en tant qu’employée à temps plein et celui qu’elle gagnait en tant qu’employée à temps partiel.

[147]  La seule mesure d’adaptation prise par la défenderesse à l’égard de la demanderesse a été de lui permettre de ne pas travailler pendant les heures en matinée de son quart de travail, tout en utilisant ses congés de maladie pour maintenir un salaire semblable. Je suis d’avis qu’il ne s’agit pas d’une mesure d’adaptation. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive; voir l’arrêt Hydro-Québec c Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), [2008] 2 RCS 561, au paragraphe 14.

[148]  L’obligation de prendre des mesures d’adaptation exige que l’employeur prenne des mesures raisonnables pour aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail; voir l’arrêt Simpsons-Sears, précité et l’arrêt Hydro-Québec, précité.

[149]  La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23, précité, décrit ainsi, au paragraphe 984, le fardeau qui incombe à l’employeur :

[…] Il faut plus que de simples efforts négligeables pour remplir l’obligation d’accommodement. L’utilisation de l’adjectif « excessive » suppose qu’une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte « excessive » répond à ce critère. Les mesures que l’auteur de la discrimination doit prendre pour s’entendre avec le plaignant sont limitées par les expressions « raisonnables » et « sans s’imposer de contrainte excessive ». Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais de différentes façons d’exprimer le même concept. Ce qui constitue des mesures raisonnables est une question de fait qui variera selon les circonstances de l’affaire […]

[150]  Dans l’affidavit qu’elle a présenté dans la présente procédure, Mme Fitzgerald a indiqué que [traduction] « [l]a Banque Scotia ne peut pas donner à la demanderesse 16 heures de travail par semaine à ces succursales après midi tout en répondant aux besoins opérationnels de ces succursales ».

[151]  Je suis d’avis que la défenderesse n’a pas montré qu’elle subirait des contraintes excessives en prenant des mesures d’adaptation à l’égard de la demanderesse pour répondre à son besoin de travailler uniquement en après-midi. Il n’était pas raisonnable de conclure que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation avait été respectée.

F.  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas été victime de harcèlement?

[152]  L’enquêteur a conclu que l’incident survenu le 15 septembre 2009 était isolé et qu’il ne correspondait pas à la définition de harcèlement. Il a abordé les allégations d’intimidation, de pression et d’intimidation dans le cadre de son analyse des répercussions négatives. Cette conclusion était raisonnable.

IX.  CONCLUSION

[153]  En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Toutefois, la demande présentée par la demanderesse afin de renvoyer directement sa plainte à un tribunal est rejetée. La Cour n’a pas compétence pour accorder une telle mesure de réparation. L’affaire est renvoyée à la Commission canadienne des droits de la personne afin que celle-ci l’examine de manière conforme aux présents motifs. La demanderesse n’a pas sollicité que des dépens soient adjugés si elle obtenait gain de cause et aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. [texte supprimé] L’affaire est renvoyée à la Commission canadienne des droits de la personne afin que celle-ci l’examine de manière conforme aux présents motifs. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-785-12

INTITULÉ :

CATHY MORAND c BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE, FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE BANQUE SCOTIA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO) ET ST. JOHN’S (TERRE-NEUVE) (tenue à St. John’s [Terre-Neuve] par vidéoconférence)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 31 mars 2016 et le 19 juillet 2016

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 24 janvier 2017

COMPARUTIONS :

Kendal McKinney

Pour la demanderesse

George G. Vuicic

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kendal McKinney Law Firm

Windsor (Ontario)

Pour la demanderesse

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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