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Date : 20160802


Dossier : T-2072-14

Référence : 2016 CF 889

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2016

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION HWLITSUM, REPRÉSENTÉE PAR SON CHEF ET SON CONSEIL, CHEF RAYMOND CLAYTON WILSON ET LES CONSEILLERS LINDSAY WILSON, JANICE WILSON, JIM HORNBROOK ET DANNY WILSON EN LEUR NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION HWLITSUM

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE, LA PREMIÈRE NATION MUSQUEAM, LA PREMIÈRE NATION TSAWWASSEN ET LA PREMIÈRE NATION PENELAKUT

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une requête par la défenderesse, Sa Majesté la Reine (« la Couronne »), afin d’obtenir une ordonnance de suspension de la présente instance au motif que l’affaire est pendante devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique et qu’il est dans l’intérêt de la justice qu’elle soit suspendue, ou que la demanderesse, la Première Nation Hwlitsum (« les Hwlitsum »), soit tenue de fournir un cautionnement pour les dépens de la Couronne. Les autres défenderesses, la Première Nation Musqueam, la Première Nation Tsawwassen et la Première Nation Penelakut, appuient toutes la requête en suspension de la Couronne.

[2]               Les Hwlitsum ont payé, avant la tenue de l’audience, l’ordonnance de dépens impayée sur laquelle était fondée la deuxième demande de la Couronne. Par conséquent, cette partie de la requête n’a pas été débattue à l’audience.

[3]               Il est peut-être utile de rappeler que la présente instance a pris naissance en octobre 2014 sous la forme d’une demande de contrôle judiciaire de la façon dont le ministère des Pêches et des Océans (« MPO ») gère les pêches de la côte ouest, en imposant de façon arbitraire des limites sur le droit constitutionnel de pêche des Premières Nations sans avoir d’abord limité l’accès aux pêches non autochtones, et du refus du MPO de considérer et de reconnaître les Hwlitsum comme un collectif autochtone identifiable et approprié aux fins de l’émission d’un permis de pêche commerciale.

[4]               En même temps ou presque que le dépôt de cette demande, les Hwlitsum ont également déposé un avis de poursuite civile devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, demandant la reconnaissance de leurs droits et titres ancestraux sur certaines parcelles de terre en Colombie-Britannique, ainsi que différentes formes de compensation découlant de cette reconnaissance.

[5]               Dans la demande déposée en Cour fédérale, les Hwlitsum ont déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance provisoire leur permettant de pratiquer la pêche conformément à leurs droits ancestraux présumés, et enjoignant au MPO de ne pas interférer avec ce droit autrement que pour des motifs de conservation de bonne foi. Cette requête a été rejetée en juin 2015. À ce moment, les parties ont consenti à une ordonnance « convertissant » la demande en action. L’article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que les demandes de contrôle judiciaire sont traitées « à bref délai et selon une procédure sommaire ». Cependant, la Cour peut ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire « soit instruite comme s’il s’agissait d’une action ». Une telle « conversion » ne vise pas à modifier la portée de l’application de la réparation demandée, mais simplement la procédure par laquelle les questions sont portées devant la Cour pour décision. Cependant, ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce.

[6]               En novembre 2015, les Hwlitsum ont signalé et déposé une déclaration retirant certaines des revendications faites dans la demande initiale, mais élargissant la portée des procédures et ajoutant des demandes de redressement, incluant des demandes en dommages-intérêts allant au-delà de ce qui était inclus dans la demande originelle ou qui serait disponible dans une demande de contrôle judiciaire.

[7]               La déclaration ne recherche plus des droits de pêche absolus ou prioritaires ou une décision selon laquelle ces droits ne peuvent être limités qu’à des fins de conservation de bonne foi, mais maintient la requête pour obtenir une déclaration du droit ancestral de pêcher des Hwlitsum, le même accès à la pêche que celui des autres peuples salish du littoral et des déclarations concernant la reconnaissance des Hwlitsum à titre de peuple autochtone identifiable au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de groupe approprié pour consultation et accès aux permis de pêche. À ces demandes de redressement, la déclaration ajoute de nouvelles demandes de déclaration selon laquelle les Hwlitsum constituent une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, qu’ils ont un intérêt d’un tiers dans certaines terres de réserve arpentées en 1877 et que la Couronne est en violation des droits des Hwlitsum aux termes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). La déclaration ajoute des réclamations en dommages-intérêts pour ces violations ainsi que pour des manquements allégués aux devoirs fiduciaires de la Couronne, pour la perte de l’usage des droits de pêche et la perte de l’usage des terres de réserve. En réponse à la requête en sursis de la Couronne, les Hwlitsum ont à nouveau modifié la déclaration, dans le but d’en retirer les dédoublements avec la poursuite civile en Colombie-Britannique; ils ont retiré la demande de déclaration d’un intérêt d’un tiers dans les terres de réserve et la réclamation en dommages-intérêts pour la perte d’usage des terres de réserve, même s’ils n’ont pas retiré aucune des allégations factuelles présentées en appui à ces réclamations.

