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Date : 20170127


Dossier : IMM-2342-16

Référence : 2017 CF 109

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

V.S.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour considérations d’ordre humanitaire, conformément à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La Cour est maintenant saisie d’une demande de contrôle judiciaire, au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR, de la deuxième demande pour considérations d’ordre humanitaire de la demanderesse qui a été rejetée. La demanderesse est citoyenne du Cameroun. Elle est entrée au Canada en 2009 et a présenté une demande d’asile par crainte d’être forcée à épouser son beau-frère et par crainte d’être forcée de subir une mutilation génitale féminine. Sa demande d’asile n’a pas été traitée puisqu’elle a fait une présentation erronée de ses antécédents de voyage. Avant d’être tenue de quitter le Canada, la demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) fondée sur son orientation sexuelle. Sa demande d’ERAR a été rejetée.

[2]  Dans sa demande pour considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse a soutenu qu’elle serait exposée à un risque en raison de son orientation sexuelle si elle retournait au Cameroun. Elle craint également que sa fille née au Canada, conçue au moyen de la fécondation in vitro en 2014, subisse une mutilation génitale féminine. De plus, elle soutient que la qualité des soins de santé au Cameroun expose sa jeune fille à un risque. L’agent n’était pas convaincu qu’il existait des éléments de preuve fiables quant aux risques allégués par la demanderesse. Par ailleurs, l’agent a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en ce qui concerne son orientation sexuelle. Sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée.

[3]  Dans le présent contrôle judiciaire, la demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas examiné les éléments de preuve de manière appropriée. Elle soutient également qu’elle a été victime d’un manquement au principe d’équité procédurale. Par les motifs qui suivent, je conclus que la décision relative aux considérations d’ordre humanitaire est raisonnable et qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  L’agent a tenu compte des risques de mariage forcé et de mutilation génitale féminine forcée que faisait peser sur la demanderesse la famille de son défunt mari. La demanderesse avait déjà soulevé ces risques dans sa demande d’asile. Cependant, l’agent indique que la demande pour considérations d’ordre humanitaire restait silencieuse sur ces questions. En conséquence, l’agent a conclu que ces risques avaient été atténués.

[5]  En ce qui concerne l’orientation sexuelle de la demanderesse et sa crainte d’un traitement préjudiciable au Cameroun, l’agent était préoccupé du fait que l’« orientation sexuelle » n’avait pas été soulevée par la demanderesse dans sa demande d’asile initiale. L’agent a conclu que les explications de la demanderesse quant à l’omission de le faire étaient déraisonnables, surtout vu son niveau d’éducation et de raffinement. L’agent n’a pas retenu non plus ses explications des incohérences concernant les relations qu’elle soutient avoir eues avec des femmes au Cameroun. Il a remis en question, en outre, la fiabilité de son témoignage portant sur son orientation sexuelle lorsqu’elle n’a pas pu pas se souvenir du nom du site Web où elle a rencontré sa première petite amie canadienne. Dans l’ensemble, l’agent a conclu qu’il y avait insuffisance d’éléments de preuve crédibles étayant son argument selon lequel elle est lesbienne.

[6]  En ce qui concerne sa relation actuelle avec une partenaire du même sexe, l’agent était préoccupé par les dates de certains des éléments de preuve déposés en vue de démontrer l’existence de la relation puisqu’ils étaient datés de peu après le rejet de sa demande d’ERAR. De plus, le fait que sa partenaire n’ait pas joué un rôle important dans sa décision de recourir à la fécondation in vitro a amené l’agent à remettre en question la crédibilité de son argument voulant qu’elle ait une relation homosexuelle avec une conjointe de fait. L’agent s’attendait à ce que sa partenaire participe à une décision d’une telle importance.

[7]  Dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a conclu que les éléments de preuve établissaient que la demanderesse était la principale responsable de l’enfant et le seul parent légal. Il a cependant reconnu que sa partenaire partageait certaines des responsabilités parentales. Toutefois, l’agent a conclu que l’aide que lui offrait sa partenaire pourrait être apportée par des membres de la famille au Cameroun. En ce qui concerne le risque de mutilation génitale féminine, l’agent a conclu que personne ne menaçait de faire subir cette intervention à l’enfant et qu’il était improbable que l’enfant la subisse si elle allait au Cameroun avec sa mère. Même si l’agent a reconnu que la qualité des soins de santé au Cameroun laissait à désirer, rien n’indiquait que l’état de santé actuel de l’enfant exigeait des soins. L’agent a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, ce risque n’avait pas été établi.

[8]  En rejetant la demande pour considérations d’ordre humanitaire, même si l’agent a indiqué que la demanderesse s’était quelque peu établie au Canada, les facteurs défavorables l’emportaient sur son établissement, notamment [traduction] « la présentation erronée de ses antécédents de voyage dans sa demande d’asile ». En outre, l’agent a conclu que la demanderesse [traduction] « était souple en ce qui concerne la vérité afin de donner du poids à ses allégations concernant les conditions défavorables auxquelles elle serait exposée au Cameroun ».

II.  Questions en litige

[9]  La demanderesse soulève les questions suivantes :

  1. Les conclusions concernant l’orientation sexuelle de la demanderesse sont-elles raisonnables?
  2. L’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant est-elle raisonnable?
  3. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[10]  La norme de contrôle qui s’applique à l’examen d’une décision relative à des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18).

