Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170111


DOSSIER : IMM‑2962‑16

Référence : 2017 CF 31

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 11 janvier 2017)

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

MAHMOUD ISSA AHMAD AL‑KHATEEB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un commissaire de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] en date du 16 juin 2016 [la décision]. La Cour est saisie d’une demande déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27) [la Loi]. La SAR a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger parce que le Qatar est son seul pays de résidence habituelle.

[2]               Le demandeur est un Palestinien apatride qui est né à Gaza en 1984. Lorsqu’il avait environ six mois, sa famille a déménagé au Qatar. Il y a grandi en tant que résident temporaire en raison de l’emploi de son père. De 2002 à 2008, il a étudié à l’université en Jordanie au moyen d’un visa d’étudiant et est retourné au Qatar chaque année afin de maintenir son statut. Après avoir obtenu son diplôme, il a travaillé en tant qu’ingénieur au Qatar et son statut d’immigration dépendait de son emploi. Il n’est retourné à Gaza qu’une seule fois, pour une visite d’un mois avec des proches, lorsqu’il avait 12 ans.

[3]               En juin 2015, le demandeur a changé d’emploi au Qatar et est allé ensuite au Canada pour rendre visite à des proches. Quand il était ici, il a appris qu’il avait été congédié de son nouveau poste. Le permis de résident du Qatar venait à échéance en décembre 2015 et ne serait pas renouvelé à moins qu’il ne trouve un nouvel emploi. Toutefois, le Qatar avait adopté une loi visant à nationaliser son effectif et le demandeur se préoccupait donc du fait qu’il ne serait pas en mesure de trouver un nouvel employeur pour le parrainer. Dans cette situation, le Qatar l’expulserait vers Gaza. En conséquence, le demandeur est resté au Canada et a demandé l’asile en soutenant une crainte à l’égard de Gaza.

[4]               Gaza est contrôlée par le groupe politique du Hamas. Le demandeur craint de retourner à Gaza parce que sa famille est affiliée au groupe politique Fatah. Il est le groupe politique rival du Hamas. Le demandeur craint la persécution, y compris la torture dès son retour à Gaza.

I.                    Les questions en litige

[5]               La question que devait trancher la SAR était celle de savoir si le Qatar, la Jordanie ou Gaza pouvaient être traités comme le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle [PRH]. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a conclu que le Qatar était le seul PRH du demandeur.

[6]               L’expression PRH figure aux dispositions 1 a)(2) et 1 c)(6) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.

[7]               L’expression PRH figure également à l’alinéa 96b) et au paragraphe 97(1) de la LIPR. Ces dispositions sont ainsi rédigées :

96 b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96 (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

[8]               J’examinerai chacun des éléments de preuve concernant le potentiel de chacun des PRH et les conclusions de la SAR.

II.                 Qatar

[9]               Le demandeur se contentait du Qatar et n’avait aucune crainte de persécution dans ce pays. Il y a vécu pendant vingt‑cinq ans et il a par ailleurs maintenu son statut de résident en y retournant régulièrement pendant les cinq ans qu’il a étudié en Jordanie. Il vivait avec sa famille, a suivi des cours au niveau secondaire et a enfin trouvé un emploi en tant qu’ingénieur. Son emploi lui conférait le droit de résider au Qatar et de voyager à l’étranger et d’y revenir à son gré. Toutefois, tel que cela est indiqué ci‑dessus, le demandeur a perdu son statut au Qatar. Il n’avait plus le droit d’y retourner.

III.               Jordanie

[10]           Le demandeur a vécu en Jordanie pendant cinq ans en tant qu’étudiant invité. Il avait également des documents délivrés par la Jordanie qui lui permettait de voyager à l’échelle internationale, mais qui ne lui conférait aucun droit de retour ou de résider en Jordanie. Le demandeur n’avait aucune crainte de persécution en Jordanie.

IV.              Gaza

[11]           Le demandeur est un Palestinien. Il est né à Gaza et y a vécu avec sa famille jusqu’à ce qu’il soit âgé d’environ six mois. Il avait également rendu visite à des membres de la famille en Palestine pendant un mois à l’âge de 12 ans. Il avait le droit de retourner à Gaza et d’y résider. Il craignait la persécution et la torture à Gaza de la part du groupe Hamas.

V.                 La décision de la SAR

A.                 Qatar

[12]           La SAR était du même avis que la SPR selon lequel le Qatar est le seul PRH du demandeur. Il est indiqué au paragraphe 18 de la décision que [traduction] « la SAR estime que la relation de l’appelant avec le Qatar est comparable en fait à celle qui existe entre un citoyen et un pays de nationalité. Il avait le droit d’y vivre, d’y travailler, d’avoir une éducation au niveau secondaire, et de rentrer à maintes reprises dans le pays. Le Qatar est un pays dans lequel l’appelant avait sa résidence habituelle. »

B.                 Jordanie

[13]           La SAR n’a pas indiqué que la Jordanie constituait un PRH. Au paragraphe 19 de la décision, elle indique que [traduction] « L’appelant était en Jordanie pendant une période plus longue (par rapport à Gaza), mais uniquement à des fins d’études. Il a également fait des voyages réguliers au Qatar en vue d’y préserver son statut de résident. Encore une fois, il ne ressort aucunement de la preuve que l’appelant était un résident habituel de la Jordanie; il y résidait plutôt de manière temporaire à l’aide d’un statut temporaire, même s’il maintenait le Qatar comme son domicile et il n’avait aucune relation avec l’État comparable à celle d’un ressortissant. »