[8]               Les Hwlitsum plaident que l’instance devant la Cour fédérale porte entièrement sur les droits de pêche ancestraux et qu’elle est différente et distincte de la poursuite civile en Colombie-Britannique et ne fait pas double emploi, cette poursuite portant entièrement sur le titre ancestral.

[9]               La poursuite civile en Colombie-Britannique (avec les autres modifications qui y ont été apportées en mai 2016) affirme le titre ancestral sur certaines terres, et les mesures de redressement demandées dans cette poursuite ont principalement trait à ces revendications. La poursuite civile en Colombie-Britannique, dans sa première version, incluait certaines allégations de violation des droits de pêche ancestraux des Hwlitsum par la Couronne et de dommages découlant de ces violations, mais ces éléments ont été retirés par les Hwlitsum avant l’audition de cette requête dans le cadre des efforts visant à distinguer les deux instances.

[10]           Cependant, malgré les efforts des Hwlitsum pour établir une distinction entre les deux instances quant aux mesures de redressement recherchées, il subsiste toujours des dédoublements évidents : les deux instances visent toujours à faire déclarer que [traduction] « la Première Nation demanderesse constitue une “bande indienne” au sens de la Loi sur les Indiens », une question qui est au cœur du différend entre les Hwlitsum, la Couronne et les autres Premières Nations défenderesses. Les deux instances visent également à obtenir les mêmes déclarations voulant que le Canada a manqué à ses obligations envers les Hwlitsum en vertu des mêmes articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du PIDESC et de la DNUDPA, incluant les dommages-intérêts pour ces manquements, des redressements qui découlent du même ensemble complexe de faits allégué dans les deux instances.

[11]           Au-delà de ces mesures de redressement qui se recoupent, le chevauchement des faits dans les deux instances est clair et important.

[12]           Afin d’établir les revendications et les droits affirmés dans la déclaration déposée en Cour fédérale, les Hwlitsum ont nécessairement fait des allégations détaillées sur leur descendance alléguée de la tribu indienne des Lamalcha, l’origine des Lamalcha, leurs liens avec les autres tribus ou nations salish du littoral, incluant les autres Premières Nations défenderesses Musqueam, Tsawwassen et Penelakut, de la période précédant le contact avec les Européens jusqu’à nos jours. La déclaration décrit le territoire occupé par les Lamalcha et dans lequel ils se déplaçaient, leur culture et leur mode de vie au fil des saisons et des années, les rencontres avec les marchands de fourrures blancs et le conflit tragique avec la Marine britannique, les relations ensuite difficiles entre les descendants allégués des survivants de ce conflit, le Canada et les autres bandes indiennes, retracés dans les moindres détails depuis 1870 jusqu’aux années 2000, incluant la participation des Hwlitsum aux différentes étapes du processus de traité moderne et leurs demandes infructueuses pour être reconnus comme Bande indienne. Ces faits « contextuels » ou historiques occupent 125 des 161 paragraphes de la déclaration, et sont presque entièrement repris dans l’avis de poursuite civile en Colombie-Britannique. Trente-six paragraphes seulement de la déclaration présentée devant la Cour fédérale portent précisément sur les difficultés éprouvées par les Hwlitsum pour obtenir des permis de pêche, et ces paragraphes ne sont pas repris dans l’avis de poursuite civile de la Colombie-Britannique. Avec les modifications apportées à l’avis de poursuite civile de la Colombie-Britannique en mai 2016, toutes les parties défenderesses de la poursuite devant la Cour fédérale sont maintenant aussi des parties défenderesses dans la poursuite civile de la Colombie-Britannique. La seule différence entre les deux demandes est que la province de Colombie-Britannique, la Ville de Vancouver, le Vancouver Park Board, la Ville de Richmond, la Corporation of Delta, le Capital Regional District et l’Inland Trust sont des défendeurs dans la poursuite civile en Colombie-Britannique, mais pas dans la poursuite devant la Cour fédérale.