[11]  Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

III.  Analyse

A.  Les conclusions concernant l’orientation sexuelle de la demanderesse sont-elles raisonnables?

[12]  La demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve concernant son orientation sexuelle. Elle soutient que sa relation actuelle a commencé en 2011 et que les deux conjointes ont commencé à vivre ensemble en 2015. Elle fait valoir que, même si elles ne vivaient pas ensemble au moment où elle a eu recours à la fécondation in vitro, sa partenaire soutenait la décision de la demanderesse d’avoir un enfant.

[13]  L’agent ne pouvait pas concilier l’omission de la demanderesse de communiquer son orientation sexuelle au moment de sa demande d’asile avec le fait qu’elle jouissait d’un bon niveau de scolarité. De plus, l’agent a trouvé des incohérences entre les éléments de preuve de la demanderesse concernant ses relations sexuelles antérieures. En outre, l’agent a conclu que la demanderesse n’était pas crédible lorsqu’elle a discuté de ses relations antérieures avec des femmes au Cameroun. Ses éléments de preuve comportaient des incohérences et l’agent a conclu que ses explications étaient improbables. Il convient de faire preuve de déférence à l’égard de cette conclusion de l’agent (N’Kuly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1121, au paragraphe 20).

[14]  Il n’appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau les éléments de preuve ou de substituer à cette décision celle qui serait à son avis préférable (Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230, au paragraphe 52).

[15]  En l’espèce, l’agent a conclu que la demanderesse a omis de présenter des éléments de preuve suffisants pour justifier sa demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Il s’agit d’une conclusion raisonnable.

B.  L’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant est-elle raisonnable?

[16]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle fait valoir que sa fille risque de subir une mutilation génitale féminine au Cameroun en raison de son (celle de la demanderesse) orientation sexuelle.

[17]  L’agent a examiné ce risque et a conclu que, puisque la demanderesse n’avait pas établi, au moyen d’éléments de preuve crédibles, qu’elle était lesbienne, il n’était pas convaincu qu’il existait un risque accru de mutilation génitale féminine pour sa fille en raison de ce seul facteur. En outre, l’agent a indiqué qu’aucune menace d’assujettir sa fille à la mutilation génitale féminine n’avait été proférée et qu’il était convaincu que la demanderesse pouvait protéger adéquatement sa fille d’une telle menace.

[18]  L’agent a tenu compte des autres facteurs liés aux considérations d’ordre humanitaire dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve lié aux difficultés. L’agent n’a pas défini les « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » en tant que seuil. L’agent a examiné chacun des facteurs et ensuite l’ensemble des facteurs et était réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse.

[19]  En ce qui concerne la question des soins médicaux que l’état de santé de la fille de la demanderesse pourrait requérir, l’agent a indiqué que, même si les soins de santé peuvent être de qualité inférieure par rapport à ceux offerts au Canada, aucun élément de preuve n’a été déposé indiquant que l’enfant avait des besoins spéciaux en matière de soins médicaux qui ne pouvaient être offerts au Cameroun.

[20]  L’agent a reconnu que la séparation de la partenaire de sa mère pourrait entraîner des difficultés pour l’enfant de la demanderesse. Toutefois, il a également souligné que, vu son jeune âge, elle pourrait s’adapter et qu’elle profiterait des relations avec les membres de la famille au Cameroun.

[21]  Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême du Canada a indiqué que l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés. Toutefois, ces difficultés ne suffisent pas à établir en soi des considérations d’ordre humanitaire (voir le paragraphe 23).

[22]  Dans le cas présent, l’agent n’a écarté aucun élément de preuve et a expliqué pourquoi la preuve était insuffisante. L’agent n’a commis aucune erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

C.  Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[23]  La demanderesse soutient que l’agent a commis un manquement à l’équité procédurale lorsqu’il a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de son union de fait sans avoir eu l’occasion d’entendre le témoignage de sa partenaire. Sa partenaire n’a pas témoigné à l’audience portant sur les considérations d’ordre humanitaire. La demanderesse soutient que l’agent a été informé que sa partenaire assistait à l’audience (tenue par vidéoconférence) et pouvait être interrogée.

[24]  L’omission de permettre à un témoin de témoigner ou de décourager un témoin à témoigner pourrait constituer un manquement à l’équité procédurale (Kamtasingh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 45).

[25]  Toutefois, en l’espèce, il ne ressort aucunement des éléments de preuve que la demanderesse a demandé à sa partenaire de témoigner ni que l’agent a refusé d’entendre le témoignage de la partenaire de la demanderesse. Il incombait à la demanderesse de présenter ses arguments et d’appeler à témoigner tout témoin qu’elle jugeait nécessaire. L’agent n’était pas tenu de demander à un témoin qui n’avait pas été présenté par la demanderesse de témoigner. (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5; Mendiratta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 293, au paragraphe 7; Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 16.)

[26]  En conséquence, il ne ressort aucunement des éléments de preuve que l’agent a empêché ou découragé la partenaire de la demanderesse de témoigner. Il n’y a donc eu aucun manquement à l’équité procédurale.

IV.  Conclusion

[27]  Par conséquent, la décision de l’agent est raisonnable. L’agent n’a pas fait fi des éléments de preuve; il a apprécié les éléments de preuve et a expliqué pourquoi ils étaient insuffisants. La décision est justifiée, transparente et intelligible. Par conséquent, la décision commande la déférence.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2342-16

INTITULÉ :

V.S. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 décembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 27 janvier 2017

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

Pour la demanderesse

Alexis Singer

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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