C.                 Gaza

[14]           La SAR n’a pas indiqué que Gaza constituait un PRH. Au paragraphe 19 de la décision, il est indiqué que [traduction] « L’appelant n’a vécu à Gaza que pendant six mois et la SAR estime que cette réalité ne peut être caractérisée comme régulière, continue ou habituelle. »

[15]           Le demandeur soutient que la décision crée une situation où :

  1. L’évaluation du risque dont a fait l’objet le demandeur par la SPR et la SAR est inutile. Le risque a été évalué uniquement par rapport à un pays (le Qatar) à l’égard duquel il a exprimé n’avoir aucune crainte et dans lequel il ne peut retourner;
  2. Son risque n’a pas été et ne sera pas évalué, même dans un ERAR, dans le pays (Gaza) où il soutient être susceptible d’être exposé à la persécution et à la torture et dans lequel il peut retourner.

[16]           Le défendeur soutient que la situation décrite ci‑dessus n’est pas grave puisque la LIPR prévoit d’autres mesures permettant de s’assurer que l’expulsion qui entraîne la persécution et la torture n’arrive pas. Ces catégories comprennent :

̶   les demandes pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la LIPR;

̶   l’application du pouvoir discrétionnaire ministériel en vertu de l’article 25.1 de la LIPR;

̶   les demandes d’ERAR.

[17]           Toutefois, j’estime qu’aucune de ces mesures ne constitue un substitut d’une décision significative concernant une demande d’asile. Les demandes pour motifs d’ordre humanitaire ne concernent pas une évaluation des risques approfondie et elles sont hautement discrétionnaires. Les mesures du ministre sont également discrétionnaires et un agent chargé de l’ERAR n’est pas susceptible d’entreprendre une nouvelle évaluation des risques à l’égard d’un pays dont la SAR a conclu qu’il ne doit pas être pris en considération.

VI.              Les questions en litige

[18]           Le demandeur a soulevé de nombreuses questions, y compris des observations selon lesquelles la décision est absurde et contraire aux objectifs de la LIPR, de la Charte et des obligations internationales du Canada en vertu de la Convention sur les réfugiés et de la Convention contre la torture. Cependant, j’estime qu’une question est déterminante. Il s’agit du fait que la SAR n’a pas effectué une évaluation de Gaza en tant que PRH. Dans une phrase, elle a simplement comparé les six mois passés par le demandeur à Gaza à ses vingt‑cinq à trente ans passés au Qatar et a éliminé Gaza de l’examen. La SAR a apparemment omis d’évaluer ce qui suit :

      il peut exister plus d’un PRH;

      la naissance du demandeur à Gaza lui confère un statut qui s’apparente à la nationalité;

      ses droits de retour et de résidence s’apparentent également aux droits associés à la citoyenneté;

      il n’existe aucune période minimale de résidence pour établir un PRH;

      les PRH sont « antérieurs ». Le fait qu’il était un résident habituel de Gaza il y a de nombreuses années ne l’empêche pas d’être une PRH;

      il a des membres de la famille à Gaza et il est un Palestinien.

[19]           La SAR a mal compris la définition que donnent les dictionnaires, qu’elle a invoquée pour le sens du terme « habituel ». Il est défini comme [traduction] « régulier, continu ou habituel ». Aucun de ces termes ne traite de la durée. Au contraire, ils suggèrent un mode de vie normal non interrompu. C’est la situation exacte du demandeur lorsqu’il était un nourrisson à Gaza. Il vivait avec sa famille, a mangé et a dormi comme les nourrissons le font.

[20]           La SAR a mal compris la signification d’une « longue période de résidence » tel que cette expression est utilisée par le juge Cullen dans Maarouf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1994] 1 C.F. 723. Puisqu’il n’existe aucune période minimale pour un PRH, la signification doit pouvoir signifier autre chose qu’une longue période. Il s’ensuit qu’une courte période peut être significative.

[21]           En d’autres termes, une période de résidence peut acquérir un caractère significatif pour des raisons autres que la longévité. Les premiers six mois du demandeur constituaient une période significative parce qu’elle comprenait sa naissance et son acquisition des droits de résidence et de retour qui sont associés à la citoyenneté, qui constituent des droits viagers.

VII.            Norme de contrôle

[22]           Les parties ont présenté de longues observations à ce sujet. Le défendeur suggère la décision raisonnable et le demandeur a proposé la décision correcte. Je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de trancher la question pour les motifs qui précèdent, la décision serait annulée selon les deux normes.

VIII.         Question à certifier

[23]           Le demandeur a proposé que la question suivante soit certifiée :

Quel est le critère juridique pour évaluer le « pays dans lequel un [demandeur] avait sa résidence habituelle » en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR?

[24]           J’estime qu’il ne s’agit pas d’une question qui serait déterminante. Le problème en l’espèce n’est pas l’absence d’une définition d’un PRH, mais plutôt l’application de la définition. La question ne sera donc pas certifiée.


JUGEMENT

LA COUR DÉCIDE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question de savoir si Gaza constitue un PRH doit être examinée par un autre commissaire de la SAR, conformément aux présents motifs.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2962‑16

INTITULÉ :

MAHMOUD ISSA AHMAD AL‑KHATEEB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFs :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Me Jared Will

Me Joshua Blum

pour le demandeur

Me Tamrat Gebeyehu

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.