[13]           Les parties acceptent généralement que la Cour, en statuant sur la présente requête, tienne compte des facteurs établis dans White v. EBF Manufacturing Ltd., 2001 CFPI 713, plutôt que d’appliquer le critère en trois parties de RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311.

[14]           Voici ces facteurs :

1.         La poursuite de l’action causerait-elle un préjudice ou une injustice (non seulement des inconvénients et des frais additionnels) au défendeur?

2.         La suspension créerait-elle une injustice envers le demandeur?

3.         Il incombe à la partie qui demande la suspension d’établir que ces deux conditions sont réunies.

4.         L’octroi ou le refus de la suspension relèvent de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge.

5.         Le pouvoir d’accorder une suspension peut seulement être exercé avec modération et dans les cas les plus évidents.

6.         Les faits allégués, les questions de droit soulevées et la réparation demandée sont-ils les mêmes dans les deux actions?

7.         Quelles sont les possibilités que les [sic] deux tribunaux tirent des conclusions contradictoires?

8.         À moins qu’il y ait un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question, la Cour devrait répugner fortement à limiter le droit d’accès d’une partie en litige à un autre tribunal.

9.         La priorité ne doit pas nécessairement être accordée à la première instance par rapport à la deuxième ou vice versa.

[15]           Les Hwlitsum font valoir que les défenderesses n’ont pas démontré que la poursuite des deux actions leur causerait un préjudice ou une injustice autre qu’un simple inconvénient ou des frais additionnels. J’estime cependant que le niveau de perte et de dédoublement qui en découlerait si l’on permettait que ces deux actions soient menées simultanément serait si excessif qu’il s’élèverait au-delà du « simple inconvénient ou [...] frais additionnels » pour constituer un préjudice.

[16]           Le chevauchement factuel entre les deux actions couvre près de 150 ans d’histoire, vue du point de vue de quatre Premières Nations différentes et de la Couronne. L’interrogatoire préalable, l’expertise et la durée du procès à l’égard des faits communs exigeront beaucoup de temps et seront coûteux. Dans White, la Cour a conclu qu’« il est toujours possible de remédier à ceux-ci [les frais supplémentaires et autres inconvénients] au moyen des dépens ». En l’espèce, toutefois, ces frais sont très importants; les Hwlitsum ont déjà plaidé l’indigence dans une tentative infructueuse d’obtenir une provision pour frais dans la poursuite civile en Colombie-Britannique; la Couronne a éprouvé des difficultés bien documentées à recouvrer les dépens qui leur ont été accordés à l’égard de la requête en mesures provisoires; il y a, en plus de la Couronne, trois autres Premières Nations défenderesses à qui des dépens importants pourraient être accordés; et, à tout événement, la Cour fédérale n’accorde pas de dépens indemnitaires substantiels. Le redressement par voie de dépens pour les dédoublements pourrait par conséquent être illusoire ou, à tout le moins, insuffisant dans les circonstances.

[17]           Les Hwlitsum font valoir qu’une suspension de l’action leur infligerait un préjudice, puisque cela retarderait encore davantage la détermination et l’éventuel exercice par leurs membres de leur droit le plus fondamental à la pêche de subsistance. Selon les Hwlitsum, le règlement du litige sur les droits de pêche ancestraux dans le cadre de la poursuite civile en Colombie-Britannique pourrait facilement prendre de huit à dix ans avant la tenue de l’audience en bonne et due forme et la décision. Il n’y a cependant pas de preuve ou d’argument convaincant à l’appui de la suggestion implicite dans cette déclaration selon laquelle la poursuite civile en Colombie-Britannique serait réglée plus rapidement sans les revendications sur les droits de pêche ou que les revendications sur les droits de pêche seraient réglées dans un délai substantiellement plus rapide si l’instance devait être menée devant la Cour fédérale en parallèle avec la poursuite civile en Colombie-Britannique. Comme en fait foi l’historique des procédures devant la Cour, la plus grande partie des délais inhérents aux litiges portant sur des questions complexes et impliquant plusieurs parties résultent de la difficulté de coordonner la disponibilité des parties pour les audiences, les contre-interrogatoires ou les interrogatoires préalables, une difficulté qui sera aggravée et amplifiée si les deux actions étaient poursuivies en parallèle. En outre, on peut s’attendre à ce qu’une requête préliminaire en détermination de qualité qui a entraîné des délais importants dans la progression de l’action en Colombie-Britannique soit également soulevée en l’espèce.

[18]           La Cour juge non fondé l’argument des Hwlitsum selon lequel la Couronne n’a pas soulevé les questions d’abus et de dédoublement avant d’accepter la conversion et que cela crée une injustice, ou que le refus de la Couronne de négocier avec les Hwlitsum dans le contexte du processus de traité en Colombie-Britannique les a forcés à recourir aux tribunaux. Le dossier présenté à la Cour n’appuie pas la conclusion selon laquelle, après le rejet de la requête en mesures provisoires des Hwlitsum, la décision de rechercher un règlement judiciaire du droit de pêche ancestral des Hwlitsum et de tous les redressements y afférents par voie d’une action en Cour fédérale plutôt que dans le cadre de la poursuite civile en Colombie-Britannique n’était plus celles des Hwlitsum.

[19]           Enfin, les Hwlitsum ont soulevé, lors de l’audience, la possibilité qu’ils puissent ne plus être autorisés à modifier la poursuite civile en Colombie-Britannique pour y inscrire ou y réinscrire la demande de reconnaissance d’un droit de pêche ancestral. Aucune preuve n’a été présentée à l’appui de cet argument, mais la Couronne a indiqué que, conformément à son opinion que la poursuite civile en Colombie-Britannique contient toujours des revendications sur les droits de pêche, elle ne s’opposerait pas à ce que les Hwlitsum clarifient, par voie de précisions, leurs revendications sur le droit de pêche ancestral. Même si c’était insuffisant et que les préoccupations des Hwlitsum venaient à se concrétiser, une partie ne devrait pas pouvoir invoquer comme préjudice les conséquences prévisibles de ses propres choix procéduraux.

[20]           Pour les deux critères suivants, il faut se demander si les faits allégués, les questions juridiques soulevées et les redressements demandés sont similaires dans les deux actions, et quelles sont les possibilités que les deux cours en arrivent à des conclusions contradictoires. J’ai déjà conclu que les faits allégués à l’appui de l’action devant la Cour fédérale sont, en grande partie, non seulement similaires, mais identiques à la plupart des faits allégués en appui de la poursuite civile en Colombie-Britannique, et que certaines formes de redressement sont exactement les mêmes dans les deux instances.

[21]           Les Hwlitsum reconnaissent que les mêmes faits sont plaidés dans les deux instances, mais font valoir que ces faits ne portent que sur un « contexte factuel » visant à établir l’occupation avant la souveraineté, l’occupation actuelle, les coutumes et les traditions inhérentes à la culture distincte des Hwlitsum et la qualité. Ils font aussi valoir que malgré ces dédoublements généralisés, il n’y a aucun risque de conclusions contradictoires, puisque les critères pour la reconnaissance du titre autochtone, revendiquée dans la poursuite civile en Colombie-Britannique, et pour la reconnaissance des droits ancestraux, revendiquée dans l’instance devant la Cour fédérale, sont sensiblement différents et distincts, y compris en ce qui a trait à la question de la qualité requise pour poursuivre leurs revendications.

[22]           Bien que les Hwlitsum aient raison de dire que les redressements essentiels recherchés dans les deux instances sont différents et exigent l’application de normes et de critères différents, ils n’ont pas raison de croire que cela suffit à éliminer le risque de conclusions contradictoires. Le fait qu’il soit souhaitable d’éviter les jugements ou les conclusions contradictoires ne se limite pas à la détermination des droits entre les parties, mais s’étend à la détermination du fondement factuel de ces droits. Ce que les Hwlitsum présentent comme un « contexte factuel » n’est pas simplement une récitation non contestée de faits historiques acceptés, mais la base factuelle même que les Hwlitsum doivent établir afin de prouver leurs revendications, une base factuelle qui est vigoureusement contestée par les défenderesses dans l’action devant la Cour fédérale et qui, comme nous l’avons vu, sont aussi des défenderesses dans la poursuite civile en Colombie-Britannique. Si les mêmes faits entre les mêmes parties sont jugés dans deux cours différentes, il existe un risque certain que ces deux cours arrivent à des conclusions factuelles incompatibles ou contradictoires. Les droits juridiques ne sont pas déterminés dans un vide factuel. Peu importe qu’ils soient fondés sur des causes d’actions différentes ou qu’ils découlent d’une analyse ou de principes juridiques différents, les déterminations des droits juridiques entre les mêmes parties sont incohérentes ou contradictoires si elles découlent de conclusions de fait incohérentes ou contradictoires. Dans ces circonstances, il est clair que le fait de permettre à ces deux actions d’être instruites en parallèle ouvre la voie à une possibilité très réelle de conclusions incohérentes sur des aspects essentiels des deux réclamations, et donc à des jugements incohérents ou contradictoires. La seule façon d’éviter cela serait que l’un des deux procès se mette en marche bien avant l’autre, pour que les conclusions factuelles tirées dans le premier procès lient les parties dans le deuxième, ce qui reviendrait essentiellement à ce que l’une des actions soit suspendue en attendant la décision de l’autre.

[23]           Les Hwlitsum, invoquant le huitième facteur de White, font valoir que, puisqu’une décision dans l’une ou l’autre des instances est loin d’être imminente (à l’exception peut-être de la requête en détermination de qualité devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique), la Cour devrait s’abstenir d’interférer avec le droit des Hwlitsum de s’adresser à la compétence de la Cour fédérale. Étant donné que le chevauchement entre les deux actions est important et qu’il porte sur la base factuelle même des deux revendications, je conclus que le fait d’attendre que l’une ou l’autre des actions soit mûre pour une détermination ne ferait que retarder l’inévitable, permettant que de longs interrogatoires préalables se déroulent en parallèle et en double, dont l’un est voué à être perdu.

[24]           Je conclus que nous sommes aux prises avec un cas évident où le fait de permettre à ces deux actions d’être instruites en parallèle causera un dédoublement excessif de coûts, d’efforts et de ressources et entraîne de tels risques inacceptables de conclusions incohérentes qu’une suspension de l’instance est justifiée.

[25]           Je conclus qu’une suspension de l’instance devant la Cour fédérale ne causerait pas de préjudice aux Hwlitsum. Des 22 demandes de redressement présentées dans la déclaration de la demanderesse, toutes sauf une relèvent de la compétence concurrente de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, sont intimement liées aux redressements demandés dans la poursuite civile en Colombie-Britannique ou les reprennent, ou sont déjà, pourraient être ou devraient avoir été incluses dans la poursuite civile en Colombie-Britannique. La seule mesure de redressement relevant de la compétence exclusive de la Cour est une ordonnance de la nature d’un mandamus, au paragraphe N de la déclaration, par lequel la demanderesse demande à la Cour [traduction] « d’ordonner que la défenderesse tienne immédiatement des consultations avec les demanderesses dans le but d’accorder à la Première Nation Hwlitsum les mêmes droits de pêche et le même accès aux pêcheries de la côte ouest que ceux dont bénéficient les Premières Nations défenderesses et les autres Premières Nations salish du littoral ». Cependant, ce redressement découlerait naturellement de l’octroi de plusieurs autres déclarations ou redressements demandés et sur lesquels la Cour suprême de la Colombie-Britannique pourrait avoir compétence. Il n’y a aucun préjudice pour les Hwlitsum à suspendre l’action devant la Cour fédérale jusqu’à ce que les Hwlitsum aient fait valoir les revendications et les demandes de redressement beaucoup plus complètes et inclusives déjà énoncées dans la déclaration de poursuite civile. Au contraire, c’est la volonté des Hwlitsum de séparer et d’intenter en parallèle devant deux cours différentes des demandes de redressement découlant d’un ensemble de faits commun qui ne peut être justifié et qui constitue un abus de procédure préjudiciable aux défenderesses.

[26]           Toutes les parties demandent leurs dépens en l’espèce, y compris les frais de la première présence à la date fixée pour la présentation de la requête le 18 mai 2016. L’audience du 18 mai 2016 a été ajournée au 9 juin 2010 afin de permettre aux Hwlitsum de s’acquitter de l’engagement de modifier leur acte de procédure pour en retirer les dédoublements, pris dans leurs observations écrites en réponse déposées le 18 avril 2016. La Couronne en particulier demande une ordonnance de paiement de ses dépens pour l’ajournement par l’avocat des Hwlitsum, parce qu’il a fait défaut de présenter l’acte de procédure modifié avant l’audience comme il l’avait promis et n’a pas avisé les défenderesses dans un délai raisonnable qu’il ne le ferait pas. Je conviens que l’avocat des Hwlitsum aurait dû aviser l’avocat de la partie adverse et la Cour des difficultés auxquelles il faisait face pour livrer son acte de procédure modifié avant la tenue de l’audience. Je conclus cependant que l’avocat a présenté un motif raisonnable pour ne pas avoir déposé l’acte de procédure modifié à temps; « l’inconduite » alléguée de l’avocat tient donc uniquement à son défaut d’avertir les défenderesses que l’acte de procédure modifié ne serait pas déposé à temps. Je note également que tous les avocats, à l’audience du 18 mai 2016, se sont dits d’accord pour procéder avec la requête sur la base de l’acte de procédure existant, mais que ce fut la décision de la Cour, et non la volonté de la défenderesse, que la requête soit ajournée pour être débattue sur la base de l’acte de procédure réel prévu par les Hwlitsum. Dans ces circonstances, bien que les frais inutilement engagés pour la préparation et la participation à la première audience doivent être inclus dans mon évaluation des dépens de cette requête, je ne suis pas convaincu qu’il soit approprié d’en tenir l’avocat des Hwlitsum personnellement responsable. Je conclus que les dépens de la requête devraient être adjugés contre les Hwlitsum et en faveur des défenderesses, dans les proportions suivantes :

  • des dépens fixés à 5 000 $ sont adjugés à la Couronne;
  • des dépens fixés à 1 700 $ chacune sont adjugés à la Première Nation Musqueam et à la Première Nation Tsawwssen;
  • des dépens fixés à 500 $ sont adjugés à la Première Nation Penelakut.

Je conclus également qu’il s’agit d’un cas tellement évident de dédoublement inutile que cette requête n’aurait pas dû faire l’objet d’une opposition. Les dépens sont donc exigibles immédiatement à l’expiration de tous les moyens d’appel de la présente ordonnance.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La présente action soit suspendue jusqu’à 45 jours après la conclusion de la procédure devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans la poursuite civile no S-148643.

2.                  Les parties devront, à la levée de la suspension, déposer des observations écrites indiquant s’ils croient qu’une partie quelconque de la présente instance devrait être instruite ou, si un appel d’une détermination judiciaire de la procédure de la Colombie-Britannique est en instance, que la présente suspension devrait être prolongée jusqu’à ce que tous les moyens d’appel aient été épuisés.

3.                  Les dépens de la présente requête sont payables par les demandeurs aux défenderesses, dans les proportions suivantes :

                     à Sa Majesté la Reine, des dépens fixés à 5 000 $;

                     à la Première Nation Musqueam, des dépens fixés à 1 700 $;

                     à la Première Nation Tsawwssen, des dépens fixés à 1 700 $;

                     à la Première Nation Penelakut, des dépens fixés à 500 $;

exigibles immédiatement à l’expiration du délai ou de tous les moyens d’appel de la présente ordonnance.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2072-14

 

INTITULÉ :

LA PREMIÈRE NATION HWLITSUM, REPRÉSENTÉE PAR SON CHEF ET SON CONSEIL, CHEF RAYMOND CLAYTON WILSON ET AL. c. SA MAJESTÉ LA REINE, LA PREMIÈRE NATION MUSQUEAM, LA PREMIÈRE NATION TSAWWASSEN ET LA PREMIÈRE NATION PENELAKUT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 mai 2016 et le 9 juin 2016

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 AOÛT 2016

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey R.W. Rath

David Khan

 

Pour les demandeurs

 

Steven Postman

Alex Semple

 

Pour la défenderesse

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Crystal Reeves

 

Pour la défenderesse

PREMIÈRE NATION MUSQUEAM

 

Geoff Plant

Frederick Sheppard

 

Pour la défenderesse

PREMIÈRE NATION TSAWWASSEN

 

Graham Kosakoski

 

Pour la défenderesse

PREMIÈRE NATION PENELAKUT

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rath & Company

Avocats

Priddis (Alberta)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Mandell Pinder LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

PREMIÈRE NATION MUSQUEAM

 

Gall Legge Grant & Munroe LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

PREMIÈRE NATION TSAWWASSEN

 

Rosenberg Law

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

PREMIÈRE NATION PENELAKUT

 

 

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